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Analyse de fanfic : "Entre Chien et Loup" de Goldenheart



Entre Chien et Loup est une fanfiction de Goldenheart, à la publication entamée en mai dernier, et qui compte actuellement huit chapitres en ligne. L’auteure la présente comme une réécriture importante de Brothers of Sun and Moon, sa participation au concours de fanfictions organisé pour la parution de Pokémon SL, en 2016. De cette base, elle ne reprend pourtant que quelques personnages et un contexte troublé chez les Pokémon de l’île de Poni, à Alola.

La différence majeure entre les deux histoires, outre l’amélioration notable de la plume de Goldenheart entre 2016 et 2019, tient à un scénario complètement refondu. Dans Brothers of Sun and Moon (pensée dans le cadre d’un concours, donc en huit chapitres maximum), le constat de base est relativement simple : l’histoire tourne autour d’une confrontation entre les Pokémon sauvages de Poni, espèces diurnes contre espèces nocturnes. Avec Entre Chien et Loup, ce sont les Pokémon sauvages (sans distinctions) et des humains colonisateurs qui entrent cette fois en conflit. Cela permet à Goldenheart non seulement d’ancrer son scénario dans une perspective historique, mais également de faire passer un fort message écologiste.

D’autant plus que l’auteure peut cette fois-ci prendre tout son temps sans contraintes de temps ou de taille liées au concours, ce qui la pousse à développer au maximum son intrigue et toutes ses implications. À présent, chaque personnage possède une histoire travaillée, ce qui enrichit considérablement la fic. Ce nouveau foisonnement de détails de l’intrigue, ainsi que la fluidité de son enchaînement, la rend aussi beaucoup plus imprévisible : les plot twist de la première version étaient certes efficaces, mais on les voyait venir de loin. Dans la réécriture, le lecteur se laisse mener sans pouvoir se douter une seule seconde de la direction que prend le scénario, ce qui le rend d’autant plus haletant et agréable à suivre.

En effet, si l’histoire n’est pas encore complète, elle est déjà prenante. Goldenheart nous livre un récit travaillé, susceptible de plaire à un large public grâce à ses plusieurs niveaux de lecture. On ne perd rien à simplement se laisser porter par le flot de l’histoire, une attitude que facilite la simplicité des situations : l’auteure peut passer un chapitre entier à nous faire découvrir le monde par les yeux d’un jeune Rocabot, sans qu’on ne s’ennuie un seul instant. À l’opposé, il est possible de trouver dans le texte des éléments scénaristiques qui pourraient rappeler des souvenirs, du Roi Lion par exemple ; ou alors, on peut admirer la façon dont Goldenheart transpose à Alola des coutumes provenant de l’Amérique Centrale, le plus naturellement du monde.

Et sans s’en être rendu compte, on s’attache à cette histoire. Les premiers chapitres, visant à y introduire le lecteur, réussissent leur effet. En installant la menace dès le début, ils maintiennent tout du long une tension certaine, mais discrète, peu sensible : on est surtout entraîné à la suite des louveteaux qui apprennent à découvrir le monde. Le début de l’intrigue se concentre sur ces futurs personnages principaux, encore innocents et tenus à l’écart des calamités qui s’abattent sur Poni. Lesquelles ne tardent pas à les rattraper, mais entre-temps, le lecteur a été immergé dans la vie sur cette île inhospitalière.

Entre cette immersion rapide, la capacité à surprendre et la situation poignante qu’elle pose, cette histoire sait plaire. Citons parmi ses autres qualités sa façon de parfois s’adresser indirectement au lecteur, en adoptant un ton qui se rapproche du conte — d’autant plus efficace quand il s’agit de peindre rapidement un décor, au début du premier chapitre. La pluralité des lectures possibles de l’histoire joue également, et le lecteur attentif appréciera de trouver des parallèles entre la trame globale et les événements eux-même ; des points qu’on peut ne pas remarquer sans rien perdre à l’intrigue, mais qui peuvent enrichir une seconde lecture. Enfin l’auteure renverse parfois subtilement les clichés, une attitude qui déplaît rarement.

Le style est un aspect particulièrement bien traité de cette fanfic : Goldenheart sait écrire des phrases efficaces mais néanmoins travaillées, empreintes d’un riche vocabulaire qui ajoute encore à la fluidité de la lecture. Quelques lourdeurs pourront être déplorées de-ci de-là, mais globalement, il est très agréable de sentir que l’auteure prend bien le temps d’installer chacune de ses scènes pour bien en distiller tous les détails.

Celles-ci ressemblent même davantage à des tableaux de vie successifs, notamment au début de la fic, lorsqu’ils servent à introduire le mode de vie des personnages : on assiste par exemple à la longue partie de chasse d’un Lougaroc, qui semble se dérouler en temps réel, pendant la lecture. Cela a de nombreux avantages, du fait de bien se représenter la scène à celui de pouvoir suivre facilement ce qu’il se passe au niveau de l’histoire. Les ellipses ont plutôt lieu entre les chapitres pour ne pas casser l’immersion du lecteur.

La fluidité de la narration sert notamment à merveille les scènes d’action, qui restent très claires dans l’esprit du lecteur malgré leur complexité. Goldenheart parvient à bien expliquer et faire vivre certains combats impliquant tout de même plusieurs Pokémon sauvages, qui effectuent en même temps des actions diverses sans que l’on ne se perde dans le déroulé des événements. Grâce aux détails descriptifs distillés au milieu de ce genre de scènes, on parvient également bien à comprendre l’espace et les déplacements des personnages.

D’ailleurs, l’auteure se débrouille également très bien pour tout ce qui touche aux descriptions : il faut bien cela pour installer des scènes et les faire évoluer sur une bonne durée, et elle parvient à merveille à poser le décor en assez peu de mots, avec quelques phrases bien placées et efficaces. On lit rarement un pavé de description, le plus souvent, les détails descriptifs sont mêlés au reste de la narration, ce qui permet au lecteur de mieux les assimiler petit à petit et de se construire mentalement les lieux traversés par les personnages. De ce fait, on a presque l’impression de regarder un dessin animé ou un film.

Certains parti-pris d’écriture sont également intéressants à mentionner. Tout d’abord, Goldenheart essaie de s’immerger complètement dans la vision de Pokémon sauvages, (qu’on pourrait donc assimiler à des animaux), en insistant sur leur différence de perception des choses par rapport aux humains. Le texte contient notamment de nombreuses descriptions sensorielles, touchant particulièrement aux odeurs puisqu’il s’agit du sens le plus développé chez les Lougaroc. Cette capacité de Goldenheart à rendre crédible n’importe quel type de personnage s’illustre d’ailleurs particulièrement bien par l’excellent traitement qu’elle fait d’un narrateur nouveau-né, qui ne connaît encore rien du monde, au début de la fic.

Dans ce même esprit, l’auteure a cherché à éliminer toute formulation susceptible d’être utilisée par des humains plutôt que par des Pokémon : le plus flagrant est justement la décision de ne pas faire figurer le mot “Pokémon” ailleurs que dans les dialogues des hommes. Elle emploie plutôt les termes “créatures magiques”, et c’est la même chose pour les noms de Pokémon, qu’elle remplace par des noms d’espèces plus imagés (les “loups de roche” pour les Lougaroc). Le parti-pris est risqué, mais bien géré, et cela donne à son texte une ambiance particulière, en plus d’ajouter une sorte d’interaction avec le lecteur qui doit deviner de quels Pokémon il est question.

En plus de ce style qui les sert, les personnages de Goldenheart ont beaucoup d’autres qualités. Le point de vue centré sur les Pokémon permet une immersion totale à Poni : non seulement les odeurs et sons qu’ils perçoivent plongent le lecteur dans la peau des personnages, mais en plus le fait d’avoir accès à leurs pensées, à leurs émotions, laisse se rendre compte de tous les aspects de leur vie de tous les jours. On peut vraiment voir le monde par leurs yeux, et aussi, ce qui est plus rare, le sentir par leur truffe, l’entendre par leurs oreilles… Et très vite, on arrive à se mettre à leur place : on compatit à leur faim, on se surprend à craindre le danger omniprésent sur l’île de Poni ; sans grande surprise, on s’attache très vite à eux. Difficile de faire autrement, alors qu’il est si facile de s’identifier à eux… ce qui est permis par leur réalisme travaillé.

Ce réalisme se sent avant tout au niveau individuel. On l’a dit, il est impossible de prévoir les la suite du récit ; l’une des raisons vient justement du réalisme des personnages. L’auteure a su rapprocher au maximum les comportements et apparences de ceux de nos animaux de la vie réelle, tout en prenant pleinement en compte leur nature de Pokémon capables de contrôler certains éléments. Et il ne s’agit pas d’un simple copié-collé de ces deux caractéristiques ensemble : le fait que Goldenheart ait réfléchi aux techniques de chasse d’un Lougaroc par rapport à un vrai loup en y incorporant des méthodes liées à sa maîtrise de la roche en dit long sur le travail soigneux derrière les Pokémon de son histoire.

Un réalisme certain joue aussi dans les relations des personnages les uns par rapport aux autres. Goldenheart jongle avec les points de vue d’un certain nombre de personnages à la fois, ce qui lui permet de gérer plusieurs trames scénaristiques vouées à se rejoindre, mais a aussi un enjeu particulier : les différents groupes, humains et Pokémon, ne peuvent pas communiquer entre eux, ne se comprennent pas. Car l’auteure ne met pas seulement les Pokémon en scène : elle représente également le point de vue des colons unysiens, et réussit à les faire apparaître plus appréciables qu’on pourrait le penser.

Il semble donc compliqué de parler d’antagonistes ou de protagonistes pour cette histoire (comme, souvent, pour la vraie vie). Tous les personnages prennent de l’importance aux yeux du lecteur. La compassion est plutôt orientée sur les Pokémon, mais les motivations des humains sont compréhensibles — en fait, on pourrait même les rapprocher du quotidien de tout un chacun. Le chargé de la sécurité sur les chantiers ouverts à Poni par les colons ne fait que son travail : il doit parfois blesser, voire tuer des Pokémon, pour mériter son salaire, mais il est très conscient que c’est à éviter, et il tente de limiter les dégâts qu’il inflige.

En cela, il est un assez bon représentant de l’ensemble des personnages. Tous, à un moment ou un autre, agissent mal ; tous en tuent, ou simplement en blessent, d’autres. Citons les Lougaroc qui se nourrissent de viande : une pratique tout à fait naturelle, qui prend pourtant une autre dimension quand la viande a pu être aussi intelligente qu’eux. Citons à nouveau Quibli, qui dans sa quête d’un adversaire à sa hauteur est capable de s’en prendre à des Capumain bien moins expérimentés — et peut-être d’en tuer certains, juste pour le plaisir. C’est là un des points-clé du récit : la frontière entre le “bien” et le “mal” est très floue, à l’image de celle entre les protagonistes et les antagonistes. Chaque personnage a en lui une part de bonté, et une part plus sombre. Et ils ne sont, finalement, ni bons, ni mauvais. Ils sont eux, tout simplement, sans jugement.

Ce point est annoncé dès le premier chapitre : sur Poni, c’est la loi du plus fort qui fait foi. Tous les personnages se contentent simplement de l’appliquer, et pas seulement aux autres. Ils sont aussi capable de la justifier envers eux-mêmes ; ainsi, Quibli se représente à un moment le comportement des colons comme consistant à prendre tout ce qu’ils convoitent, sans se soucier des habitants de l’île et des tourments qu’ils leur infligent. Pendant un moment, le Quartermac considère cela comme difficile à accepter… avant de réaliser que c’est simplement un autre aspect de la loi du plus fort : la façon dont la voit le plus faible.

Cette omniprésence de la loi du plus fort amène avec elle une forme de violence subtile, qui apparaît très tôt dans le récit mais dont on ne se rend compte que tard, quand l’espoir commence à s’essouffler. Dès le premier chapitre, l’auteure présente sa vision de Poni avec une certaine brutalité ; mais on ne la voit pas immédiatement, émerveillé qu’on est par les premiers pas des louveteaux. C’est surtout apparent dans l’exemple de la prédation de certains Pokémon par d’autres, là où une communication, peut-être aurait été possible...Cette violence subtile n’est pas sans souligner, et rendre d’autant plus marquante, la compassion dont les personnages sont aussi capables les uns envers les autres.

Si la prédation a été évoquée avec autant d’insistance, c’est parce qu’elle représente un dernier aspect du réalisme des personnages : la cohérence de leurs interactions en tant que groupes. L’exemple le plus impressionnant est la structure des groupes de Quartermac, calquée sur les lémuriens — lesquels permettent bel et bien à certains individus de prendre leurs distances avec les autres, tout en restant partie intégrante du groupe ! De façon plus originale, tous les Pokémon habitant Poni ont en commun un rituel de salut à l’aube. Rituel qui est réinséré dans chaque espèce : les Lougaroc considèrent ce rituel comme une de leurs traditions, qui permet notamment à une mère restée veiller sur ses petits de savoir si son compagnon rentrera après avoir passé la nuit à chasser. Chacune des différentes espèces a droit à un traitement particulier, par exemple Nidoking et Nidoqueen qui se voient accorder des différences de comportement. Cela s’inscrit dans une large dynamique de cohérence. Dans le récit, chaque élément a sa place, chaque personnage à son rôle, comme dans un écosystème naturel. Un fonctionnement qui n’est pas sans rappeler la portée de conte écologique de l’histoire.

Soyons clairs, la fic de Goldenheart n’est pas un conte. Ses personnages ne sont pas unilatéraux comme dans ce type d’histoires, le cadre spatio-temporel est défini et le souci de réalisme est bien trop important. Ceci étant, Entre Chien et Loup a une saveur de conte, ou plutôt d’histoire pour enfants. En effet, on sent dès la première ligne l’influence de toute une littérature jeunesse centrée sur les animaux qui donne son identité au récit. On trouvait déjà quelque chose de similaire dans Brothers of Sun and Moon, encore que cette fanfic ressemblait davantage à un dessin animé pour enfants. Ici, l’influence de livres comme La Guerre des Clans, Le Royaume des Loups, Le Livre de la Jungle et autres Croc-Blanc reste très présente tout au long de la lecture et apparaît parfois de façon plus directe par des références explicites (notons Kaa l’Arbok ou les mesures de longueurs présentes dans La Guerre des Clans).

Et ainsi, Goldenheart reprend les thématiques écologique que l’on peut trouver dans ce genre d’histoires, en introduisant une menace qui n’existait pas dans sa première fanfiction : l’Homme. Au cours des premiers chapitres, l’accent est mis sur les conséquences de l’intrusion des colonisateurs unysiens, sans que le lien de cause à effet soit établi entre les deux phénomènes. C’est aux lecteurs d’en tirer les conclusions qui s’imposent, sans que le récit ne tombe dans un moralisme déplacé. Car au sein du récit, cette destruction des écosystèmes de Poni ne fait qu’obéir à la loi du plus fort établie depuis des siècles et qui forge le caractère des habitants de l’île.

Pour conclure, Goldenheart nous offre ici un récit mené avec brio, qui parvient à mêler ce qui fait l’essence des classiques de la littérature jeunesse avec l’univers Pokémon. Le résultat est prenant, bien écrit et ne souffre que d’un seul défaut handicapant : la fic est suspendue. En attendant qu’elle reprenne un jour, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture des huit captivants chapitres déjà en ligne !



Par Ramius et LunElf

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