La ligne de l'Entre-Vie de Kazumari

Ylliana avait encore du mal à réaliser. Certes, Aléandre avait parlé la veille d’un moyen de transport qui leur permettrait de ne pas avoir à subir une marche à pied de deux mois entiers pour rallier le sanctuaire mais elle ne se serait jamais attendue à quelque chose de la sorte. Un marchand itinérant acceptant de les transporter dans sa charrue aurait été un choix bien plus logique. Mais malheureusement bien moins excitant que celui proposé par Kallan.

La cité d’Alexicia proposait un service de location de Corvaillus dressés, capables de transporter les clients où ils le souhaitaient. Il y avait des forfaits concernant les allers simples et les allers-retours, les Pokémon Corbeaux étant entraînés pour rentrer seuls selon le choix de leurs passagers. Dans le cas présent, le groupe avait adopté pour un retour à Alexicia une fois qu’ils auraient exploré de fond en comble le sanctuaire où reposait l’épée sacrée Arithmédia.

Une grande première pour Ylliana, qui put se rendre compte par la même occasion qu’elle avait la phobie du vide. Elle se trouvait à plusieurs dizaines de mètres d’altitude et sentait son estomac remuer rien qu’en pensant à ce qui se situait en dessous à l’instant-même. Son Charmilly, bien trop terrifié à l’idée de tomber par inadvertance, avait quitté l’épaule si confortable où il se logeait habituellement afin de se réfugier dans la sacoche de son amie, heureusement peu remplie.

- Hé Kallan, oublie pas que je suis contrainte de rester proche de toi donc si tu tombes, je tombe aussi ! souffla Rose, nullement perturbée à l’idée de flotter aussi loin de la terre ferme. J’ai eu la chance de mourir de façon propre avec un trou dans le ventre donc si tu pouvais éviter de terminer en crêpe, ce serait quand même bien sympa.

- Allons Rose, ce n’est pas la première fois que nous prenons ce moyen de transport…

L’homme aux longs cheveux noirs avait presque le souffle coupé à cause d’Ylliana qui lui serrait un peu trop fort au niveau de la taille, par peur de lâcher prise et de glisser du dos du Corvaillus. Comme le groupe essayait de couvrir de nombreux jours de marche en peu de temps, cela leur avait coûté davantage d’argent. De ce fait, seulement deux Pokémon Corbeaux avaient pu être loués afin d’effectuer le voyage aérien en direction du sanctuaire.

Aléandre et Ixon occupaient l’un des deux. Comme Rose ne prenait pas de place, l’adolescente était mintée avec Kallan. Son compagnon de route éclata de rire en notant sa réaction, faisant remonter des vieux souvenirs. Si lui-même ne voyageait pas fréquemment à vol de Corvaillus à cause des prix exorbitants, il se souvenait de la toute première fois où il avait tenté l’expérience, alors en compagnie de son paternel. Ses réactions furent très similaires à celles d’Ylliana.

Ce périple à travers les cieux s’étala sur quatre jours entier. Si cela ne fut pas suffisant pour l’apprentie guerrière afin de vaincre son vertige, elle commençait forcément à trouver le temps long à partir d’un certain moment. Elle en profita donc pour discuter avec le couple des Redlior qui avaient des histoires à raconter suite à leurs nombreux voyages. Cela lui changeait des récits d’Aléandre qu’elle connaissait tous par cœur maintenant.

- Kallan avait trébuché sur un caillou mais en fait, c’était un Charbi sauvage qui lui en a voulu pendant longtemps, narrait la femme fantôme qui ne manquait pas une occasion de faire tourner son époux en ridicule. Heureusement que j’étais là pour le tirer d’affaire par ailleurs, sinon il aurait brisé son katana. C’est à se demander comment il s’y prend pour survivre tout seul depuis que je ne peux plus intervenir.

- Il ressemblait vraiment à un caillou, tu sais… soufflait Kallan. Depuis, je fais vraiment attention où je mets les pieds histoire de ne pas déranger un autre Pokémon sauvage. Mon katana provient d’un ami forgeron qui l’a confectionné spécialement pour moi, je n’aimerais pas le casser à cause d’un type Roche.

- Pourtant tu n’as pas besoin d’un type Roche pour ça. Tu as déjà oublié cette guerrier qui éclatait de rire constamment avec une bouteille de rhum à la main et qui t’a annihilé en combat singulier ? Si tu ne peux pas vaincre des adversaires soûls alors je n’imagine même pas avec les sobres.

Le sanctuaire où résidait Arithmédia se dressait en pleine forêt, à l’écart de toute civilisation. Comme son intérieur était principalement souterrain, la bâtisse blanche ne se révélait pas bien grande et pouvait facilement être manquée à une telle hauteur. Les deux Corvaillus firent leur atterrissage à proximité d’un coin d’eau potable. Aléandre leur laissa également suffisamment de nourriture pour qu’ils puissent tenir jusqu’à leur retour.

Aléandre se montrait bien moins bavard qu’à l’accoutumée pendant la traversée de la forêt locale. L’anxiété s’emparait rapidement de lui. Il avait consacré la majeure partie de ses trente-sept années d’existence à récupérer la fameuse épée de Shalkidalia. Même maintenant, il imaginait avec difficulté que son rêve le plus cher allait enfin se réaliser. Ylliana avait remarqué son changement soudain d’attitude. Elle était heureuse pour son ami, et également rassurée de savoir qu’elle ne serait pas abandonnée après cette opération.

La jeune fille savait que son rôle dans l’affaire serait crucial. Le sanctuaire hanté par les fantômes ne tarderait pas à les attaquer mentalement pour qu’ils se donnent la mort. Grâce à ses Yeux Sacrés de l’Entre-Vie et l’épée rangée soigneusement dans son fourreau à la ceinture, elle allait pouvoir affronter les ennemis spectraux et protéger les deux hommes. Si Rose plaisantait régulièrement sur le fait qu’elle apprécierait avoir un ami fantôme, elle préférait quand même les savoir tous en vie et en bonne santé.

- Père, encore un peu de patience… songea Aléandre avec force. Arithmédia est toute proche, je vais terminer ce que tu as commencé.



***


Au cours des dix années ayant suivi l’obtention de sa faculté spéciale, Ylliana n’avait jamais eu autant envie de s’arracher les yeux qu’à cet instant précis. Elle s’était pourtant préparée mentalement à cette épreuve mais le vivre en temps réel se révélait un véritable supplice pour elle et ses Yeux Sacrés. En jetant un coup d’œil à son visage grâce au reflet sur la lame de son épée, l’adolescente se rendait bien compte qu’elle était très fatiguée. Sans sa présence, nul doute que le groupe aurait déjà rencontré une fin déplorable.

En se rendant compte de la difficulté de la traversée, Aléandre s’interrogeait sur les dons incroyables d’Aléandre pour l’exploration. Après tout, il était parvenu à rejoindre la pièce où reposait Arithmédia sans pouvoir observer les phénomènes surnaturels. Malheureusement pour lui, il n’avait pas eu le temps de quitter le sanctuaire avec l’épée par la suite. Grâce au don d’Ylliana, il allait pouvoir terminer ce qu’il avait commencé il y a deux mois dans cet endroit reculé.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis l’arrivée du groupe au sein du sanctuaire. Ylliana montrant des signes de fatigue grandissants, ils décidèrent de faire une pause dans une pièce après avoir éliminé tout fantôme dangereux. Même sans se déplacer, la jeune fille devait rester sur le qui-vive. Leurs adversaires pouvaient traverser les murs ce qui l’empêchait de baisser complètement sa garde, même avec le soutien de Rose.

Déjà décédée, l’épouse de Kallan était en contact avec l’Entre-Vie. Si contrairement à Ylliana, elle ne pouvait pas interagir avec son environnement, elle pouvait toutefois observer elle aussi les phénomènes paranormaux. A une ou deux reprises, elle avait même sauvé la mise pour Ylliana en lui signalant la position d’opposants ayant échappé à sa vigilance. L’apprentie guerrière faisait de son mieux mais devait beaucoup à sa nouvelle amie.

- Est-ce que nous approchons du but ? demanda calmement Aléandre en s’asseyant au centre de la salle.

- Si ma mémoire ne me fait pas défaut, nous ne devrions plus être très loin à présent, répondit Kallan en analysant son entourage pour y déceler un signe distinctif. Tu ferais mieux de fermer un peu les yeux, Ylliana. Même si nous ne pouvons pas voir les fantômes, nous disposons de notre instinct.

- Je me ferais un plaisir de te crier dans les oreilles pour te réveiller en cas de besoin, affirma Rose avec un sourire moqueur, flottant de façon nonchalante dans l’air.

Aléandre s’inquiétait pour la santé de sa petite protégée. Certes, cette dernière savait à quoi s’attendre et il l’avait entraîné pendant une décennie entière pour qu’elle se construise une endurance. Mais à en voir l’expression de son visage et ses yeux irrités, Ylliana souffrait. Cela peinait l’explorateur, qui avait endossé de son plein gré le rôle de père de substitution. Et pourtant, l’adolescente ne s’était pas plainte une seule fois depuis leur entrée dans le sanctuaire.

- Kallan, tu penses que la petite vermine traîne toujours dans les parages ? questionna soudainement Rose qui venait de passer la tête à travers le plafond pour surveiller l’étage supérieur. Il nous avait causé bien du tort, j’ai cru que tu n’allais jamais t’en sortir.

- Comment ça, la petite vermine ? répéta Aléandre, perplexe.

- Le sanctuaire n’est pas juste habité par des fantômes, révéla Kallan en croisant les bras. Un Pokémon, sûrement sauvage, traîne dans les environs. Je ne sais pas s’il est apparenté à Shalkidalia ou non mais il a tout fait pour nous empêcher d’atteindre l’épée il y a deux mois, une vraie plaie…

- Jusqu’à ce que Kallan tombe dans un piège caché sous une dalle du sol et découvre un passage secret pour rejoindre l’épée sans vaincre l’ennemi. Ce truc avec le poireau ne doit pas connaître tous les mystères qui entourent le sanctuaire.

Son mari ne répondit pas, habitué aux remarques sarcastiques de son épouse, prête à tout pour le tourner en ridicule pour s’amuser. Par souci de facilité, la demoiselle spectrale avait pris la décision de se rendre visible auprès d’Aléandre, malgré sa ligne de conduite de rester dissimulée auprès de tous. Demander à Kallan de faire l’intermédiaire pour les conversations avait rapidement commencé à la fatiguer, elle qui aimait aller à l’essentiel.

Contrairement à ce que Kallan pensait, le trentenaire n’eut pas de réaction particulière en découvrant l’existence surnaturelle de Rose. Il savait consciemment que l’épée Arithmédia était associée à la mort et cela ne le surprenait donc pas qu’il soit possible d’attacher un spectre à un être vivant pour lui permettre de subsister. De plus, voyager avec un possesseur des Yeux Sacrés de l’Entre-Vie avait grandement sensibilisé Aléandre à l’existence des fantômes.

Pire, ce dernier s’entendait vraiment bien avec elle. Toujours avide de découverte, il écoutait attentivement toutes ses histoires, même si cela l’avait amené à réévaluer son opinion de Kallan à son plus grand regret. Rose avait même fini par admettre qu’elle aurait dû se dévoiler auprès de lui bien plus tôt. D’un autre côté, cela faisait plaisir à son époux qu’elle puisse encore se lier d’amitié avec des êtres vivants autre que lui-même malgré sa situation.

- Ylliana, tu es prête à y retourner ?

La concernée, après avoir fermé les yeux, n’avait pas tardé à s’endormir sans s’en rendre compte malgré le danger. Une chance pour elle que Rose surveillait les alentours en cas d’attaque fantomatique imprévue. Une fois légèrement secouée, Ylliana ne tarda pas à reprendre connaissance. La voyant de plus près, Aléandre put se rendre compte qu’elle puisait dans ses dernières réserves. La zone autour de ses yeux était creusée à cause de l’effort.

Ylliana n’avait pas l’habitude que son pouvoir se déclenche. Si la jeune fille avait pu s’accommoder à la présence constante de la femme décédée à ses côtés, cela ne valait pas grand-chose au sein d’une antre envahie par des spectres. Ses Yeux Sacrés de l’Entre-Vie ne savaient plus où donner de la tête et lui provoquaient constamment des brûlures désagréables, à la limite du supportable. Ylliana ne tiendrait pas longtemps à ce rythme.

- Pardon, je commence à faiblir… murmura-t-elle, honteuse.

- Nous sommes presque arrivés, tu as fait du bon boulot ! assura Aléandre en tendant la main vers elle pour l’aider à se relever. On va laisser Rose se charger de détecter les fantômes, tu peux garder les yeux fermés pour le moment. Tu te contenteras d’éliminer ceux qui s’approchent de nous… malheureusement tu es la seule à pouvoir le faire.

A peine remise sur pied, Ylliana ne tarda pas à perdre l’équilibre et tomba dans les bras de l’explorateur qui la rattrapa avant qu’elle ne se blesse. Sa petite protégée avait vraiment tout donné pour les protéger pendant leur excursion du sanctuaire, cela le gênait de lui en demander davantage. Il valait mieux s’empresser de récupérer Arithmédia pour quitter les lieux avant qu’elle ne dépasse complètement ses limites physiques.

Aléandre fit un signe de la main à Ixon, qui s’était réfugié dans un coin de la pièce en compagnie de Charmilly. Le Pokémon Crème, toujours aux côtés d’Ylliana, avait dû se résilier à rester en compagnie du Pokémon Barrage le temps de l’excursion. Aléandre demanda à son partenaire de transporter la demoiselle pour qu’elle puisse économiser ses forces, à la grande surprise d’Ixon. Si les fantômes créés par Arithmédia n’étaient pas affectés par les capacités des Pokémon, il pouvait tout de même sentir leur présence.

- Je suis désolée, je vous cause du souci… souffla Ylliana.

- Ne dis pas de bêtises et mange quelque chose, tu vas très vite être sur pied, déclara aimablement Aléandre en ouvrant sa sacoche pour attraper une banane. Ixon peut bien te porter un peu, je sais qu’il est suffisamment costaud pour ça.

- Si des fantômes viennent nous enquiquiner, je me ferai un plaisir de leur… faire la conversation, je suppose. Pas comme si je pouvais faire grand-chose d’autre, bougonna Rose, son visage se déformant en grimace.



***


La traversée du sanctuaire d’Arithmédia se poursuivit sans encombres. Ylliana avait effectué le plus gros du travail pendant la première partie du voyage et n’eut pas beaucoup à faire par la suite, peu de fantômes venant les déranger en voyant leurs congénères disparaître les uns après les autres. Bientôt, la jeune blonde fut de nouveau capable de marcher par elle-même, au grand bonheur d’Ixon qui sentait son dos commencer à le faire souffrir. Il n’était plus tout jeune après tout.

Aléandre gardait dans un coin de sa tête les propos tenus par le couple Redlior peu auparavant. Un Pokémon sauvage errait dans la zone, en admettant qu’il ne soit pas parti entre les deux visites de Kallan et Rose au sein des lieux. « Ce truc avec le poireau » était certainement un Canarticho, Pokémon connu pour combattre avec le fameux légume. Nul doute qu’un adversaire comme celui-ci ne devrait pas poser problème à un groupe de quatre personnes, un Charmilly ainsi qu’un Ixon robuste.

- Après tous les fantômes qu’Ylliana a éliminé pour nous ouvrir la voie, ce n’est pas un pauvre Canarticho qui va nous causer des ennuis quand même… marmonna Aléandre.

- Un Canarticho ? Non, c’est pire que ça… il s’agît en réalité d’un…

- Kallan regarde ! La vermine se tient devant la porte de la salle qui renferme Arithmédia, s’exclama Rose en coupant brusquement son mari dans son élan. Tu penses pouvoir l’affronter sans tomber dans un piège cette fois-ci ? Certes, tu n’es apparemment même pas capable de vaincre une guerrière alcoolique mais un Pokémon qui fait la moitié de ta taille, ça devrait aller, non ?

Perplexe, Aléandre ne tarda pas à comprendre où ils voulaient en venir. En effet, il ne s’agissait pas d’un Canarticho. Dans la salle de forme rectangulaire aux murs de roche blanche se dressait la forme évoluée du Pokémon envisagé aux premiers abords. C’était la toute première fois qu’Aléandre rencontrait un Palarticho, au point où il en avait presque oublié son existence. Ils n’étaient pas vraiment réputés pour leur grand nombre, n’apparaissant que dans certaines régions du monde.

Le Pokémon Canard Fou bomba le torse en les voyant arriver. Kallan comprit qu’il devait s’être senti honteux d’avoir laissé le couple atteindre Arithmédia en détournant sa présence par le biais d’un piège. De ce fait, Palarticho avait décidé de rester juste devant la porte séparant les visiteurs de l’arme sacrée afin de s’assurer que la bataille soit livrée en bonne et due forme. Il empoigna fermement son immense épée et son bouclier alors que le groupe s’approchait.

- Je vais m’occuper de lui, décida Ylliana, ses yeux la faisant moins souffrir depuis que Rose était la seule présence spectrale des environs.

- Tu n’as pas récupéré suffisamment, s’interposa Aléandre en levant le bras pour l’empêcher d’avancer. Ce Palarticho a le regard du guerrier avide de combats loyaux, on ne perd rien à l’affronter dans les règles. Je vais m’en charger.

Rose aurait bien aimé traverser la porte à l’insu de tous pour aller vérifier si l’épée n’avait pas bougé depuis sa dernière visite mais malheureusement pour elle, la distance la séparant de son époux devait rester minimale. Vaincre le Pokémon Canard Fou était donc la seule solution. Comprenant qu’Aléandre serait son adversaire, Palarticho s’inclina pour le saluer. Par respect, l’explorateur trentenaire en fit de même, gardant la main sur le manche de son épée.

Aléandre n’avait jamais affronté jusqu’ici un Pokémon sauvage capable de se comporter comme un épéiste. La petite taille de Palarticho allait se révéler compliquée à gérer, il allait devoir s’adapter rapidement pour pallier ce désagrément. Ne quittant plus son adversaire du regard, le blond resta sur le qui-vive lorsque le gardien des lieux fit un pas en avant. Et ainsi, l’affrontement improbable ne tarda pas à démarrer, dans le silence du sanctuaire.

- C’est pas très passionnant tout ça… commenta Rose, profondément ennuyée alors que les sons de choc entre le poireau et l’arme blanche se multipliaient.

- Tu dis ça pour chaque combat à l’arme blanche, fit remarquer Kallan, presque amusé. Le fait de ne pas pouvoir interagir avec l’environnement te rend jalouse, je suppose ?

- Un peu oui. J’aurais sûrement déjà rétamé ce Palarticho à l’heure qu’il est. Si tu n’étais pas tombé dans ce stupide piège l’autre fois, on aurait pu le manger pour le dîner.

La femme fantomatique avait beau faire des blagues assez régulièrement sur sa condition, qui ne la dérangeait pas outre-mesure, elle ressentait toutefois une certaine pression en se retrouvant aussi proche d’Arithmédia. La pièce située de l’autre côté de la porte était celle où, influencée par un spectre des alentours, elle s’était suicidée en s’empalant sur l’arme divine. Deux mois avaient passés depuis, son corps laissé sur place avait sûrement pourri.

Rose frissonna à l’idée de se voir dans de telles circonstances et espérait même que son squelette ait eu le temps de disparaître, même si elle en doutait fortement. Le mieux qu’elle puisse faire était de rester de l’autre côté du mur, tant qu’elle ne se retrouvait pas à plus de trois mètres de distance de son époux. Arithmédia ne l’intéressait plus, elle souhaitait simplement rester aux côtés de Kallan jusqu’à que ce dernier rende l’âme afin qu’ils partent ensemble.

Kallan espérait que les propriétés spéciales entourant l’arme légendaire permettraient d’inverser la situation et ramener Rose dans un corps mortel. Mais dans le fond, le couple Redlior savait pertinemment que rien ne pouvait faire revenir les morts à la vie. C’était simplement par fierté qu’ils se trouvaient dans le sanctuaire en ce moment, de façon à terminer cette excursion qu’ils avaient dû laisser en suspens. L’honneur d’un explorateur passait avant le reste.

Parfaitement concentré sur son combat personnel, Aléandre n’entendait même pas les conversations entretenus par ses compagnons de route. Il avait déjà fort à faire avec Palarticho qui ne lui laissait pas un seul instant de répit. Il paraissait chétif à première vue mais le Pokémon Canard Fou faisait preuve d’une grande dextérité, doué pour l’art de l’escrime. Il avait même fini par se débarrasser de son bouclier pour accélérer la cadence de ses mouvements.

Aucune action n’était inutile, il frappait toujours là où cela pouvait faire très mal et il abusait clairement de sa petite taille. Aléandre devait constamment prendre en compte qu’il affrontait un adversaire qui n’atteignait même pas le mètre de hauteur. Mais le trentenaire avait beau se considérer comme un explorateur avant d’être un guerrier, il savait néanmoins se servir de son épée comme il le fallait. Ylliana qui s’entraînait avec lui depuis une décennie pouvait en témoigner.

- Le Palarticho est en train de se fatiguer inutilement, non ? s’enquit cette dernière qui ne manquait pas un seul instant de la confrontation. Depuis qu’il a lâché son bouclier tout à l’heure, il effectue des gestes plus longs, ça ne va pas jouer sur son endurance ?

- En effet, sa petite taille le pousse à se déplacer davantage, confirma Kallan. Il cache très bien son jeu mais Aléandre m’a tout l’air d’être un fin bretteur, ce serait un honneur pour moi de croiser le fer avec lui un jour.

Aléandre ne retenait pas ses coups mais n’avait pas l’intention de tuer le Pokémon sauvage pour autant. Il attendit donc la parfaite occasion pour lancer une attaque au niveau du poignet de Palarticho, qui tenta de contrer le coup avec son poireau improvisé en épée, dur comme l’acier. Mais cela eut pour effet de le désarmer, l’arme s’échappant de sa main et faisant un vol plané pour tomber au sol dans un bruit sourd, pas loin des pieds d’Ylliana.

- On dirait bien que le combat est terminé, je suis le grand vainqueur, commenta Aléandre avec un sourire, tentant de retrouver le rythme normal de sa respiration. Tu m’auras donné du fil à retordre, petite canaille.

Agissant toujours dans le plus grand respect, Palarticho s’inclina devant l’être humain qui venait de le défaire avant d’aller chercher son bouclier injustement lancé contre l’une des parois précédemment. Il fit un signe de la main pour indiquer au groupe qu’il ne s’interposerait plus et les laisserait ouvrir la porte pour rallier le fin fond du sanctuaire. Là où Arithmédia devait reposer depuis longtemps. Aléandre sentit son cœur battre la chamade rien que d’y penser.

Ylliana tendit le poireau qu’elle avait ramassé au Palarticho qui le reprit aussitôt en s’inclinant de nouveau pour la remercier. L’adolescente nota que le Pokémon Canard Fou faisait preuve d’un grand respect vis-à-vis des visiteurs. Aléandre comprenait mieux pourquoi il avait préféré qu’ils ne se jettent pas tous sur lui pour le mettre hors d’état de nuire. Si tout se faisait dans le respect mutuel de l’autre alors cela devenait plus simple de progresser.

- Mais c’est… balbutia Aléandre, l’étonnement lui coupant le souffle.

Si Rose était véritablement résignée à ne pas passer la porte par crainte d’apercevoir son cadavre en train de se décomposer, son époux et le trentenaire s’étaient empressés de rejoindre la salle spéciale d’Arithmédia. Pour faire face à une nouvelle pour le moins déplaisante à laquelle aucun d’entre eux n’aurait pu s’attendre. L’épée légendaire de l’Impératrice de la Mort Shalkidalia ne se trouvait plus entre les quatre murs de la pièce.