Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Le temps d'une vie de Soundlowan



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Soundlowan - Voir le profil
» Créé le 14/08/2024 à 08:56
» Dernière mise à jour le 14/08/2024 à 08:56

» Mots-clés :   Absence de combats   Paldea   Slice of life

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Le temps d'un rire
Il ne compte pas lâcher l’affaire, quitte à planter une tente au milieu des vignes.
La signature du contrat traîne plus en longueur que prévu, et ça n’arrange pas du tout les projets de Benjamin. Tout est relatif bien sûr, normalement il fait signer les documents tout de suite quand un accord semble être trouvé, mais la vieille dimoret s’est montrée intraitable cette fois.

Après réflexion, il a décidé que la comparaison avec un dimoret seyait le mieux à la vieille propriétaire. Orgueilleux, griffes acérées, très fier du bijou qu’il porte sur la tête, c’est un pokémon qui lui convient bien.
Benjamin envisage de lui envoyer son braisillon dans la figure, juste pour faire fondre son masque de glace. Il ne le ferait jamais évidemment, et il se traite d’idiot d’avoir seulement eu cette idée. Une pensée fugitive, l’espace d’un instant. Mais ça lui a fait du bien. Il doit être plus frustré qu’il ne l’imaginait.

En plus, sortir ses pokémons en plein rendez-vous ne serait pas poli. C’est un principe qu’il s’est fixé depuis longtemps, et que la vigneronne semble respecter de la même manière. Au moins une gaffe qu’il a évitée. Maintenant qu’il y pense, l’homme d’affaires n’a jamais vu le moindre pokémon dans ce grand bureau froid.

Quel contraste avec l’extérieur du domaine ! Il ne se lasse pas d’admirer la vue. C’est pourtant loin d’être sa première visite, et il ne déguste même pas les produits lorsqu’il passe.
Au début, il croyait observer la technologie agricole qui est effectivement impressionnante. Mais cela n’aurait pu l’occuper qu’une fois, deux à la rigueur. Ensuite, il a cru se laisser prendre au charme de la végétation. Arrivant à peine à ses genoux, elle n’a rien de si fascinant au fond. Il ne peut pas non plus prétexter que ses affaires avancent si vite qu’il a besoin de revenir tant de fois.
Il y a forcément quelque chose de plus qui le fait revenir sans cesse. Et le laisse perdre tant de temps à ne rien faire.

Les yeux dans le vague, Benjamin rêvasse sur ce phénomène. Le soleil est fort aujourd’hui, les couleurs sont nombreuses autour de lui. Quelque chose se forme au creux de son estomac, comme une boule chaude et réconfortante. Une émotion plaisante, mais laquelle ? Décidément, il ne sait pas exprimer quoi que ce soit en jolis mots.
Le commercial baisse les yeux vers sa mallette. Elle est pratiquement vide depuis la généralisation de l’informatique dans les réunions, qui a rendu obsolète tout dossier papier, mais l’objet continue d’en imposer quand il se présente à un rendez-vous. Jamais elle n’a provoqué en lui un sentiment qui s’approcherait, même vaguement, de celui qu’il ressent aujourd’hui.

Le regard bleu-vert accroche les sphères à sa ceinture. Un accident. Une coïncidence. Pour la première fois depuis des mois, le dresseur se dit que ses pokémons apprécieraient sans doute la vue eux aussi.
Les doigts sont devenus presque malhabiles à force de ne jamais faire ce geste, mais il parvient à décrocher la première ball et à lui rendre sa taille d’origine. Elle est bien usée par le temps, ce qui le fait sourire.
Le rayon rouge se forme, matérialise le rongeur électrique qui prend finalement les bonnes couleurs. Le vigoureux pohmarmotte s’ébroue comme pour se réveiller d’une sieste, se fige en constatant qu’il n’est pas enfermé entre les quatre murs d’un appartement, tourne la tête dans tous les sens. L’adorable bouille se relève vers son humain, toute la confusion du monde peinte sur le visage.

Benjamin a un petit sourire pour son Premier. Il est vraiment en train de perturber son fidèle compagnon. La grande perche se penche dans son beau costume propret de cadre intermédiaire, lève la main et ébouriffe la mèche folle entre les deux oreilles comme il en avait l’habitude adolescent.
Oui, il a bien libéré son pokémon pour une petite promenade avant de rentrer. Sans raison particulière, et alors qu’il a un planning extrêmement serré. Seulement voilà, pour la première fois depuis plusieurs années, il ne trouve pas cela si important.
Le temps est beau, le ciel est bleu, ils n’ont rien d’autre à faire que d’être heureux.

Le pohmarmotte ne se le fait pas dire deux fois, et exprime sa joie par des allers-retours à la vitesse de l’éclair pendant que son dresseur quitte le domaine à pied. Ils attraperont un taxi plus loin. En attendant, le pokémon orange et jaune multiplie les découvertes, un gros rocher rigolo par ici, une touffe d’herbe un peu différente par là, un tétampoule qui flotte et qui le regarde d’un air éberlué.
Le petit combattant finit par revenir devant Benjamin, et bondit littéralement de joie devant lui à plusieurs reprises, avec des cris presque stridents pour bien se faire comprendre.

Son humain prend le temps de soigneusement regarder à gauche, puis à droite, pour s’assurer qu’ils sont seuls avant de lui répondre. Il lui caresse de nouveau la tête au passage, espérant en vain qu’il se calme un peu.
- Mais oui Pompote, moi aussi je suis content de te voir.

Un surnom qu’il avait trouvé génial à dix ans. Maintenant qu’il en a presque trente, plutôt mourir que de le prononcer en public.


La coordinatrice n’arrive toujours pas à détacher les yeux du prospectus.
Il est désormais beaucoup plus froissé, avec son habitude de l’écraser entre ses doigts dès qu’il la contrarie trop. Cela arrive souvent. La figure souriante du dresseur professionnel est à peine reconnaissable désormais, avec ces traits qui le barrent de si nombreuses cicatrices. Malgré tout, il arrive encore à enrager Angela lorsqu’elle s’arrête un peu trop sur son image de papier glacé.

Elle y revient pourtant. Attirée, comme par un aimant. À croire qu’elle refuse d’être de bonne humeur.
La coordinatrice arrive assez bien à se sortir l’irritante brochure de la tête pendant ses entraînements, qu’elle fait durer de plus en plus longtemps et qu’elle veut de plus en plus intenses. C’est comme ça que son genou a fini par lâcher d’ailleurs.
Le problème est justement maintenant. Forcée à l’immobilité, sans personne à qui parler pour la distraire même avec des idioties, sans ses pokémons que de toute façon elle n’entraîne pas et ne voit pas hors des performances, Angela est piégée avec ses pensées. Songer à autre chose fonctionne un temps, mais elle finit toujours par revenir à sa colère. Une sorte de mouvement perpétuel sous son crâne, une roue dans laquelle elle tourne sans cesse.

De tous, il fallait que ce soit lui. Personne d’autre n’a eu cette idée, en apparence si ordinaire et pourtant si brillante, personne sauf cet idiot. Il fallait sûrement que ce soit simple pour que ça lui vienne en tête. Entraîner les pokémons des autres, en faire son métier. Pourquoi seulement lui ? Pourquoi n’a-t-elle pas un seul autre nom à appeler dans son répertoire ?
Angela était persuadée de l’avoir laissé derrière elle, après la remise de diplômes. Plus aucune raison de le croiser, il était définitivement sorti de sa vie.

Sauf qu’elle s’est blessée sans espoir de guérison. Que sa carrière s’est arrêtée quand elle aurait dû arriver au sommet. Qu’il a fallu trouver un plan de secours. Que pour ça, il lui fallait des pokémons entraînés. Qu’elle n’avait jamais pris la peine de dresser les siens.
Qu’il a fallu un professionnel pour qu’Angela devienne l’étoile montante d’aujourd’hui.
La porte de sa suite coulisse, une assistante entre presque à reculons. Dans son sillage, un kirlia au pas si léger qu’il en devient indiscernable sur le sol moelleux. Il paraît vouloir rivaliser avec la fragilady d’Hisui, dans une compétition permanente à laquelle Angela les habitue depuis toujours. Sa candine garde les yeux baissés plus qu’autre chose, moins dans la concurrence. Seul le canarbello manque de discrétion dans l’équipe avec ses cancanements incessants. Heureusement qu’il sait danser comme personne, son manque de grâce se marie presque bien avec ses mouvements folkloriques.

Angela ne prend même pas la peine de regarder son employée. Un mouvement d’épaules pour dégager l’une de ses mèches multicolores, et elle consent à prendre des nouvelles de ses pokémons. C’est eux qu’elle fixe en demandant un rapport plus qu’autre chose.
- Alors ? Comment ça s’est passé ?
- Ils ont été parfaits, miss Angela. Leur entraîneur est très satisfait, d’après lui ils sauront bientôt faire tout ce que vous avez demandé pour la finale. Kirlia a même réussi son programme en entier cette fois.

La bouche de la coordinatrice s’est plissée en entendant parler de perfection. Personne n’est parfait, même pas elle, bien que ça la tue de l’admettre. Alors ses pokémons ? Surtout sous sa direction à lui ?
La jeune femme se force à transformer sa grimace désapprobatrice en sourire. L’entraînement des concours et des fausses mièvreries devant son public l’aide beaucoup. Elle allonge même la main pour tapoter la tête du pokémon féerique aux pouvoirs psychiques, dans un mouvement qui reste très gauche. Le kirlia ne bronche pas. Son regard ne vacille pas non plus. Il n’émet pas un cri, pas un commentaire. Le pokémon pourrait aussi bien être une statue tant il est indifférent à la scène qui se déroule.
- Alors comme ça, tu y es arrivé ? C’est très bien, c’est très bien. Tu vas me montrer dans la salle d’entraînement ?

Angela sait bien, ou plutôt elle arrive à comprendre intellectuellement que ce n’est pas de la faute de son équipe s’ils sont entraînés par cet individu en particulier. Mais ses émotions restent un volcan rugissant au cœur de sa poitrine alors qu’elle emboîte le pas de ses pokémons qui ont tous tourné les talons sans un regard pour leur dresseuse. Aucun n’a proposé de l’aider alors qu’elle boitille sur son genou à vif vers leur destination, et c’est la coordinatrice qui repousse son employée pour marcher seule.
Ils arrivent dans la pièce habituelle, Kirlia se place sur les tatamis moelleux qui doivent amortir les chutes. Le pokémon bondit au signal d’Angela, virevolte, danse, lance une attaque après l’autre sur le rythme imposé par la prestation au timing extrêmement serré. Lorsqu’il arrive effectivement à faire la dernière pirouette voulue par la coordinatrice, et revenir saluer sans vaciller, le rictus revient sur le visage maquillé.

Il a fallu des semaines pour qu’il arrive à enchaîner cette volte avec l’attaque précédente. Personne d’autre n’a pu obtenir cela de toute la saison, avec aucun pokémon. Même les espèces les plus agiles se sont cassé les dents sur cette rotation, et c’est bien pour cela qu’Angela y tenait tant. En professionnelle, elle calcule déjà le bonus de points que cela lui assure pour la finale. Kirlia vient de lui offrir sa victoire presque à lui seul.
C’est avec l’air d’avoir croqué dans un citron que son humaine consent à lui flatter le sommet du crâne une nouvelle fois. Ses félicitations sonnent creux, même à ses oreilles, et Kirlia ne s’y laisse pas prendre. Ni lui ni aucun de ses équipiers n’a de réaction particulière aux flatteries d’Angela, et personne ne proteste pour rester à ses côtés quand elle les autorise à aller dîner.

La coordinatrice ne remarque même pas l’atmosphère lourde, guindée, entre ses pokémons et elle. Son esprit est déjà revenu à Samy. Ses dents sont si serrées qu’elles pourraient éclater. Elle contient son cri de rage uniquement pour ne pas se faire entendre du petit personnel.
En plus, il fallait que cet idiot soit vraiment doué !


Le nez plissé, il se laisse retomber sur le sol avec une grimace dégoûtée. Il ne s’y fera jamais.
Ce container était vraiment décevant. Surtout pour l’arrière d’un restaurant. Son ventre continue de se répandre en borborygmes, et les regards résignés de ses pokémons indiquent qu’ils sont dans le même état de faim. Mais aussi qu’ils ont compris à quel point la pêche a été mauvaise. Enfin, l’absence de son indique à leur dresseur qu’ils ont au moins appris à quoi s’en tenir. Toute plainte de leur part ne rapporte qu’un chapelet de jurons du marginal, ils ne protestent plus depuis longtemps.

L’homme gratte la barbe drue, mais qui ne se décide pas à pousser plus de quelques centimètres, grignotant entièrement son visage. Depuis le temps qu’il ne s’est pas rasé cela n’a rien de surprenant. Il préférerait trouver des vêtements propres, de l’eau et du savon bien avant un rasoir. Une mère de famille rentrant des courses lui a encore jeté une oeillade dégoûtée. En plein été c’est vrai qu’il ne doit pas sentir la roserade.
Ce n’est pourtant pas comme s’il se dépensait beaucoup. Parfois, son entraînement quotidien de ses années lycée lui manque, rien que pour sentir son corps bouger et se maintenir en bonne santé. Mais ce qui obsède son esprit, ce qui revient comme des coups de massue sous son crâne depuis son lever dans le caniveau jusqu’à son coucher à l’abri d’une arche miteuse, c’est tout le reste. Ses échecs continuels. Sa rancœur. Le confort de son adolescence, l’absence de responsabilités, des relations. Une vie intégrée.

Un aboiement retentit, presque joyeux. Ce n’est pas normal. Le son vient d’une ruelle perpendiculaire à la leur, sur laquelle se fixent les regards du paria comme de ses pokémons.
Un briochien, son briochien, déboule à toute allure et se plante devant lui comme s’il venait de gagner un tournoi. En guise de trophée, ce qui ressemble à un chapelet de saucissons, dont l’extrémité est coincée dans sa gueule sucrée. Il y a de quoi manger pour eux sept, ce qui est assez rare pour allumer une étincelle de réjouissance générale. Briochien ne peut plus se battre, mais son humain doit reconnaître qu’il est encore bon à les nourrir.
Le dresseur ne se fait aucun doute sur la provenance de leur festin. Il avait des scrupules, au début. Après plusieurs années de ce régime, il considère que les gens n’ont qu’à mieux surveiller leurs affaires s’ils ne veulent pas qu’on les chaparde. Chacun dans leur bande reçoit sa part, Briochien obtient un grognement qui ressemblerait presque à des louanges, les autres ne décrochent qu’une oeillade amère.

Incapables de se battre. Tous. Six pokémons parfaitement entraînés avant qu’il soit majeur, et désormais pas un pour le défendre face au premier fragroin un peu agressif à la sortie de la ville. Sans pokémon capable de se battre, pas de sortie en terres sauvages. Donc pas de nouvelle ville où chercher un emploi, maintenant que tout le monde le connaît et le méprise ici. Il n’a jamais été très doué en sciences, mais l’équation est d’une simplicité effrayante.
Un coup de dents rageur dans son maigre déjeuner. L’aliment est gras et n’est passé par aucune poubelle, ça calmera sa faim un petit moment. Il grogne un peu, son dos le fait souffrir à force de dormir par terre, et se retourne vers Briochien pour essayer d’être un peu gentil avec lui cette fois. Le pokémon ne regarde pas son dresseur, et n’a déjà plus rien à manger. Assis bien droit, il fixe la route qui va vers les plantations proches avec une intensité presque douloureuse. L’humain sait bien ce qu’il regarde, et tous ses bons sentiments s’envolent pour laisser place à la même colère venimeuse. Sa voix est tranchante quand il s’adresse à son pokémon.
- Non, on ne retournera pas au domaine. Jamais. Alors arrête d’y penser, t’entends ?


2013

L’uniforme est plutôt quelconque. Trop passe-partout, trop conformiste dans la masse des étudiants qui portent exactement le même partout dans les couloirs. Jusque dans la rue, dans la campagne, dans la région, cette infection violette s’est répandue depuis le début d’une nouvelle année scolaire et de sa chasse aux trésors. Angela déteste cette sensation de ressembler à n’importe qui.
Heureusement, elle a pu compter sur Marie pour revoir légèrement son uniforme afin qu’il soit unique, dans la limite de ce qui est autorisé. Son amie est vraiment douée pour ça, flirter avec les interdits sans jamais dépasser les bornes. Elle n’a rien d’une athlète comme la future danseuse étoile, mais la timide empotée au carré châtain aura sans doute un métier créatif plus tard. Angela le lui prédit en tout cas.

Pour l’heure, c’est elle qui veut flirter, et pas avec un règlement abstrait et stupide. C’est un garçon, le plus beau à ses yeux, qui concentre toute son attention depuis leur rentrée commune. Entre lui et ses entraînements, son parcours académique en a pris un sacré coup et aucun de ses pokémons n’est vraiment dressé, mais au fond quelle importance. Elle a déjà obtenu un aménagement réservé aux sportifs de haut niveau, des gens à qui on ne demande pas d’être bon dresseur.
Le peu de temps qu’elle passe entre les murs de l’académie, Angela épie l’objet de ses vœux. C’est à la fois compliqué par le nombre de prétendants qui la harcèlent alors qu’elle ne leur accorde même pas un regard, et par le fait que ce garçon est aussi au centre d’une attention constante.

La grappe gloussante de pimbêches constamment autour de lui a inquiété la danseuse, au début. Mais elle a vite compris que ce n’est pas Samy, ou Samuel de son vrai prénom, qui avait les faveurs de ces dames. Angela les trouve vraiment stupides de s’intéresser au capitaine de l’équipe, armoire à glace arrogante, quand son second et meilleur ami à la figure si douce est toujours dans son sillage.
Tant mieux, le sérail lui laisse le champ libre. C’est pour lui seul qu’elle a particulièrement soigné sa tenue, ses cheveux qu’elle commence à teindre, la discrète touche de maquillage autorisée par le règlement.

Angela n’est pas du genre à s’embarrasser de subtilités quand elle veut obtenir quelque chose. Marie a aussi dit, une fois ou deux, qu’elle trouve le même athlète mignon ; seulement ses manières de psykokwak mouillé n’ont mené à rien depuis des semaines, et elle a forcément fini par abandonner. Maintenant qu’elle est passée à autre chose, au tour d’Angela avec ses méthodes plus directes. L’assurance d’une vraie femme.

Elle a choisi son jour, le lieu adéquat également. Après un entraînement sur le terrain de l’académie, Angela se plante devant le garçon en sueur dont les yeux s’arrondissent de surprise. Le soleil fait briller ses bijoux et son regard, le reste du groupe est déjà parti vers les vestiaires, parfait.
- Samy ? Je suis Angela. Tu dois déjà le savoir j’imagine.
- Angela… ah oui, tu es une sportive aussi non ? Gymnaste, c’est ça ?
- Danseuse.
- Oh, désolé !
- Aucune importance. Écoute, je suis venue te voir aujourd’hui parce que… je t’aime bien, voilà. Et je voudrais qu’on passe du temps ensemble.

La confession lui a beaucoup coûté. Plus qu’elle ne l’aurait cru. Angela a l’air de demander une faveur, ce qui ne devrait pas arriver. Ce sont les garçons qui se battent pour sa compagnie, jamais l’inverse. Au moins elle n’a eu aucun combat à livrer pour l’instant, même si elle se doute que ça pourrait survenir. Aucune fille ne lui arrive à la cheville dans cette école de toute manière.
Ce qui l’ennuie beaucoup plus, c’est l’expression absolument indéchiffrable de Samy. Il prend le temps d’essuyer la sueur de son front avec la serviette autour de son cou, un œil déjà tourné vers les vestiaires où son équipe l’attend. Il ne voulait peut-être pas sentir la sueur dans un moment romantique, ça doit être ça. Ils en riront ensemble dans quelques années.
- Tu m’aimes bien ? Alors qu’on ne s’était jamais parlés avant ? Ou alors j’ai oublié, excuse-moi…
- C’est juste une manière de parler…

Cette fois c’est Angela qui est totalement perdue. N’importe quel homme se serait déjà jeté à ses pieds pour la remercier de cette faveur, n’importe quel étudiant de l’académie en tout cas. Les déclarations d’amour spontanées qu’elle reçoit tous les jours lui en donnent la preuve, elle trouve même ça lourd la plupart du temps. Un garçon un peu plus subtil se serait lancé dans une déclaration enflammée pour accompagner la sienne, remettre les choses dans le bon sens en faisant comme si l’initiative venait de lui.
Mais ce sourire benêt, cette façon de réceptionner nonchalamment un passerouge qui vient d’atterrir sur son bras comme s’il n’y avait aucun sujet sérieux, rien ne fait sens.
- En tout cas si tu veux passer du temps avec nous, c’est avec plaisir ! On sort souvent entre amis avec la bande, tu auras le temps avec tes entraînements ?

Sortir entre amis. Comme une personne quelconque, au milieu d’une bande. Et Samy donne l’impression de lui faire un superbe cadeau en plus.
Mais il est totalement idiot ou quoi ?