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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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Informations

» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 05/11/2023 à 23:11
» Dernière mise à jour le 08/11/2023 à 18:29

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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Derrière les lueurs
- On dirait une explosion !

Il avait frôlé le bord de son gobelet à café du bout des lèvres, quand il tourna la tête vers ces grands yeux pétillants de cendres.

C’était une soirée de fin de semaine particulièrement froide. Le marché artisanal dressé sur le campus de l’université de Safrania avait été habillé d’un million de guirlandes lumineuses et colorées, dont les reflets chauds jouaient avec le cristal granuleux des mottes de neige. Les étoiles semblaient elles-mêmes s’extasier de ce jeu improbable, grelottant un peu plus dans l’océan noir au-dessus des lumières gelées. Quant à La lune, elle s’amusait bien à faire rebondir son éclat endormi dans le givre peignant les charpentes des stands.

Il admirait tout ça avec elle, depuis un espace surmonté et délimité par quelques barrières en bois. De larges escaliers de pierre entouraient le point d’observation où passaient et repartaient les visiteurs de ce coin de campus habité par les festivités de fin d’année. Au loin et prenant l’allure de grandes collines plongées dans les ombres, on pouvait distinguer les grands bâtiments de la faculté des Lettres.

- Quoi ? Cet endroit, tu dis ?

Elle tenait très fermement sa propre boisson chaude, ses mains rougis par le froid, tandis que son regard cendré ne décrochait pas des myriades de faisceaux électriques qui faisaient scintiller la vue.

- Mais oui regarde toutes ces lumières ! Ça pétille de partout, comme un feu d’artifice !

Peter ne se lassait décidément pas de ses petits rires attendris. A vrai dire, il aurait pu admirer n’importe quelle humeur du ciel à ses côtés, tant qu'il pouvait les écouter paisiblement. Son Dracolosse babillait légèrement derrière eux, marchant d’un pas plus assuré qu’il n’y paraissait malgré son hostilité contre le froid. L’écharpe de laine qui entourait son large cou était d’une aide bienvenue pour lutter contre les morsures de la brise.

- Quelle idée ! S’amusa le Grand Dracologue.

La jeune fille ne se laissa pas décontenancer : il s’y attendait, comme d’habitude.

- Ose dire que tu ne vois pas la même chose que moi !

Il venait de se désaltérer d’une gorgée bien chaude de son thé.

- Bon, avec un peu d’imagination… Ça doit ressembler à quelque chose dans ce genre, je suppose !

En réalité, il aurait pu lui-même envisager que le crépitement énergique de cet océan blanchi d’électricité joyeuse irait saluer le plafond nocturne.

- Quelle tête de Racaillou, tu fais ! Je parie que Dracolosse est d’accord avec moi ! Pas vrai ?

Elle se tourna vivement vers le grand Pokémon écailleux. Ce dernier répondit dans son babillement habituel tout en y affirmant son approbation. Il s’avança ensuite, bousculant légèrement son maître puis en lui tapotant sa chevelure rougeâtre avec sa patte griffue et pataude. Puis, le grand Pokémon enlaça dans un petit grognement amoureux la jeune femme. Le rire clair de cette dernière accompagna aussitôt cette adorable marque d’affection qui jalonna aussitôt quelques élans jaloux dans l’esprit de Peter.

- Tu vois ? Lui, il est de mon côté !

Elle regarda ensuite Dracolosse pour le câliner à son tour, susurrant des mots si mielleux qu’ils firent immédiatement rougir le grand dragon orangé. Peter ne s’offusqua pourtant pas plus de cette complicité qu’il avait vu tant de fois se manifester entre son grand partenaire fait d’écailles et la jeune femme. A dire vrai, c’était si exceptionnel qu’il n’avait jamais eu l'affront de s’en outrer réellement.

En effet, Dracolosse n’avait pas pour habitude de s’attacher à qui que ce soit d’autre en dehors de Peter. C’était donc d’autant plus étonnant d’observer cette affection si particulière que le grand Pokémon vouait à Leava, si bien que le jeune dresseur de dragons aurait pu mainte fois s’en rendre fou de jalousie, il le savait bien. Mais Peter avait plutôt décidé de s’en réjouir, surpris en bien par son comportement si enfantin et attachant. De plus, et depuis quelques temps aussi, son Pokémon n’était pas en grande forme : nerveux et abattu, il avait maintes fois pris ses distances avec le monde, refusant le plus souvent de sortir de sa pokéball ou de prendre part à des combats amicaux. C’était son Dracolosse le plus doué durant les matchs pokémon mais sa médiatisation si soutenue avait très probablement fini par le fatiguer, bien trop sollicité par les journalistes, les jeunes challengers et le public.

Les Dracolosses pouvaient montrer un caractère plutôt lunatique : leur grand air pataud ainsi que leur profonde bienveillance se transformaient à tout moment en une dépression énigmatique qui les rendaient froids et dépourvus de toutes lers émotions avec autrui. Ce phénomène, maintes fois étudié en science pokémon n’avait cependant connu aucun véritable éclaircissement : les chercheurs concluaient simplement que les Dracolosses étaient fondamentalement habitués à la vie solitaire des mers et que le souvenir de cette existence lointaine divisait constamment leur esprit en deux, un côté fait d’altruisme, l’autre encore habité par la solitude mélancolique et épuisée. Peter, qui avait tout de suite remarqué l’appréhension de plus en plus marquée de son Dracolosse pour les séances photos et les matchs retranscrits sur tous les réseaux de Kanto avait pris la décision de ne plus le solliciter. Après tout, son fier partenaire en était devenu tant changé que même ses deux autres Dracolosses, plus jeunes et insouciants, peinaient à comprendre ce qui se passait dans la tête de leur grand frère.

C’était ainsi que le leader du conseil 4 avait finalement décidé d’en faire son assistant de cours durant sa brève vie de professeur universitaire à Safrania. Rencontrer d’autres personnes dans un environnement différent des arènes ne pouvait qu’oxygéner nouvellement son esprit de Pokémon.

La première séance s’était d’ailleurs clôturée par un étonnant succès : Dracolosse avait retrouvé en quelques échanges, ses babillements familiers ainsi que l’étincelle si habituelle de son regard couleur ouragan tandis que les étudiants participaient avec ferveur au cours pour son plus grand bonheur. Ils venaient ensuite le saluer avec une certaine timidité avant de percer toutes leurs craintes pour sympathiser avec le grand Pokémon draconien.

Pourtant, la principale raison de ces retrouvailles avec son caractère si doux n’avait pas été, comme Peter l’avait envisagé, le fruit d’un simple changement d’horizon. A vrai dire, il n’avait pas perdu de temps à comprendre où l’attention de son grand partenaire se portait à chacun de ses cours et pourquoi il était toujours agacé de quitter le campus.

Avait-il simplement pressenti les émotions de Dracolosse vis-à-vis de l’étrange aura de ce jeune spectre, aussi solitaire que l’avait été le colosse reptilien ? Non, il n’avait qu’à la regarder pour comprendre qu’il était, lui aussi, tombé dans son obscurité lumineuse.

Mais malgré l’énigme insondable, Peter semblait avoir compris au moins une chose. Dracolosse n’était pas le seul à adorer la jeune femme : à l’université, tous les Pokémon qu’elle rencontrait adoptaient une affection rapide à son égard, comme attirés par une curieuse énergie faite d’une paix intense, presque spirituelle. C’était à ce point paradoxal que cette force émanait d’un sourire étroitement sculpté sur ce visage de porcelaine refroidi.

C’est ainsi qu’il avait constaté à maintes reprises la joie constante du Machoc du concierge lorsqu’il avait le loisir de croiser Leava dans les couloirs à la fin de chacun de ses cours : « Mon partenaire l’a adoré dès le premier jour ! Vous savez, l’hiver, il fait toujours une p’tite déprime mais ces derniers temps, il n’arrête pas de sourire ! Les Pokémon ont l’air amoureux de cette petite, c’est bien curieux à r’garder ! ». Peter avait pu le constater : Dracolosse n’avait tout bonnement pas résisté à ce fantôme furtif durant cette soirée plus brumeuse qu’accoutumée où la neige se transformait en voile de gel si dense qu’on peinait à distinguer les lampadaires.

Mais le grand Pokémon draconien ne fut pas le seul à changer aussi radicalement. Il ne fallut pas plus de temps pour que le campus tout entier devienne le prétexte idéal à Peter pour refaire le monde à coup de blagues pas terribles. En dehors des jours où il dispensait ses cours en qualité de Dracologue, ils avaient décidé d’étendre le rendez-vous du perron à tous les autres points d’observations possibles du ciel. Le jeune homme avait alors réalisé qu’elle connaissait les secrets de ces lieux comme personne : Leava racontait par-exemple comment les trois Caninos des bureaux de la section d’Histoire antique Pokémon avaient pris l’habitude de sortir à 13:30 précises le jeudi après-midi par la porte arrière pour aller batifoler dans la poudreuse avant de rentrer discrètement vers 15:00, quand les enseignants revenaient de leurs colloques ou de leurs séances de cours. La jeune fille disait qu’elle leur apportait toujours des Baies particulières qu’elle prenait soin d’acheter à l’épicerie non loin du quartier où elle vivait. Cette dernière en avait testé une dizaine avant de trouver celles dont l’arôme très épicé les faisait déjà japper au loin, enivrés par l’odeur piquante qui chatouillait l’air froid. Elle jouait ensuite à leur faire attraper des boules de neige quand ça n’était pas des bâtons trouvés au hasard vers les arbres alentours. Peter s’était surpris lui-même à façonner de délicates boules enneigées qu’il jetait dans les airs avec une aisance digne du lancer de pokéball. Les Caninos n’en étaient que plus enjoués et s’étaient attachés si vite au Grand Dracologue qu’ils l’attendaient désormais de pied ferme tous les jeudis après-midi, rendez-vous que Peter n’avait ô grand jamais manqué jusqu’à maintenant, du moment que ça lui permettait d’être avec la jeune femme.

Leava avait également enseigné au jeune Dracologue comment s’approcher des Abos qui avaient élu domicile dans un coin particulièrement sombre et chargé de buissons des bâtiments de la faculté des sciences sociales : « avec de la nourriture ? ». « Des notes de musique ! », avait-elle ri en faisant un signe significatif vers les oreilles du jeune homme, le sourire plus attendrissant encore.

Elle racontait ainsi qu’en les observant pendant de longues heures, elle les avait surpris un jour en train de quitter leur tanière pour aller écouter dans le plus grand des silences, la musique classique entonnée de mains de maître par un vieux professeur d’économie qui jouait à ses heures perdues sur le piano du conservatoire de l’université. A ses côtés trônait ce grand Rapasdepic qui, au contraire de son dresseur, avait remarqué les petits épiements des Abos aux fenêtres du local. C’était devenu un rendez-vous scrupuleusement respecté par le grand Pokémon oiseau qui ouvrait alors discrètement la vitre à chaque fois que le professeur s’installait à son siège pour entonner les plus grands chefs-d’œuvre des compositeurs kalosiens. Peter s’était alors retrouvé à son tour, assis et plaqué contre le mur comme un espion pour écouter comme les Pokémons reptiliens, les divins sons du piano s’élever amoureusement dans les airs. Les Abos avaient même finis par se pelotonner contre lui, tout ouïe, ou plutôt, toute vibration. Et le rire malicieux de la jeune femme au regard de cendre qui se tassait contre le mur de ciment lui rappelait à quel point il espérait maintes fois à ce que ses étranges sorties puissent durer le temps d’une journée sans fin.

Leava avait alors révélé que, pendant les jours où aucune mélodie ne s’élevait de la salle, elle se rendait vers les buissons denses où se cachaient les Abos pour leur faire écouter la même musique pré-enregistrée. Leur curiosité naturelle prenait le pas sur les craintes que leur inspiraient habituellement le monde environnant et ils finissaient par prendre les rendez-vous avec la jeune fille pour des rituels, sifflant de bonheur de la voir arriver.

Les visites de plus en plus soutenues de Peter sur le campus étaient probablement devenues notoires : il ne s’en cachait plus maintenant.

Le Grand Dracologue était souvent accosté dans les couloirs, discutant de vive voix avec les étudiants qui n’avaient aucune peine à reconnaître le grand Maître du Plateau Indigo. L’on pouvait observer l’admiration fantasmée comme tous les espoirs luire au creux de leurs yeux en apercevant leur modèle à la célèbre cape teintée de charbon et de rubis. Leurs Pokémons les accompagnaient souvent et, pendant que leurs dresseurs papotaient avec Peter, ils échangeaient amicalement avec Dracolosse qui appréciait sensiblement la tendance de son maître à se rendre pratiquement tous les jours à l’université.

Et dans ces moments-là, Leava ôtait toute sa parure de fantôme : Il était à chaque fois surpris de la voir échanger si ardemment avec tout le monde. Il était encore plus stupéfait de constater que tout le monde échangeait avec elle comme on échange avec un vieil ami : « Quoi ? Tu croyais que personne ne me voyait ? », avait-elle souri avec malice quand il avait fait part de sa perplexité. Il apprenait alors que Leava était très appréciée à la faculté des lettres : ses théories spectaculaires sur les forces colossales de l’univers étaient vivement écoutées par une poignée d’étudiants qui avait eu la chance ou la présence d’esprit de l’apercevoir dans les voiles irréels de la neige naissante. Acculés par les aléas de leurs angoisses, ils laissaient leur esprit batifoler dans les explications imaginaires du monde physique que la jeune femme inventait. Ils en venaient même à participer pour inventer les théories les plus abracadabrantes, quoique plausibles pour ceux qui n’avaient pas oublié comment rêver : « c’est bizarre à dire mais une fois qu’on a parlé avec Leava, on se sent mieux ! », sortait une étudiante enthousiaste, son Roucoups renchérissant d’un sifflement affirmé à ses côtés. Les élèves confirmaient alors sans peine les dires du concierge : « mon Miaouss est super méfiant avec tout le monde mais pas avec elle ! L’autre jour, il était tout déprimé et me faisait la tête. Je ne comprenais pas ce qu’il avait jusqu’à ce que Leava me dise qu’il n’avait pas très bien supporté notre déménagement et que son ancienne vie lui manquait terriblement. Depuis, je fais plus attention à ce que ressent mon Pokémon », expliquait un étudiant en caressant son partenaire aux yeux jaunes emplis d’enthousiasme.

On rapportait également à Peter l’histoire étonnante de ce Colossinge devenu si agressif chez les assistants de la section des langues anciennes que plus personne n’arrivait à l’approcher, mettant les bureaux à sac dans ses élans de colère. Et durant une journée d’automne, on apprenait que la jeune femme avait calmement discuté avec le grand Pokémon athlétique : « elle nous a dit que Colossinge était malheureux à son nouveau poste. Le jour où Leava est venu vers lui, il a éclaté en sanglots. Je n’avais jamais vu notre Pokémon dans cet état », rapportait un témoin oculaire. Les témoignages se multipliaient par la suite, souvent de simples anecdotes isolées et personnelles où les Pokémons déprimés ou préoccupés que rencontrait Leava se ravivaient peu à peu de l’énergie qu’on leur connaissait si bien. Ces histoires restaient pourtant dans le cadre strict de la faculté des Lettres où les bruits de couloir passaient d’oreille à oreille en toute intimité.

En effet, Peter l’avait peu à peu réalisé : le monde se taisait davantage au-delà de ces murs, surtout lorsqu’il se rendait en colloque dans les autres facultés. Ces jours-là, étrangement, Leava refusait toujours d’aller directement à la rencontre du Grand Dracologue, l’attendant simplement et à chaque fois sur le même perron enneigé. Bien que l’envie lui en brûlait les lèvres, il ne posait aucune question puisqu’elle prétextait simplement que ce serait plus facile ainsi. Il avait alors fini par s'accoutumer à sa silhouette assise sur les marches de pierre qui perçaient si délicatement le voile de la neige tombante.

En revanche, lorsque Peter se montrait plus curieux sur cette aura particulière qu’exerçait la jeune femme sur les Pokémons, il se heurtait à l’incapacité des uns comme des autres d’y poser la moindre explication : on appréciait simplement qu’elle soit là au bon moment. Il laissait alors, pour le moment en tout cas et non quelques soupirs cachés, le soin à la contemplation d’assumer cette lourde tâche de l’éclaircissement.

Heureusement, Il y avait des jours plus libres que d’autres pour le jeune homme et c’était souvent le cas du week-end : ainsi, quand Peter pouvait se permettre quelques congés, il allait se promener avec la jeune femme dans le parc de la faculté des lettres, nourrissant les quelques habituels Roucools sauvages qui venaient chercher maigre pitance sur le campus congelé. Observer ce curieux spectacle prenait ainsi part à son quotidien : les petits Pokémons plumeux se vivifiaient aussitôt de la présence de Leava, comme envahis par une énergie nouvelle tandis qu’il y a quelques minutes, ils grelottaient sans enthousiasme dans la fine couche de neige à chercher fébrilement quelques Baies Oran. Au fur et à mesure, Peter pouvait plus ou moins analyser dans son esprit confus, les lueurs maladroites de cette étrange aura qui envahissait l'éclat froid des flocons. Et ce n’était pas quelque chose d’habituellement banal à rapporter : « Ils se sentent mieux maintenant », disait-elle dans ce sourire plus fin qu’accoutumé, sa silhouette barbouillée dans les faisceaux fuyants d’une chaleur autre qui l’enveloppait toujours comme un cocon.

Mais qu’entendait-elle de plus que les autres ? Il avait tenté, en dépit de pouvoir tendre l’oreille, d’imiter l’éclat des yeux de la jeune femme dès qu’il croyait enfin comprendre sur quelle réalité elle aimait poser son aura spectral : à chaque fois, une flammèche misérable s’aguichait dans le propre regard du Grand Dracologue. Il le savait bien : les faisceaux n’avaient rien daigné avouer, pas même leur nom. Il devait s’entretenir seulement avec les marmonnements de sa propre frustration comme à chaque tentative.

Sa relation avec Leava était alors tournée vers l’adoration du mystère.

Il s’agissait en guise de rituel, d’encourager ce dialogue étrange entre l'ombre et la lueur. Peter se surprenait alors parfois à se sentir libéré de l’obscurité trop claire qui lui faisait tant défaut. Et même si ça n’était qu’une question de minutes, ça lui suffisait pour être simplement lui-même, révélé par les éclats furtifs qui s'échappaient des rires de la jeune femme. Cela dit, il devait l’admettre, ses rêves étaient trop effrayés pour oser décoller. Alors, il observait les envolées fantasmagoriques de ce jeune spectre dont il ne cessait plus de laisser la hantise l’envahir. Il était assez confiant : si Peter cachait son côté romantique dans l'antre de la lumière, il maitrisait l’audace comme personne en guise d'éclat aveuglant émanant de sa posture de Maître. C’est ce qui faisait de lui un fervent et redouté combattant d’ailleurs. Sa connaissance des Pokémons dragon avait beau passionner les étudiants, il avait aussi réalisé que la plupart d’entre eux avait la conviction de devenir de redoutables dresseurs en visant l’exaltation du panthéon. Ils lui disaient combien ils s’inspiraient de cet esprit tenace et intrépide que déployait le leader de la ligue de Kanto telle la flamme ignifugée qui faisait du terrain, un champ de guerre sous son commandement. Il leur inculquait que le doute n’était jamais permis : ce qui comptait, c’était la spontanéité d’une victoire dans le collimateur.

L’ironie voulait pourtant que sa propre spontanéité rougisse devant Leava : elle en avait percé par petites fentes, cette carapace de verre qu’il avait pourtant très bien sculpté autour de lui en fier et imperturbable leader du Plateau Indigo. La jeune femme en avait arrondi les angles, ponçant si finement sa paroi qu’elle s’en brisait par bribes de fissures silencieuses.

Et pendant qu’elle racontait les mystères de l’univers à travers les cendres encore chaudes de ses yeux, Peter se délectait sans fin de cette douceur innocente glissée dans sa voix : « Tu savais que les étoiles brillent par réaction à une fusion nucléaire qui maintient leur équilibre hydrostatique ? C’est leur propre énergie que l’on voit rayonner », décrivait-elle en analysant le monde céleste avalé par la pénombre de Lunala. Elle aimait souligner à quel point le courage des étoiles était un exemple pour les jeunes esprits esseulés. Elle les comparait à de la neige, restée suspendue dans le ciel lunatique, à la différence près que ces flocons astrales n’avaient rien à envier aux braises bouillonnantes d’un feu : « l’on dit toujours que les étoiles brillent. Moi, je pense qu’elles brûlent et la neige qui tombe sont leurs cendres. Refroidies, elles gardent le souvenir d’avoir été des astres incandescents : même en ne brûlant plus, elles brillent encore. Je crois que nous devons en retenir quelque chose d’important : l’existence nous force à changer. Mais pourquoi cela signifierait-il que nous devons nous éteindre ? ».

Ces analyses, à la lisière de la science et la poésie, avaient ce don inexplicable d’apaiser l'esprit effarouché de Peter. Il se surprenait à ne jamais se lasser de ses histoires qui tentaient de rationnaliser l'effrayant univers tout entier : « et le printemps revient comment ? », demandait-il. « Il renaît des cendres du ciel. Une fois que les étoiles ont brûlé, elles nous donnent leur éclat pour chasser les ombres de l’hiver. Tu sais, j’aimerais croire que l’on fait la même chose que les étoiles. j'aimerais donner ce pouvoir à ma propre flamme de réchauffer celles qui ont pris froids trop longtemps ».

Peter n’était pas toujours certain de saisir toutes les pensées de la jeune femme. Mais la familiarité dont ses mots faisaient preuve suffisaient à lui montrer qu’il avait toutes les raisons de croire, lui aussi, à la force des étoiles floconneux lorsque son courage viendrait à craindre le monde encore une fois.


***

- Peter ?

Elle venait de pencher la tête d’un air perplexe.

Le jeune Maître n'avait pas pu s’empêcher de sursauter, légèrement certes. Il réalisait qu’ils venaient d'arriver en bas des larges escaliers, entrant petit à petit dans le marché de Noël encore bien fréquenté malgré l’heure tardive.

Elle esquissa un sourire amusé.

- Je retire ce que j'ai dit ! Tu es complètement plongé dans tes pensées, on dirait !

Son rire finissait toujours par ébranler son esprit, même encore ensommeillé.

- Pardon Leava, je ne suis pas très drôle ce soir… Je me disais que nos discussions me manqueront maintenant que le semestre d’automne est terminé.

Il laissa son regard se perdre dans les vagues vibrionnées des lumières alentours. Néanmoins, Peter avait très vite remarqué l’expression un peu plus songeuse de la jeune fille aux cheveux cendrés.

- Tu seras très occupé au Plateau Indigo à partir de janvier, c’est ça ?

Il se tourna un peu plus vers elle, tenant fermement son café à moitié entamé.

- Maintenant que les nouvelles infrastructures de nos salles de combat sont prêtes, la saison des combats va rouvrir à Kanto. Des dresseurs tenteront le tour des arènes et nous aurons le tournoi à préparer en fin d’année. Cette édition sera particulière : la Pokemon Champions League attend beaucoup de ce renouveau.

Elle pencha alors la tête vers lui, fronçant les sourcils.

- Tu as le même regard inquiet que la dernière fois où tu m’en as parlé...

Peter constata encore et toujours son incapacité à dissimuler correctement ses émotions. Dracolosse poussa un petit grognement avant de pousser un peu le jeune homme, agacé. Ce dernier se laissa légèrement bousculer par son coéquipier d’écailles en esquissant un rire : le dragon teinté de crépuscule n’avait pas toujours conscience de sa taille imposante.

- Hey ! Tu vas vraiment me faire tomber un jour, mon grand !

Le grand Pokémon se tourna alors vers Leava, dont le propre rire vint s’ajouter à l’éclat revigorant des lumières festives.

- Tu as bien raison de l’embêter, ton maître est vraiment têtu parfois !

Leur marche finit alors par s’arrêter vers des petites tables surélevées et protégées de la bise et de la neige par de grands parasols en forme de Kokiyas criblés par le givre. Des guirlandes lumineuses étaient accrochées au-dessous, pleuvant des myriades de petits faisceaux aveuglants inertes. Ils y posèrent tout deux leur café tandis que Dracolosse se plaça entre Peter et la jeune femme, observant les environs avec minutie.

Le dresseur de dragons soupira longuement, épris par une énième confidence.

- D’après mes parents, je suis né avec une pokéball dans les mains. Durant mon adolescence, j'ai grimpé les échelons grâce à de petits concours locaux qui m’ont mené aux compétitions nationales comme dans d’autres régions ensuite. Je quittais souvent Kanto pour aller m’entrainer à l’autre bout du monde. J’avais à cœur de devenir un dracologue respectable et respecté, qui pouvait inspirer les générations futures… De fil en aiguille, cette ambition m’aura mené à la place de leader que j’occupe aujourd’hui.

Il marqua une courte pause.

- Une fois que je suis devenu Maître du conseil 4 au Plateau Indigo, j’ai tout entrepris pour réaliser mon plus grand rêve : faire de notre région, un modèle en matière de cohésion entre humains et Pokémon où les combats sont le fruit d’une collaboration authentique et respectueuse, et pas seulement un sport de haut niveau. C’est précisément pour cette raison que j’ai intégré l’institution G-men peu de temps après.

Le regard si attentif de la jeune femme le déstabilisa légèrement.

- Je n’ai jamais cessé de prendre part au développement de la culture des combats Pokémon à Kanto. Nous avons érigé une identité qui nous est propre et que nous avons sans cesse défendue, même lorsque l’organisation perfide de la Team Rocket a tenté de tout détruire au nom de leurs sombres desseins. La protection des Pokémons ainsi que la conservation de leurs divers habitats et de leur importance cruciale dans l’équilibre de la Nature et de l’univers ont été ensuite notre plus grande préoccupation au Plateau.

Son regard se perdit petit à petit dans le vague des stands luminescents.

- Puis, lorsque le dernier Maître de Kanto a décidé de renoncer à son titre il y a quelques années, le complexe a été fermé et de nouvelles règles ont été établies avec la Pokémon Champions League ainsi que l’institution G-Men. Ils veulent maintenant étudier davantage les pouvoirs des Pokémons en sollicitant l’organisation interne des ligues régionales. Il y a trois mois, ils ont accepté le mandat de ce laboratoire du nom de Monochrome Corporation afin de lancer les travaux dans nos salles de combats afin d'y installer tout un système de capteurs qui servirait à sonder l’énergie évoluant à même le corps des Pokémons pendant les matchs. Et ce n’est que la première étape de tous les projets de la fédération…

- Et tu penses que ce n’est pas bon pour cette harmonie ?

Elle venait d’attraper, et il ne savait pas comment, la crainte qui pesait le plus lourdement sur son esprit draconien.

- Autrefois, l’étude des Pokémons servait uniquement à rendre notre cohabitation la la moins invasive possible. Aujourd’hui, on veut en faire des objets d’étude pour développer de nouvelles exploitations énergétiques ? Ils ne sont pas de bêtes réservoirs d’énergie ! Il y a assez d’organisations malhonnêtes qui les utilisaient comme des esclaves, la Champions League s’est elle-même insurgée à l’époque. Et nous, que fait-on ? On ne vaut pas mieux que la Team Rocket à ce stade !

Il réalisait que sa voix transmettait plus de rage que de confidence. Mais Leava souriait, néanmoins d’une étrange faiblesse compatissante.

Peter finit alors lui-même par esquisser un sourire, un peu gêné.

- Pardon… je m’emporte vite sur ce sujet.

Elle apaisa déjà son air soucieux par un rire furtif. Le jeune homme aux cheveux carmin leva alors la tête en soupirant longuement.

- Mais tes amis, ils en pensent quoi ? Demanda-t-elle subitement.
- Ho… Olga, Aldo et Agatha n’en déduisent pas grand-chose de bon, non plus. Mais tu sais, ce n’est pas simple de s’opposer à la hiérarchie de la fédération. Une fois que des décisions aussi importantes sont prises...
- Je ne comprends pas ? Si vous n’êtes pas d’accord avec ce projet, pourquoi vous acceptez de le faire ?

Il se surprit à deviner des pensées craintives froisser la claire cendre de ses iris.

- Et toi, Leava ? Tu arrives toujours à éviter de faire les choses qui ne te plaisent pas ?

Comme il s’y attendait, elle se renfrogna non sans avoir légèrement détourné les yeux. Son souffle sembla brutalement s’affaiblir.

- J’le fais tout le temps…

Il n’essayait pas forcément de la confronter. Mais c’était plus fort que lui : dans ses histoires embellissant les forces colossales de l’univers, la présence véritable de ce jeune spectre brûlé y’était si furtive que Peter craignait souvent de la voir s’éteindre un peu trop vite. Il y a quelques mois, il aurait pu simplement se contenter de ce mystère qui s’ajoutait telle une brique de verre à ce mur du silence. C’était bien le problème. Son sourire était resté fragile tout ce temps.

Comme aurait-il pu connaître les raisons autrement ? Il craignait tant qu’elle ne se confesse jamais. Ce perron avait écouté toutes ses histoires qui faisaient du monde, un miroir de son esprit encore bien trop mystérieux pour le grand dresseur de dragons. Ces récits ne savaient pas tant parler d’elle-même.

- Dis… Commença-t-elle.

Son visage se baigna dans les myriades de luminescences au-dessus de leur tête.

- Ce sera dans longtemps mais… Je pourrai venir voir tes combats au Plateau Indigo ? Et puis comme ça, je te dirai si les Pokémons apprécient qu’on leur sonde le corps ou pas ! Ça te rassurerait ?

Peter écarquilla les yeux.

- Mais… je ne savais pas que tu t’intéressais aux matchs ?

Elle n’avait encore jamais évoqué cette culture, pas plus qu’elle n’évoquait les capacités des Pokémons, les infinités de types ou encore le tour des arènes de Kanto. Tout ça ne semblait pas l’atteindre.

La jeune femme aux cheveux cendrés hocha la tête en faisant scintiller une adorable curiosité dans ses iris claires.

- J'en ai beaucoup vu à la télévision ! Mais si ce n’est pas possible…
- Ha ! Je serais vraiment touché que tu… !

Ses sentiments avaient souvent tendance à prendre le contrôle de ses lèvres. Cela dit, la responsable ne sembla pas y faire attention : elle se contenta de regarder le Grand Dracologue, le sourire paisible.

- Je serais vraiment très heureux que tu me vois combattre. Et puis qui sait, ça te donnera envie de devenir dresseuse ? Sans prétention, bien sûr !

Ce fut au tour de Leava de se figer.

- … Moi ?

Il s’était pourtant promis de ne pas trop en demander. Il n'y pouvait rien : son esprit était de plus en plus acculé par cette douleur piquante qu’il n’arrivait toujours pas à identifier dans sa poitrine. Et il était si rare de voir une expression interdite sur son visage de porcelaine que le jeune homme croyait en ressentir les effets assiéger ses battements.

Il affirma sa posture pour éviter toute perte de contenance.

- Je t’observe bien, Leava : ton contact avec les pokémon est stupéfiant. Tu serais en parfaite symbiose avec tes partenaires de combat.
- Mais ça a l’air si différent ?

Elle sembla curieusement chercher d’autres arguments chez le Grand Dracologue.

- Je peux t’assurer que les liens que tu aimes tisser avec les Pokémons de l’université sont les mêmes que tu crées en tant que dresseur. Tu sais, les combats sont le symbole de notre cohabitation avec eux. Ça fait partie de notre Histoire comme de la leur. Il n’y a rien d’étrange à ça.

Leava s’agita un peu plus, jetant les cendres de son regard dans le vide. Cette fois-ci, elle garda le silence. Et Peter regretta sa témérité.

- Désolé, je…
- Non, c'est pas toi !

Elle sembla davantage trier ses mots.

- On ne m’avait encore jamais dit que je pouvais devenir dresseuse.

Peter fronça les sourcils.

- Je t’avoue que j’en suis étonné. Je serais même ravi de te montrer à quoi ça ressemble en te proposant de livrer ton premier match au Plateau Indigo… Enfin, en dehors des combats officiels !
- Quoi !? Pour de vrai ?!

Elle s’était brutalement crispée, mais le crépitement dans ses yeux trahissait nettement son enthousiasme. Pour certaines raisons, ça lui faisait plaisir.

Et puis la jeune femme détourna la tête.

- Hum… bien sûr que non… je n’ai pas de Pokémon.

Le ton de sa voix s’était assombri. Alors, cette douleur furtive se densifia dans la poitrine du jeune Maître, et toujours sans explication.

Il avait pourtant déjà compris que ce sujet était fâcheux : la veille, au moment même où elle nourrissait les Roucools, Peter s’était au préalable armé suffisamment pour lui poser cette question, ou du moins indirectement, en prétextant que son propre partenaire jalousait probablement les autres Pokémons dont la jeune femme prenait soin sur le campus de l’université. Elle avait alors brièvement changé d’attitude, le visage paré d’une lumière plus obscure dans la poudreuse où son sourire si fragile semblait se geler lui-même. Pour la première fois, les cendres de ses yeux refroidissaient : « pas besoin de m’inquiéter pour ça… Personne ne m’attend ».

L’intérêt soudain d’assister à des matchs Pokémon aurait pu paraître contradictoire. Pourtant, et sans même qu’il ait pu avoir besoin d’en savoir plus, Peter était certain d'avoir entendu les désirs paradoxaux de la jeune femme glisser le long de ses lèvres fines. En même temps, il se surprenait à les craindre : Il avait expérimenté encore ces cisaillements au cœur au moment même où elle avait soupiré, refoulant son silence bruyant tout en détournant le regard. Cela dit, ces douleurs avaient au moins eu le mérite de lui donner un début de réponse à ce pourquoi elles revenaient sans cesse lui tarauder la poitrine.

Ça ne l’intéressait plus de connaître Leava. Il voulait savoir qui elle était.

- Bien… Dès que tu auras trouvé ton partenaire, je t’initierai aux combats Pokémon. Mais ça m’a surpris que tu n’en possèdes pas déjà un, tu sais ?
- C'est parce que je… !

Soudain, Dracolosse coupa court à la conversation en faisant élever un grognement excité. Il se tourna alors vers son dresseur avec grande insistance, secouant sa grande queue et faisant vibrer délicatement ses petites ailes.

Les deux jeunes adultes suivirent en direction de ce que le grand Pokémon dragon sembla indiquer : un stand de friandises où une marmite était en train de bouillir, et dont la senteur enveloppée de sucre parvint jusqu’aux parasols en forme de Kokiyas.

- Hey ! J’aimerais bien un chocolat chaud, pas toi ? Ça nous réchauffera, et Dracolosse aussi !

Elle avait usé de cette voix affirmée qui effaça la bourrasque qui avait failli emporter ses mots il y a quelques secondes. La jeune femme s’en alla déjà, accompagnant les pas lourds du grand Pokémon draconien qui babilla joyeusement à ses côtés.

Mais ce qui avait probablement fait l’effet d’une brise chez la jeune femme n’était que le début de la tempête qui s’était levée dans l’esprit douloureusement amoureux du Grand Dracologue : finalement, elle était restée cachée derrières les lueurs qu'elle gardait, agonisantes, dans son rire insouciant.


***

- Pyrooo !

Le grand Pokémon draconien ne tarda pas à répondre au bienvenu chaleureux du Pyroli visiblement accoutumé à faire la promotion de ce stand délicieusement empli de sucres d’orges et de truffes chocolatées.

Le petit Pokémon quadrupède à la fourrure dense et orangée et aux longues oreilles effilées portait un petit chapeau de Noël qu’il secoua joyeusement pour faire sonner la petite clochette accrochée à l’extrémité. Leava ne tarda pas non plus à venir à sa rencontre, s’agenouillant pour caresser sa tête touffue.
Un jeune garçon apparut alors dans le stand, se relevant brutalement de sa position cachée. Il avait le cheveu long couleur acajou un peu ébouriffé, l’œil teinte du rubis ainsi qu’un visage légèrement carré non sans porter un sourire naturellement amical. Une petite mèche noire détonait dans sa chevelure tandis qu'une petite tresse délicate tombait vers son oreille droite. Il portait une tunique qui rappelait sans peine les ensembles traditionnels de la région de Johto. D’ailleurs, l’on pouvait admirer, en plus des décorations lumineuses, de belles tapisseries typiques du pays voisin, aux couleurs flamboyantes arc-en-ciel et aux teintes glacées des océans nordiques. Les Pokémon légendaires Ho oh et Lugia apparaissaient sur les toiles.

- Bonsoir ! Excusez-moi, j’étais en train de ranger des…

Peter souligna alors une once de surprise dans le regard du serveur de chocolat chaud sur la jeune femme.

- Mais c’est Leava ! Je ne m’attendais pas du tout à te voir !

Cette dernière se redressa à son tour.

- Ho, salut Ray ! Tu travailles sur le marché de Noël du campus ?
- Affirmatif ! Petit job d’étudiant comme tu peux le constater !

Puis, le jeune homme se tourna vivement vers Peter.

- Et tu es accompagné par… Au nom de Lugia, le leader de la Ligue Indigo est devant mon stand !?

Il venait de rougir si vivement que les lumières colorées qui embellissaient son stand auraient clairement pu s’en offusquer. Peter se mit à l’observer de haut en bas malgré lui.

- Ray… ? Mais bien sûr, Ray Burgundy ! Je me souviens de tes interventions et de ton Pyroli durant les séances du cours du semestre dernier ! On a beaucoup parlé stratégie de combat !

Ce dernier rougit encore plus fort.

- Wow ! Je suis flatté que vous vous souveniez aussi bien de moi, monsieur Lance ! Quel bon vent vous amène ?
- Ton chocolat chaud ! Sourit malicieusement Leava.

Pyroli poussa un petit rugissement agacé, rappelant très probablement son dresseur à l’ordre tandis que Dracolosse se lécha les babines devant la grande marmite fumante. Leava étouffa un rire amusé qui ébranla les nerfs de Peter. Soucieux de rester impassible devant le commun des mortels, il esquissa un sourire amical.

Ray sembla alors se souvenir de sa fonction première et finit par remplir un grand bol ainsi que deux tasses de chocolat chaud qu’il s’empressa ensuite de distribuer. Dracolosse attrapa son précieux breuvage en babillant.

- C’est la maison qui offre ! Alors comme ça, tu allais au cours de monsieur Lance ?
- Oui, depuis le début, précisa Leava en attrapant sa propre tasse.
- En fait, je ne suis pas surpris ! Après tout, tu voues un culte aux Pokémon dragons ! Une vraie mordue !

Le dresseur de dragons hocha nerveusement la tête, légèrement assiégé par des picotements qui commencèrent à lui titiller le cœur sans qu’il ne puisse se l’expliquer. Il coupa rapidement cette conversation en s’intéressant à la nature de leur relation.

- Ray et moi on s’est connu il y a deux ans sur le campus pendant un événement caritatif, expliqua rapidement Leava.
- C’est l’association des étudiants en Lettres qui l’avait organisé. D’ailleurs, j’en fais partie aujourd’hui. Depuis, Leava est devenue un membre honoraire et nous donne de sacrés coups de main avec nos Pokémon ! Continua le jeune étudiant au regard rubis.
- D’ailleurs, comment va Arcanin ?
- Il se porte comme un charme ! Il faudra que tu reviennes le voir, tu lui manques !

Ray se tourna ensuite vivement vers Peter.

- Vous savez, Leava a un super contact avec les Pokémons ! Mon Arcanin en est fou amoureux depuis leur première rencontre !
- Ça, je le sais déjà ! Il suffit de regarder Dracolosse : j’ai une peine monstrueuse à lui faire quitter le campus à chaque fois qu’elle est dans les parages, plaisanta-t-il du mieux qu’il put.

Il n’avait toujours pas envie d’admettre qu’il en était de même pour lui.

- Vous m’étonnez ! D’ailleurs Leava, t’es la bienvenue à notre petite fête d’anniversaire après les fêtes ! Arcanin et les autres Pokémons seront super contents de t’y accueillir !

Le jeune dresseur de dragons sentit brutalement son cœur cogner contre sa poitrine. Mais la réponse négative de Leava eut l’audace de lui faire légèrement du bien.
- Ho… Désolée Ray, ça aurait été avec plaisir mais je suis avec maman les deux prochaines semaines !
- Attends ? Madame Truegold… Enfin, ta mère rentre pour Noël, cette année !?
- Oui ! On va enfin passer le réveillon rien que toutes les deux ! J’ai déjà tout prévu, la décoration du sapin, les cadeaux de Noël puis le repas ! Et demain, on va faire du shopping toute la journée à Céladopole !

Son enthousiasme aurait dû réchauffer les sentiments de Peter si avides de s’abreuver de sa voix : ils en étaient au contraire soudainement irrités.

Ray se servit lui-même une tasse de chocolat fumante.

- Je suis tellement content pour toi ! Ça fait tellement longtemps que tu voulais…

La sonnerie du portable de la jeune femme retentit. Alors, le regard de la jeune femme s’illumina brièvement en observant l’écran.

- Ho, je dois répondre, c’est justement elle ! Je reviens, Peter !

Elle prit congé du grand dresseur de dragons en qualité de fantôme qui quittait soudainement la terre ferme. Peter l’avait observé longtemps s'éloigner bien malgré lui, comme s’il craignait à ce qu’elle ne disparaisse définitivement. Pyroli et Dracolosse lui dirent au revoir dans leurs jappements respectifs tandis que le dresseur de dragons se tourna assez rapidement vers Ray, perplexe.

- Excuse-moi mais... la mère de Leava ne rentre jamais à Noël ?

Le jeune homme leva un sourcil après avoir avalé furtivement une gorgée de chocolat chaud.

- Vous ne saviez pas, monsieur Lance ?

Ray s’accouda à son plan de travail, tenant fermement sa tasse n s'y frottant les mains. Il sembla ensuite laisser son regard se perdre dans les alentours du marché festif.

- Hikari Truegold, travaille à la faculté des sciences en tant que chercheuse pokémon. Depuis de nombreuses années, elle est toujours en déplacement professionnel à chaque Noël. Leava passe donc tous ses réveillons toute seule.

Peter fronça les sourcils, perplexe.

- Un déplacement professionnel ? Mais aucune faculté n’envoie leurs collaborateurs à des congrès pendant les fêtes ?
- Oui, j’ai aussi trouvé ça curieux. Mais vous savez, Madame Truegold est très connue dans son domaine. J’imagine que c’est à ça que ressemble la rançon du succès !
- Et c’est vraiment comme ça tous les ans ?

Ray haussa les épaules en guise de triste confirmation. Il marqua ensuite une pause en soupirant longuement.

- En réalité, ce n’est pas pour rien qu’elle vient souvent sur le campus… sa mère est très rarement à la maison. J’ai commencé mes études il y a trois ans et je la voyais déjà tourner dans les couloirs ou dans le parc de la faculté… Elle était toujours en train de « discuter » avec des Pokémons sauvages ou avec ceux des étudiants et des professeurs. Elle dit que ça l’aide à « exister ». Je n’ai jamais vraiment compris où elle voulait en venir mais en tout cas, elle fait du bien à tout le monde, ici.
- Elle n’a donc vraiment aucun Pokémon à elle ? S’étonna Peter, comme s’il n’était pas encore certain que la réponse soit suffisamment évidente.

Le Grand Dracologue souligna une légère hésitation sur les lèvres de l’étudiant.

- Ouaip, c’est ça… Mais ne perdez pas de temps à lui demander pourquoi : soit elle ne répond pas, soit elle répond à côté.

Peter dissimula rapidement le rictus frustré qui allait marquer son visage : il y avait quelques minutes encore, il avait senti ce rempart si solidement bâti à deux doigts de s’effondrer chez la jeune femme. Il en fut presque vexé d’avoir dû y renoncer à cause d’une odeur de chocolat chaud.

- Mais toi, tu sais ? Fit-il, désireux de creuser.

Le jeune homme soupira.

- Hélas, non… Et comme ça a l’air de beaucoup la gêner d’en parler, j’ai lâché l’affaire. A la place, je lui propose de venir voir mes Pokémons à l’association. Elle ne s’arrête jamais de sourire quand elle peut être avec eux ou n’importe quel autre Pokémon sur le campus d’ailleurs. Je crois vraiment qu’elle a besoin d’eux.
- C’est paradoxal… Elle recherche tout le temps leur présence ! Qu’est-ce qui l’empêche d’en adopter un ?
- Vous pouvez toujours essayer de la cuisiner mais je vous préviens, elle est très têtue !

Dans ce monde, ne pas posséder de Pokémon n’était pas forcément un problème en soi mais aux yeux du Dracologue, c’était précisément inconcevable que ça soit anodin vis-à-vis de la jeune femme : le contact qu’elle avait avec ces créatures était viscérale.

- En fait, vous vous connaissez depuis combien de temps ? Demanda subitement Ray.
- Euh... depuis deux mois, environ. Nous avions pris l’habitude de refaire le monde juste après chacun de mes cours puis nous passions du temps sur le campus. Elle rentrait simplement chez elle ensuite… Répondit machinalement le Dracologue.

Il se surprit à relativement bien cacher sa vexation de plus en plus présente dans la moindre parcelle nerveuse de son corps.

- Laissez-moi deviner… Sur le perron de l’entrée Nord de la faculté des lettres ?
- Tu la connais bien, je vois !

Il avait étouffé sa réaction dans un rire frustré. Ceci ne sembla pas échapper à Ray mais au grand bonheur de Peter, il se contenta de pousser un autre soupir.

- Pas tant que ça… Mais cette entrée est la plus proche de l’itinéraire qui permet de se rendre jusqu’à son quartier. Le souci, c’est que le chemin passe juste devant les bureaux où travaillent les collègues de Madame Truegold. Quand elle suit des cours tard le soir, elle attend l’heure où certaines personnes ne pourraient plus l’apercevoir…
- Qu’est-ce que tu veux dire ?

Ray marqua une très courte pause. Mais ses yeux restèrent bavards en plus de se faire secouer par un mouvement négatif de sa tête. Puis, le jeune universitaire se pencha un peu en baissant le ton de sa voix.
- Ici, on ne pose pas de question… mais madame Truegold n’aime pas quand sa fille traîne sur le campus. Elle l’a menacé plusieurs fois et ça a même fini en grosse dispute, il y a un an. Elles ne se sont plus parlé pendant plusieurs mois. Depuis, Leava vient en douce et a appris par cœur les heures de sorties des collaborateurs de la faculté des sciences où travaille sa mère. Et jusqu’à maintenant, elle n’a rien remarqué.
- Attends… Donc, Leava ne serait pas étudiante dans cette université ?

Il haussa à nouveau les épaules.

- Pas plus que vous y’êtes officiellement un chercheur, monsieur Lance…

La brise se leva à nouveau, faisant frissonner l’esprit perdu du jeune leader du plateau indigo.

Dracolosse, qui sembla avoir tout suivi de la conversation ressentit sans peine l’actuel tempête qui désarçonna tous les sens de son maître. Il se mit à grogner doucement vers lui et pour cause : le grand Pokémon fut soudainement happé par une étrange inquiétude.

Peter l’avait souligné non sans être démonstratif. Puis, en se tournant vers Ray, il comprit rapidement que l’échange était terminé : l’étudiant venait d’être interpellé par quelqu’un et sembla fermer son stand.

- Désolée, on me demande à l’association ! J’espère qu’on se reverra, monsieur Lance ! Et passez de bonnes fêtes, surtout !

Il verrouilla sa porte de bois mais juste avant de s’en aller, virevolta sur ses talons en soulevant une légère poudreuse.

- En fait… Gardez tout ça pour vous, d’accord ? Leava n’aime pas trop qu’on parle d’elle dans son dos. D’ailleurs, je ne sais pas trop pourquoi je vous ai dit tout ça…
- Non, au contraire, tu as bien fait. Merci Ray !
- D’ailleurs, vous pourriez aussi venir à notre fête d’anniversaire dans nos locaux à la fin du mois prochain ! Vous êtes notre modèle là-bas alors… Euh ça nous ferait très plaisir si ça vous dit ?
- Ho ? C’est très gentil de m’inviter ! Je passerai avec plaisir !

L’œil pétillant du jeune étudiant n’aurait rien eu à envier au pouvoir des mots. Puis, il prit congé en hâte, suivi par son Pyroli qui salua vivement Dracolosse au passage.

La foule se raréfiait et les stands fermaient un par un.

Alors, le regard de Peter se ternit : il avait beau chercher, il n’apercevait pas Leava dans l’obscurité percé de lueurs grelottantes.

Dracolosse jappa faiblement : il avait déjà compris.

Le jeune homme aux cheveux enflammés s’avança péniblement. Une bourrasque poussa sa cape en arrière en soulevant une tornade de givre. Il se protégea le visage de la flagellation désagréable des cristaux de neige. Mais son regard ne cessa plus de fouiller la moindre parcelle qu’il était capable de scruter autour de lui. Il aurait pu l'appeler, faire tonner sa voix au milieu des démons cryogénisés. Mais étrangement, son nom se bloqua dans sa tête.

C’est comme si elle n’avait jamais existé.

Seule resta la preuve concrète de sa présence dans une motte de neige tout juste née du ciel : sa tasse de chocolat chaud vide et jetée comme on laisse tomber une pierre depuis sa main.

Le ciel avait perdu ses étoiles : on y voyait plus qu'un trou noir gigantesque, isolant Peter dans le creux de l’hiver. D’une main tremblante, il ramassa la tasse en porcelaine et la dépoussiéra paresseusement de la fine pellicule blanche qui l'avait recouverte. L’horrible émotion qui lui trancha le cœur en deux bégaya des mots incompréhensibles. Et ses battements se noyèrent dans le vide que lui creusa l’absence de cet éclat ombragé pour lequel il avait développé cette incommensurable attirance.

Dracolosse posa brièvement sa patte griffue sur l’épaule de son maître : Peter se retourna par réflexe, pratiquement par espoir.

Mais seul son conducteur attitré venait d’arriver au pas de course sur le marché de Noël, son éternel parapluie en main et son fidèle Piafabec volant à ses côtés puis se posant sur le sol gelé.

- Maître Lance ! Vous avez vu l’heure ? Qu’est-ce que vous faîtes ?

Ce dernier sembla alors fouiller oculairement les alentours.

- Tiens ? La jeune fille n’est plus avec vous ?

Peter prit quelques secondes pour trouver le courage d’affronter la question.

- Non… Elle est partie.

Le retour vers le plateau indigo se fit dans le silence complet.

Peter n’avait de toute façon plus la force ni l’envie de discuter. Ses pensées s'étaient renfermées sur elles-mêmes. Son regard, quant à lui, s’était accroché à l’écran de son téléphone dans l’espoir infantile d’y voir un signe. Mais seule restait la preuve feutré de cette tasse emprisonnée par la neige. C’était là l’unique raison de l’avoir emportée avec lui, le seul moyen d’être certain qu’il n'avait pas rêvé cette jeune femme. La tasse trônait sur le siège à côté de lui. Le froid que lui prodiguait sa vision à chaque fois qu'il la regardait ne désemplissait pas sous le chauffage lancé à plein régime dans la voiture.

Le blizzard glaça Kanto toute la nuit.

Pour beaucoup, ce fut là le seul responsable de leur insomnie.

Peter avait refusé le sommeil pour une raison plus drastique encore : au-delà des théories fabuleuses qui racontaient la soif de vivre des étoiles brûlées vives, il avait réalisé à quel point elles sonnaient comme des rancœurs. Cachées dans la lumière, elles avaient joué avec son cœur.

Il ne pouvait rien expliquer : ces sentiments étaient impossibles à contrer, même pour le grand leader du plateau indigo. Les douleurs qui cisaillaient sa poitrine ne trouvèrent jamais le réconfort des songes mais les premières lueurs ensommeillées du matin avaient fini toutefois par les apaiser brièvement. Et entre deux sommeils furtifs, les paroles d’Agatha étaient revenues malmener son esprit : « qui de la lumière ou de l’ombre ment le mieux à ton avis ? ».

Peut-être les deux à la fois.

« Qui es-tu, Leava… ? »


***