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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 15/09/2023 à 14:29
» Dernière mise à jour le 20/11/2023 à 01:08

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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Le maître du perron (Arc 2 - début)
- Région de Kanto, 4 ans en arrière -


Il avait neigé abondamment aujourd’hui, couvrant Safrania d’un épais tapis blanc.

L’université était désagréablement trop calme à cette heure-ci : la profondeur interminable des couloirs se jouait de l’écho provoqué par les bruits de pas, les creusant encore d’une infâme sensation de vide. Ça avait l’audace de lui rappeler le silence paresseux des arènes du Plateau Indigo, où ce néant était jadis rempli par la rage de vaincre des rares challengers qui avaient survécu aux combats des huit badges d’arène. Mais voilà quelques années que Kanto n’avait plus connu de nouveau Maître Pokémon : après abdication du dernier occupant au sommet du panthéon kantonais, tout lui paraissait bien dénué de sens au quartier général du conseil 4.


***


Il avait encore oublié son téléphone portable dans l’auditoire.

Sa cape significative était en train de voltiger derrière lui, accompagnant la frénésie de ses mouvements : Il était attendu au dôme principal du Plateau Indigo et il était déjà très tard. Comme à chaque fois, sa séance de cours avait été éprise d’une forte effervescence et ceci avait tendance à lui occuper l’esprit des heures après la fin. Après tout, ça faisait plusieurs années qu’il avait aimablement accepté de mettre en place un enseignement spécial sur les Pokémons dragon à l’université de Safrania et sur demande du doyen. Et force est de constater que le projet avait rencontré un franc succès, si bien que la promesse d’un semestre exceptionnel de cours s’était transformée en constant rendez-vous pour tous les académiciens amoureux de ces créatures majestueuses.

Il en avait été bien soulagé : en effet, malgré leur succès, les Pokémons dragon étaient encore très craints par la population et seuls quelques dresseurs pouvaient se targuer de savoir les entrainer correctement. Devenir leur porte-parole pour panser les plaies d’une réputation qui avait tant souffert des idées reçues lui avait d'abord paru très compliqué à atteindre. Cela dit, son fidèle Dracolosse n’en avait heureusement jamais fait les frais. Tout le monde le connaissait ici et c’était un vrai boute-en-train. D’ailleurs, à la fin de chaque séance, les étudiants rompaient avec leurs craintes et s’en allaient saluer le grand dragon orangé, tous étonnés de découvrir à quel point son caractère paisible ne correspondait pas avec sa taille impressionnante.

Ce dernier suivait actuellement son dresseur tout en lévitant paisiblement.

Le jeune homme aux cheveux carmin avait l’habitude de dispenser ses cours en compagnie de son partenaire. Chaque séance était l’occasion pour lui de démontrer à quel point un entrainement adéquat et surtout beaucoup d’amour et patience suffisaient aisément à créer un lien avec cette espèce unique à Kanto. Cela dit, il était facile d’imaginer que cette rareté puisse avoir été associée à une image dangereuse et agressive. L’inconnu avait habituellement pour seule ennemie, la peur.

A cette heure-ci, il ne croiserait probablement plus personne dans le bâtiment.

Comme il s’y attendait, son téléphone était resté sur le pupitre central, au milieu du vide qu’évoquaient les longues rangées de bancs en hauteur dans l'auditoire.

Dracolosse s’approcha alors d’une place bien précise, tout à gauche au premier rang. Il y tapota la table avec une de ses pattes en babillant, puis jeta son œil draconien vers le jeune homme.

Ce dernier regarda le Pokémon dans son éternel comportement enfantin. Il savait sans peine ce qui l’interpellait.

Aujourd’hui encore, elle avait été là.

***

Depuis quelques séances, il tentait de rassembler tout son courage pour aller lui parler.

Seulement, les grandes discussions endiablées avec les autres élèves ne lui en avaient jamais donné l’occasion, et il avait donc vite lâché la possibilité de l’approcher dans l’auditoire. Le jeune homme aux cheveux carmin s’était alors mis en tête d’effectuer toujours une inspection rapide des couloirs et des alentours du bâtiment à la fin de chacun de ses cours. Mais à chaque fois, c’était pour rentrer bredouille.

Il avait néanmoins appris à la connaître de loin : sa capacité de concentration semblait hors-norme pour écrire sans interruption durant ses séances, à peine ébranlée par les chuchotements ou le son disharmonieux du projecteur vidéo. C’était la seule explication qu’il avait pour justifier le fait qu’il ne connaissait pas les traits de son visage : elle ne levait jamais la tête. Cela dit, il était certain au moins d’une chose. La teinte de ses longs cheveux n’avait rien à envier aux cendres fumantes d’un feu endormi. Et cette énergie étrange, à la fois latente et piquée de fureur, semblait flotter autour de sa personne discrète tout en fuyant entre les silhouettes en qualité de fantôme lunatique.

Mais Il aurait pu aussi envisager que ses propres yeux mentaient par pure caprice épuisée. Depuis quelques temps, il s’ennuyait au Plateau Indigo. Et pour casser cette monotonie, il allait s’entrainer plus souvent avec ses Pokémons dragon dans les paysages accidentés du mont Sélénite. Et ça, c’était quand il ne choisissait pas tout simplement les montagnes volcaniques de Cramois’îles. Ça lui donnait d’ailleurs l’occasion de rendre visite au champion d’arène de type feu, Auguste, qui occupait autant ses journées à développer de nouvelles techniques de combat avec son équipe qu’à renouveler son émission de télévision locale, un jeu à quizz agrémenté de combats pokémon qu’il avait même incorporé dans les défis de sa propre arène. La personnalité aussi brûlante et passionnée d’Auguste tirait le jeune Dracologue dans l’énergie galvanisante des combats Pokémon quand ils s’entrainaient ensemble, des affrontements bien dignes de la ligue de Kanto avec cette pointe élitiste qui glorifiait les meilleurs mais les isolait aussi inévitablement au sommet.

Depuis un moment, son esprit se languissait de cette rencontre fortuite avec l’émotion qui viendrait bousculer l’ennui du présent, faisant bouillonner son imagination au seuil du fantasme. Il n’aimait pas vraiment expliquer la raison de ses retards, maquillant plutôt cette dernière sous l’excuse de l’ambiance universitaire bien plus palpitante que son arène vide de défi : c’était la rêverie contre la solitude, un coup d’épée dans l’eau et un bouclier en carton.

Elle était toujours égarée au coin du premier rang.

Plus que l’envie de tromper la banalité des choses, il souhaitait connaître celle qu’il voyait isolée au milieu du monde, entendant les appels mais n’y répondant pas, quoique n’était-il pas certain que les autres avaient au moins eu vent de son nom : il ne se rappelait pas l’avoir déjà vu adresser la parole à qui que ce soit.

Ça le laissait plus craintif encore : peut-être regrettait-il d‘avoir demandé conseil à sa collègue de combat, Agatha, l’experte des Pokémons spectres et très redouté troisième membre du conseil 4 qui faisait cauchemarder les challengers. Elle était pourtant l’esprit le plus apte à lui enseigner l’art de débusquer les malices de la vérité : « mon cher Peter, qui de l’ombre ou de la lumière nous ment le mieux à ton avis ? » Aimait-elle poser malicieusement durant leurs longues conversations autour de ses fameux thés épicés durant les soirées automnales. La sardonique vieille dame connaissait par cœur les caprices des énigmatiques Pokémons spectraux et eux-mêmes avaient tout compris des absurdités de nos convictions face à ce qui se cache et ce qui se révèle : « La lumière, c’est simplement une obscurité toute blanche, c’est pour ça qu’on s’y dissimule si bien : on laisse ses habitants nous aveugler en les regardant droit dans les yeux », soumettait la vieille femme dans son petit ricanement familier.

Peut-être Peter avait-il alors raison de se méfier. Mais son amie et collègue aimait jouer avec les âmes préoccupées : elle était fascinée par les ténèbres crépitantes de clarté qui jaillissaient des tourments humains.

Dracolosse se tourna alors vers son dresseur en grognant de mécontentement.

Le grand Pokémon ne croyait visiblement pas à la théorie d’une illusion née des aléas de l’ennui. Il avait bien plus de chance que son dresseur d’ailleurs : il avait rencontré ce fantôme furtif lors d’une soirée un peu plus enneigée, au loin dans le parc qui entourait le bâtiment de ce coin de campus. Tandis que l’imposante silhouette de son Pokémon dragon transperçait la brume blanche, il l’avait aperçue en digne ombre lumineuse, le cœur battant et les sens en soudain alerte tandis qu’elle semblait poser sa voix dans l’atmosphère gelée. Il aurait alors tout donné pour l’entendre.

Oui, il avait bien tenté d’avancer dans la tempête silencieuse du brouillard si quelques académiciens ne s’étaient pas mis en tête de l’arrêter pour échanger de vaines banalités. Il n’écoutait déjà plus, avait-il seulement voulu tendre l’oreille de ce côté-ci pendant que se murmuraient les raisons du bouleversement de son coeur dans la direction opposée. Et puis Dracolosse revenait vers lui, battant légèrement des ailes et jappant joyeusement au contraire de son maître qui avait soupiré de déception en constatant le vide derrière son partenaire de combat. C’était sous les admirations obséquieuses de personnes dont il avait oublié les noms que le jeune homme quittait ce soir-là bredouille, le campus saupoudré d’hiver.

Sa rêverie soudaine avait fini par attirer l’attention d’Olga, première membre du conseil 4 que les dresseurs avaient le malheur de devoir affronter : la tumultueuse dresseuse de glace avait ressenti ce changement depuis un moment même si elle n’avait guère encore eu l'occasion de venir en discuter avec son leader. C’était il y a à peine deux mois de ça, quand ses cours avaient débuté à l’université. Il n’était donc pas souvent présent au Plateau Indigo, jonglant avec les conférences, les invitations et les colloques.

La jeune femme aux cheveux pourpre voulait en avoir le cœur net : « Peter, je crois que tu as encore mis ta cape à l’envers », avait-elle fait remarquer, un petit sourire malicieux habillant ses lèvres rouges. Ç’était déjà la troisième fois qu’il ne faisait plus attention à son habit-signature, à croire que l’ombre avait fait bien mieux que de l’aveugler. Il n’avait alors pas d’autre choix que de raconter avec difficulté les remous qui bousculaient ses ventricules. Et quand Olga remontait légèrement ses lunettes, elle indiquait par là qu’elle avait déjà tout saisi de l’étrangeté des paroles de son ami : « c’est une dragonne, non ? Sinon, qui d’autre pourrait fasciner le Grand Dracologue au point de lui faire mettre sa cape à l’envers trois fois de suite ? ». Elle découvrait alors que derrière le leader du conseil 4 au tempérament froid et solidement ancré se cachait un jeune homme réservé et rêveur.

Avait-il fait exprès d’oublier son portable ou était-ce une autre rêverie crééé de toutes pièces dans un coin de sa tête ? Toujours est-il que le leader avait été pendant un court instant, très heureux de se mettre en retard pour la énième fois. Dracolosse grogna alors, amusée devant la naïveté de son dresseur si redoutable en combat Pokémon mais aussi teinté d’agacement car la réalité fut pourtant vide de ses attentes. Il battit légèrement de sa large queue draconienne et fronça son museau sous l’air attendri de son maître. Cela dit, Peter soupira, blasé.

Oublier son téléphone aurait dû être une excellente excuse pour faire semblant de ne pas chercher éperdument quelqu’un. A vingt-huit ans, célèbre et très apprécié champion de Kanto, il déployait des sourires en ces lieux baignés de curiosité et de passion pour la recherche et la compréhension du monde qu’il n’offrait jamais aux challengers du Plateau Indigo où l’esprit de combat étouffait toutes les émotions pour ne faire plus qu’une seule énergie assoiffée par la rage de gagner.

Mais ces sourires, pourtant, il les partageait avec Aldo, le redoutable et caractériel deuxième membre du conseil 4 qui provoquaient des sueurs froides à ses opposants. Ce dernier s'entrainait toujours intensivement au Mont Sélénite où Peter lui-même se rendait parfois ( et quand il ne partageait pas une bonne bière locale avec Auguste après de solides combats endiablés dans la fureur des cratères fumants). Durant les pauses, ils avaient l'habitude de discuter de leurs perceptions des dresseurs qui venaient relever le défi de la ligue kantonaise, ceux-ci se comptant méticuleusement sur les doigts de la main. Pourtant, ceux qui n’avaient pas réussi à franchir la barrière de muscles des Pokémons combat d’Aldo avaient toujours dit de lui qu’il savait leur transmettre la rage de combattre même au-delà des défaites qui blessaient le courage. Contrairement à ce qui pouvait être avancé, il n’était pas si rare de voir le champion combatif échanger un verre avec tous ces dresseurs revenus passer beaucoup de temps et de combats avec lui. Ces derniers pansaient leurs plaies, retrouvaient leurs forces et durcissaient leurs remparts, continuant de s’entrainer avec leurs Pokémons jusqu’à se redécouvrir vaillants challengers que les chutes ne maintiendraient plus jamais à terre. Dans son arène, Aldo était sans pitié, faisant hurler sa voix et gonfler sa volonté d’abattre quiconque essayerait de passer sa porte. Mais c’était pour mieux cacher ce sourire naïf et bienveillant qui cernait l’autre reflet de sa personnalité. Et ma foi, Peter l’avouait, un miroir n’aurait probablement pas mieux réfléchi leurs similitudes que le seul et unique regard de son vieil ami, à la fois brûlant de rage et foisonnant d’éclats dont seul un bon vivant avait le secret.

Un babillement le tira du fond de sa mémoire.

Dracolosse lui tendait quelque chose.

A première vue, c’était un cahier d’étude relativement petit. Il était parcouru d’une teinte de neige légèrement ternie par le temps.

Peter leva la tête vers son Pokémon : ce dernier lui montra alors dans un grognement affirmé, le banc emprunt du dernier souvenir de son attirance étrange. Le jeune homme comprit que c’était là, le recueil de tous les mots qu’elle n’avait jamais eu de cesse d’attraper dans son filet.

Mais il comprit aussi qu’il détenait la preuve qu’elle n’existait plus pour de faux.


***


Il quitta en hâte l’auditoire en faisant claquer ses souliers sur le parquet : Dracolosse lui-même peina à suivre son dresseur, poussant des grommellements plaintifs.

Si on lui demandait pourquoi ça lui semblait si important de lui rendre ce précieux sésame de paroles figées dans le temps, il n’aurait pas su donner de réponse convaincante dans l’immédiat. En fait, il n’était pas tant persuadé d’avoir ici le signe de la réalité qui le faisait tant espérer. C’était absurde, certes, mais personne n’était là pour lui dire le contraire non plus.

Ils croisèrent alors l’éternel concierge du bâtiment, toujours fidèlement accompagné de son Machoc qui était en train de balayer avec une vigueur inégalée les couloirs. Ce dernier les salua avec chaleur avant de remarquer la mine déconfite du dresseur de dragons : « Auriez-vous croisé une jeune fille avec des cheveux comme de la cendre ? ».

C’était probablement la pire description que l’on pouvait faire de quelqu’un mais c’était là, le seul détail qui lui restait en mémoire. Le concierge se gratta le cuir chevelu, un peu désarçonné : « Heu… On croise beaucoup trop de monde ici, monsieur Lance ! ».

Il avait raison. On s’y perdait au milieu de tous ces visages. L’ironie voulait que le seul qui n’avait jamais levé la tête puisse se démarquer de tous, l’ombre trop brillante dans la foule trop claire. C’était sans doute l’apothéose de l’absurdité.

Soudain, Machoc jeta son grand regard claquant de stupéfaction vers le cahier d’étude blanc comme de la neige paralysée puis s’exclama fortement, l'oeil étrangement réjoui. Le concierge se redressa, amusé : « Mais je crois que mon brave Pokémon peut vous aider : on dirait qu’il sait de qui vous parlez ! ».

Peter et Dracolosse crurent devoir retraverser entièrement le bâtiment colossal. Mais la destination se dévoila enfin, à l’exact opposé de leur porte de sortie habituelle. Machoc pointa alors du doigt, deux portes relativement imposantes menant à l’extérieur.

Les vitres légèrement colorées se pointillaient des faisceaux tremblotants des lampadaires extérieurs. L'on pouvait même deviner la danse folle de flocons à travers les points lumineux jetés contre les vitres.

Le Pokémon de type combat s’adressa alors à Peter dans un jappement affirmé : « elle attend toujours ici ! », lui sembla-t-il entendre dans l’esprit du Machoc. Puis, il prit congé en souriant à l’écoute des remerciements du Grand Dracologue.

Peter se passa ensuite la main dans ses cheveux rougeâtres, soupirant profondément : lui qui ignorait tous les tourments de la peur dans l’enchainement violent des combats pokémon, il se sentait soudainement tomber à l’extrémité du monde. Dracolosse le poussa alors un peu dans le dos en grognant avec bienveillance.

Après une grande aspiration, la porte était ouverte.

Son grand partenaire d’écailles teintées de crépuscule ne l’avait pas directement suivi : digne du Pokémon dragon qu’il était, le froid était simplement très désagréable pour lui et moins il devait l’affronter, mieux il s’en portait.

L’hiver mordit alors le visage du Grand Dracologue : il venait d’arriver sur grand perron de pierre. Celui-ci, que l’on atteignait par une large rangée d’escaliers depuis l’extérieur, disparaissait actuellement comme une futile crayonné de dessin raté sous le plaide couleur poudreuse. Le regard du Grand Dracologue se sentit alors aimanté par les lueurs alentours, ainsi observa-t-il d’abord le monde fait d’ombres paralysées. Il s’avança ensuite vers la pluie de flocons tombant comme des plumes pétrifiées.

Aucun bruit ne laissait entendre qu’il n’était pas seul, levant péniblement les yeux vers le firmament caché dans l’hiver nocturne : Il en avait des vertiges d’observer cette masse noirâtre s’abattre sur lui.

Qu’attendait-elle ici, dans l’ombre des démons cryogénisés ? Pas de trace de vie, pas de preuve d’existence. Que la poudreuse nouvelle, à la fois renaissante et agonie, à l’image de son espoir qui le quittait déjà.

Mais ces lueurs ombragées le trompaient tant qu’il n’avait pas fait attention à cet éclat d’ombre un peu différent à ses côtés.

- Vous faîtes ça, aussi ?

Elle était assise sur les escaliers à quelques mètres de lui, son visage emprisonné dans le capuchon d’un manteau blanc. Cette chevelure cendrée si distinctive léchait légèrement ses épaules.

Elle se leva ensuite de sa place de fortune, chassant par petits coups une fine couche de neige nouvelle sur ses vêtements.

- Pardon… Plus personne ne passe par ici à cette heure… enfin, normalement.

Le dresseur de dragons comprenait enfin que ce présent n’était pas factice. Mais ses lèvres refusaient pourtant de coopérer. La gêne soudaine qui brisait ses sens se contentait même de faire atterrir son regard hagard sur le livre d’étude dont la blancheur semblait se mesurer à celle de la poudreuse : Il n’avait rien préparé.

Et puis enfin, sa gorge voulut bien s’éclaircir. Maladroitement.

- Je... Je voulais vous rendre votre cahier !

Elle hésita un vif instant, puis finit par attraper son recueil en murmurant un « merci » baigné de gêne, ou de reconnaissance, ou les deux à la fois.

- Comment vous savez que c’est à moi ? S’étonna alors cette dernière en hochant la tête.

Peter rassembla tout son courage fragmenté dans l’espoir de faire honneur au caractère solide et imperturbable que tout dracologue devait avoir.

- Vous êtes toujours assise au dernier banc tout à gauche, première rangée de l’auditoire. En fait, vous semblez constamment très concentrée sur mes paroles, ça a fini par m’interpeller !
- Ha… ?

Elle leva un peu plus la tête : l’ombre de sa capuche persista à ne rien montrer de son visage.

- … Vous trouvez ça bizarre ?
- Que... Pas du tout, vous vous méprenez ! Enfin, vous semblez vraiment très intéressée par les Pokémons dragon et je... enfin… !
- Je vous taquine.

Elle rit légèrement. C’était suffisant pour le décontenancer davantage. La jeune fille rangea lentement son cahier dans son sac en bandoulière puis se tourna à nouveau vers le jeune leader du conseil 4.

- En fait, je suis un peu étonnée que vous m’ayez remarquée ?

Il étouffa un léger rire.

- Vous êtes la seule à vous asseoir au premier rang depuis le début de mes cours, c’est raté pour la discrétion !
- J’avoue, c’est nul !

Il perçut d’étranges sentiments armer le moindre trait de son sourire. Loin de réussir à les déchiffrer, il se laissa simplement enivrer par la chaleur de ses traits affinés. Il redressa ensuite son œil d’argent, curieux.

- D’ailleurs, que vouliez-vous dire avant ?

La jeune fille tourna la tête vers l’immensité assommante.

- Je parlais de la neige. J’adore rester là et me laisser tomber comme elle… Enfin, façon de parler ! Rit-elle tout doucement.

Puis, son regard, dont la curieuse teinte cendrée perça sans effort la pénombre de son capuchon, revint vers le Grand Dracologue, tout en piétinant un peu de poudreuse sous ses bottines.

- Je croyais que vous aimiez faire ça aussi mais non, vous vouliez juste me rendre mon cahier ?

Peter prit peine à dissimuler cette pique de gêne sur son visage.

- Bien, pour être tout à fait honnête… J’avais surtout envie de vous parler mais vous disparaissez si vite à chaque fin de séance que je n’arrivais jamais à vous retrouver !

Elle sembla soudainement chercher ses mots de son côté, les yeux cendrés légèrement écarquillés.

- Woah… Pour de vrai ?!

Sa voix sonna dans un enthousiasme qui ébranla aussitôt l’esprit du jeune homme. Mais aussitôt, elle baissa maladroitement la tête en frôlant ses lèvres avec une de ses mains, les joues rougies de froid ou de gêne, il n’arriva pas tant à choisir.

En fait, pour une raison étrange, il se sentait retrouver une meilleure contenance face à elle, subtile éclat fantomatique qui venait encore de le traverser de part en part, comme une chaleur surnaturelle sur laquelle la bise courbait l’échine. Et en réponse, Peter éclatait de rire, ne pouvant que s’attendrir de cette attitude pour le moins adorablement décontenancée. Il n’arrivait même pas à s’offusquer qu’elle ait probablement toujours jeté un regard amusé vers l’insistance silencieuse du jeune homme qui la cherchait si inlassablement dans la foule.

- Faisons correctement les choses : je suis Peter Lance, Maître du plateau indigo. Et vous ?

Elle retira enfin sa capuche.

Dans un soupir silencieux, il réalisait qu’il n’avait pas complètement inventé ce visage, faute de le connaître : à la fois doux mais silencieusement blessé par des aléas inconnus, sa teinte en porcelaine semblait se fragiliser davantage dans le batifolage de flocons qui traversait les airs froissés d’ombres et de lueurs artificielles du perron. La joie envahit si bien son esprit qu’il évinça déjà l’étrange sentiment plus douloureux qui fit trembler légèrement sa poitrine.

- Je m’appelle Leava Truegold et… Je suis juste maître de ce perron.

L’ombre claire désemplissait que très légèrement de sa forte luminosité. Mais lui donner un nom lui semblait se parer de la satisfaction d’une apothéose.

- Ho ? Et quels sont les combats qui attendent les dresseurs défiant le maître de ce perron ?

Il en avait étouffé un petit rire amusé même si c’était terriblement niais. Il n’allait pas s’en vouloir de toute façon : personne d’autre n’était là pour le relever.

Soudain, elle se faufila derrière lui, le forçant à avancer vers les escaliers. Malgré la surprise, il se laissa faire. Elle sembla vouloir rester dans son dos, la voix esquissée dans les murmures de la brise.

- Regardez bien le ciel !

Fixant inlassablement le vide sous l’ordre de la jeune fille, il sentit soudainement son esprit s’amuser des vertiges qui chatouillèrent sa poitrine. Le vent gelé pénétra un peu plus son visage, flagellé doucement par la neige volante. Les mâchoires de ces cieux criblés de flocons dansants mordirent alors silencieusement le monde d’en bas. Mais si le ressenti qui ébranla son corps était amusant à expérimenter, il soupira quand même devant ce jeu étrange.

- Vous en pensez quoi ?
- Euh… Il fait froid ?

Elle revint à ses côtés en s’insurgeant faussement, les mains dans les poches après avoir recoiffé une mèche rebelle dans sa chevelure cendrée.

- Hey, je n’avais pas fini : il y a autre chose encore… comme si on se sentait…
- Libéré ?

Elle avait happé la fin de sa phrase dans un léger claquement de voix.

Peter se tourna vers elle, étonné : il ne se mentait pas à lui-même, c’était encourageant. Après tout, il se surprenait à frôler du bout de son esprit, cette sensation aussi curieuse. Quant à elle, les cendres de son regard ne s’avouaient pas vaincues, crépitant d’une étrange braise.

- A chaque fois, je laisse tomber tout ce qui me fait un peu mal avec les flocons. Et quand reviennent les beaux jours, mes douleurs fondent avec la neige. J’ai la sensation… que de cette manière, les choses qui ont pris froid au fond de moi peuvent réapprendre à produire de la chaleur. Je crois que ça fait partie d’un tout : sans hiver, les printemps n’auraient aucun sens, non ?

Soudain, elle sembla bloquer tous ses mots dans sa gorge, comme gênée par le long silence du jeune homme : il réalisa alors qu’il la dévisageait peut-être un peu trop. Elle en avait détourné le regard, fouillant les ombres devant elle.

- Euh… c’est vraiment idiot ce que je dis… faites pas attention.

Il hocha la tête, le souffle murmuré.

- Pas du tout, c’est très beau… !

Soudain, une bourrasque flagellée de gel chassa la poudreuse du perron. Surprise, la jeune fille virevolta sur ses talons mais trébucha sur du verglas dissimulé sous ses pieds. Peter lui attrapa alors le bras et la ramena sans trop réfléchir près de lui. Il lui sembla entendre au passage, le rire facétieux de la brise mêlé aux ricanements des cristaux de gel.

Elle se redressa légèrement en tournant son œil de cendres un peu écarquillé vers lui.

- Hey, ne mettez peut-être pas vos paroles à exécution, s’amusa alors le Grand Dracologue.

Etonnamment, elle n’essayait pas de se dégager tout de suite, ses mains encore agrippées à sa longue cape : en fait, elle était en train de l’observer minutieusement.

- Ouf… Je n’ai rien abimé.
- Si vous saviez le nombre de capes que j’ai déjà fichu en l’air durant mes entrainements !

Il s’était empressé de plaisanter, étonnamment le deuxième élan d’humour dans lequel il osait se lancer. Peter s’était néanmoins plus particulièrement concentré pour garder toute sa superbe de Maître du plateau indigo : le sourire un peu plus visité de malice du jeune fantôme ne finissait plus de l’ébranler.

Après avoir frotté la noble pièce de tissu avec une certaine ferveur, elle se dégagea enfin en murmurant un « désolé quand même ! » que le dresseur de dragons aurait probablement trouvé abusivement adorable s’il ne se sentait pas aussi intimidé par la situation.

En à peine une minute, le silence devint un peu trop embarrassant : Peter ne se fit pas prier, déjà à court de toute sa force de contenance possiblement exploitable.

- Un peu plus et vous tombiez vraiment comme les flocons !

Il réalisa aussitôt que son sens de l’humour avait toujours autant peu de succès.

- ... C’était pas terrible, hein ?
- Hum... pire que mon truc de maître du perron !

Elle n’affichait pourtant pas un quelconque désarroi supplémentaire. En fait, c’est comme si elle s’amusait de savoir que ses idées paraissaient absurdes pour autrui. Peter se surprenait pourtant à rentrer brièvement dans son jeu : il avait inconsciemment posé tout son ennui quotidien dans les chutes enneigées. Et ce n’était pas le simple fait d’être aussi ensorcelé par les rires de la jeune femme. Le temps n’avait simplement plus d’emprise sur lui.

La cloche d’une chapelle sonnant lourdement au loin vint pourtant tout rappeler à l’ordre.

Elle s’agita brusquement, sortant son téléphone de sa poche de veste en affichant un air soucieux.

- Mince… Il va falloir que j’y aille !

Elle se tourna un peu plus vers le campus endormi par l’hiver nocturne et descendit frénétiquement les escaliers de pierre. Une fois en bas, elle se retourna, sa silhouette tout juste apercevable dans les néons somnolents des lampadaires, tandis que le rideau brisé de la neige gigota dans les lampées de lumière.

- Dîtes ?

Il sentit son souffle se couper en deux. Elle sembla elle-même chercher le sien.

- Ça vous irait si on faisait des blagues nulles, chaque semaine ? Enfin, on peut parler de plein d’autres choses aussi ! C’est comme vous voulez ?
- Le maître du perron m’invite à attendre avec lui ? Bien, c’est une collaboration qui me convient !

La jeune fille ne se fit visiblement pas prier pour afficher sa joie en qualité d’ombre éclaircie par d’étranges sentiments. Elle le salua d’une voix énergique, faisant claquer le nom du leader du conseil 4 dans l’immensité nocturne avant de se perdre dans le vide.

Puis, elle s’éloigna.

Il était à nouveau seul. Enfin, presque : il pouvait encore apercevoir son existence brièvement esquissée dans la brume piquetée de cristaux.

Peter entendit alors les portes aux vitres colorées s’ouvrir derrière lui.

Dracolosse avait visiblement eu besoin de tout ce temps pour rassembler son courage afin d’affronter le blizzard. Il venait aussi de repérer cette existence brève de celle qui hantait son dresseur depuis deux mois, grognant avec agacement.

Peter ne put s’empêcher de rire en se tournant vers son Pokémon.

- On la reverra, mon bon Dracolosse !


***


Ils revenaient étonnamment plus facilement de l’autre côté du bâtiment, atteignant enfin le parking habituel où une imposante voiture attendait, phares allumés.

Le chauffeur patientait dans des tremblements nerveux, parapluie en main. Il n'avait pas manqué de légèrement tempêter contre Peter avec des « vous faites exprès, j’en suis certain ! ». Un Piafabec posé sur son épaule tentait de gober les flocons qui passaient à proximité de son bec tordu tandis que son plumage rougeoyant s’était reconverti dans une blancheur fébrile.

D’un geste amusé, Peter rappela Dracolosse dans son Hyperball en promettant une énième fois qu’il arrêterait ses caprices de leader. De toute façon, Il avait probablement remporté la palme du retard le plus scandaleux dans son palmarès de prix absurdes qui agaçait tout le monde.

Il la distingua encore dans sa tête, bercée paresseusement par le moteur ronronnant de la voiture sur la route blanche de poudreuse entre les forêts artificielles du campus tandis que son chauffeur lui déblatéra la suite de la soirée.

Mais son esprit était toujours sur le perron, happant de justesse cette crainte timide qui continuait de lui chatouiller la poitrine. Mais surtout, il repensait à cette drôle de sensation dans la poitrine : d’abord volatile puis légèrement vague, il tentait dans un souffle silencieux de la redessiner dans ses battements saccadés. C’était à la fois massif et léger, un oxymore hurlant dans ses veines, et que le présent n’expliquait pas tout de suite.

Alors, Il se contenta de passer le reste du voyage à y réfléchir, les bras croisés, murmurant par tour de paroles lancé à lui-même, dans l’espoir qu’il ne l’oublie pas comme on oublie un téléphone dans un auditoire.

« … Leava ? »



***