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Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 14/09/2023 à 22:30
» Dernière mise à jour le 19/11/2023 à 23:42

» Mots-clés :   Drame   Fantastique   Présence de personnages du manga   Romance   Suspense

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Tu n'as pas vu toute cette lumière ?
Une forte lumière de journée bien avancée m'aveugla.

Après quelques minutes à immerger, je compris que j’étais allongée dans un lit, emmitouflée dans les couvertures et noyée dans un coussin très moelleux.

Je me redressai en grommelant, ankylosée. Puis, je regardai la chambre qui accueillait mon corps meurtri.

Elle était plutôt cosy, avec des peluches de Pokémon un peu partout, une petite commode de bois peinte, des tableaux représentant les paysages idylliques des terres sauvages galariennes, quelques plantes exotiques, une armoire en bois sombre et incrustée des petits reliefs sculptés représentant des petits Brocélômes, un parquet reluisant ainsi qu'un large tapis aux couleurs de la campagne.

Je reconnus sans peine le style de madame Dandelion.

Encore ensommeillée, je continuais mon exploration oculaire en grimaçant, gênée par la luminosité qui m’agressait la rétine : la crédence à côté de mon lit était jonchée de magasines Pokémon, de quelques boites de médicaments dont j’ignorais les détails et d’une lampe au style victorien qui jurait avec celui, assez rustique, de la pièce.

Je m'assis au bord du matelas en craignant de me briser comme du verre, tellement mon corps semblait n’avoir plus fait de mouvement depuis des lustres. Au pied de mon lit se trouvait une bouteille d’eau que j’attrapai machinalement, prenant conscience que ma gorge était aussi sèche qu’un désert. J’engloutis plusieurs gorgées en digne Chamallot assoiffé, avant de laisser le vide épouser mes yeux : ma tête peina à faire revenir toutes les images possiblement exploitables qui me donnerait un indice quant à ma présence dans cette chambre.

Soudain, mon regard tomba sur un poster accroché au mur devant moi.

C’était une photo de Roy, prenant la pose dans un stade lumineux aux couleurs de sa tenue de sport. Son Duraludon se dressait fièrement à ses côtés, cristal de roche reluisant sous les projecteurs qui dévoilaient toute sa majesté.

Quelque chose traversa ma mémoire sans daigner ralentir.

« Est-ce que j’ai… ? »

Mais comme mon esprit était encore trop embrumé par le sommeil pour laisser le loisir à d’autres émotions activer mes sens, je me levai enfin du lit et attrapai un veston quelconque sur le côté afin de m’habiller un peu : je portais encore les vêtements de la veille qui sentaient le bois déchiré, au contraire de mon pansement à l’épaule qui semblait plus neuf qu'avant.


***


J’avais maintenant la confirmation que j’étais dans la maison de Nabil : une odeur douce et familière de ragout embaumait l’air chaud du hall et des sons de vaisselle s’élevaient de la cuisine où je reconnaissais aussi les jappements de Voltia.

En m’armant de délicatesse, je descendis lentement les escaliers. Puis, J’entrai dans la cuisine sans me manifester, ayant le loisir d’observer mon ami d'enfance aux fourneaux avec cette ferveur bien à lui tout en s’adressant à mon Pokémon.

- Non, Voltia ! Je te l’ai déjà dit cent fois ! On ne mettra pas de gingembre dans la sauce ou ta maitresse va vraiment le sentir passer ! Une baie Kika, ce sera très bien, ça remet les idées en place !! Bah, me regarde pas comme ça, les humains aussi mangent des baies !

Cette dernière était sur la table, ronchonnant devant les multiples pots d’épices et de fruits concassées qui jonchaient la table. Moumouflon était là aussi, en digne spectateur, bêlant envers son maître.

- Si on ajoute une petite baie Mépo, elle va aimer tu crois ? Ça donne des protéines ! Continua Nabil dans la plus grande solitude.
- Oui, pourquoi pas ! Répondis-je en étouffant un petit rire.
- Super ! J’en ai justement un pot tout frais qui…

Son regard surpris croisa la lueur ludique du mien avant de crépiter de joie.

- Leava !! Comme je suis content de te voir !


***

On aurait pu aisément comparer mon appétit à celui d’un Ronflex.

Nous étions installés au salon avec du thé glacé. Nabil m’avait également donné des vitamines à boire sous ordonnance du médecin mais je devais avouer que son repas avait déjà bien remis ma mémoire sur les rails : je me souvenais enfin que j’avais perdue connaissance à la salle de repos du laboratoire.

- On a tout de suite appelé le docteur après t’avoir ramené à la maison : Il nous a encore dit que tu dormais profondément, comme lors de la fête du village. C’était impossible de te réveiller !
- En fait… c’est comme s’il faisait nuit dans ma tête et tout à coup, je tombe dans le vide… C’est incontrôlable… Tentai-je de détailler.

Ma chère guerrière électrique venait de me rejoindre sur le divan et cherchait quelques câlins contre moi. Je la caressai affectueusement.

- Voltia a été super ! Si tu avais vu comment elle a fêté la guérison de Libégon ! Sourit alors Nabil.

Un souvenir agressa alors mon esprit.

- Alors… Il va bien ?

Mon ami d’enfance sembla perplexe.

- Tu te souviens de quoi, exactement ?

Je fouillai ma mémoire ensommeillée.

- Je lui parlais… Il s’est levé devant moi…
- Tu n’as pas vu toute cette lumière ?

Je dévisageai mon voisin.
.
Il sortit son Motismart, sembla chercher quelque chose, puis me le tendit.

C’était une vidéo de la salle de repos : je m’y distinguais en train de caresser Libégon allongé sur la couchette de fortune. L’instant aurait pu paraître très ordinaire dans d’autres circonstances.

Enfin, s’il n’y avait pas tout cet océan de luminosité pétillante comme de la poudreuse de neige naissante, envahissant si bien l’espace que Libégon et moi se faisions parfois engloutir dans son voile grésillant. Les scintillements les plus aveuglants entouraient tout le corps du Pokémon draconien tandis que leur source émanait très nettement de ma position. Puis, l'on voyait Libégon se redresser puissamment, faisant vrombir ses ailes et secouant sa tête avec une vitalité impressionnante.

Puis, la vidéo s’arrêta.

Je n’avais aucune idée par où commencer.

Nabil pencha alors la tête en se grattant le dos.

- En fait, c’était…

Il fit une courte pause.

- Ça ne passait pas inaperçu, tu sais…

Une autre étincelle brûla mes tempes.

- Roy est entré dans la salle !?

Mon voisin se redressa un peu en prenant garde de ne pas lâcher sa tasse.

- J’ai réussi à le retenir assez longtemps mais… dès qu’il a remarqué cette lumière blanche sous la porte, il a grave paniqué ! On a tous été complètement aveuglés, c’était hallucinant ! Puis, on a vu Libégon se lever et là, Roy t’a aperçu… T’étais complètement dans les vapes.

J’étais envahie d’effroi pendant quelques secondes.

- Et... qu’est-ce qu’il a dit ?
- Rien, c’était tellement… Woah !

Il avait déployé ses bras, la bouche grande ouverte et les yeux encore pus brillants.

Je restais immobile, désorientée.

- Mais j'ai bien vu ces scintillements sur mes mains quand ça a soigné Voltia ! Pourquoi je ne me suis pas rendue compte, cette fois ?!
- Tu m’as bien dit que tu oubliais que tu pouvais guérir les Pokémons, non ? C’est pour ça que j’ai demandé à mon Motismart de filmer ! Je crois que j’ai bien fait !

Je lui avais redonné son téléphone volant à la coque bleutée : au passage, celui-ci semblait somnoler un peu.

- Guérir les Pokémons… c’est…
- Tellement dingue ! Ce pouvoir, comment tu l’as eu ? Je veux dire, comment ça se fait ? Talonna brutalement Nabil.

Je le fixais profondément : j’ignorais quelle réponse serait assez satisfaisante pour assouvir sa curiosité.

- Ben, c’est normal…
- Normal ?
- Totalement banal !

Nous nous regardâmes.

C’était pour finalement éclater de rire : cet instant complice apaisa au moins toute l’incompréhension nerveuse que nous pouvions ressentir, et avec ça, la tension de cette affreuse nuit qui semblait enfin se trouver loin derrière nous. Après avoir posé ma tasse sur la table basse, je me redressai du divan pour m’étirer un peu.

- Bon… Et si j’allais voir Libégon et Roy !? J’ai beaucoup d’excuses à leur faire, tu crois pas ?

Nabil sembla curieusement agité.

- Euh… oui mais…
- Tu sais où ils se trouvent ? Ha, mais ils sont peut-être allés s’entrainer avec Tarak ?

Je m’apprêtai à faire quelques pas quand mon voisin se redressa à son tour, néanmoins plus précipitamment.

- En fait, ils ont quitté Paddoxton !
- Quoi ? Pour aller où ?
- A Motorby ! Ils sont en train de préparer la cérémonie d’ouverture du Défi des Arènes !

Je me figeai : mon esprit avait complètement évincé cet événement depuis la nuit dernière.

- Mais ils n’avaient pas dit qu’ils restaient jusqu’à la fin de la semaine ?

Nabil sembla soudainement baigner dans la gêne la plus profonde possible.

- Nous sommes la fin de semaine… Tu as dormi trois jours, Leava !


***


J’étais encore secouée par la nouvelle.

Nous étions sur le sentier principal pour monter vers chez moi : Nabil marcha d’un pas ferme à mes côtés tandis que Voltia et Moumouflon trottinèrent devant nous en batifolant dans la brise.

- Tu veux vraiment te rendre à Motorby, demain ? Tu viens juste de te réveiller de ton coma… Commença-t-il, légèrement essoufflé.

- Je dois parler rapidement à Roy de ce qui s’est passé, Nabil ! J’te jure, pourquoi j’suis restée endormie trois jours !?

- Comme je t’ai dit, il n’a pas pipé mot. Puis, Tarak a débarqué et a vu Libégon en pleine forme et toi, inconsciente. J’ai dû bidouiller une explication complètement jetée, genre tu as trouvé un antidote méga puissant dans un tiroir puis tu as fait un malaise à cause du manque de sommeil ! Heureusement que Roy acquiesçait un peu !


Nous nous arrêtâmes à quelques pas de la maison.

- Et comment ton frère a réagi ?

- Il avait l’air de me croire… C’est lui qui nous a demandé de te ramener chez nous pendant qu’il appelait le docteur, informa Nabil en se tenant le poitrail.
- Et ensuite ?

- Ben, je n’sais pas trop car je suis allé faire une sieste ! J’étais vraiment claqué… Et quand je me suis réveillé, Tarak m’annonçait qu’ils devaient repartir plus tôt pour Motorby, en même temps que ma mère et mes grands-parents qui m'ont dit qu'ils maintenaient finalement leur weekend à Ludester après la guérison de Libégon. Il m’a pas trop expliqué pourquoi mais il m’a demandé de veiller sur toi et de l’appeler s’il y avait un souci !

Je soupirai légèrement, croisant les bras.

- Mouaip… Il fait le bon ami inquiet mais Il est quand même suspicieux… Il n’arrête pas de me regarder comme si je préparais un mauvais coup !
- Hey, mon frangin n’oserait pas penser ça, je te rassure ! De toute façon, il est peut-être déjà au courant de ce que tu as fait au laboratoire si Roy lui a parlé ! Tu as sauvé le Pokémon de son meilleur ami, c’est quand même pas rien ! S’exclama vivement Nabil.

J’avais froncé les sourcils, soucieuse : tout était encore très embrouillé dans ma tête.

- Oui… Enfin, j’imagine que je devrai aussi parler au Maître de Galar de toute façon.



***


L’odeur familière de la maison avait à cœur d’adoucir mon esprit.

Je montais à l’étage tout en soulignant à Nabil de faire comme chez lui. Son Moumouflon, qui était aussi entrée dans la maison, n’avait visiblement pas perdu de temps de son côté : il était allé se coucher sur le tapis du salon en poussant quelques bêlements blasés.

Après une douche chaude qui me fit l’effet d’une bouffée d’air, je changeai lentement mes vêtements tâchés. Et puis dans mes mouvements, je touchai mon pansement que j'avais pris soin de ne pas tremper. Je le regardai alors, interpellée, avant de jeter mon regard dans le miroir. Alors que la douleur des écorchures qui zébraient ma peau était encore si vive l'autre jour, je ne sentis plus rien.

Je le retirai lentement.

Mais je ne vis plus la moindre trace de la blessure.

Perplexe, je pris quelques minutes à observer mon épaule dans le miroir, passant lentement ma main sur ma peau.

« Il n’y a même pas une cicatrice... ? »

Alors, j'observai mes mains, les frottant, les massant et sentant encore le souvenir des picotements remonter discrètement le long de mes doigts.

« Je me demande si… »

Songeuse, Je fixais mon reflet : malgré tous les événements de cette semaine, je n'en portais pas tant les marques sur le visage. Ni trauma, ni fatigue. Mais cette drôle de force qui galopait dans mes ventricules depuis mon réveil n'était pas encline à se présenter. En fait, je n'essayais pas vraiment de la rencontrer. Je notais seulement qu'elle était là. Pour le moment.

Je sortais de la salle de bain, pensive. Quand soudain, je m’arrêtai net dans le couloir. Voltia était devant la chambre de mes parents, assise et concentrée étrangement sur la porte en bois. Elle fronçait actuellement le museau, le ronronnement perplexe.

J'oubliai alors brièvement mes interrogations, le soupir agacé.

- Qu’est-ce que tu as ? C’est rien qu’une vieille porte… Allez, éloigne-toi.

Mais l’éclat imbriqué dans ses grands yeux sombres avait déjà ordonné qu’elle n’allait pas m’obéir.

Elle pointa alors les oreilles en avant et huma longuement l’air et poussant d’autres grognements interpellés. Et puis soudain, elle mit à aboyer, comme excitée. Ses iris d’ébène fixèrent alors plus intensément la porte. Elle piétina aussi la moquette, la grattant en secouant sa fourrure électrisée en continuant de froncer son museau avec cet air alarmé.

J’ignorais bien depuis combien de temps elle avait dévisagé le grand battant de bois, et à dire vrai je m’en fichais.

- Je sais très bien ce que tu veux mais tu ne rentreras pas dans…

Et elle bondit sur la porte de la chambre, coïncidant vainement avec mon cri de surprise ! Cette dernière s’ouvrit dans un grincement strident et je me forçai malgré moi à la rattraper, tandis que des « tout va bien là-haut ? » provinrent aussitôt de Nabil au rez-de-chaussée.

- VOLTIA ! SI JAMAIS JE TE… !?

Les faisceaux solaires fragmentés me donnèrent l’impression de traverser un voile de fumée. Et puis, mes yeux s’habituèrent à la pénombre feutrée.

Rien n’avait bougé.

Le lit proprement fait semblait s’être figé dans le temps.

Les bibliothèques étaient éternellement remplies de bibelots et de vieux romans.

Les tables de nuit étaient ornées de ces mêmes vieilles lampes électriques.

Le sol était toujours tapissé d’une moquette violacée poussiéreuse.

Et ces mêmes rideaux blancs étaient toujours noircis par les jeux intempestifs entre l’ombre et la lumière.

Des effluves d’antan baignèrent l’atmosphère calfeutrée. Alors, les quelques pas que j’avais faits suffirent à me plonger sur un long sentier temporel, où personne ne m’avait appris à marcher avec deux chevilles foulées. Mais je quittai déjà la piste balisée par des zébrures ensoleillées pour tourner les yeux sur ma gauche. Un mouvement me ramena dans le présent de mes vingt-quatre printemps gelés : et j’apparus dans le miroir de la coiffeuse.

J'avais peut-être surpris la glace elle-même, à lui rappeler hasardeusement comment refléter un être vivant après toutes ces années. Mais ce petit meuble victorien de couleur neige avec tous ces tiroirs que j’adorais ouvrir à l’époque, semblait maintenant aussi verrouillé que le lointain passé de cette chambre. Une petite statuette de porcelaine représentant un Feunard d’Alola était posée dessus, parmi quelques vieux ustensiles de beauté : elle luisait timidement dans les fragments des rayons solaires.

Je l’attrapai délicatement : petite, c’était un peu l’attraction principale de cette chambre pour moi. Je m’amusais à la prendre discrètement pour l’associer à mes Pokémons dragon en bois blanc avec lesquels je jouais dans le large couloir, au grand malheur de ma mère qui craignait que je le casse. C’était mon passe-temps favori durant les jours de pluie, à m’imaginer le monde des Pokémons au-delà des murs de cette maison. A cet âge, on se surprenait à voir le possible et l’imaginable partout, sans frontière ni limite.

La statuette était très légère. Mes souvenirs d’enfant me ramenaient à un poids plus important. Je la secouai un peu. C’était pour sentir un objet relativement gros se balader à l’intérieur. En regardant le ventre de la statue, je remarquais un bouchon incurvé qui fermait l’accès de l’intérieur de l’objet. Je fouillai ma mémoire à la recherche de souvenirs évoquant ces détails mais rien ne se manifesta. Sur la coiffeuse, je notais enfin la présence de tous ces bouts de tissus divers et défraichis éparpillés.

- Leava ?

Nabil était sur le seuil de la porte.

Je laissai brièvement mon regard se perdre sur le Feunard en porcelaine que je reposai sur le meuble. Il entra alors prudemment, comme si le moindre mouvement brusque pouvait faire trembler les murs.

- … Je devrais aérer un peu.

L’ouverture des stores laissa s’échapper une onde de lumière pure : elle sembla faire froncer le papier peint.

En ouvrant la fenêtre, j’entendis Voltia fouiner. Elle humait la moquette et l’air poussiéreux avec une détermination que je ne comprenais pas. Enfin, je mis simplement ça sur l’enthousiasme de la découverte : elle était d’un naturel curieux

- Tu peux arrêter tes bêtises ? Je t’avais dit que cette pièce était interdite !

Elle lâcha plusieurs jappements intempestifs vers moi, secouant furieusement la tête. Son regard brilla d’une forte conviction.

- Elle a senti quelque chose, non ? Me fit remarquer alors Nabil en croisant les bras.

Si les Pokémons étaient habituellement bien plus sensibles que nous à des phénomènes invisibles, Voltia avait particulièrement les sens très aiguisés. Je le savais bien : c’était déjà arrivé plusieurs fois qu’elle me détecte des choses qui ne semblaient même pas appartenir à la réalité.

Je soupirai profondément puis m’agenouillai vers elle.

- Très bien… Qu’est-ce que tu as trouvé ?

Elle me dévisagea puis soudain, leva frénétiquement la tête vers le plafond, les oreilles agitées dans tous les sens.

- Voooltali !

Sans crier gare, elle bondit sur le lit dont les draps se firent écraser dans un léger nuage de poussière. Elle aboya alors bruyamment en fixant un point précis au-dessus d’elle.

Je suivis son regard, perplexe.

Au plafond se trouvait un grand drapeau tenu fébrilement par des crochets métalliques. Il représentait dans une mosaïque rustique, les dieux Pokémon du temps et de l’espace, Palkia et Dialga. Le drap décoratif frissonna légèrement sous les quelques sifflements de la brise campagnarde. Petite, j’adorais le fixer en m’imaginant des histoires incroyables et intemporelles lorsque je dormais avec maman. Il avait néanmoins mal vieilli : je ne reconnaissais pas la vivacité de ses couleurs d’autrefois.

- Volt ! VOLT !
- Hey, doucement !?

En réponse, Voltia rebondit de plus en plus violemment sur le lit, s’appliquant visiblement autant à exploser le matelas qu’à atteindre la grande pièce en tissu. Au moment même où j’allais lui sommer d’arrêter pour ne pas casser le sommier, un solide coup de dents happa brutalement le drapeau !

- ATTEN… !

Un crochet, ou peut-être deux, ou peut-être les quatre à la fois, valsèrent dans la chambre ! Elle tomba alors à la renverse, l’immense couverture la couvrant de part en part sur la couette chiffonnée.

Le souffle court, j’enlevai hâtivement le drapeau de mon Pokémon : son museau et ses grands yeux d’ébènes émergèrent tout en jappant vers moi, visiblement très satisfaite du résultat. Alors que je l’inspectais pour m’assurer qu’elle n’était pas blessée, je sentis Nabil s’avancer à son tour vers le matelas.

- Il y a un grenier dans votre maison ?

Il avait les yeux levés vers la forme distincte d’une trappe incurvée dans le plafond : elle était révélée dans la lumière rasante, comme une apparition perçant les masses brumeuses de la poussière.

- Mais... je ne savais pas ?

Voltia continua de s’exciter dans un million de jappements, comme si c’était d’une importance capitale qu’on aille fouiller là-haut : elle secouait fréquemment la tête vers la trappe mystérieuse.

Après quelques secondes à me demander si ma vue n’était pas mauvaise, je montai sur le matelas pour m’approcher un peu plus de l’étrange ouverture. Avec une brève investigation, je remarquai de timides installations électroniques sur l’avant, avec deux ampoules émettant une très légère luminosité rougeâtre.

- On dirait que c'est commandé par quelque chose, analysai-je à haute voix tandis que Voltia se frottait à mes jambes.

Nabil n’avait visiblement pas attendu la suite de ma phrase : il s’était mis à chercher dans la chambre, soulevant des bibelots, sortant des livres de la bibliothèque et regardant sous les quelques tapis présents. Mon Pokémon l’avait rejoint, explorant elle aussi la grande chambre poussiéreuse mais sans grand succès. Soudain, alors que je le regardais faire, mes yeux tombèrent à nouveau sur la statue en porcelaine posée sur la coiffeuse, et toujours bien entourée de ces curieux bouts de tissus.

Une pensée me traversa.

- Nabil ! Regarde le Feunard !

Il souleva la petite statuette : le cliquetis étrange que j’avais entendu y retentit encore. Nabil dévissa alors le petit clapet sous le bibelot en porcelaine, avant de le secouer légèrement. Il en réceptionna un petit objet métallique.

- Leava ! C’est une télécommande ! C’est peut-être ça qui ouvre la trappe ?
- Essaye ?

Il reposa la statue avant de tendre Le petit appareil vers le plafond. Une très légère sonnette tinta, et les deux ampoules passèrent du rouge à un vert saturé. Un son électronique très fin chatouilla ensuite la chambre. Et la trappe s’ouvrit lentement à l’horizontale, avalant un bout du plafond.

Je constatais alors que la plaque métallique était fine et son mouvement pour le moins parfaitement fluide, témoignant d’une installation très sophistiquée dans une maison de campagne.

Nous étions figés en chœur, moi debout sur le lit, Nabil devant moi, toujours le bras tendu. Je le regardais, incapable d’émettre le moindre mot.

Puis soudain, ce claquement très saccadé surgit du fond de la trappe : je m’étais contentée de tourner vivement la tête.

- Qu’est-ce que c’est… ?
- ATTENTION !

Mais je perdis l’équilibre !

Et en un instant, Nabil et moi étions écroulés sur la moquette.

Il avait peut-être essayé de me rattraper en criant dans la foulée, je n’en savais rien : je venais déjà de me redresser péniblement, un peu ankylosée. Cela dit, nous restions figés de stupeur.

- Ça va, rien de cassé ? demanda Nabil en se redressant à son tour, le ton souffreteux.
- Tout est entier…
- Volt !

Nous tournâmes les yeux en chœur vers la trappe.

Elle avait vomi une échelle aux fines marches d’acier. L’échafaudage frôlait délicatement le bord du lit. Il avait percuté le tapis dans ce bruit lourd et assourdissant qui m’avait explosé les tympans durant ma chute.

Voltia était sur le matelas : elle avait posé une patte sur le premier échelon, jappant avec assistance vers nous. Elle multiplia ensuite ses allers-retours oculaires entre nous et notre découverte insolite. Nabil, qui s’était relevé avant moi, s’avança vers l’échelle métallique, levant la tête vers la trappe noire comme de l’encre. Puis il me regarda, les traits de son visage marqués de questions.

Et moi, je sentis un frisson monter le long de ma colonne vertébrale en sentant cet air froid descendre depuis le plafond.


***





- Voltia ! Lance Flash !

En un instant, sa fourrure émit de larges ondes lumineuses et crépitantes, noyant en quelques secondes la lourde et poussiéreuse obscurité.

Ce qui se dévoila me fit l’effet d’un vertige.

Ce grenier dans la maison de mon enfance, étonnamment spacieux, cachait l’existence d’un bureau jonché de journaux, de documents déchirés et de papiers griffonnés.

Un large tableau se trouvait sur la gauche, piqueté de punaises, de fils rouges et d’une dizaine de photos prises en couleurs. Je reconnaissais rapidement le port de Carmin-Sur-Mer à Kanto sur certains clichés mais le reste me semblait totalement inconnu, même si j’avais regardé un peu vite la mosaïque de photos.

Certaines images et documents pendouillaient sur le large canevas de métal. Une grande lampe noire, du même style que celles que l’on voyait dans les scènes d’interrogations de suspects des films policiers d’Unys, trônait sur le bureau en bois vieilli. Quelques boites en carton jonchaient çà et là le sol boisé. Une vieille chaise sur roulettes, qui gisait à quelques mètres du pupitre en bois, semblait à deux doigts de s’effondrer. On remarquait au plafond, une installation électrique maladroite qui devait jadis générer une activité lumineuse acceptable.

J’étais estomaquée.

Nabil s’avança dans la pièce : je le vis soigneusement éviter de piétiner les journaux et les documents qui trainaient un peu partout. Puis, il observa à son tour, le tableau couvert de fils rouge.

- C’est une dinguerie, cet endroit… on dirait le bureau d’un détective.
- Ouaip… Mais mon père, il est agent immobilier.

Voltia fouinait dans le capharnaüm de la pièce, jappant çà et là comme si elle cherchait activement quelque chose de bien précis. Je la regardais faire, perplexe, avant de rejoindre mon ami d’enfance vers le tableau.

Nous le scrutâmes alors avec minutie.

- Quelle sorte d’enquête était menée ici, à ton avis ? Demanda-t-il.
- J’sais pas… Mais c’est sûrement plus sérieux que les vols de baies par des Rongourmands au marché de Brasswick.

J’entendais encore cette maraichère se plaindre des incessantes visites des petits Pokémons rongeurs sur son stand l’autre jour, lorsque nous faisions nos quelques courses dans l’ordinaire village galarien. Et moi, après un combat pokémon tombé du ciel, des rêves prémonitoires, une balade très peu sécurisée dans une forêt, un cadavre d’avion, un animatronique défectueux et enfin ce pouvoir guérisseur dont je voyais la lumière une fois sur deux, je me trouvais dans le grenier de ma propre maison où mon père avait jugé bon de mener des investigations suspectes sans nous en parler à ma mère et moi pendant quatorze ans.

Ça faisait beaucoup en une semaine.

- Qu’est-ce que…

Mon regard venait de tomber sur un article de journal assez mal accroché au tableau, près d’un fil rouge emmêlé. Je l’arrachai plus ou moins délicatement du tableau, le coeur battant.

- C’est pas vrai !?
- Ça parle de quoi ?

** Drame aux laboratoires de la Monochrome Corporation à Alola

Alors que la célèbre société internationale de recherche bionique Pokémon annonçait de nouvelles publications sur le phénomène du « Secret » qui passionne les communautés scientifiques du moment, les laboratoires localisés sur l’île de Pony ont été victimes d’un attentat à la bombe, détruisant les secteurs 7 et 8. Cet accident survient quelques semaines après les explosions criminelles qui ont eu lieu durant les finales du Tour des Iles, faisant de nombreux blessés. La police internationale ainsi que l'institution G-Men ont été appelés en renfort dans la région insulaire afin de retrouver rapidement les auteurs de ces drames inhumains. Les enquêteurs n’ont pour l’heure pas précisé si les deux attentats étaient liés. Les laboratoires de la Monochrome Corporation ont été mis en arrêt tandis que La Ligue d’Alola a été fermée pour une durée indéterminée**

- Monochrome Corporation Immatriculation 859, Alola Area !
- Quoi ?!
- C’est ce que j’ai lu sur l’épave dans la forêt !

Je tapotai nerveusement la photo qui servait d’illustration : l’on pouvait y voir d’imposants bâtiments gris formant un grand complexe tandis que l’avant-plan était occupé par un avion de marchandise bien trop reconnaissable. Je tremblais tellement que Nabil finit par me prendre prudemment l’article des mains, le lisant à son tour.

- Mais Alola est à des centaines de milliers de kilomètres d’ici… Et puis pourquoi un avion de la Monomachin viendrait se planter à Sleepwood si leurs labos se trouvent là-bas ? Tu as du mal lire !
- Bien sûr ! Puis l’œuf et le Kabutops-machine, c’était dans ma tête !

Mon ami d’enfance se tint le front, un peu gêné.

- Bon d’accord... Mais reconnait que ça n’a aucun sens ! En plus, l’accident a eu lieu il y a un mois seulement, regarde la date ! Et sérieux, que viendrait faire une société de recherche bionique à Paddoxton ?
- Je n’sais pas, évidemment !

Je baissais le regard dans un rictus de douleur : j’avais senti mon estomac se tordre.

Résistant à mes quelques nausées, je fouillai à nouveau le tableau : un rapport poussiéreux également punaisé sur le vide désordonné du canevas attira encore mon attention. En chassant la couche de saleté embrumant la feuille, je lus à voix haute tout ce qui m’interpella.

**Recherches mises à jour sur le « Secret » : il est désormais confirmé que la synergie naturelle entre deux proto-consciences provient d’un phénomène de réadaptation engendré par un Corps-Source qui les connectent. Les récentes découvertes ont mis en lumière l’existence capitale de ce Corps-Source pour fonder la synergie, et qu'il a été décidé de nommer Troisième Conscience. L’incapacité de reproduction de cette Troisième Conscience en laboratoire est principalement due aux limites des moyens actuelles pour imiter artificiellement ses propriétés**

- C’est quoi ce charabia ? S’étrangla Nabil.
- Rapport de l’université de Winscor, à ne pas publier.

J’étais persuadée d’entendre le cœur de mon voisin se rompre.

- Le Secret ? L’article en parlait aussi… C’est quoi, à ton avis ? Et qu’est-ce qu’ils entendent par « Troisième Conscience » ?
- Si j’en avais la moindre idée...

Nabil avait continué de fouiller les journaux éparpillés autour de nous. Il dénichait alors d’autres articles dont il lisait vaguement le sujet, vantant toujours les recherches scientifiques sur plusieurs années de cette société dont la raison d’être m’échappait complètement. Certains papiers étaient couverts de ratures rouges, de ronds entourant des mots et de prises de notes illisibles. Il y avait également de nombreuses photos : l’on pouvait reconnaître des lieux mythiques comme les deux tours cendrées de Johto, le Mont Mémoria d’Hoenn ou encore les gorges de Pony à Alola. Certains clichés représentaient des personnes et des Pokémons dont l’identité nous était simplement inconnue.

Soudain, Nabil tira une image d’un dossier très abimé puis se redressa vers moi.

- Leava ! Ca serait pas… ?

Il avait raison : l’on y voyait mon père, un homme d’âge mur, le cheveu noir, la barbe légèrement mal rasée et habillé d’un complet cravate gris foncé. Il était accompagné d’un Alakazam et d’un Lézargus et posaient tous devant de grandes baies vitrées enfermant des jardins intérieurs aux feuillages très denses.

- Ce sont ses Pokémons, tu crois ? S’interrogea-t-il.
- Il… Il n’en parlait jamais !

Nous nous regardâmes, soudainement happés par la même pensée : je voyais celle-ci trancher son regard irisé d’ambre, tandis qu’il avait encore balayé le galetas d’un air peu affirmé.

- C’est comme s’il était parti précipitamment… Tremblai-je.
- Je pense pareil…

Je secouais légèrement la tête, les lèvres pincées, avant de fouiller encore les nombreux documents enfermant des articles découpés. Mais l’évidence s’était probablement déjà rendue à nous depuis un moment.

- Cette Monochrome Corporation… elle est au centre de tout ce qu’il y a ici, Nabil.
- Si j’ai bien compris, elle entreprend des recherches sur les énergies Pokémon ? Elle étudie vraisemblablement leurs pouvoirs ? Remarqua ce dernier en croisant les bras.
- Alors, ce serait pour ça qu’ils ont fabriqué ce Kabutops-animatronique ? Faire de la reproduction en masse passerait encore pour un laboratoire même si c’est vraiment affreux… Mais aller jusqu’à créer des machines pareilles ?

Nabil peina à dissimuler un rictus inquiet.

- Tu m’as bien dit qu'il avait produit une attaque inconnue, non ?
- C’est ça... mais il avait aussi lancé Ultralaser, et superbement imitée d’ailleurs. Autre détail, cette machine était accompagnée d’une très forte odeur de métal cramé… Ça m’a vraiment retourné l’estomac sur le moment.

Il baissa la tête, songeur.

- Si la Monotruc a vraiment créé cet animatronique, alors ils ont très bien pu inventer cette « capacité » aussi ! Tu te souviens de l’état de Libégon.

Je secouai légèrement la tête, laissant une lueur cinglante trancher mes yeux : c’était simplement impossible à oublier.

- Ils imitent les pouvoirs des Pokémons… jusqu’à fabriquer des attaques destructrices à partir de leurs pseudo-recherches… Mais dans quel but ? Soufflai-je, angoissée.

Mon voisin hocha nerveusement la tête. Ses pensées se brouillaient probablement autant que les miennes. Je me laissai tomber dans le silence, déroutée. Ressentant mon estomac se retordre, je continuais mon tri des tas d’articles et documents pour me concentrer sur autre chose. Nabil me rejoignait à nouveau, ouvrant de vieux classeurs et sortant des paquets d’articles, tout en marmonnant des « Monomachin par-ci, Monobidule par-là… ». Cependant, la plupart des papiers de journaux n’évoquaient que peu d’indices qui pouvaient véritablement répondre à nos questions silencieuses : tous se contentaient d’encenser les avancées scientifiques du conglomérat énigmatique, comme si ce dernier était en passe de résoudre les questions cruciales qui englobaient les plus grandes problématiques de notre monde.

Soudain, Voltia tira nerveusement un bout de mon veston d’un coup de dents. Elle gesticula ensuite dans le capharnaüm, faisant tomber des tas de documents abimés puis gambada jusqu’au mur en bois, grattant un espace précis. Je me précipitai sur elle afin de tâtonner frénétiquement la paroi boisée.

Elle sonna creux.

Sans plus attendre, je fis glisser mes mains à la verticale pour finalement sentir le mur bouger.

La planche dissimula un petit espace étroit dans le bas-fond du toit : et je sortis de cette cavité obscure et poussiéreuse, une boite en carton assez grande et relativement lourde.

- Tu es parti un peu vite, papa !

Nabil m’aida à tirer la boite, passant difficilement dans le petit passage irrégulier de cette cachette. A l’intérieur, nous trouvâmes un document assez épais et une boite carrée en bois verni. Voltia jappa alors frénétiquement vers cette dernière. En l’ouvrant, nous vîmes une pierre noirâtre parcourue d’étranges lueurs violacées et brillant naturellement d’une curieuse manifestation scintillante, posée sur un écrin de velours.

- Woah ! C’est une étoile vœu ! S’exclama Nabil, les yeux brillants.
- Une quoi ?
- Une comète si tu préfères ! On les utilise pour fabriquer des poignets Dynamax ! Sonia en faisait plein l’autre jour ! C’est grâce à ça que les Pokémons deviennent des colosses à Galar !
- Ho… Voltia a du la sentir alors… J’ignorais que mon père en avait une !

Cette dernière s’amusait à la pousser avec son museau : le morceau de comète était fait d’une matière si délicatement façonnée qu’elle me faisait penser à une espèce d’obsidienne travaillée. Nabil venait alors d’ouvrir le document sorti de la boite en carton. Il en sortit méticuleusement la pile de photos et d’articles qu’il contenait.

Mais en l’éparpillant devant nous, je vis mon voisin pâlir à vue d’œil, la main devant la bouche.

- Leava... C’est quoi ce bordel ?! Pourquoi mon frangin et Roy sont dans ce dossier ?!

Il chiffonnait les rapports et les photos, les repassant en boucle devant lui : la quantité de clichés et de document concernant le Défi Des Arènes se montrait réellement impressionnante. Cela dit, nous étions bien plus interpellés par le fait que les photos montraient surtout Tarak et Roy, soit en plein combat, soit pris à leur insu dans des moments banals.

Un troisième champion de Galar était apparemment très présent.

- Attends ?! Il y a aussi Alistair, le champion de type spectre !?

Malgré l’âge que me précisait mon voisin, il ressemblait terriblement à un enfant de treize ans. D’autres documents nous faisaient ensuite un peu plus frissonner : à premier vue, il s’agissait de fiches techniques concernant toujours Roy, Tarak et Alistair, allant de leur date de naissance à leur parcours de vie, avec des précisions sur la relation qu’ils entreprenaient avec leurs Pokémons ainsi que les espèces qu’ils possédaient dans leur équipe. Le nom de la société qui était décidément au centre de tout ce mystère absurde était vectorisé sur chacune des fiches.

Une feuille attira alors mon attention.

[Envoyé à P. L.]

L’attentat supposé a été reporté. Il semblerait que la Monochrome organise actuellement une nouvelle rencontre diplomatique avec Macro- Cosmos dans quelques mois pour déplacer les recherches d’Alola sur la région de Galar. Le « Défi Des Arènes » est apparu plusieurs fois dans les conversations téléphoniques interceptées. Ils ont évoqué un accident potentiel à la prochaine édition qui concerne…

Le reste était illisible sous des tâches de brûlures.

Nabil et moi restâmes interdits : les documents dataient de l’année dernière.

- Il devait se passer quelque chose de grave à l’édition précédente mais ça n’a pas eu lieu … Analysai-je en plaçant en guillemets le dernier mot à l’aide de mes mains.
- Leava… ça veut dire aussi qu’ils ont prévu de provoquer ça cette année !

J’avais entendu la gorge de Nabil se nouer : le silence avala alors nos mots pendant quelques instants. Puis je me redressai lentement, tenant la boite en bois poli dans ma main. Voltia me suivit du regard, toujours très intéressée par le morceau de comète, tandis que celui de Nabil fixait encore les documents.

- J’ai peur… Mon frangin est dans cette affaire… Roy et Alistair aussi… On doit absolument les prévenir !
- Surtout pas ! Réagis-je violemment en m’agenouillant à nouveau vers lui.

Il me fixa, le visage démonté par l’effroi.

- Mais ils sont en danger ! Regarde à Alola, des gens ont été blessés !
- Réfléchis ! Si on arrive comme des Joliflors leur annoncer qu’il va peut-être y avoir un accident, ça va créer la panique ! On ne sait même pas quand ça peut arriver ! Et si on accuse cette Monochrome sans preuve tangible, c’est la ligue de Galar qui va avoir un gros procès sur le dos !

Nabil sembla se ressaisir légèrement.

- Ok… Mais ton père ? Il est aussi menacé, non ?

Je restais silencieuse un court instant.

- Papa a dû découvrir la vérité qui se cache là-dessous… Cette lettre a servi à me faire venir ici pour que je découvre ses recherches… en tout cas, ça pourrait expliquer pourquoi il est parti du jour au lendemain sans attendre mon retour à Paddoxton.
- Il ne t’a pas parlé de ce grenier dans la lettre ?
- Non… c’était sûrement risqué de me le révéler de cette manière.
- Ou alors, il n’a pas eu le temps…
- C’est pas très rassurant ce que tu dis.

Les yeux de mon voisin semblèrent alors légèrement s’illuminer.

- Mais s’il sait ce qui va se passer, il assistera forcément aux matchs où l’accident arrivera ! Son départ à l’étranger n’était qu’un prétexte peut-être ! Pour tromper la Monomachin !

Je me frottais le menton, soucieuse tout en me relevant.

- Ce qui serait vraiment bien, c’est de savoir pour qui il travaillait en tant qu’espion…
- Tu ne connaitrais pas le nom de son agence immobilière ?
- Si, elle s’appelle Ludester Flat mais…

Je m’arrêtais un moment, en plein réflexion.

- L’autre jour, je triais des dossiers au salon… Et je suis tombée sur des offres d’appartements à Ludester. Mon père a peut-être essayé de se rapprocher de sa couverture quand il a découvert des détails dérangeants ?
- Ou alors, c’est juste son matos pour vendre des appartements à ses clients ! Fit Nabil.
- Ouaip mais tu connais beaucoup d’agents immobiliers qui annotent des commentaires comme « trop voyant » ou « trop de fenêtres » sur des documents destinés à leur clientèle ?
- Ha ouaip, chelou !
- C’est donc une piste ! Si ça se trouve, il y a d’autres espions, là-bas, et sur la même affaire !

Le silence revint happer nos paroles pendant un court instant, balayant le grenier secret de notre regard alourdi par mille autres questions. Puis je me tournai vers mon voisin, toujours agenouillé vers la boite en carton.

- Nous sommes les seuls au courant de cet endroit si on omet Papa, tu es d’accord ?

Il hocha la tête.

- Et comme on ne sait pas qui d’autre enquête sur la Monochrome… On doit s’y mettre nous aussi… Et le meilleur moyen serait de se trouver au centre même du Défi Des Arènes !

Nabil se releva avec des « attends un peu !? » précipités sur moi. Je souris en haussant les épaules.

- Tu as compris ! Je vais devenir challenger ! Si je fais partie de l’événement en tant que dresseuse, on ne se méfiera pas de moi et on pourra mener plus facilement notre enquête !

Voltia aboya joyeusement : elle avait déjà tout réceptionné de la soudaine énergie flamboyante qui me talonna l’esprit.

- Woah, c’est La raison de participer la plus claquée que j’ai jamais entendue !

J’étouffai un rictus nerveux.

- Tu l’as dit… Tenter une Ligue Pokémon non pas pour détrôner le Maître mais pour la sauver d’un possible attentat dont on ne sait ni le jour, ni l’heure et encore moins la forme…
- Je serai avec toi ! Mon frangin, Roy et Alistair, peut-être même tous les champions de Galar sont concernés ! Et puis le public aussi ! On va empêcher la Monobidule de venir semer la zizanie dans notre belle région, crois-moi !

Sa voix fit tonner une conviction qui généra un drôle d’espoir. Je ne pus m’empêcher de sourire nerveusement.

- Tu es au courant que l’on met les pieds dans un sale truc ?
- Ouaip mais tu sais, les super-héros ont toujours besoin d’un assistant de qualité pour sauver le monde !

Nous éclatâmes de rire. C’était de bon augure : je ne savais pas très bien moi-même ce que je faisais. Mais cette force cachée avait encore remué dans mes veines, au moins aussi motivée que moi à me lancer dans cette enquête clair-obscur.

Après avoir repris notre souffle, Nabil eut l’air soudainement pensif.

- Il y a quand même un problème : tu n’as pas de lettre de recommandation pour t’inscrire.
- Si on trouve ton frère rapidement à Motorby, on le convaincra… Enfin, j’espère.
- Je ferai mon possible ! Tarak peut être super têtu mais Il t’avait laissé réfléchir, souviens-toi !
- Ouaip…

Je regardais l’étoile vœu luire d’une lumière venue de nulle part.

- Tiens bon, Papa… on arrive !


***

J’avais pourtant souhaité ardemment le retrouver derrière cette porte figée dans ma mémoire, comme si une simple journée s’était écoulée entre mon père et moi. Et sans doute aurais-je eu le droit de me lamenter devant cette maison vide, reflet ironique du fantôme que j'étais devenue dans ma quête d'un autre passé où je crus encore la réincarnation utopique il y a peu.

J’ignorais alors quelle volonté était à l’œuvre : je savais seulement qu’elle était similaire à celle qui m’avait poussée à devenir dresseuse.

Une sensation brûla dans mes ventricules : je l’entendis me parler.

Mais qui était-ce ? Seul un éclat plus sombre me révéla sa présence tapie dans les lueurs ombragées. Cependant, trop tôt pour y faire revendiquer ma voix, mon cœur restait cryogénisé dans l’hiver qu’il m’évoqua aussitôt.

Sa cape luisante peignée parmi les flocons tombés sur un perron de pierre.



***


Arc 1 - Brasswick - FIN