Pourquoi demande-t-on aux dragons de garder les trésors? de SupraEnergy

- 1… 2… Test !

Le micro venait de faire toussoter la voix de Nabil.

Moi j’observais, perplexe, ce matériel sorti d’un fond de garage et qui devait servir environ tous les six mois. Voltia remuait les oreilles en grognant vers l’installation, sensiblement dérangée par les grésillements. Mucuscule était à ses côtés, mais lui couinait plutôt devant les basses en remuant frénétiquement tout son corps baveux.

Nous étions sur la grande place publique de Brasswick.

Les longues tables des futures séances de dédicaces avaient été installées autour du poste d’amplification. On entendait de la musique d’ambiance dans les haut-parleurs accrochés aux stands alentours tandis que les décorations de la fête du village, sous forme de grands drapeaux triangulaires et de guirlandes en forme de Moumoutons, se faisaient chatouiller par la légère brise estivale. Quant au sol, il avait déjà été préparé pour délimiter le terrain de combat : on y avait dessiné dans une matière effaçable, les grands traits blancs habituels qui avaient littéralement transformé le lieu où se tenait habituellement le marché. Des grappes de gens commençaient d’ailleurs à s’agglutiner autour du terrain, leurs Pokémons avec eux.

Je réalisais enfin que ce combat était très attendu. Cela dit, nos champions d’arène monopolisaient actuellement toute l’attention : non loin de nous étaient attroupées toutes les groupies de Winscor, roucoulant vers Roy et Tarak. Et autour d'eux, l'on pouvait voir quelques employés municipaux qui tempéraient l’enthousiasme grandissante avec leur Caninos.

Je les regardais du coin de l’œil, effarée : moi, j’avais le cœur en pagaille, un trop-plein d’énergie frustré qui tambourinait actuellement mes veines. Nabil sembla alors le remarquer, puisqu’il lança un sujet de conversation en jetant un œil vers le troupeau des fanatiques en furie.

- C’est toujours comme ça ! Dur, la célébrité !

J’hochai la tête.

- J’imagine que ça n’est pas tous les jours que des champions de Galar se déplacent aussi loin des grandes villes ?
- Bah, Tarak habite mais là, on a aussi le champion de Kickenham ! Ils sont rivaux et meilleurs amis depuis qu'ils sont gamins ! Tu sais, Roy rêve de vaincre mon frangin en combat officiel mais il peut quand même se targuer d’être le dresseur qui a mis le plus de Pokémon K.O. dans son équipe !

J’écoutais tout en regardant les groupies s’exciter autour du champion draconien : il souriait toujours aussi niaisement en prenant tous ces selfies absurde avec ses fans.

- Roy et l’frangin sont de vraies coqueluches à Galar ! Leur bonne rivalité fait à elle seule, la réputation de toute notre ligue ! Elle est un modèle énormément relaté chez les dresseurs et pris pour référence dans le monde des combats Pokémon ! Donc, c’est vraiment pas rien de les avoir dans notre petit village !

Nabil me tendit alors un magazine de la région qui provenait du gros tas agglutiné sur la table, sans doute prévu pour la séance officielle de dédicace. J’y jetai un œil, dissimulant mal ma curiosité : la couverture montrait Roy et Tarak dans une ambiance photogénique qui respirait la combativité amicale, l’exemple de tout bon esprit de compétition d’après ses dires. Duraludon et Dracaufeu s’étaient aussi prêtés à la séance photo apparemment, se montrant faussement menaçants sur papier glacé.

J’avais du mal à identifier le sentiment qui frappait ma tête mais j’aurais néanmoins juré que ça ressemblait à de la jalousie.

- Ça existe ça, la bonne rivalité ? Fis-je, perplexe.

Nabil croisa les bras, sourcillant.

- T’as pas connu ça à Kanto, Leava ?

J’hochai vaguement la tête. Mon ami d’enfance sembla attendre la suite dans ses grands yeux ambrés d’éclats curieux mais j’avais déjà pris la décision d’en rester là. Il y avait des souvenirs que j’évinçais de manière plus virulente que d’autres. A dire vrai, celui-ci m’avait donné une migraine curieuse : je fronçai le visage, me tenant le front dans un rictus dérangé.

« Quelle foutaise… »

Enfin, mon silence avait au moins eu l’air de faire saisir à mon voisin que ce sujet était à éviter.

- D’ailleurs, mon frère était un peu inquiet… Il t’a trouvé bizarre tout à l’heure !

Je me figeai.

- T’avais l’air méga mal à l’aise. En fait, il pense que tu avais peur de Dracaufeu et…
- Mais c’est ridicule !? J’ai pas peur de Dracaufeu, enfin !
- DRA !

Mon cœur bondit dans ma poitrine !

Le Dracaufeu de Tarak venait d’atterrir derrière moi, le souffle de ses ailes manquant au passage de faire s’envoler le tas de revues. Voltia grimpa directement sur la table dans un prodigieux saut pour enguirlander le grand Pokémon de feu. Mucuscule s’emporta dans ses couinements, même s’il sembla bien plus s’amuser de la situation dans ses gesticulations excitées.

- Dracaufeu, sacré farceur ! S’exclama tout de suite Nabil en applaudissant ce dernier.

Nabil n’avait pas spécialement sursauté, sans doute était-il habitué aux apparitions éclairs du Pokémon de Tarak. Dracaufeu regardait actuellement ma guerrière électrique avec ce sourire moqueur qui toisait sa petite crise de colère. Il lui donna même des coups de museau tandis que Voltia lui répondit avec de légers coups de pattes en avant, agacée. Finalement, ça ressemblait aussi à de la taquinerie.

Soudain, une voix familièrement désagréable s’éleva derrière moi.

Dusk n’avait pas manqué le rendez-vous. Ses sbires en avaient profité pour se multiplier d'ailleurs. Ils avaient tous apparemment décidé de venir pulluler dans la campagne galarienne.

Ma « bonne » rivale avait déjà commencé à grogner en rejetant ses cheveux mauve zébrés d’ombres en arrière.

- Salut, l'fantôme.
- Salut, la cheffe de meute.

Elle grimaça : les autres groupies s’excitèrent, outrées.

- Quelle est cette désignation inappropriée !? Tu as devant toi la célèbre Dusk Lockon, meilleure dresseuse de l’Université de Winscor ! Elle a remporté le célèbre tournoi universitaire l’an dernier et son nombre de victoires en combat officiel ne se compte même plus !

Un de ses sous-fifres, un jeune homme au style mauvais garçon qui ne lui allait pas du tout s'était avancé en porte-parole biaisé, cheveux clairs de blé beaucoup trop bien coiffés et usant de cette voix insupportablement obséquieuse. Un Sonistrelle, petit pokémon chauve-souris teinte de lavande à grands yeux dorés était caché dans sa large capuche, faisant une moue de monarque.

- Et devant vous se trouve Leava Truegold ! Vous prendriez vos jambes à votre cou si vous saviez comment elle envoie ses adversaires au tapis ! Répondit brutalement Nabil en ayant rejoint mes côtés, le poing en avant.

Dusk étouffa un rire plus socialement difficile à supporter.

- Economise ta salive ! J’garde en tête que les noms des gens qui pèsent dans l’game, chéri !

Nabil grommela entre ses dents tandis que l'on contempla ensemble, les sbires complimenter mielleusement leur cheffe de meute.

Mon mauvais caractère prit le dessus.

- Tu connais du monde ! Mais moi, j’peux faire confiance à mes capacités sans toute la garde rapprochée que tu te trimballes !

Et il fut bien épaulé par le sifflement admiratif de mon voisin.

Les sous-fifres de Dusk s’épouvantèrent comme des Piafabecs en furie. Cette dernière me fusilla alors du regard.

- Crache tes phrases toutes faites ! Tu vas tellement mordre la poussière que t’auras trop mal à la mâchoire pour les marmonner, après !
- T’as au moins raison sur un point, je vais mordre…

La fameuse garde rapprochée de Dusk se tut subitement. Même Nabil garda le silence tant l’atmosphère devint électrique. Mais à ma grande surprise, Roy vint jouer le paratonnerre.

- Je sens que ce combat sera pas une promenade de santé ! Vous allez littéralement vous déchirer !

Dusk bondit en arrière, devenue rouge baie Tamato. Ses sbires se mirent alors à couiner en fiers groupies qu’ils étaient et se tassèrent autour du champion draconien.

La cheffe de meute se désintéressa alors de moi pour aller baver des commentaires élogieux sur l’art des combats amicaux (propos qui auraient électrocuté Electhor lui-même tellement ils étaient secoués d’hypocrisie). Le regard émeraude de Roy croisa alors le mien, lâchant un sourire béat. Il se mit ensuite à échanger un peu avec tout le monde.

Je vis alors les employés municipaux se rapprocher des tables, calmant légèrement la garde rapprochée de ma gentille rivale. Au même moment, Nabil me tira discrètement le bras.

- Ok, tu l’as bien envoyée promener mais garde ton énergie pour le match !
- Je te l’avais dit ! Ce super match amical sera tout sauf amical ! Murmurai-je, désemparée.

Tarak apparut alors à son tour, son Dracaufeu à ses côtés (en réalité, il était probablement resté vers les tables à observer la ménagerie environnante).

- Alors ? Prête pour le match ? Brasswick tout entière est impatiente ! S’exclama alors ce dernier en croisant les bras.

La pression soudaine fit diminuer mon courage. Puis, une main agrippa mon épaule.

- Evidemment qu’elle est prête, Tarak ! Tu sens la tension dans l’air ? Digne d’un match Dynamax au stade de Kickenham !

A nouveau, Roy intervint. Je voulus me dégager de son emprise mais sa poigne en avait décidé autrement.

Tarak éclata de rire, accompagné de Nabil qui me jeta cependant ce regard plein de compassion. Puis, il croisa les doigts et suivit son frère déjà parti en direction des tables de la dédicace. Son Dracaufeu s’envola pour aller, lui aussi, se placer au-delà des limites du terrain.

J’entendis les gloussements de la bande de groupies derrière moi, frisant sûrement la syncope d’avoir eu leurs vêtements signés par le champion draconien. Ce dernier continua d’ailleurs d’exercer toute sa force sur moi. J’allais lui vociférer d’arrêter la démonstration de sa virilité quand il pencha furtivement sa tête vers la mienne.

- T’as intérêt à me divertir, p’tite dragonne… Remarque, si tu te bats de la même manière que tu reluques les gens en serviette, ça donnera peut-être quelque chose ?


C’était tout ce qu’il me fallait pour me libérer. Je me tournai vers lui, la rage au bord des lèvres : il avait cet air insupportablement hilare, fourrant ses mains dans les poches de son sweat.

- T’es vraiment un… !

Cette affreuse lueur malicieuse apparut à nouveau dans ses iris émeraude. Je manquai alors de l’insulter publiquement mais il se mit déjà à marcher d’un pas détendu, tout ça pour me passer à côté non sans me tapoter légèrement l’épaule.

- A tout à l’heure…

Je suivis son mouvement des yeux, fulminante.

Et puis en faisant revenir mon attention sur le terrain, j'aperçus Dusk à l’autre bout. Ses sbires étaient en train de la quitter non sans au préalable hululer un brouhaha enthousiaste à son encontre. Alors, je me tournai vers les tables : Nabil me fit un pouce de la victoire légèrement contrasté avec son expression pour le moins soucieuse. Tarak était déjà assis, rejoint aussitôt par Roy (et qui avait récupéré Mucuscule sous le bras).

Mon voisin, micro en main, signala de me mettre en position.



***


- La ligue de Galar vous souhaite à tous la bienvenue à la dédicace des vingt ans du Défi des Arènes ! Je rappelle que vous aurez l’occasion durant les festivités, d’obtenir les cartes de ligues exclusives et le magazine collector Hey Galarian Girl avec le Maître invaincu, j’ai nommé Tarak, accompagné de son très grand rival et plus puissant champion d’arène de notre région, Roy, le dresseur de dragons !

Il avait l’air de se croire dans un immense stade. Moi, je regardais le paysage champêtre de la place du marché de Brasswick : le monde qui entourait le terrain laissait largement penser que la nouvelle de ce combat avait traversé les plaines de Galar. Dusk faisait bondir sa pokéball dans sa main. Je sentais son sourire infiltrer la moindre veine de mon corps, comme de l’acide brûlant.

Voltia grattait nerveusement le sol. Nous étions exactement dans le même état, elle et moi : la tension frictionnait tellement la surface de notre système nerveux que nous aurions pu nous enflammer en un clin d'oeil.

La voix de Nabil grimpa d’un cran.

- Et petite surprise de dernière minute, j’ai l’extrême honneur de vous présenter les deux dresseuses qui vont nous offrir un match pokémon comme vous n’en aurez jamais vu à Galar ! A votre droite, Leava Truegold, dresseuse émérite originaire de Paddoxton ! A votre gauche, Dusk Lockon, formidable combattante de Winscor !

Dusk se tendit.

- Chaque opposante n’a droit qu’à un seul Pokémon !

Je ne vis plus qu’elle.

- Mesdames et messieurs…

Nos yeux entrèrent en collision.

- … Que le match COMMENCE !

Un éclat de lumière explosa dans le ciel.

Ses gerbes prismatiques dévoilèrent le fameux Démolosse qui poussa un hurlement effroyable en percutant la terre. Voltali ne se fit pas prier et bondit puissamment sur le terrain. Les deux Pokémons s’aboyèrent contre, impétueux.





Subitement, Dusk fut la plus rapide.

- Lance-flammes !

Dans un bond véloce, il s’élança sur Voltia en crachant un jet de feu aveuglant.

- Esquive, Voltia !

Elle slaloma entre les flots brûlants, se rapprochant furieusement de son adversaire.

- Lance Mégaphone droit sur lui !

Voltia poussa de tonitruants aboiements, générant de puissantes ondes soniques sur le terrain !

Démolosse entra en collision avec les rafales et se fit éjecter à quelques mètres de ma précieuse guerrière ! De l’assaut se souleva un nuage de terre imposant dans lequel le Pokémon ténébreux disparut pendant quelques secondes.

Dusk me sembla d'abord épouvantée. Mais elle se garda bien de perdre contenance à en observer sa posture, dressée comme un Galopa de Galar.

Soudain, Démolosse surgit dans les filets de poussière, poussant quelques rugissements sauvages. Il secoua alors hostilement la tête vers mon Pokémon, l'oeil acéré d'aigreur.

- Parfait, Demo ! Regard médusant !

Une aura rougeâtre baigna violemment les yeux du Pokémon démon. Il poussa un aboiement agressif et se jeta sur mon Pokémon.

- Voltia, esquive tout de suite !

Mais ma voix ne fut pas assez rapide : elle se laissa surprendre par la vitesse de son adversaire et encaissa violemment l’attaque ! Des ondulations filandreuses et teintées de sang brulèrent au-dessus de sa tête et elle se mit à convulser, atteinte d’une fièvre fulgurante. Ses jappements plaintifs me pétrifièrent la poitrine : elle était paralysée de terreur.

Dusk profita clairement de cet avantage et lança sa prochaine attaque.

- et on termine avec Vibroscur, chérie !!

Aussitôt, de puissantes ondes teintées de nuit, translucides et tremblantes, naquirent de nulle part autour du corps musclé de Démolosse. Au contraire de Regard Médusant, les étranges manifestations se chargèrent d’une chaleur si intense que je suffoquai à leur vue : des vagues bouillonnantes de reflets charbonneux envahirent alors le terrain.

Brutalement, les ondes me donnèrent l'impression qu'elles étaient capables d'aspirer toutes les émotions environnantes : je levai la main devant ma bouche, la gorge en feu. Puis, elles se déployèrent comme des vagues hurlantes sur Voltia.

Dans un cri épouvanté, elle se fit éjecter avec une violence inouïe et percuta lourdement le sol à seulement quelques mètres de moi !

J’entendis alors le public manifester des élans vifs de commentaires, accompagnés de ceux de Nabil qui sonnèrent dans les airs sans que je n’y fasse vraiment plus attention : je vis surtout Dusk jubiler à en deviner son visage présomptueusement redressé sur moi tandis que son regard acier perça les murs de poussière.

Je me mordis les lèvres, le cœur battant.

- Voltia, ça va… ? Lève-toi lentement.

Elle s’exécuta après quelques secondes, secouant chacune de ses pattes, sa tête, ses oreilles et enfin, sa fourrure.

La tétanie était toujours là. Et pourtant, notre connexion viscérale la rendait plus facile à gérer : j’avais aussi les jambes qui tremblaient, le cœur secoué et la tête brûlante, mais résistante aux engelures comme une boule de feu plongée dans de l’eau glacée. Enfin, elle jeta un œil vers moi, grognant avec conviction, et sous les cris de surprise des spectateurs.

J’avais étrangement confiance : un seul tour me suffisait à comprendre que Dusk privilégiait les attaques brutales pour déstabiliser rapidement son opposant.

Ma chère guerrière électrique était toujours debout. Elle se secoua un peu puis, malgré sa paralysie d’effroi, rassembla toutes ses forces au cœur de ses pouvoirs.

Ça n’échappa visiblement ni à Dusk ni à Démolosse : ma rivale esquissa un rictus agacé, les sourcils froncés.

- Très bien ! Lance Hâte autour de Démolosse !

Elle poussa un claquant rugissement et bondit en direction de son adversaire ! J’avais cette sensation familière de partager ma force avec la sienne, aspirant sa paralysie pour n’en faire qu’un souvenir lointain. Je sentis alors Démolosse se décontenancer dans ses grognements rauques, sous doute habitué à mettre ses adversaires au tapis rapidement.

Une masse de terre sombre s’éleva très rapidement sous les foulées soniques de ma Voltia. Elle enferma aussitôt le Pokémon de feu et de ténèbres dans une sphère nuageuse.

- Merde, Démo ! Danse-flammes et bloque-moi ce Pokémon ! Hurla Dusk au-delà de la brume terreuse.

Une impressionnante langue de flammes rougeoyantes sortit alors de la gueule de Démolosse ! Elle lécha le brouillard de poussière puis l'embrasa dans tous ces intenses serpentins incandescents. Je tournai les yeux dans tous les sens, gênée par la vague de chaleur et les éclats de terre. Puis, j’entendis les stupéfactions du public flageller les airs incendiés. Nous avions très probablement disparues de leur champ de vision dans cette tornade de feu.

Soudain, Voltia apparut comme une diablotine devant Démolosse !

Puis, à droite, à gauche, sur les côtés… Et derrière lui ! Alors, des milliers de reflets d’elle-même bondirent dans toutes les directions possibles, faisant fi du ballet de feu tranchant.

Démolosse aboya de stupeur.

- Lame de roc ! Déforme-moi ce terrain !

Je me figeai, loin de me douter qu’il pouvait connaître cette capacité-là.

- Voltia ! Encore une fois hâte et monte sur les rochers !

Au même moment, Démolosse frappa le sol avec ses grosses pattes, le rugissement caverneux et l’œil si rougeoyant qu’il me perça comme des épines aiguisées. Et dans un tonnerre d’ondes bleutées, ce colosse de roche tranchante éventra le centre du terrain. Des reliefs rocheux brisèrent les flammes en suspension dans les airs et le séisme s'égosilla en des points très précis, avant d’irradier le terrain entier.

Je réalisais subitement que la précision de notre adversaire était excellente malgré la vitesse de mon Pokémon : une des multiples lames rocheuses parvint à frôler Voltia, lui faisant perdre l’équilibre dans sa montée.

Mon cœur bondit dans ma poitrine. La puissance de l’attaque avait bien trop freiné son élan !

- NON !

Notre connexion allait se briser.

Puis, mes mains se remirent à picoter.

Et cette aura de poudreuse surgit à nouveau dans sa fourrure hérissée.

Alors, un frisson remonté dans toute mon échine coïncida avec l’augmentation violente de son allure ! Envahie d’une puissante chaleur qui galvanisa tous ces muscles, elle virevolta sur ses pattes et rebondit sur le colosse de pierre, galopant jusqu’à l’extrémité. Sa tétanie disparut brutalement. Et moi je résistai de toutes mes forces à ma tachycardie naissante.

Démolosse la regarda faire en grognant férocement.

- Bordel !? Démo, regard médusant !

Une nouvelle fois, Dusk retenta la paralysie.

- Ferme les yeux et saute sur lui !

Arrivée au bout de la lame rocheuse, Voltia s’élança dans les airs. L’allongement de son saut la conduisit pile au-dessus de Démolosse en pleine exécution de son offensive : l’aura malfaisante entourait une nouvelle fois ses yeux rougeoyants de violence.

Mais cette fois, la capacité n’eut aucun effet : ma chère guerrière électrique résista remarquablement bien à l'effroyable tension imbriquée dans les ondes mauvaises de Regard Médusant. Je le sentis dans mes os où l’espace d’un instant, toute ma rage de vaincre résonna jusqu'à son esprit, telle la foudre frappant la terre.

Une nouvelle fois, ma chouette rivale ordonna à Démolosse de lancer plusieurs fois d’affilée l’attaque lance-flammes. Voltia multiplia aussitôt ses esquives en zigzaguant sur les innombrables versants rocheux sortis de terre.

Les poings serrés et le cœur battant, je me sentais de plus en plus enfiévrée par l’ambiance du combat. Cependant, ma chère guerrière électrique n’allait pas tenir sur le long terme. Et Démolosse non plus.

« Il faut le surprendre une bonne fois pour toutes ! »

Dusk était, elle aussi, électrisée par le match devenue feu de joie. Mais de son côté, c’était pour m’écraser à en écouter le ton clinquant de sa voix.

- DEMOLOSSE, LAME DE ROC PUISSANCE MAXIMUM !

C'était le bon moment.

- Voltia ! Laisse-toi toucher par la lame !

La colère exaltée de Démolosse fit surgir un colosse rocheux plus grand que le premier, défigurant définitivement le terrain dans une explosion de terre et de sable ! Au passage, il pulvérisa les premières lames rocheuses comme du vulgaire verre. Aussitôt, Voltia bondit sur l’extrémité du colosse parcouru d'ondes sismiques, se laissant entrainer avec lui. La lame rocheuse arriva au-dessus de Brasswick, mon Pokémon au bout et rugissant avec malice contre son opposant situé en bas.

J’avais bien anticipé ce moment : des attaques aussi puissantes demandaient une énergie colossale de la part de Démolosse, en témoignaient ses halètements distincts ainsi que son regard toujours moins assuré. La lame étant particulièrement haute, il devait dans un effort monstrueux, complètement lever la tête pour repérer Voltia. En outre, je pouvais le voir transpirer depuis ma position.

Dusk était en train de marmonner je ne sais quelles insultes dans ses gesticulations : je devais probablement en prendre pour mon grade.

- MAINTENANT, FATAL-FOUDRE !
- DEFLAGRATION !


Soudain, un orage gronda au-dessus de sa tête et sous les cris paniqués du public. Et dans le tonnerre assourdissant, Voltia rassembla toute son énergie pour m’offrir une cascade foudroyante qui illumina le terrain comme un feu d’artifice. Je sentis si puissamment sa témérité que je me mis à trembler, mon coeur frappant ma poitrine. Et dan les étincelles percutant la terre, je vis Démolosse cracher un puissant jet de flammes orangées en forme de X.

Les deux ondes se percutèrent si impétueusement qu’elles dégagèrent une fumée monstrueusement âcre et épaisse, à la fois embras ée et parcourue d’électricité statique.

Il en résulta une vague de feu et de lumière.

Puis un brouillard aveuglant.

Je levai les bras devant mon visage pour me protéger de la poussière.

Puis, les rayons du soleil percèrent la robe du nuage foncé.

Je revis nos deux Pokémons.

Ils étaient debout, se faisant face dans l’immobilité la plus totale, tout deux ayant sensiblement encaissé l’attaque de l’autre.

Je retins mon souffle.

Dusk fit de même.

Je regardais Voltia, le coeur battant : elle restait fortement campée sur ses pattes.

Quelques secondes passèrent.

Et Démolosse s’effondra sur le sol, le corps encore convulsé par l’onde électrique.

J'entendis alors la voix de Nabil trembler de stupeur dans les haut-parleurs.

- Dé… Démolosse ne peut plus se battre ! La victoire revient à Leava Truegold et son Voltali !

Le public hurla.

Mon nom s’éleva à nouveau parmi les cris.

Et mes jambes se dérobèrent, me laissant chuter comme une poupée de chiffon sur le sol.

Je vis alors Voltia se tourner vers moi. Elle galopa dans ma direction, jappant d’une joie immense malgré les brûlures qui zébraient sa fourrure. Elle bondit dans mes bras et me lécha le visage avant d’engouffrer son museau dans ma poitrine. Un vif instant de solitude m’emprisonna alors dans cette bulle invisible, comme si le monde autour de moi s’évanouissait morceau par morceau.

Mais dans les cris de joie et la foule emportée, ce n’était pas le gain de la victoire qui me perça comme une euphorie incontrôlable.

« Qu’est-ce que c’était… »

Ça n’avait pas le moindre sens : mais j’avais l’impression d’avoir été moi-même sur cette lame rocheuse, à contempler Brasswick incendiée.

J’avais pu ressentir la moindre foulée de Voltia arpenter ce colosse pétrifié vers les cieux, m’envolant à ses côtés telle une âme libérée, la guidant dans son offensive et la poussant à se dépasser dans notre lutte commune. Il n’en résultait plus qu’une unique force cachée de la nature, dont seul l’imminent danger révélait la rage de survivre. J’avais senti la paralysie de ma chère guerrière au plus profond de moi, ligotant mes nerfs et fibrillant dans ma poitrine. Mes jambes avaient été comme percutées par la foudre. Mon cœur avait manqué à maintes reprises de se déchirer sous la colère. Alors, quand l’adversité menaçait et que l’urgence hurlait dans ma tête, quelque chose en moi se brisait, s’affolait, rugissait et s’échappait de sa prison corporelle. Voltia recevait alors cette énergie en trop, incapable d’accepter le monde tel qu’il était, fait de défaites, de mensonges et de guerriers assoiffés de malice. D’une chaleur blanche et transparente, des éclats de givre étranges et une lueur de neige naissante, elle enveloppait ma tendre alliée qui devenait dans l’espace figé d’un instant, intouchable.

Des images tentèrent de s’annoncer. Mais elles étaient si engourdies par le sommeil gelé de ma mémoire qu’elles ne purent rencontrer ce diurne présent, rendormies comme des insomnies.

Alors, les sons se brouillèrent. La fièvre grimpa dans mes tempes. Des ombres s’approchèrent. On essaya bien de me parler. Je voulus répondre.

Mais ma gorge s’étrangla et je ne vis plus qu’une brume charbonneuse qui me tira en bas, toujours plus bas.

Mes forces s’évanouirent, toujours plus bas.

Puis, mes yeux lourds de maux l’aperçurent avant que tout s’éteigne.

Un œuf de Pokémon gémissant au milieu des arbres explosés, menacé par ces deux lames courbées et gigantesques éventrant la terre.


***