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Le temps d'une vie de Soundlowan



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» Auteur : Soundlowan - Voir le profil
» Créé le 20/07/2023 à 22:41
» Dernière mise à jour le 18/03/2024 à 15:17

» Mots-clés :   Absence de combats   Paldea   Slice of life

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Le temps d'un cri
Le ballet va bientôt commencer.
Il faut pourtant de longues préparations pour ouvrir le rideau dans les temps, raison pour laquelle la scène bruisse d’activité depuis plusieurs heures déjà. Les principaux acteurs n’ont pas encore fait leur entrée bien sûr, mais les petites mains connaissent bien ce moment entre la nuit et le jour où le ciel est indécis sur ses couleurs et les accompagne d’une lumière paresseuse dans leur installation.

C’est ainsi que la plupart des employés voit ce domaine, où ils travaillent souvent depuis des années : comme un théâtre. Bien sûr le moindre observateur extérieur leur expliquerait combien cette comparaison n’a pas de sens, mais ils sont de moins en moins sensibles aux discours matérialistes qui leur parlent de commerce et d’industrie et du fait qu’ils participent à une entreprise florissante avant tout.
Le romantisme de travailler en pleine nature, loin de la ville qui ne permet pas aux vignes de s’étendre convenablement, a contaminé ces salariés passionnés. Ils peuvent effectivement s'enorgueillir d’un savoir-faire précieux parce que rare, de concevoir un produit d’exception qui fait le prestige de la région de Paldea, et c’est ce qui fait une grande part de leur fidélité au vignoble.

D’autres, plus jeunes, sont sans doute davantage attirés par la perspective du grand air. Passer sa journée dans un vignoble si immense qu’il s’étend à perte de vue, et qu’il a même sa propre route pour conduire jusqu’à la prochaine ville, rappelle un peu de leur périple aux dresseurs tout juste sortis d’école. Ce sont les plus rapides à parcourir le domaine d’un bout à l’autre d’ailleurs, à prendre des photos de soleil levant, à rire à tue-tête en réglant les machines ou en récoltant les variétés fragiles à la main. Le pinacle de leur représentation personnelle est atteint lorsqu’ils peuvent rencontrer un pokémon sauvage au détour d’un pied de vigne, même lorsque ce n’est qu’un olivini et qu’on est pas supposé mélanger le vin et l’huile d’olive.


Oui, cela ressemble à un théâtre pour qui veut bien le voir ainsi. La course folle des comédiens sera un ballet lorsqu’ils feront leur entrée, pour l’instant ce sont les autres corps de métier qui s’activent sur la scène.

Mettre en place les tonneaux en guise de table haute, décoration un peu surannée à notre époque mais qui fonctionne toujours auprès des visiteurs lorsqu’ils viennent déguster. Répéter son texte pour les faire passer à l’achat, entretenir les parties communes, s’assurer que les panneaux fléchés pointent la bonne direction, ouvrir le portail forgé du domaine pour une nouvelle journée de commerce. Les comédiens peuvent arriver, c’est l’heure du lever de rideau.

Une partie des employés qui ont participé à l’installation reste, afin d’être aussi des figurants pour le reste du spectacle.
Ils enfilent le bon costume, celui d’employé modèle et serviable, après leur tenue des champs. L’un d’entre eux sort de scène l’indésirable, l’homme crasseux qui fouillait dans une poubelle et repart vers la ville en maugréant. Un briochien couine sur ses talons pour manifester sa faim. Dans le ciel, un etouraptor file vers le terrain d’entraînement de la propriété, précédant un homme encore jeune à l’allure légèrement empotée. Ce qu’on pourrait qualifier de second rôle dans ce domaine où on s’applique à faire reluire l’enseigne de raisin doré qui surmonte le bâtiment principal.

C’est de ce dernier qu’apparaît le personnage principal de ce récit ; en vraie matrone, la propriétaire qui rabroue déjà ses employés a bien mérité d’incarner la cantatrice de leur pièce.
Tout y est pour faire une grande diva, le ton acide dès sa sortie des coulisses pour tous ceux qu’elle peut croiser, les grands gestes parfaitement exécutés pour bien montrer comme tout le monde est incompétent dans cet endroit. Et ce visage parfait, dont chaque moue exprime le mépris de cette femme pour la moindre chose qui l’entoure, sert de point d’orgue à la lamentation muette.
On ne peut pas lui enlever qu’elle sait choisir ses costumes pour incarner l’élégance intemporelle, malgré son âge qui commence à la faire vaciller bien que personne n’oserait en faire mention en sa présence. Un dernier regard noir, de pure consternation pour son neveu qui a filé travailler avec ses pokémons, le genre qui suffit à comprendre comme elle considère son activité futile. Dresser des pokémons, comment peut-on penser que c’est un métier, voilà ce qu’exprime cette figure soigneusement maquillée pour masquer toute ride. Il n’y a pas à dire, c’est du grand art aux yeux de son personnel qui s’active encore plus qu’à l’accoutumée pour contenter les caprices de madame.
C’est qu’elle attend la visite d’un commercial, représentant de grosses sociétés - donc qui peut rapporter gros - , et qu’elle compte visiblement lui sortir le grand jeu. Ce qu’on pourrait appeler un jeune premier dont les débuts sur ce théâtre sont imminents.

Un dernier mouvement d’impatience, puis le dragon se retire dans sa loge. Son émission matinale sur les concours va commencer, il n’est tout de même pas question d’en rater une miette pour quelque chose d’inintéressant comme ce domaine viticole.


Le tic-tac de la montre est apaisant à son poignet.
A notre époque, l’objet paraît suranné. Passé de mode dirait-on, has been dans les réunions qu’il a l’habitude de fréquenter. Mais son bruit régulier, répétitif, qui taperait sur les nerfs de presque n’importe qui d’autre, rassure Benjamin.
Il a payé exprès cette montre très cher, pour qu’elle puisse être un objet de conversation et ne paraisse pas trop hors de propos auprès de ses collègues toujours appâtés par un nouveau gadget. Ils sont capables d’évaluer d’un coup d’oeil le prix de ce qu’il porte au bras, et c’est ce qui lui donne sa valeur encore davantage que la somme qu’il a déboursé à l’époque. L’un dans l’autre, voilà un excellent prétexte pour la garder.

Au fond, c’est surtout qu’elle rythme son quotidien. Il sait exactement combien de tics représente un nœud de cravate, combien de tacs met son café à couler. Tic, tac. Il a choisi sa chemise de la journée, ce qui n’est pas bien dur étant donné qu’elle est identique à celle d’hier et de demain. Tic, tac, les tartines sont dans le grille-pain. Tic, tac, il a vaguement eu l’idée puis abandonné avant de saisir son matériel de sport pour s’en servir. Acheté des mois plus tôt, il était censé lui permettre de faire des exercices tous les matins en les intégrant à sa routine parfaitement minutée. Les cartons prennent la poussière dans un placard, son emploi du temps n’a pas varié d’un iota. Tic, tac.

Jeter un coup d'œil, furtif, aux photographies dans les cadres ou sur son frigo, ne prend qu’un seul tic. C’est rapide, presque caché. Il n’y manque pourtant jamais, pas un jour de la semaine. Le week-end c’est différent, il a plus de temps pour s’occuper des pokémons représentés sur les images plutôt que de seulement les observer. Encore qu’avec la multiplication de ses missions, son week-end se résume de plus en plus au seul dimanche.
Une seule journée dans la semaine pour son équipe pokémon. Mais c’est bien normal après tout, non ? Tout le monde fait comme ça, en tout cas une fois le lycée terminé. Certains étudiants à l’université ont un peu de répit et surtout un peu plus du temps d’insouciance de la jeunesse, avec leur équipe entraînée durant leur adolescence qu’ils peuvent encore un peu garder comme compagnons de jeux ou de soirées.

Benjamin s’est plutôt investi comme un damné dans ses études à cette époque. Certes ses pokémons en ont souffert, leur entraînement surtout a été particulièrement négligé. Mais après tout, ce n’est pas comme si leur dresseur avait jamais été très doué pour les combats en tant que tels. Et maintenant, avec ces petits sacrifices consentis pour réussir l’école supérieure et fort chère payée par ses parents, il a une belle vie devant lui.
L’appartement parfaitement ordonné est à lui, bien qu’il n’ait presque pas le temps d’en profiter certes. Les costumes de prix sont tous alignés dans la penderie, au-dessus des paires de chaussures vernies similaires au point qu’elles pourraient être le même modèle décliné dans des coloris si subtils qu’on les confond. Il pourrait se payer les vacances de son choix à l’autre bout du monde, si seulement il trouvait le temps de les prendre.

Il se souvient encore de la fierté de sa mère le jour de sa remise de diplômes, puis à peine quelques semaines plus tard quand il a annoncé avoir décroché son premier poste de commercial. Grosse société, gros portefeuilles qu’il a doublé presque tous les ans. Plusieurs années déjà. Comme le temps passe vite.


Le temps lui manque encore ce matin d’ailleurs, en tout cas pour ses pokémons.
Avec un peu d’honnêteté, Benjamin aurait reconnu que son pohmarmotte est moins vif qu’auparavant dans sa course, et qu’il soupire souvent son ennui. Que les plumes de son braisillon sont moins brillantes chaque mois qui passe entre ces quatre murs. Son psykokwak, le dernier qu’il a capturé avant de finir sa chasse au trésor, se tient la tête un peu bizarrement mais c’est la routine dans son cas. Benjamin n’a pas non plus pris le temps de le faire évoluer.

Ce matin il est trop absorbé pour leur prêter attention, ou penser à ce genre de choses. Il répète sa présentation minutieusement, en ajustant son col tout aussi méticuleusement.
Il rencontre un futur partenaire potentiel ce matin, et les contrats à la clé sont si juteux que rien ne doit être laissé au hasard. Benjamin a tous les arguments en tête naturellement, ses recherches sur le marché du vin et les concurrents potentiels de l’exploitation qu’il visite, sa réputation impeccable dans le domaine des affaires qui reste bien ancrée dans son esprit. Avec des produits de cette qualité dans leur portefeuille d’affaires, ses supérieurs devraient lui céder la prochaine augmentation qu’il compte demander à la fin de l’année. Autant de contrats potentiels à l’exportation, cela vaut bien un autre bonus non ?
En refermant sa mallette dans un claquement, le commercial au sourire immaculé se demande s’il ne pourrait pas négocier quelques bouteilles pour son comité d’entreprise. Une autre occasion de se faire bien voir aussi des collègues les moins hauts dans la hiérarchie, tant qu’à faire.


Il y a du soleil ce matin. Ce sera une belle journée.
C’est le meilleur temps pour s’entraîner, d’abord. Ensuite, ses pokémons sont heureux quand il fait beau. À part son luxray peut-être, qui n’aime rien davantage que l’orage. Mais il reste une exception, et de toute façon il adore aussi le soleil qui le réchauffe pour sa sieste.
De ses six pokémons, c’est peut-être le moins assidu à leurs entraînements. Il préfère paresser sur le terrain plutôt que d’aider, malgré l’énergie qu’il déploie en combat. Au moins, il a arrêté de poursuivre pour rire le famignol de Samy après toutes ces années. Leur dresseur s’estime déjà heureux.

De manière générale, Samy est quelqu’un d’heureux. Comme le dit sa tante, il a même parfois des airs d’imbécile heureux : le principal intéressé ne le nie pas, ce qui contribue beaucoup à la stupéfaction puis au mépris de son entourage. Il n’en a pas grand-chose à faire. Certains diraient qu’il est conscient de ses limites, et c’est sans doute vrai. Il n’a jamais été le plus malin de sa bande de copains, jamais celui qui rapportait les meilleures notes à la maison, jamais celui qui avait une idée un tant soit peu originale. Samy excelle dans l’art de suivre.

L’un dans l’autre, il n’a pas besoin d’être particulièrement brillant pour faire son travail. Tout le monde peut le faire, en théorie. Tout le monde ou presque commence dès dix ans d’ailleurs. C’est ce qui explique la petite moue, le pincement des lèvres de sa tante chaque fois qu’elle le croise sur sa propriété. Juste dresser des pokémons, ce n’est pas un métier, voilà ce que lui hurle tout son corps asséché par des années de diète et de potions miracles pour conserver sa taille d’apireine.
Samy aurait sans doute été d’accord avec elle en théorie, sauf qu’il a réalisé deux choses : d’abord qu’il n’a jamais rien trouvé d’autre à faire de sa vie, ensuite que tout le monde n’est pas aussi doué qu’on le croit pour cette tâche apparemment basique. Alors il a ouvert son affaire, demandé un bout de terrain inoccupé sur l’exploitation viticole, et il a eu des clients.

Depuis, il passe ses journées et une partie de ses nuits à prendre soin des pokémons qu’on lui confie pour un temps. Réhabituer les plus peureux à la présence humaine, juguler l’agressivité de certains, apprendre les bons gestes aux dresseurs en herbe, préparer les futurs pokémons des professionnels à leur service dans la police ou les centres pokémons, comme c’est diversifié finalement. Chaque nouvel élève colle un sourire béat sur son visage lunaire, y compris ceux qui essaient de lui sauter à la gorge au début. Voilà qui occupe bien son quotidien où il ne sait rien faire d’autre.

Quelque part, sa vie entière n’est qu’une longue attente s’il prend le temps d’y réfléchir. Heureusement pour lui, Samy ne réfléchit jamais très longtemps.


Elle a presque envie de chantonner en se préparant, ce matin. Ses doigts ne se lassent pas d’enrouler des rubans colorés dans ses longs cheveux, toujours plus, jamais trop.
C’est ce qu’il lui faut pour parfaire son look de coordinatrice montante sur la scène régionale, ce style inimitable qui lui a apporté ses premiers fans au début de sa carrière. Maintenant qu’elle se rapproche de la finale annuelle, la jeune femme commence à rêver de produits dérivés. Peut-être un lot de barrettes qui reprendrait ses superbes couleurs ? Ou un set de maquillage pour lequel on l’aurait consultée sur chaque teinte, pour que toutes les adolescentes puissent avoir celles de son visage ?
Oh quelle félicité, de toucher du doigt la célébrité.

Décidément, Angela est en forme aujourd’hui. Son agent ne lui a transmis que de bonnes nouvelles ces derniers temps : des concurrents sérieux qui ont dû jeter l’éponge dans leur quête des rubans, les meilleurs pronostics pour ses prochains matchs avec des adversaires dont la stratégie a déjà été analysée sous toutes les coutures par son staff. Elle sait que dans la fleur de sa jeunesse, et avec son style si particulier lors des concours, sortir du lot est une évidence. Presque trop facile.

Il n’y a que son dernier entraînement qui pourrait assombrir son humeur, mais elle préfère ne pas y penser. Encore une fois elle a oublié son état, encore une fois elle a trop forcé sur sa jambe, encore une fois elle s’est retrouvée par terre avec un genou en feu de son mauvais mouvement.
Associer la danse classique à ses prestations, faire entrer une humaine sur la piste en plus de son équipe comme c’est attendu, a toujours été son atout majeur. Mais c’est aussi un piège dans lequel la jeune femme tombe trop souvent. Ce n’est tout de même pas de sa faute si Angela a toujours voulu être danseuse étoile, pas coordinatrice.

Mais c’est ainsi, on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Une blessure pareille ne pardonne pas dans ce milieu. Il a bien fallu trouver une solution de repli.
Cela l’amuse beaucoup que son choix de dépit soit le rêve de tant d’autres, ces médiocres qui échouent là où elle survole la compétition. Vous n’aviez qu’à avoir un truc en plus pour vous démarquer, vous n’aviez qu’à être spéciales. Voilà ce qui lui rend sa bonne humeur malgré la douleur, qui la fait siffloter alors qu’elle sort de sa loge enfin apprêtée pour sa prochaine interview.

En passant devant sa coiffeuse, Angela voulait juste s’admirer dans le miroir. Son regard croise, au milieu de toutes ses affaires de concours, les quatre sphères de ses pokémons. Elle a encore oublié de les sortir aujourd’hui. La coordinatrice hausse les épaules, et sort sans interrompre son air enjoué.