Shadows Avenged de Malak

Kalie avait réfléchi à son plan quand elle avait remarqué que la directrice Emma Jird portait désormais son poignard en Lunacier à sa taille. Le poignard que lui avait offert Clovis pour son anniversaire, celui qui pouvait stocker l’énergie sous toutes les formes et qui pouvait la relâcher quand son propriétaire le souhaitait. Le Lunacier était un véritable trésor ; pas étonnant que cette femme ait fait de ce poignard sa propriété. Le voir entre les mains de cette garce psychopathe la faisait bouillir de colère.

Mais elle remercia ensuite mentalement Jird d’avoir fait main basse sur la dague et de la garder sur elle. Ça serait peut-être pour Kalie et Juan le moyen de s’échapper. Effectivement, comme ils étaient régulièrement drogués, aucun d’entre eux ne pouvait se servir de ses pouvoirs. Ou du moins, ils ne pouvaient plus les invoquer. Or, contrôler et invoquer étaient deux choses différentes. Kalie s’était faite cette réflexion en constatant qu’il n’y avait aucun objet en métal dans les cellules. Tout était en plastique et en verre.

Si le Bureau Analyse ne voulait pas mettre du métal à porté d’un Rejeté, c’était qu’il y avait forcément un risque qu’il puisse s’en servir s’il était un Féreux, quand bien même il était drogué. Kalie en était donc venue à cette conclusion : le sérum qu’on leur injectait ne les privait pas de leurs pouvoirs, mais les empêchait simplement d’invoquer la matière nécessaire, que ce soit du feu, de l’acier, des ondes psychiques ou de l’énergie draconique.

Si cette théorie était exacte, il leur suffisait simplement d’avoir un peu de ces énergies là pour pouvoir les contrôler. Kalie avait testé sa théorie sur Emma Jird, l’une des fois où elle l’avait torturée, en essayant de contrôler son bras de métal. Ça n’avait pas marché, mais pas pour les raisons évidentes. Kalie avait bien ressenti le métal dans son esprit, mais elle n’avait pas réussi à le cerner.

Ce n’était pas à cause de la drogue, selon elle. C’était parce que Emma Jird était sûrement une Désignée. Kalie l’avait vu une fois faire sortir des lames à partir de rien sur son bras, pour torturer un autre Rejeté. Elle devait être une Féreuse, et donc personne d’autre qu’elle ne pouvait contrôler ce morceau de métal accroché à son corps. Il aurait fallu que Kalie lui arrache pour pouvoir s’en servir de combustible à ses pouvoirs ; une chose qu’elle ne voulait pas tester.

Mais alors, elle avait remarqué la dague de Lunacier qu’elle portait à la ceinture. Le Lunacier était censé stocker l’énergie. S’il y avait de l’énergie dans le métal à l’heure actuelle, que ce soit du feu, de l’énergie draconique ou d’acier, Kalie serait peut-être en mesure de s’en servir. Elle ignorait si Jird avait déjà commencé à stocker du pouvoir dans le couteau, mais elle se souvenait que l’un des Désignés qui protégeait son oncle l’avait fait quand Kalie lui avait prêté la dague.

Il avait insufflé dedans de l’énergie psychique, qu’il avait ensuite recracher contre le mur du bureau de son oncle. Peut-être n’avait-il pas tout utilisé de l’énergie qu’il avait mise dedans. Il suffisait juste d’un peu pour que Kalie puisse s’en servir. Elle ne savait pas ce qu’elle pourrait faire avec si peu d’énergie psy, mais elle s’en fichait. Elle voulait agir, quelque soit le résultat. Même si c’était juste pour se faire tuer dans le feu de l’action, ça serait toujours ça de pris.

Elle mis Juan au courant de son plan. Le garçon se révéla bien plus inventif qu’elle. Il avait quant à lui observé discrètement le numéro à quatre chiffres que les gens du Bureau Analyse rentrait pour ouvrir les portes de verre de plusieurs des cellules de Rejetés. Il lui assura être en mesure de pouvoir ouvrir au moins cinq cellules. Un moyen de provoquer encore plus de chaos et de favoriser leur fuite. Kalie fut impressionnée par sa mémoire et son sens de l’observation. Mais ce n’était pas tout. Juan l’informa de quelque chose de bien plus intéressant.

- Ils ont un Pokemon dans ce centre, lui dit-il. Un Pokemon Psy.

- Comment tu sais ?

- Parce qu’il n’y a aucune caméra. Nulle part. Tu as pas remarqué ?

- Euh… J’avais d’autre chose en tête… Mais quel rapport avec les caméras ?

- Certain Pokemon Psy peuvent surveiller à eux tout seul un endroit aussi vaste que celui-ci. J’imagine qu’ils ne voulaient pas de caméra, parce qu’ils voulaient éviter que des vidéos de surveillance puissent circuler. Cet endroit est sans doute top secret. Les gens ne sont pas censés savoir qu’on se sert des Rejetés comme sujets d’expérience. Donc, ils se servent d’un Pokemon Psy, qui peut détecter la moindre anomalie dans ce centre.

Kalie fut une fois de plus prit de court par l’intelligence de son compagnon d’infortune. S’il était devenu un Désigné à la place d’un Rejeté, il aurait été une arme des plus redoutables pour les Six Brigades.

- Alors, si on peut trouver ce Pokemon Psy… continua Kalie.

- Une Pensive comme toi pourra aspirer ses pouvoirs, acheva Juan. Si toutefois ta théorie sur l’invocation des pouvoirs est juste.

Kalie hocha la tête. Le hic, c’était qu’ils ne pouvait pas le vérifier avant, ou Jird le remarquerai. Il fallait agir d’un coup d’un seul. Les deux Rejetés choisirent un moment où ils étaient tous les deux hors de leur cellule. Un membre du Bureau Analyse vint chercher Juan, et Jird se chargea de Kalie, toujours trop heureuse de pouvoir la tourmenter un peu plus lors des expériences infinissables dont elle faisait les frais. Quand la directrice Jird lui empoigna le bras pour l’amener, Kalie ne résista pas. Elle concentra son esprit et toute sa volonté sur la dague de Lunacier que Jird portait à la ceinture.

Et en effet, elle senti quelque chose. Une résonance. Faible, mais bien présente. Il y avait effectivement du pouvoir stocké dans le Lunacier. Un peu de psychisme, et surtout, une bonne quantité d’acier, qui avait sans doute été stocké par Jird en personne. Kalie ferma les yeux, se soustrayant aux moqueries de Jird pour se concentrer sur le pouvoir que renfermait le couteau. Le psy ne ferait pas grand-chose, mais si elle pouvait s’en servir pour accroitre l’effet de toute cette puissance acier stockée…

Quand enfin son esprit fut pleinement connectée au pouvoir psychique dans le Lunacier, Kalie sentit sa porte intérieure de Pensive s’entrouvrir, et le pouvoir émerger. Grâce à ça, elle fit voler la dague de Lunacier de la ceinture de Jird jusqu’à sa main. La directrice s’en rendit compte, mais trop tard. Dès que Kalie toucha la dague, elle prit possession d’une partie du pouvoir de type Acier qu’elle renfermait, et la relâcha entièrement d’un coup. Elle ne savait pas quel genre d’attaque elle avait produite, mais il y eu une espèce d’explosion de lumière qui aveugla toutes les personnes présentes.

- Sale garce… marmonna Jird en se mettant la main devant les yeux.

Kalie se dégagea de sa poigne et envoya la dague de Lunacier à Juan, qui lui aussi s’était libérée de sa geôlière, qui restait interloquée. Comme Juan était en partie Féreux, il pouvait lui aussi aspirer le pouvoir Acier stocké dans la dague. Kalie avait eu la présence d’esprit de lui en laisser. Alors, à eux d’eux, chargés comme ils étaient en pouvoir, ils provoquèrent autant de bazar qu’ils purent.

Comme promis, Juan parvint à libérer quelque Rejetés en entrant le code de leurs cellules. La première choses que firent ces derniers fut de se jeter sur divers membres du Bureau Analyse pour les cogner autant qu’ils purent, faisant ressortir toute leur haine et leur colère pour tous les mauvais traitement qu’ils ont subi. Face à tout ces Rejetés en liberté, nombre de scientifiques prirent la fuite en hurlant. Seule la directrice Jird resta sur place.

- Imbéciles ! Ne fuyez pas ! Ils n’ont aucun pouvoir pour le moment !

Elle attrapa l’un des Rejetés avec son bras en métal, et fit sortir des lames de sa main, lui transperçant la gorge. Kalie fut horrifiée. Elle n’avait pas pensé que Jird se mette à les tuer. Mais ayant vu ça, elle fut encore plus déterminée. Les alarmes se mirent à sonner, tandis que les Rejetés se mirent à détruire tout ce qu’ils pouvaient. Kalie s’était éloignée le plus possible de Jird, en direction de Juan, qui lui faisait signe de venir. Au même moment, des gardes du Bureau Analyse arrivèrent, armés de bâtons paralysants, se jetant sur les Rejetés.

Kalie aurait bien aimé leur venir en aide, mais elle n’avait pas prévu de se battre à leur coté. Ce qu’elle voulait, c’était juste fuir. Elle rejoignit Juan et tous les deux profitèrent du chaos ambiant pour se diriger en courant vers l’ascenseur par laquelle Kalie se rappelait être venue ici. Si elle ne se trompait pas, elle était toujours sous la Tour Powergate. Si elle parvenait à remonter, elle pourrait alors s’échapper. Elle connaissait la tour et le 1er district comme sa poche. Mais l’ascenseur était bloqué. Les portes refusaient de s’ouvrir. Peut-être fallait-il une carte, ou bien le système d’alarme les avait bloquées ?

Juan transforma le bout de ses doigts en lame d’acier et s’évertua à forcer les portes. Derrière, Emma Jird s’approchait d’eux, tuant tous Rejetés qui osait s’interposer avec ses propres pouvoirs d’Acier. Comme quoi, Kalie avait vu juste : elle était bien une Désignée. Et Kalie avait beau être une Rejetée avec trois pouvoirs, elle savait très bien que si elle affrontait Jird, elle perdrait facilement. Elle n’avait aucune expérience du combat, et deux de ses pouvoirs étaient bloqués. Elle ne pouvait plus utiliser qu’un peu de psychisme résiduel qui était resté dans le Lunacier.

- Grouille-toi ! S’exclama Kalie.

- Je fais ce que je peux…

Il poussa de toutes ses forces et les portes s’ouvrirent enfin. Une fois dedans, Kalie entreprit de les refermer avec sa télékinésie. Elle le fit juste à temps. Jird venait de lui lancer dessus une longue lame qui resta bloquée entre les deux portes. Bien entendu, le clavier de contrôle de l’ascenseur refusait de marcher aussi, et Jird n’allait pas mettre longtemps avant de rouvrir les portes. Kalie utilisa donc tout le pouvoir psychique qui lui restait pour soulever la cabine d’ascenseur elle-même.

Elle n’avait jamais rien soulevé de plus gros qu’un verre, mais le principe était le même. Elle espérait juste qu’elle aurait assez de pouvoir pour arriver au bout. Si elle s’arrêtait entre deux étages, ils se retrouveraient bloqués. Et c’est bien sûr ce qu’il se passa. Kalie n’avait fait grimper l’ascenseur que de trois mètres avant que ses pouvoirs ne soient totalement épuisés. Juste suffisamment pour se retrouver hors de porté de Jird. Mais Juan prit le relai.

- Tu veux bien me prendre sur ton dos ?

- Hein ?

- Dépêche !

Kalie fit ce qu’il dit. Elle se baissa et laissa Juan monter sur son dos. Elle tint bon jusqu’à qu’il ouvre le plafond de la cabine avec ses mains en acier. Après quoi il s’agrippa à l’ouverture et sorti par en haut. Kalie cru un moment qu’il allait tenter la fuite seul en la laissant là. Vrai qu’elle n’avait plus de pouvoir, et qu’elle ne ferait que le freiner. Mais Juan passa le bras à travers l’ouverture, pour l’aider à grimper. Quand ils furent tous les deux sur la cabine, ce fut au tour de Juan de se baisser.

- Accroche-toi à moi. Je vais grimper sur le câble jusqu’au prochain étage.

- Tu… tu es sûr ? Balbutia Kalie. Tu auras assez de pouvoirs ?

- Transformer mes doigts en lames nécessite bien moins de pouvoirs qu’une attaque spéciale. C’est l’attaque Griffe Acier, le pouvoir de base de tous les Féreux. Ça tiendra… je crois.

De toute façon, ils n’avaient pas d’autre option. Kalie s’agrippa donc autour du cou de Juan, qui se mit à monter au câblage de l’ascenseur. La jeune fille se demanda comment il faisait. Elle-même avait toujours été assez bonne en gymnastique au lycée, mais elle trouvait que monter à la corde était la discipline la plus dure et éprouvante. Et ça devait l’être encore plus en portant une fille sur son dos.

Quand ils arrivèrent à la porte de l’étage d’au dessus, une dizaine de mètres plus haut, Kalie dut s’accrocher elle-même au câblage le temps que Juan ouvre la porte avec sa Griffe Acier. Quand elle vit le hall d’accueil de la Tour Powergate, qu’elle connaissait si bien, ce fut comme si Kalie venait d’émerger d’un profond cauchemar pour revenir dans son monde serin et bien ordonné.

Mais le cauchemar n’était pas fini. Elle était encore une Rejetée. Elle était certes libre, mais encore fallait-il le rester. Le hall était vide, signe qu’on devait être en plein milieu de la nuit. Kalie fut tentée de monter jusqu’au bureau de Clovis pour lui demander le sens de tout ceci, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas une bonne idée. Kalie ignorait si son oncle était au courant de ce qui se passait dans ce centre souterrain. Elle voulait croire que non, mais s’il le savait, c’était qu’il l’avait mise là-bas à dessin, et qu’elle n’avait plus rien à attendre de lui. Rentrer à la maison, chez ses parents ? Tentant aussi, mais Kalie ignorait ce que pourrait être leur réaction, et là-bas, c’était le premier endroit où iraient fouiller ses poursuivants. Faute d’idée, elle demanda à Juan :

- Où on va maintenant ?

Le garçon n’hésita pas.

- Le plus loin possible d’ici.


***


Le commandant Radul Pertogan fut tiré du lit par un appel soudain de la directrice Emma Jird, du Bureau Analyse. Il convoqua au quartier général de sa bridage tous ses Désignés, même si c’était le beau milieu de la nuit ; les Désignés étaient souvent appelés à travailler le soir. Et là, c’était une mission d’urgence. Lui n’eut pas besoin de beaucoup se déplacer. Il travaillait et vivait à la Tour Powergate, au vingt-troisième étage. C’était là le quartier général de sa brigade. Les autres brigades se trouvaient aussi dans la tour, à d’autre étages. Quand ces subordonnés furent tous là, une bonne cinquantaine, le commandant Pertogan se dressa devant eux, et leur parla d’une voix grave.

- Nous avons deux Rejetés en liberté.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Ces quelque mots suffirent à réveiller tous ses hommes. Car c’était à eux que revenait le travail de capturer ou d’éliminer tous les Rejetés. Ils étaient la Brigade Secrète, la septième, spécialisée dans le combat contre les Rejetés. Cette brigade avait été créée suite aux six autres dans la plus grande discrétion, quand le problème des Rejetés s’était fait connaître.

Aucune autre bridage n’en connaissait l’existence. Seuls les personnages hauts placés de la municipalité, comme le gouverneur Warcelos et la directrice Jird, savaient qu’elle existait. Les Désignés qui servaient dedans étaient peu nombreux en comparaison de ceux des autre brigades, mais ils étaient les meilleurs. Pertogan se chargeait de recruter que les plus sérieux, les plus forts et les plus disciplinés d’entre eux. Le nom de cette brigade était Black Shield. Ils étaient le bouclier noir et invisible qui protégeait Ortris des Rejetés.

- Ils se sont échappés de la Tour Powergate il y a une heure et quarante minutes, poursuivit Pertogan.

L’un de ses Désignés, un jeune homme aux cheveux roux du nom de Tuskun, leva la main.

- Qu’est-ce que des Rejetés pouvaient bien fiche dans la Tour, commandant ?

- Ce n’est pas notre affaire.

Même les Désignés du Black Shield n’étaient pas censés connaître l’existence du centre secret du Bureau Analyse, aussi Pertogan éluda la question.

- Ces deux Rejetés ont été capturés récemment.

Il montra leur visage sur l’écran en face d’eux.

- Juan Holm, Rejeté de type Féreux et Drakmen. Il a été appréhendé dans le 4ème district suite à sa Désignation. Et Kalie Warcelos. Elle se serait rendue elle-même à son oncle le gouverneur quand elle a découvert ses pouvoirs.

Il y eut de nombreux murmures stupéfaits dans la salle. Tout le monde connaissait la belle et gracieuse nièce du gouverneur, et qu’elle soit devenue une Rejetée était pour eux un choc. Tuskun gémit.

- Aaaah, c’est pas d’bol. Elle me plaisait, cette nana…

- Elle s’est rendue d’elle-même ? Répéta un autre Désigné en ricanant. Pourquoi s’est-elle enfuie alors ?

- Pas notre affaire non plus, répondit Pertogan. Notre boulot est de les retrouver. Juan Holm peut-être abattu sur place. Mais monsieur le gouverneur veut que nous capturions Kalie Warcelos sans la tuer si possible. Toutefois, soyez très prudent quand vous l’aurez en face de vous. Cette fille est à la fois une Pensive, une Féreuse et une Brûleuse.

Là, les Désignés en restèrent carrément cois.

- Ça existe, ça ? Comment c’est possible ?

- Trois pouvoirs ? Mais c’est quoi ce monstre ?

- Une Méga-Rejetée ?

- Je veux un groupe de dix Désignés contre eux, poursuivit Pertogan. Normalement, ils ne contrôlent pas vraiment encore leurs pouvoirs, mais autant ne pas prendre de risque.

- Monsieur !

Une des Désignée de la brigade s’était levée. Elle avait le grade de sergent. L’une des Désignées les plus compétentes de Pertogan, même si elle était relativement nouvelle dans la brigade. Il lui fit signe de parler.

- Permettez que je fasse partie de l’équipe.

- Une raison particulière à ça, sergent ?

La jeune femme sergent regarda le portrait de Kalie Warcelos en plissant les yeux. Elle avait l’air prête à tuer.

- Oui monsieur.

Elle n’en dit pas plus. Pertogan haussa les épaules. Ça ne le concernait pas, après tout. Il connaissait bien cette Désignée. Elle était jeune et était rentrée tout récemment, mais elle était d’un tel niveau que même les plus anciens de la brigade la respectait et lui obéissait. Pertogan n’avait jamais une Féreuse aussi douée qu’elle. Et elle était aussi d’un sérieux exemplaire et d’une loyauté sans faille.

- Très bien. Vous commanderez l’équipe, sergent Kristerly

Laureen Kristerly salua, et revint au portrait de Kalie, ses yeux gris brillant d’un mélange de peine et de colère.


***


Kalie et Juan n’avaient cessé de courir que lorsqu’ils eurent quitté le 1er district. Alors seulement ils purent reprendre leur souffle. Ils s’arrêtèrent près d’un grand entrepôt, en bordure de la rivière Trisa. Kalie ne savait plus trop où elle était. Elle ne reconnaissait rien. Elle n’avait cessé de courir en suivant Juan, en direction du Mur, mais ça ne voulait rien dire, vu que le Mur les entourait de partout. Arceus merci, il était très tard, et pas grand monde ne sortait la nuit. La nuit, c’était le domaine de la mafia et des Rejetés, disait-on. Et vu que Kalie et Juan étaient visiblement les seules personnes dans les rues en ce moment, ce n’était pas forcément faux.

- On est où là ? Demanda Kalie quand elle eut repris assez de souffle pour parler.

- Dans le huitième, répondit Juan.

Kalie grimaça par réflexe. Le 8ème district se trouvait à l’est du premier. C’était un qui avait le Mur comme frontière. Kalie y avait rarement mis les pieds. Le nord du district était sans doute globalement sûr, mais au sud, il y avait le 9ème district, le plus dangereux de la ville. Les gens du rang social des Warcelos n’avaient rien à faire dans ce coin là.

- Pourquoi tu nous as amené dans le 8ème ? Demanda Kalie.

- Je me suis amené moi-même, répliqua Juan. C’est toi qui m’a suivi. Tu peux aller où tu veux maintenant.

- Sois pas idiot. On a plus de chance de s’en tirer si on reste ensemble !

En réalité, Kalie savait qu’elle ne supporterai pas de rester seule. Juan était son seul allié, elle ne voulait surtout pas le perdre.

- Pourquoi tu aurai besoin de moi, mademoiselle Warcelos ? Lui demanda Juan d’un ton mordant. Tu as trois pouvoirs non ? Je sens que les miens reviennent peu à peu. Ça doit être pareil pour toi.

En effet, Kalie sentait les portes de ses pouvoirs se rouvrir lentement dans son esprit, signe que la drogue du Bureau Analyse cessait de faire effet.

- Ça n’a rien à voir avec les pouvoirs, protesta Kalie. C’est juste que… on est dans la même galère, toi et moi… Écoute, je suis désolée de t’avoir traité comme je l’ai fait le jour où… où tu as été arrêté.

Juan ricana.

- Oui, maintenant tu l’es.

- Juan…

- C’est bon, je t’en veux pas pour ça. Moi aussi, avant de devenir un Rejeté, je les considérais comme de la merde. Peut-être en sommes nous réellement. Mais j’ai pas envie de crever quand même. Je vais vers le sud.

- Le… le sud ? Répéta Kalie, perplexe. Mais au sud d’ici, il y a…

- Le 9ème district, oui. Ma destination.

- T’es cinglé ! C’est la totale anarchie là-bas ! Purple Knife y règne en maître, et c’est là qu’il y a le plus de Rejetés…

- Mais NOUS SOMMES des Rejetés ! Cria presque Juan. Quand est-ce que tu vas t’en rendre enfin compte ?! On a plus de chance de survivre là-bas, avec des gens comme nous, plutôt que dans les districts contrôlés par ton oncle, où les Désignés vont nous attraper. Au 9ème, il parait que certaines branches de la mafia recrutent des Rejetés. Avec tes trois pouvoirs à la fois, tout le monde voudra t’avoir. Tu pourrais bien vivre, et te faire beaucoup d’argent.

- Nous sommes peut-être des Rejetés, concéda Kalie, mais pour ma part, je n’ai aucune envie de faire le mal. La mafia, c’est le mal.

- Ah. Alors ce qu’ils nous ont fait, dans les sous-sol de la Tour Powergate, c’était le bien alors ? Retourne-y, si tu y tiens. Moi, je n’ai aucune envie de mourir, et encore moins de finir mes jours comme rat de laboratoire pour cette psychopathe de Jird. Je vais dans le 9ème. Libre à toi de me suivre ou pas.

Il se mit en marche sans l’attendre. Kalie était perdue. Elle ne voulait en aucun cas se séparer de Juan, mais se rendre dans le 9ème c’était totalement contraire à ses convictions et à son éducation. C’était une zone de non-droit, où les Rejetés se regroupaient pour y faire régner la terreur, souvent sous les ordres de Purple Knife, l’organisation mafieuse la plus terrible de tout Ortris. Kalie ne se sentait pas être devenue un monstre assoiffé de sang et de destruction. Or, les Rejetés qui se trouvaient là-bas, c’étaient pas ceux que le Bureau Analyse gardaient prisonniers. Kalie avait vu des reportages, entendu des témoignages. Le 9ème district, c’était l’Enfer, ni plus ni moins.

Mais alors que Juan commençait à s’éloigner, Kalie se mit à courir pour ne pas être laissée sur place. Juan disait vrai. Le 9ème était le seul district d’Ortris dans lequel les Désignés ne contrôlaient pas tout. Le seul dans lequel Kalie et Juan auraient une chance de rester cachés. Kalie ne serait pas obligée de servir la mafia. Elle pouvait tout simplement vivre en recluse, loin des Désignés, des Rejetés et de la mafia. Mais sans aucune perspective d’avenir. Un avenir bien sombre et malheureux. Y penser la mis dans un tel état qu’elle commença à pleurer. Juan ne fit aucun commentaire, se contentant de marcher en silence.