Chapitre 1 : La ville derrière le mur
Ortris n’avait jamais été un coin de paradis. Avant le Mur, elle était l’otage de ses propres criminels, gangrenée par une corruption infernale. Aujourd’hui, elle était entourée d’un mur de feu surnaturel et infranchissable, et tous ses habitants étaient prisonniers, destinés à devoir survivre par eux-mêmes. Comme plus personne ne pouvait sortir, le chômage battait son plein. En effet, la seule ville d’Ortris ne pouvait pas offrir du travail ses deux millions d’habitants, surtout si on ne pouvait plus rien exporter. Tout le monde souffrait, à Ortris, quelque soit l’époque. Mais, comme partout ailleurs, il y en avait qui souffrait moins que d’autre.
Kalie Warcelos était l’une de ceux-là. On pouvait dire qu’elle avait tiré la bonne paille le jour où elle est née. C’était une belle jeune fille aux cheveux blonds clairs, presque blancs. Elle avait de grands yeux bleus, et un visage fin et sans défaut. Elle était ni trop grande, ni trop petite, avait de bonne formes sans être trop voluptueuse, et possédait une sorte de grâce naturelle qui la rendait charmante quoi qu’elle faisait. En outre, elle était très intelligente, toujours première de sa classe, et les postes hauts placés de ses parents faisait qu’elle ne manquait jamais de rien. Son caractère sociable et gentil faisait qu’elle avait plus d’amis que de raison, et tout le monde l’aimait bien. En clair, Kalie Warcelos était parfaite.
Enfin, Kalie avait un autre avantage, qui n’était pas le moindre : son oncle n’était nul autre que Clovis Warcelos, le gouverneur d’Ortris. Comme le gouverneur n’avait pas d’enfant et que Kalie elle-même était fille unique, il n’était pas rare qu’on les voit ensemble. Kalie aimait les réceptions qu’organisait son oncle et ses multiples déplacements dans la ville, toujours suivi par une foule de journalistes. Quant à Clovis, il ne rechignait jamais sur la présence de sa nièce, qui lui donnait une meilleure image auprès des médias, celle d’un oncle attentif et aimant.
Comme aujourd’hui. Le gouverneur Warcelos avait fait un déplacement dans le 4ème district de la ville, pour inaugurer une nouvelle usine d’agro-alimentaire. Dans une autre grande ville, cela aurait semblé stupide, mais ici, à Ortris, l’alimentation était la priorité numéro un. Le gouverneur allait féliciter les salariés et donner la médaille de la ville au directeur. Et comme le 4ème district était voisin du 1er et relativement sûr, Kalie avait tenu à l’accompagner. Elle était assez proche de son oncle. Elle l’admirait et tenait à apprendre beaucoup de chose à ses cotés, elle qui voulait s’engager dans une carrière politique plus tard, comme lui.
Kalie se délectait plus particulièrement de ces voyages en voiture avec son oncle, tandis qu’ils traversaient des rues entières où plein de gens les acclamaient. Clovis Warcelos était un homme apprécié de la population. Beaucoup le surnommait le « Sauveur d’Ortris ». De fait, plus elle restait auprès de lui, plus la popularité de Kalie grimpait aussi, et l’adolescente n’avait rien contre le fait d’être admirée.
Le cortège du gouverneur était entouré par quelque dizaines de voitures et de motos de garde du corps, ainsi qu’une d’une petite escouade de Désignés. Il y en avait toujours au moins six à chaque déplacement du gouverneur. Ça aussi, ça attirait les gens. Le peuple était toujours ravi de voir les fameux surhommes qui ont été bénis par le Mur et qui possédaient l’un des quatre pouvoirs de Faerios. On espérait toujours qu’ils en fassent une démonstration. Mais ils avaient interdiction de s’en servir en public, à moins sauf urgence. La présence de six Désignés pour protéger le gouverneur était avant tout dissuasive. Il y avait sans doute beaucoup de criminels, des caïds de la mafia, qui rêvaient de voir Clovis Warcelos mort, mais aucun d’entre eux n’était assez fou pour s’en prendre à lui alors qu’il était entouré de Désignés.
Face à elle, son oncle ne se lassait pas de saluer la foule derrière la vitre. Clovis Warcelos était un politique, mais il avait tout pour plaire. Il était relativement jeune - vingt-cinq ans à peine - et avait un visage charmant et sourieur, encadré par des cheveux argentés presque blancs qui lui donnaient un air sage et vénérable malgré son jeune âge. C’était un trait typique de la famille Warcelos ; ils avaient tous les cheveux très clairs, à la limite de la décoloration. Le père de Kalie, Brian, qui était le frère de Clovis, les avait aussi, et leur père avant eux. Kalie, elle, avait une légère teinte dorée qui ne les rendait pas tout à fait blancs. C’était dû à sa mère, Félie, qui elle avait les cheveux couleur paille.
- Tu n’as jamais mal au poignet, à force de saluer comme ça ? Interrogea Kalie d’un ton amusé. Tu n’as pas arrêté depuis qu’on est parti du 1er district.
- C’est l’une des tâches qui m’est attitrée, fit Clovis avec sa voix de velours. Tant qu’il y a des caméras à coté de moi, je me dois de saluer les gens. Et si jamais il n’y en avait pas, je me devrais sans doute de saluer les Pokemon. Chaque citoyen d’Ortris m’est précieux. Je me dois de constamment leur montrer.
Kalie enregistra la phrase de son oncle et se promit de l’écrire sur son cahier en rentrant. Elle tenait un petit journal dans lequel elle prenait des notes sur ce que lui enseignait Clovis. Kalie était très studieuse, et quand on avait un oncle qui se trouvait être le premier des ortrisiens, autant en profiter.
Clovis était son oncle, mais ils n’avaient que neuf ans de différence. Cela était dû au fait que Brian Warcelos avait eu Kalie assez tôt, et que Clovis était venu au monde plusieurs années après Brian. De fait, Kalie considérait Clovis plus comme une espèce de grand-frère qu’un oncle. Elle était certaine qu’elle avait passé plus de temps avec lui qu’avec ses parents. Elle se souvenait même du jour où le Mur était apparu, six ans plus tôt. Kalie n’avait que dix ans, et Clovis dix-neuf. Ils avaient été ensemble, ce jour là aussi. Le jour où tout avait changé pour Ortris.
Kalie braqua son regard vers l’immense paroi de flammes qui entourait la ville de part en part, comme une muraille infinie. Cela faisait six ans qu’elle était là maintenant, et qu’elle éclairait Ortris sans discontinuité avec ses flammes. De fait, il était bien difficile de dire s’il faisait jour ou non. Le Mur faisait qu’Ortris ne connaissait plus le froid. La température moyenne avait grimpé de dix degrés, et ne baissait plus. On avait donc, à Ortris, une température d’environ trente degrés continuellement, et en été, cela pouvait atteindre des chaleurs quasi-insupportables. La seule façon de reconnaître à nouveau la sensation du froid était de prendre un bain gelé. Inutile de préciser que tout les Pokemon glace de la ville avaient disparu depuis longtemps, ne pouvant pas survivre sous cette chaleur continuelle.
Outre la disparition de quelque espèces de Pokemon, l’apparition du Mur avait eu tant de conséquences sur la ville qu’il serait trop long de les lister. De lourdes conséquences, certes, mais pas qu’en mal. Grâce au Mur, les Désignés étaient apparus, et grâce à eux, Ortris s’était quasiment libéré de la mafia qui la gangrenait avant. Bien sûr, elle existait toujours, dans les districts les plus corrompus, notamment le 9ème. Et puis, Ortris devait faire face à de nouvelles menaces, la plus sérieuse étant les Rejetés. C’était ainsi qu’on nommait les Désignés qui, au lieu d’avoir un seul pouvoir parmi les quatre de Faerios, en avaient deux. Ces gens là, très rares parmi les Désignés, étaient invariablement pourchassés et éliminés. Ils étaient le mal et la folie à l’état pur. C’était à peine s’ils demeuraient humains.
Le Mur, les Désignés, les Rejetés… tout cela était l’œuvre de Faerios, ce Pokemon mystérieux qui était arrivé à Ortris il y a six ans. Depuis, il était toujours là, survolant la ville, comme si rien ne lui faisait plus plaisir que d’observer la vie de ses habitants. Tout le monde a fini par s’habituer à sa présence, et il était devenu un objet du paysage. Par contre, tout le monde avait renoncé à comprendre ses intentions. Il était là, c’est tout. Et il ne faisait rien. Enfin, si toutefois il n’était pas menacé. Kalie se souvenait de l’époque, peu après l’apparition du Mur, où des dresseurs avaient tenté de le capturer, et même de le tuer, pour tenter de faire disparaître le Mur. Pas un n’avait réussi, et ces échecs à répétition s’étaient souvent soldés par des morts coté dresseurs. Depuis, tout le monde le laissait tranquille.
Tout ça pourtant devait bien avoir un sens. Faerios devait attendre quelque chose d’eux, c’était évident. Ce Mur n’était pas là pour rien. Les Désignés ne devaient sûrement pas leur existence au hasard. C’était ce que Clovis pensait, et pour parvenir à ce but encore non déterminé, il voulait amener Ortris dans une ère de gloire, de puissance et de prospérité. Avec les Désignés, il allait anéantir une bonne fois pour toute la mafia et les Rejetés, et alors, peut-être que Faerios leur révélerait le but de tout ceci.
Clovis mettait tellement de passion dans ses convictions qu’il parvenait sans mal à convaincre les plus sceptiques. Il était charismatique et déterminé, ce qui expliquait qu’il devint gouverneur de la ville à à peine vingt-trois ans. Et depuis, Ortris avait prospéré et s’était sécurisée. Kalie doutait qu’elle y serait parvenue s’il n’y avait pas eu le Mur. En cela, au moins, Faerios avait été bénéfique.
Arrivés à l’usine qui devait être inauguré, Clovis et Kalie descendirent de la voiture sous une pluie de flashs d’appareil photo, de caméras et de vivats. Clovis salua à sa façon habituelle à la foule, tandis que le sous-gouverneur du 4ème district et le directeur de l’usine vinrent à sa rencontre avec de grands sourires de circonstance. Kalie, toujours ravie d’être sous le feu des projecteurs, adressa un de ses plus beaux sourire à la foule. Elle savait que les journalistes étaient toujours que trop heureux de l’avoir en fasse d’eux. Ça leur donnait l’occasion de prendre de nouvelles photos et d’écrire de nouveaux articles à son sujet, la présentant comme la fille la plus charmante, la plus intelligente et la plus populaire de toute la ville. Et Kalie se plaisait de cette attention.
Après avoir salué son oncle de la plus obséquieuse des façons un bon moment, le sous-gouverneur se tourna vers elle. Kalie se souvint de son nom, un certain Piof Huckene.
- Et la jeune dame Warcelos est également là ! J’en suis ravi, vraiment ! Vous êtes toujours aussi sublime, mademoiselle.
Kalie laissa l’homme lui faire un baisemain, et suivi Clovis durant toute la visite. L’escouade des Désignés restait autour d’eux, regardant partout de droite à gauche, guettant un éventuel danger. Comme Clovis en avait un bon paquet sous ses ordres, elle n’en reconnaissait jamais, vu qu’ils changeaient toujours. C’était dommage, car elle aurait bien aimé parler avec l’un d’entre un. Kalie admirait les Désignés, et voulait toujours en savoir plus sur eux, sur leurs pouvoirs. Mais ils parlaient rarement. Ils étaient tenus à une obligation de secret sur leurs pouvoirs et sur leur travail. Une des meilleures amies de Kalie, Laureen, avait eu la chance de devenir une Désignée, il y a trois mois. Mais même elle évitait d’en dire trop à Kalie, et ne lui avait jamais montré ses pouvoirs.
Si Kalie s’y intéressait tant, c’était que dans cinq jours, elle aurait enfin seize ans. Et alors, comme la loi de la ville l’exigeait, elle allait devoir passer sa Désignation : toucher le Mur, afin de voir si elle était choisie comme Désignée. Kalie ne se faisait pas grandes illusions. On avait très exactement une chance sur cinq-cent douze de devenir un Désigné, un chiffre confirmé par toutes les statistiques existantes. Mais elle voulait quand même espérer. C’était un immense honneur d’être un Désigné, de posséder l’un des pouvoirs Pokemon de Faerios, afin de servir Ortris de la meilleure des façons. Devenir Désignée, et intégrer l’une des six brigades d’élite au service du gouverneur, son propre oncle… le rêve !
Clovis n’avait d’ailleurs cessé de l’encourager, lui affirmant qu’une jeune femme aussi brillante qu’elle avait toute ses chances. Clovis croyait dur comme fer que les Désignés étaient choisis en fonction de leurs qualités. Rien ne le prouvait, mais après tout, c’était possible. Le Mur provenait de Faerios. Peut-être le Pokemon choisissait-il lui-même ceux qui hériteront de ses pouvoirs.
Il avait quatre types, dont le type Psy. Peut-être lisait-il en chacun des habitants d’Ortris et qu’il les évaluait. C’est cette explication qui avait été retenue pour expliquer l’existence des Rejetés. Si quelqu’un de mauvais touchait le Mur, il avait de grande chance de devenir un Rejeté. C’était du moins ce qu’on avançait, et pourquoi on interdisait à tous ceux qui avaient commis un crime quelconque de s’approcher du Mur. On ne voulait prendre aucun risque.
Pendant le discours de Clovis sur le patriotisme des entrepreneurs, la nécessité d’une grande union pour survivre à cette épreuve - bref, les trucs habituels qu’il répétait sans cesse et que Kalie avait fini par connaître par cœur - l’adolescente se surpris à songer qu’elle devenait une Désignée. Clovis lui avait laissé entendre que si c’était le cas, elle aurait une place de choix dans l’une des meilleures brigades. Kalie imaginait la fierté de ses parents, et l’attention encore plus grande de la presse à son sujet. Elle avait certes envisagé une carrière politique, pour succéder un jour à son oncle, mais après tout, rien n’interdisait à un Désigné d’entreprendre un tel parcours. Elle aurait même plus de chance d’être la future gouverneur d’Ortris avec les pouvoirs de Faerios en sa possession.
Les rêves plein la tête, Kalie ne remarqua immédiatement pas que Clovis avait terminé son discours et coupé le ruban rouge qui entourait l’entrée de l’usine. Il retournait maintenant vers la voiture, comme il en était sortie, sous les vivats et les applaudissement. Kalie se dépêcha de le rejoindre, suivis de près de deux garde-du-corps Désignés. Clovis continua de faire des signes de mains jusqu’à que la voiture démarra. Après quoi seulement, il se permit de poser son bras et de souffler un bon coup en desserrant sa cravate.
- Voilà, ça c’est plutôt bien passé, dit-il d’un air satisfait.
- Hum… fit Kalie.
- Tu m’avais l’air un peu absente. Mes discours seraient-ils enfin parvenus à t’endormir debout ? Demanda-t-il, amusé.
- Non, c’est… Je pensais juste à vendredi.
Clovis lui fit un sourire rassurant et paternel.
- Ne t’en fais pas pour ça. Si tu deviens une Désignée, ce serait formidable, bien sûr, mais tu n’as pas besoin de ça pour être remarquable. Tu l’es déjà.
- Tu n’as pas eu peur toi, quand tu as touché le Mur ?
- Moi, j'étais plus âgé que toi quand je l'ai touché. Et à dire vrai, j’ai espéré ne pas devenir un Désigné. Je venais tout juste de me lancer dans la politique, et des pouvoirs soudains qui se manifesteraient auraient été une complication pour moi. Du reste, je suis un homme de parole, pas d’action. Les criminels auraient eu tôt fait de s’enfuir face à moi, même avec des pouvoirs. Je n’étais pas champion d’athlétisme de mon lycée, moi.
- Je ne suis que vice-championne, rectifia Kalie. La championne, c’était Laureen Kristerly.
- C’est elle qui est devenue Désignée il y a trois mois non ? Eh bien, vois comment le Mur favorise ceux qui ont un esprit sain dans un corps sain.
- Tu ne sais pas toi dans quelle brigade Laureen a été affecté ? Elle refuse de me le dire. Elle n’a pas le droit, selon elle.
- Et elle a parfaitement raison. Les fonctions des Désignés doivent rester secrète du public. Même à ses parents, elle n’aurait pas le droit de le dire.
- Mais toi, tu le sais, j’en suis sûre, insista Kalie.
- Ce n’est pas moi qui m’occupe de l’affectation des nouveaux Désignés, dit Clovis d’un air dégagé. Il y a des gens compétents pour cela, qui évaluent le potentiel des nouveaux élus. Mais pourquoi ça t’intéresse tant, la brigade dans laquelle ton amie a été envoyée ?
- Je m’inquiète pour elle, c’est tout, avoua Kalie. Désigné n’est pas de tout repos, non ? Ceux de la Brigade d’Assaut ont tendance à ne pas vivre longtemps…
Il y avait six brigades de Désignés en tout, toutes ayant une fonction particulière. La Brigade d’Assaut était sans doute la plus dangereuse, car les Désignés qui en faisaient partis étaient le plus souvent en première ligne contre les mafieux et leurs hommes. Et même s’ils avaient des pouvoirs, ils n’étaient pas immortels non plus. Mais Clovis lui fit un sourire rassurant.
- On n’oblige jamais un Désigné à intégrer une brigade en particulier sans son consentement. C’est d’autant plus vrai pour la Brigade d’Assaut. Elle ne comporte que des volontaires, des Désignés qui ont le plus envie d’en découdre.
- Laureen a toute les chances d’y être alors, soupira Kalie avec un petit rire.
Son amie était en effet du gente tête brûlée, toujours à foncer la première dans la bagarre.
- Si je deviens Désignée et que j’ai le choix de ma brigade, continua Kalie, ce sera sûrement la Brigade d’Intervention, ou bien…
Mais Kalie fut stoppée par le bruit d’une explosion un peu plus loin. On voyait, par la vitre, de la fumée s’échapper d’un pâtée de maison, un peu plus loin. Kalie fut soudain inquiète. Un attentat, ici, au 4ème District ?!
- Arrêtez la voiture ! Ordonna Clovis au chauffeur.
Mais à peine fut-il sorti que ses anges gardiens de la Brigade de Protection vinrent l’entourer, descendant à toute vitesse de leurs motos.
- Monsieur le gouverneur, retournez dans votre véhicule je vous prie.
- Que ce passe-t-il ? C’était quoi, à l’instant ?
- La Brigade de Sécurité est sur place, elle contrôle la…
- Je viens de vous demander ce que c’était !
Clovis était en colère et agité, comme à chaque fois que sa ville chérie et ses citoyens étaient menacés. Un des Désignés prit une radio et s’éloigna. Il revint une minute plus tard.
- C’est une interpellation, monsieur. Un Rejeté a été découvert.
Kalie frissonna malgré elle. Un Rejeté était bien plus grave qu’un acte terroriste.
- Un Rejeté ? Répéta Clovis. Ici ? Les Rejetés en cavale ne se promènent pas dans le 4ème en plein jour !
- Il n’est pas en cavale, monsieur. Il vient juste de le devenir. C’est un jeune homme qui a touché le Mur hier soir. Il ne sait pas encore se servir de ses pouvoirs. Sa mère tente de le protéger…
Clovis ouvrit la bouche, mais ne trouva rien à dire. Kalie savait ce qu’il ressentait. C’était toujours un grand malheur quand un nouveau Désigné se révélait être en fait un de ces horribles et incontrôlables Rejetés. Et pourtant, Arceus sait que ça n’arrivait pas souvent. C’était déjà très rare d’être un Désigné, alors un Rejeté… Mais ça arrivait quand même, et pour le bien d’Ortris, des mesures drastiques devaient être prises.
- Je vais y aller, décida Clovis.
- Monsieur ! Protesta l’un des Désignés.
- C’est mon devoir en tant gouverneur de cette ville ! Je dois rassurer les gens, consoler cette pauvre mère…
Et il s’élança avant que ses gardes n’aient pu l’en empêcher, et ils ne purent que le suivre en lançant des jurons. Clovis connaissait mieux que quiconque le danger que représentait les Rejetés. Sa fiancée Esther avait été tuée par l’un d’entre eux, il y a trois ans. Lui plus que quiconque serait en droit de les haïr. Pourtant, il semblait avoir pitié d’eux. Clovis avait un cœur tendre. Kalie, pour sa part, ne les plaignait pas. Elle les méprisait. C’étaient des monstres, des êtres à peine humains. Ils ne méritaient aucune pitié.
Ne souhaitant pas rester seule, et étant curieuse, Kalie s’élança à la suite de son oncle et de ses Désignés. Elle passa les barrages de sécurité sans problème ; tout le monde dans la ville la connaissait, et personne n’aurait interdit quoi que ce soit à la nièce adorée du gouverneur, surtout en sa présence. Mais les barrières de la police n’avaient pas empêché l’attroupement des curieux. Il y avait une maison salement amochée, à laquelle il manquait une partie du toit, et dont on aurait dit qu’un météore venait de s’écraser dans le jardin. Sur le bord, une femme serait fortement contre elle un garçon. Elle semblait en proie à une crise de folie.
- NON ! Il n’est pas un Rejeté ! Vous entendez ?! Il n’a que le pouvoir Acier ! Juste un seul pouvoir ! C’est un Désigné ! Mon fils n’est pas un Rejeté ! Ne me l’enlevez pas !
La femme et son fils étaient entourés par une dizaine de Désignés de la Brigade de Sécurité, assistés de quelque Pokemon. L’un des Désignés, qui pointaient son arme vers eux, dit froidement :
- Ce toit n’a pas explosé sous la pression de l’acier. C’était une attaque Dragon.
- NON ! C’est impossible ! Juan ne peut pas…
Kalie retint un hoquet de surprise. Elle venait de reconnaître le Rejeté en question. C’était Juan Holm. Il était dans le même lycée qu’elle. Ils n’étaient pas de la même classe, mais de la même année. Kalie lui avait même parlé quelque fois. Un garçon gentil. Comment cela se faisait-il ?!
- Votre fils a été clairement vu en train de faire usage de deux pouvoirs différents, continua le Désigné. Du type Acier juste après son contact avec le Mur. Et pas plus tard que ce matin, de type Dragon. Il est donc reconnu comme Rejeté. En vertu de l’article 16 alinéa 1er de la charte de la ville, les Rejetés ne disposent d’aucun droit, d’aucun recours. Ils sont dès lors considérés comme des criminels de classe A, et doivent être immédiatement mis à l’isolement.
- MAIS IL N’A RIEN FAIT ! Hurlait la mère, désespérée. C’est un brave garçon… jamais il ne ferait quoi que ce soit…
Elle vit alors Clovis qui observait le spectacle, le visage défait. Elle rampa vers lui.
- Gouverneur… Monsieur le Gouverneur… Je vous en supplie, ayez pitié ! Ne me prenez pas mon fils ! Il est innocent !
Mais Clovis secoua la tête.
- Les Rejetés ne restent jamais innocents, madame. Tôt ou tard, ses pouvoirs lui dévoreront l’esprit, et il deviendra une menace pour la ville et ses citoyens. Les Rejetés sont des monstres asociaux et brutaux. Pour notre survie, il ne peut y avoir d’exception. Nous devons être fermes. Je suis désolé…
Les Désignés parvinrent à décrocher Juan de l’étreinte de sa mère, et l’entourèrent solidement, l’enchaînant de toutes parts. Si la mère pleurait toutes les larmes de son corps, Juan lui ne semblait pas trop conscient de ce qui lui arrivait. Il avait le visage fermé, les yeux écarquillés, terrifiés. Quand il vit et reconnu Kalie, qui observait ça avec détachement, il lui lança :
- Kalie… Tu me connais ! Je ne suis pas quelqu’un de mauvais ! Ne les laisse pas me… Aide-moi !
Kalie se retint de reculer. Ce… Rejeté venait de lui parler ! Elle en tremblait presque de dégout. C’étaient des monstres. Des déchets qui polluaient la belle et saine ville que Clovis tentait de bâtir. Ils devaient être éradiqués.
- Si tu es devenu un Rejeté, c’est que tu le méritais, dit Kalie d’un ton froid, mais assez fort pour que tout le monde l’entende. Il y avait forcément quelque chose de mauvais en toi. Le Mur l’a senti, et il t’a puni.
Si Clovis avait parlé avec une certaine commisération pour la mère, il n’y avait aucune trace de pitié dans la voix de Kalie. Juan dut sentir son mépris, et avant qu’il ne soit embarqué de force dans l’un des fourgons, il lui lança un regard de pure haine. Kalie frémit comme s’il l’avait menacé d’un pistolet. Sonnée et frissonnante, elle n’attendit pas que Clovis ait fini de rassurer la foule et reparti vers la voiture. Son oncle vint la rejoindre dix minutes plus tard, l’air défait.
- Des scènes pareilles sont toujours terribles, souffla-t-il. Tu n’aurais pas du venir.
- Qu’allez-vous faire de la mère ? Vous l’avez arrêtée aussi ? Voulu savoir Kalie.
- L’arrêter ? S’étonna Clovis. Pourquoi donc ? Cette pauvre femme a déjà assez souffert…
- Elle y est forcément dans quelque chose si son fils est devenu un Rejeté. Elle a dû mal l’élever, ou alors, il y avait quelque chose de pourri en lui dès sa naissance, auquel cas c’est aussi la faute de ses parents. Pour plus de sécurité, moi, je l’aurai amenée aussi.
Clovis la regarda avec une certaine forme de remontrance.
- Kalie, cette femme n’y est pour rien. Le Mur peut sans doute détecter la moindre chose mauvaise enfouis le plus profondément dans le cœur. Ce garçon n’était peut-être mauvais pour le moment, mais peut-être allait-il le devenir. Nous n’en savons rien. Mais c’est sa mère qui est la plus à plaindre. Ce sont toujours les familles des Rejetés, les plus à plaindre. Les Rejetés aussi méritent notre pitié.
- Notre pitié ?! S’exclama Kalie. Après tout ce qu’ils ont fait ? Après ce que le Démoniaque a fait à Esther ?
- Oui, de la pitié, insista Clovis. Penses-tu que ces gens seraient devenus ce qu’ils sont devenus s’il n’avaient pas touché le Mur ? Le Mur rend les gens bons encore plus meilleurs, et rend les mauvais encore pire. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction. Si je le pouvais, j’aiderai les Rejetés. Mais c’est impossible. Je peux seulement protéger les habitants d’Ortris en les pourchassant où qu’ils soient, qui qu’ils soient. Ça me fait mal, mais c’est mon devoir. Je m’y emploierai toujours.
Kalie acquiesça vaguement. À l’inverse de Clovis, elle ne plaignait pas les Rejetés, qui n’avaient que ce qu’ils méritaient, mais était consciente du lourd travail de son oncle. C’était lui qui avait mis en place le système des Désignés et la Désignation dès l’âge de seize ans. Grâce à ça, les Désignés étaient immédiatement pris en charge par la société pour contrôler leurs pouvoirs et les mettre au service de la ville, et les Rejetés étaient immédiatement repérés. Sans ce système, Ortris aurait sombré dans l’anarchie la plus complète. Tant que Clovis était au commande, Kalie avait confiance en l’avenir.
Mais quand même… Clovis avait raison, elle aurait du rester dans la voiture. Elle se serait bien passée de voir ça cinq jour avant de se présenter elle-même devant le Mur !