Chapitre 3
Maintenant que la loi était adoptée, les gens du Vent portaient leur badge. Certains refusaient encore, risquant des amendes et même la prison. C'est avec rancœur qu'ils payaient plus cher l'accès aux soins de leurs Pokémon.
Ils devaient laisser obligatoirement leurs places dans les transports en commun, devaient saluer les employés qui ne portaient pas ce signe distinctif lorsqu'ils faisaient leurs courses.
Cela renforça le fossé entre les deux communautés. Les zébrés devinrent plus orgueilleux tandis que les pigeons juraient en silence.
Il fut bientôt question d'une série de lois privant le peuple du Vent de leurs Pokémon qu'on disposerait au service de l'armée royale.
Cette nouvelle se répandit comme une traînée de poudre, ravivant la sourde révolte nichée dans le coeur des gens du Vent.
Hénéas prit son vol d'Arabelle pour rejoindre la capitale. Il avait une série d'avions à piloter cette semaine. Il n'avait pas la tête à travailler ; toutes ces nouvelles le perturbaient. Il croyait que le pire avait déjà été fait mais Flump trouvait encore le moyen d'alourdir leur quotidien un peu plus à chaque fois. Si personne ne prenait au sérieux ses idées de révolution, ils seraient bien obligés de le croire maintenant !
Il n'avait pas trouvé Yell au réveil. Elle était partie travailler dès l'aube. Depuis que s'annonçait cette avalanche de lois pleuvant sur leur tête, ils se serraient les coudes. Ils passaient la plupart des nuits ensemble.
Lorsqu'il pensa à son beau port altier, à son visage rayonnant, il regretta de ne pas avoir pu rester à Arabelle. Cependant, les obligations professionnelles le forçaient à partir.
Lorsqu'il prit son poste à l'aéroport central de Volucité, on lui refusa l'accès. Ses collègues lui firent la réflexion qu'il ne portait pas son badge de pigeon et donc qu'il n'était pas en droit de travailler.
Hénéas, furieux, se rendit dans le bureau de son supérieur.
« Pourquoi ne portez-vous pas ce badge ?
- C'est dégradant !
- C'est la loi.
- C'est facile pour vous de dire ça, vous êtes un privilégié. Vous êtes une personne de la Foudre. Moi pas.
- Je vais faire comme si je n'avais rien entendu. D'ailleurs je ne comprends pas pourquoi vous êtes venu. »
Hénéas fronça les sourcils.
« Vous n'êtes pas au courant du rajout de la loi ? Les gens du Vent n'ont plus le droit d'exercer des postes à responsabilités. Il y a une liste des professions et... pilote de l'air en fait partie. Je suis désolé, je croyais que vous étiez au courant. »
Ce fut comme un coup de massue portée en pleine tête. On allait lui enlever son gagne-pain, sa passion, en plus d'atteindre sa dignité ? Il eut du mal à réaliser qu'on allait le foutre dehors après des années de bons et loyaux services. Ce fut pourtant le cas.
Il rentra à Arabelle avec l'objectif de porter atteinte aux projets du roi. Ce dernier venait de le toucher une nouvelle fois personnellement. Il ne laisserait pas ce zébré arracher les Pokémon à leur dresseur. Il ne manquerait plus qu'on lui enlève son Canarticho !
*****
Dans le royaume de Rolcheu, on suivait de près l'actualité des pays voisins. Notamment celle de la Voudre. On trouvait ça aberrant et effrayant qu'un roi puissent haïr une partie de son peuple pour favoriser l'autre partie.
Le royaume de Rolcheu était composé de trois peuples qui vivaient en harmonie : le peuple de Roche, le peuple du Sol et le peuple du Feu. Même si ces derniers étaient majoritaires sur le territoire, cela ne serait pas venu à l'idée au roi David de les favoriser au détriment des autres populations. Il avait été élevé dans le respect et l'égalité des siens. Il ne faisait aucune distinction, ayant grandi dans un royaume déjà formé par les alliances.
Assis sur son trône composé de trois éléments disparates : de la terre, de la roche et du magma, il lisait les nouvelles d'un œil sévère. Ce Flump était tout bonnement effrayant. Il n'hésiterait pas à conquérir d'autres pays d'ici peu.
David n'avait rien à craindre. Rolcheu était immunisé face aux attaques d'une armée menée par des Pokémon électriques. Ses soldats pourraient aisément le dominer s'il s'en donnait les moyens. Mais il n'en avait pas envie. Bien sûr, il se défendrait si on l'attaquait de front.
Il imaginait le calvaire que vivaient les "pigeons du Vent", comme on les surnommait.
A ses côtés, ses deux fils jouaient aux échecs. Il les observa un moment, plongés dans leur partie, avant de voir arriver un des serviteurs.
« Un invité souhaite s'entretenir avec vous. »
Une vieille dame très âgée s'avança jusqu'au roi. Victor, le fils cadet, leva un moment les yeux du plateau où quelques pions restaient debout.
« Je viens solliciter votre aide, monsieur le roi de Rolcheu.
- Vous n'êtes pas de la région, je me trompe ? s'étonna David.
- Non, je viens du royaume de Voudre. »
Elle tourna son visage ridé vers les deux princes, l’œil suspicieux. Le roi comprit ses craintes et l'invita à poursuivre l'entretien devant eux.
« Je vous demande d'arrêter le roi Flump. Il mènera son pays -mon pays- à sa perte. Il compte faire voter des lois incompréhensibles et conquérir des territoires annexes, dont le vôtre. »
Andrew, le fils aîné, leva à son tour la tête. Ses yeux clairs percèrent la vieille dame.
« Je suis immunisé par le Légendaire Groudon. Mes armées ont l'avantage sur la sienne. Vous pouvez me croire, il ne me fera rien de méchant.
- Il fait déjà assez de mal à son peuple. Arrêtez-le ! »
Elle s'était jetée à genoux, l'implorant. Victor ne détachait plus son regard de la scène, fasciné par ce corps décharné qui demandait grâce. Andrew soupira, agacé.
« Je ne veux pas me mêler des affaires d'autres pays.
- Vous ne comprenez pas qu'il veut exterminer le peuple du Vent ! Il a pour objectif de construire un mur qui deviendra une barrière empêchant la population d'éviter l'extermination !
- L'extermination ? »
Elle avait crié ce mot pour le faire sonner dans les oreilles de ceux qui l'écoutaient. David s'approcha de son invitée, examinant son visage strié par les ravages du temps.
« Qui êtes-vous ? Votre visage me dit quelque chose... Ne seriez-vous pas l'ancienne...
- Vous n'avez pas besoin de le savoir. Si vous ne comptez rien faire... Faites au moins en sorte que ceux qui voudront fuir le carnage puissent passer votre frontière. »
Le timbre de sa voix, tout à l'heure bouleversé, prenait des airs autoritaires. Les deux princes attendirent la réponse de leur père qui finit par acquiescer.
« Je leur ouvrirai mes frontières. Je ne suis pas un meurtrier. »
La vieille dame salua le souverain ainsi que ses fils avant de repartir du même pas accablé.
« Tu aurais dû accepter d'aider cette femme. Ces lois sont horribles ! déclara Victor.
- Et tuer un roi ? Tu sais bien que si j'interviens pour aider ce pays, il faudra couper sa tête. Il n'y a pas d'autres moyens. Je n'ai pas envie de faire la guerre à un pays qui ne suit pas son roi à cent pour cent. Punir tout un peuple à cause de la bêtise d'un roi...
- Qui parle de punir un peuple ? Tu n'as qu'à l'arrêter lui !
- Ce n'est pas aussi simple.
- Il faudrait que tous se révoltent ! »
David se tourna vers son cadet, étonné. Il sourit avant de retourner s'asseoir.
« C'est une bonne idée. Mais le peuple du Vent se ferait écraser. Flump n'aura même pas besoin de bâtir ce mur pour les exterminer. Il a une armée qui le défendra, il a sous ses ordres les Pokémon Légendaires de la Foudre et du Vent. Il a un pouvoir très puissant. Ce ne sera pas aisé mais ton idée n'est pas mauvaise. »
Avant de se plonger de nouveau dans la lecture de son journal, Andrew intervint. Il estimait que son père venait de manquer une occasion de montrer son autorité.
« Nous ne sommes craints de personne. Nous n'avons pas l'ambition d'étendre nos terres. Tu avais l'occasion de le faire, on te donnait des raisons nobles, celles de défendre un peuple opprimé. Tu aurais été leur nouveau roi, ils t'auraient remercié. On te servait tout sur un plateau mais tu as préféré le renverser plutôt que le prendre.
- Andrew ! »
Les idées de son frère déplaisaient à Victor. David joua la carte de l'apaisement tout en faisant preuve d'autorité.
« La discussion est close. J'ai pris ma décision et je ne reviendrais pas dessus. Tu feras ce que tu voudras lorsque tu seras assis à ma place, Andrew. Pour l'instant j'y suis et j'y resterai, que cela te plaise ou non. »
Les deux princes reprirent leur partie. Elle ne dura pas longtemps : Victor fut mis échec et mat par son aîné.
*****
Yell retrouva son ami, un verre de whisky à la main. Il broyait du noir. Lorsqu'elle apprit pour son licenciement, elle se révolta de nouveau. Il trouva ça adorable mais renonça à sourire devant l'adversité qui lui tombait dessus. Sur lui mais aussi sur tous les autres.
Pour lui changer les idées, elle lui raconta sa journée. Mais le fait d'évoquer ce badge qu'elle devait porter pendant son travail, les faisait aussitôt retomber dans un état d'abattement.
Hénéas réfléchissait à un plan capable de renverser le roi. Il voulait sa peau. La loi sur l'absence de Pokémon pour les gens du Vent allait bientôt être votée.
Être étranger dans sa propre nation le choquait. Il faisait meilleur de vivre dans le pays de Rolcheu ou dans celui du Dragon que dans le sien. Il résolut d'en parler à ses amis et à son entourage, de cette idée de révolution.
Il réussit à rassembler un groupe qui ne le prenait plus pour un fou mais bien comme le représentant du changement dans le pays. Ils étaient plusieurs petits groupes disséminés ici et là prônant le même but. Des réseaux se créèrent, se rassemblèrent dans une fusion colossale. Bientôt toute la partie allant de Papeloa à Renouet entra dans cette résistance d'abord passive puis agressive.
Les réunions se déroulaient dans le bar qu'Hénéas fréquentait régulièrement. Il devint une figure importante dans la ville, reconnue de tous pour ses dons oratoires, pour sa fougue justifiée, pour ses idées de vent nouveau. On surnomma le groupe qui se formait alors les "oiseaux" -en hommage au nom du café dans lequel ils se rassemblaient.