Lumière
Les falotiers apparurent bientôt aux quatre coins du parc pour éteindre les réverbères. Leur échelle sous le bras, leur casquette sur la tête, ils se séparaient à chaque carrefour des allées pour trouver d'autres flammes, laissant l’un d’eux derrière monter et souffler la lumière.
Du bout de leurs gants de cuir, ils ouvraient doucement les cages de fer, s’assurant de ne pas brusquer les gonds, glissaient un doigt à l’intérieur pour caresser les volutes incandescentes et, par un éclair dans le regard, jusqu’au creux de la main, laissaient gentiment la flamme danser et rejoindre leur paume. Un mouvement du poignet délicat pour sortir la lumière de sa prison et la ranger, avec le plus de précaution du monde, dans une autre minuscule lanterne à la ceinture de l’allumeur.
De jour, les lumières étaient ramenées pour faire fonctionner les feux et les foyers des bâtiments publics de la ville, ou renvoyées chez leurs artisans pour être entretenues.
Reah souriait. Ces moments lui manquaient. Elle s’était levée, et déambulait le long du chemin de gravier, continuait d’observer les allumeurs et les passants. Il y avait une gamine, là, qui regardait une falotière encore perchée sur son échelle. La petite portait une casquette de marin bien trop grande pour sa tête, cachant une tignasse d’un roux délavé. Deux grandes oreilles, couvertes de fourrure de la même couleur, rabattues par son couvre-chef, tombaient en flèche sur les côtés de son visage. Un visage fin, à la peau d’albâtre, un nez légèrement retroussé, une bouche en large sourire révélant de belles canines, et deux yeux à l’iris d’un jaune profond, couleur de soleil au crépuscule d’été. A vue de nez, elle ne devait pas avoir plus de dix ans. Reah s’approcha d’elle, fascinée par la curiosité de l’enfant. Elle s’accroupit à ses côtés, capable de voir d’ici ses petites mains griffues dépasser timidement des larges manches de sa robe de toile.
“T’es toute seule ? demanda sans préambule la sorcière.
- Hmhm, marmonna sans la regarder la petite fille.
- Ils sont où tes parents ? Ils savent qui tu es ici ?
- Nan… balbutia-t-elle, sans vraiment avoir écouté la question.
- Tu veux qu’on aille les chercher ? essaya Reah sans grande conviction.
- Qui ?
- Tes parents.
- Pourquoi ?
- T’es toute seule.
- Nan.
- Ah.”
Décidément, Reah ne savait vraiment pas y faire avec les gosses. Ou avec qui que ce soit, vraiment. Dans un souffle de défaite, l’immortelle se redressa sur ses pattes. La petite n’avait pas tourné la tête. Elle continuait d’observer avec la plus grande attention les mouvements de la falotière, la manière dont le feu virevoltait le long de son gant, la façon dont il obéissait sans faillir aux enroulées de chacun de ses doigts, pour aller se reposer, comme un petit animal, au fond de la lanterne de ceinture. Ses yeux s’illuminaient en étoiles de passion, alors que la jeune femme en charge de l’éclairage descendait doucement de son échelle. C’était une tharian, à priori dans la vingtaine, les cheveux noirs attachés en deux nattes sous sa coiffe, les yeux bleus et le sourire communicatif. Elle lança seulement un regard attentionné à la petite, salua Reah en ôtant son chapeau d’un mouvement de poignet et reprit sa route, échelle sous le bras. L’enfant suivit son idole jusqu’à un autre réverbère, où elle profita à nouveau du spectacle. Reah haussa les épaules. De toute façon, elle ne savait vraiment pas y faire.
***
J'avais pas la foi de commencer un nouveau truc au bureau ce soir, alors j'ai continué le petit extrait de l'autre jour à la place, et maintenant c'est le week-end. Voila.
Article ajouté le Vendredi 10 Décembre 2021 à 18h13 |
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