Voyage
Il était un vieux hameau, perdu dans les montagnes, caché par les arbres, connu à travers le monde entier mais absent de toutes les cartes. On s’y rendait à pied, glanant ici et là les rares conseils de ceux qui l’avaient déjà trouvé pour s’orienter, car il était coutume de garder son emplacement secret.
Là-bas, on vivait paisiblement. Le vent y fouettait les arbres, l’eau y coulait sous les ponts et dans les moulins, les enfants y jouaient et les vieillards y pensaient. Pourtant, il était aussi, dit-on, un autre hameau qui vivait au cœur du premier. Une petite place. Un marché. Une halle où se réunissaient les marchands et les artisans du village chaque jour et qui était, en vérité, la raison pour laquelle tant de voyageurs partaient en quête du bourg invisible.
Le jour du Lion était le jour des artistes. Pour quelques piécettes, on pouvait s’y faire peindre le portrait d’une vie antérieure, on pouvait y écouter de nouveau la toute première mélodie enfouie dans sa mémoire et on pouvait même y transformer des souvenirs en images.
Le jour du Singe était le jour des tailleurs. Les tisserands, couturiers et tanneurs proposaient de reproduire à l’identique chacun des vêtements déjà portés au cours d’une vie, de préparer des costumes magnifiques pour toutes les cérémonies et festivités du monde et de transformer n’importe quelle histoire en un habit.
Le jour du Rat était le jour des cartographes. Là, on pouvait acheter des cartes menant à toutes les choses du monde. Des cartes guidant vers son lieu de naissance, vers sa véritable âme sœur, vers n’importe quel objet perdu ou là où les rêves prennent vie mais aussi vers quelques endroits plus sibyllins. Une carte vers le bonheur, une autre en direction d’une mort tragique, ou une dernière pour trouver raisons et vérités.
Le jour du Coq était le jour des épiciers. Sur les étales s'étendaient des fruits et des légumes venus des quatre coins du monde, des viandes d’animaux que l’on croyait disparus ou perdus à jamais, et d’autres fleurs et épices que l’on croyait n’être que des légendes : des arbres à viande, des pommes dorées ou des roses qui changent de couleur à chaque saison,... Et même, au fond des halles, des cuisiniers capable d'extraire de leur mémoire et de recréer tous les plats jamais mangés par leurs clients.
Le jour du Renard était le jour des libraires. On y installait des montagnes d’ouvrages en tout genre, de tout pays et de toute époque : des journaux d’il y a des centaines d’années, des biographies complètes et détaillées de personnes ordinaires et toujours bien vivantes, des poèmes qui prédisent l’avenir et des contes qui soignent tous les maux.
Le jour du Corbeau était le jour des artisans. Bijoutiers, horlogers, sculpteurs, potiers, taxidermistes et autres charpentiers et ébénistes exposaient leurs talents aux yeux des passants. On trouvait alors des pièces uniques, aux formes et aux couleurs jamais vues nulle part ailleurs : des boîtes à musique qui ne s’arrêtent jamais de jouer, des pierres précieuses renfermant quelques villages miniatures ou même des insectes aux ailes recouvertes d’or.
Le jour du Dragon était le jour des brocanteurs. Ce jour-ci, les halles appartenaient à tout le monde, et c’est là que l’on trouvait les biens les plus rares et les plus étranges. Là, des marchands à la sauvette proposaient la propriété de pays qui n’existaient pas encore, de nouveaux visages volés à quelque esthète mort depuis longtemps et, dans une certaine échoppe, des passés en bouteilles, rares et merveilleux, pour offrir aux infortunés une nouvelle chance à l’existence.
Et quand le jour s’en allait toucher à sa fin, les marchands rentraient chez eux ou partaient déjà à la poursuite de nouvelles curiosités, rendant au village le calme qu’ils lui avaient volé aux premières lueurs du matin.
Ou, du moins, c’est ainsi qu’allait l’histoire des Halles d'Âtre-Terre.
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Encore un p'tit extrait. Rien à voir avec celui de l'autre jour, c'est pour un autre projet. Je l'aime bien celui-là, c'est tout doux et je trouve l'image assez jolie.
Article ajouté le Dimanche 10 Octobre 2021 à 20h48 |
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