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La plume fantôme de MissDibule



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Evaluation de Ramius

Expression


Je n’aurais pas grand-chose à t’apprendre à ce sujet parce que ta plume est déjà bien rodée et agréable à lire, mais j’ai un peu de pinaillage.

Commençons par ce que j’ai vu de plus marquant, dans le chapitre 2. Le changement de temporalité au début de la scène où Anis se met à écrire est trop marqué, on sent vraiment le passage de l’imparfait au passé simple. Je pense qu’il aurait sonné plus juste de faciliter cette transition, par exemple « Elle avait un jour tenté de… » ou « Elle se souviendrait longtemps du jour où… » pour aider à délimiter la scène.

Au même chapitre, je relève aussi la phrase « Le violet de leurs yeux se mélangea, » qui me fait l’effet d’une image vraiment forte pour le contexte. C’est vrai qu’Anis et Goyah vont faire un bout de chemin ensemble et que leurs quêtes sont somme toute très comparables, ce qui va plus tard donner une dynamique d’élève et mentor. Mais je vois aussi que l’idée est construite par l’Anis narratrice de vingt-trois ans, quand bien même elle ne l’a sans doute pas partagée sur le plateau de télévision : l’Anis actrice de onze ans semble trop secouée pour réfléchir à ses formulations comme elle le fait d’habitude. Bref, je te laisse en juger parce que c’est un ressenti très subjectif, mais je pense qu’une introduction pareille serait plus appropriée pour Pieris par exemple. (Qui n’a pas les yeux violets ; j’ai appris quelque chose sur Goyah, pour le coup.)

J’ai été un peu désappointé de ne pas retrouver le tic de langage habituel d’Anis, encore qu’il ne soit pas facile à placer. Ce que j’en ai de plus proche est encore au chapitre 2, où on peut paraphraser Anis se décrivant comme absente, guidée, abandonnée, et associant Goyah aux termes flairé, précipité, sauver, réussi, chance. Donc on a bien une trace de l’habitude d’Anis de faire des listes de mots, mais subvertie, et pas forcément évidente. Ce qui n’est pas plus mal, parce que je vois mal Anis se laisser aller à l’excitation deux fois de suite pendant son interview, et avoir une version camouflée (celle pour Anis elle-même, plus précise que ce que j’ai relevé pour Goyah) est sans doute un bon moyen d’équilibrer les deux. D’ailleurs, je note que l’arrivée de Goyah est précisément un instant où il serait tout à fait crédible de voir Anis faire une liste de termes avec le même ton enjoué que dans les jeux, sans avoir besoin de s’adapter à l’atmosphère plus retenue du reste de la fic — ce qui aurait été nécessaire pour placer ce tic ailleurs.

Comme je le disais, tout ça est en grande partie du pinaillage : ton expression est solide, avec des perles comme « Son petit corps desséché » au chapitre 2 ou encore le contraste entre les marches d’or et les regards noir au 6 (pour changer de chapitre). Une des questions que je me suis posées est de savoir ce que cela aurait donné de rédiger l’interview au passé (qui est plus factuel, plus maîtrisé) et les souvenirs au présent (qui permet une meilleure prise sur les émotions, j’ai parfois eu l’impression que l’imparfait te gênait pour travailler). C’est une idée assez farfelue, mais qui me semblait bizarrement plus appropriée que rédiger les souvenirs à la première personne par exemple (on aurait trop l’impression qu’Anis se lance dans un long monologue). J’y reviendrai, juste le temps de recaler un titre et une intro.

Histoire


L’histoire se démarque par sa sortie des sentiers battus, et est portée par une franchise assumée quant à son sujet. Ton temps d’écriture limité t’a cependant retenue d’explorer des pistes d’ouverture. Je vais essayer de démarquer ce qui découle de la contrainte de temps et les points plus intrinsèques à la fic.

L’interview, donc, qui est concrètement le cadre de presque toute la fic… eh bien, il ne s’y passe pas grand-chose. Tu t’en sers pour diriger la véritable histoire, qui est bien sûr celle de comment Anis en est arrivée là, mais c’est tout, et il n’est pas rare de complètement la perdre de vue. Le chapitre 6, par exemple, l’utilise pour donner une coupure de publicité ! Ce n’est pas hors-sujet, en fait, cela donne une nuance au métier d’écrivain qu’Anis n’évoque à aucun moment : le monde du show-biz n’est pas sans cruauté, et une artiste célèbre y étant confrontée va devoir serrer les dents et affronter. Cette nuance est soulignée par l’opinion vite construite d’Anis sur le personnage de Brittany, à savoir que Brenda pourrait s’en passer et ne s’en porterait que mieux. On a donc là un métier bonus (du point de vue du concours pour lequel la fic a été écrite), ce qui est une touche sympathique.

Mais il aurait été préférable que l’interview permette à Anis d’apporter une seconde lecture sur ses souvenirs et y donner des clefs de lecture. Ses réflexions sur la mort au premier chapitre sont matures, et me font penser à la légende de la statue de Vestigion, notamment ce passage : « Dans la joie, les larmes ». Un enfant qui joue à la quatrième génération pour la première fois va complètement zapper ça, un adulte qui y rejoue va avoir un sourire en coin. On pourrait imaginer Anis faire la même chose avec ses terreurs nocturnes. C’est aussi une occasion de donner des discours et faire passer des messages, même si je reconnais que ce genre d’initiative a tendance à passer ou casser avec les lecteurs. Je voudrais m’attarder (très, très subjectivement) sur la scène avec Steven Queen, qui nous fournit l’archétype de la critique honnête, mais rude à avaler. (Pas que je me plaigne, vu que j’aurais sans doute fait pareil à sa place !) Je n’ai pas pu m’empêcher de noter qu’il n’y a pas de méthode de présentée : c’est un choix pertinent, puisque la scène serait vite devenue très lourde si tu avais voulu y faire passer trop de choses. Te déplacer un instant sur l’interview t’aurait permis de rajouter une méthode de la critique à la méthode de l’écriture, si tu avais voulu élargir un peu la perspective de la fic. Ça n’a pas été ton choix, et j’en reviens donc au fait que l’interview à proprement parler ne prend que rarement ce rôle de seconde lecture. En l’état, son rôle est de donner une direction à l’histoire, et il aurait suffi pour cela de la faire apparaître en prologue et potentiellement en épilogue. (Note que cela aurait contredit l’inversion des temps dont je parle à la fin de la partie expression : pour le coup restreindre ainsi l’interview pousserait plutôt à tout mettre au présent.)

Cet usage de l’interview se retrouve dans la direction du récit. Tu suis, globalement, deux fils narratifs : Anis doit apprendre son art d’écrivaine, et son métier de Dresseuse de haut niveau. Et puisque les deux sont intrinsèquement liés, il faut qu’ils soient mélangés au niveau de l’intrigue, également. C’est le cas, mais on sent une domination assez nette du voyage initiatique sur la quête de l’écrivaine. Cela peut paraître surprenant vu le sujet réel de l’interview, au point que je me suis parfois demandé où on en était de chaque côté. Bien sûr la progression d’Anis en tant qu’écrivaine est considérablement plus difficile à montrer que ses rencontres successives du Conseil, mais le résultat est parfois un peu confus. On se demande par exemple dans quelle direction tire son récit de sa rencontre avec Kunz. Au passage, au niveau narratif, cette scène précise donne des indices sur sa progression en tant qu’écrivaine et annonce le comportement futur des éditions Pingolecture. C’est cependant très court, on retient presque plus facilement le fait qu’Anis sera fatiguée par le jet-lag dans la scène suivante. Ce passage aurait donc mérité d’être introduit, un peu comme la première scène d’écriture, et par exemple permettre à Anis de sédimenter son opinion sur Kunz (et pas forcément avec une troisième lecture par l’interview, en l’occurrence c’est une bonne chose de l’avoir évitée car une analyse aussi pointue aurait approfondi Kunz hors de proportion avec Pieris et Percila).

Ma dernière remarque précise pour cette section concerne Cresselia, dont Anis semble persuadée qu’elle s’est trompée de destinataire en livrant sa Lun’Aile (pardon pour les jolis titres de chapitre, je reste bloqué sur les noms 5G). Je vois assez mal un Légendaire faire une erreur d’adresse, encore que ça peut se défendre si son job est fatiguant (et en horaires de nuit). Par contre, Anis se sent coupable d’avoir « pris » la Plume (ce qui est raisonnable de sa part) et considère qu’elle est responsable de la mort de son amie. Peut-être, peut-être pas. Ce qui m’embête est que, autant Anis a le droit de se tromper (et Cresselia aussi, pourquoi pas), autant il ne faut pas laisser le lecteur perdre ce fait de vue. Ici la question est, pourquoi est-ce Anis qui a reçu la Plume ? Lui était-elle bel et bien destinée ? Peut-il y avoir une simple erreur ? En aucun cas Anis ne pouvait deviner que son amie en aurait plus besoin qu’elle (ce qui n’est même pas certain, d’ailleurs : et si Cresselia était passée après la première mort, pour empêcher Darkrai de faire une seconde victime ? a-t-elle largué deux Plumes ?) et cela ne ferait pas de mal d’avoir une poignée d’indices à ce sujet. Typiquement, son entourage aura certainement utilisé l’argument pour la consoler, ce qui irait bien à Pieris et donnerait une autre dimension à ses excuses.

Pour conclure, je note aussi que le fait que Pieris soit à Voilaroc, tombe directement sur les protagonistes et puisse les renseigner tout de suite sur la Plume Lune est un raccourci scénaristique. Il est utile et justifiable : Anis et Goyah auraient forcément fini par entendre parler de la bibliothèque de Joliberges, et puisque Pieris avait une bonne raison d’être à Voilaroc, on peut aussi supposer qu’ils se seraient croisés naturellement de toute façon. Enfin, le fait qu’ils ne bougent pas vers le port avant plusieurs semaines contribue à faire passer la pilule. Attention cependant à ne pas faire un tel saut de logique dans un scénario qui chercherait à tenir la longueur : c’est surtout parce que la fic est en format court que c’est acceptable.

Enfin, je voudrais contraster la courte introduction menant à Joliberges avec celles menant aux deux scènes d’écriture, bien que le contexte soit différent. Ici on a plus de thèmes et une progression fluide des uns aux autres, ce qui permet d’exposer très efficacement ce qui s’est passé pendant l’ellipse. Tu maîtrises bien ce genre de changement d’ambiance, et il y en a plusieurs dans la fic sur lesquels je reviendrai.

Personnages


C’est là que je vais avoir le plus de critiques à faire, mais c’est aussi parce que les personnages sont l’élément central du récit : on sent quand même beaucoup de travail dessus.

Un personnage très secondaire mais qui m’embête pour commencer, la mère d’Anis apparaît comme vraiment maladroite pour parler de mortalité à sa fille. On peut comprendre que ce soit un exercice difficile, mais sa façon de conclure reste assez brusque, et Anis n’en est d’ailleurs pas satisfaite. Je recommanderais d’insister sur son langage corporel, de décrire comment elle se tient par rapport à sa fille (en prenant en compte que cette dernière est timide, donc sera un peu moins sensible au contact physique, pour généraliser). Cela te permettrait d’insister sur ses bonnes intentions.

J’ai étonnamment peu à dire sur Anis, qui ne prend que rarement un rôle d’actrice dans sa propre histoire. Une fois encore c’est assez logique, vu les baffes qu’elle se prend tous les trois chapitres, mais on manque quand même un peu de personnalité. Ses interprétations silencieuses des personnages qu’elle rencontre sont sans doute le meilleur axe à approfondir de ce côté-là : son analyse de Pieris par exemple, donne quelques indices sur sa propre personnalité plus prudente. Il y a moyen de donner de tels éléments de détail en miroir, qui vont mieux à son rôle de spectatrice. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit vide ! Le chapitre sur Joliberges, notamment, fait un très bon traitement de son choc, en utilisant les changements d’ambiance dont je parlais tout à l’heure : d’abord de l’anxiété en arrivant à la bibliothèque avec l’ensemble des livres inaccessibles, puis un peu de répit quand Edern offre spontanément du thé à tout le monde, et enfin le coup de matraque de la coupure de presse. Les émotions que l’action suggère sont en fait celles d’Anis, en plus de jouer intelligemment sur leurs contrastes.

Un peu dans la même veine, tu n’as pas exploité la tendance de Goyah à donner des leçons de vie aux gens autour de lui, pourtant l’un des aspects clefs de Noir et Blanc. J’ai le sentiment qu’il aurait difficilement pu faire son petit discours aux parents d’Anis sans une trace de sa philosophie bonhomme et peut-être un renvoi discret au canon.

Passons maintenant au Conseil, avec Kunz. Son comportement est en net contraste avec le membre du Conseil 4 et Anis a bien raison de mentionner qu’il a de la marge pour changer ! Pour revenir dessus rapidement, il la défie pour prouver sa force, accepte l’idée qu’elle n’a absolument pas le niveau, et s’entête afin de plutôt lui enseigner une leçon. C’est le rôle de Goyah, sur lequel il empiète sans vergogne et sans lui demander son avis, et dans le cadre d’un combat lourdement inéquitable (alors que l’un des buts de combats ritualisés semble justement d’être plus équitables que « tel gang de dresseurs harcèle les autres et vole des abribus »). En résumé, c’est un âne prétentieux qui ressort du duel moins sage qu’Anis, pour embrayer sur un comportement beaucoup plus mesuré et respectueux pendant le repas. Donc en plus, il est au courant qu’il est condescendant, même s’il semble avoir déjà un peu de sa compassion d’adulte. Ce genre de carcan de supériorité est difficile à briser, et je suis de l’avis qu’il a plus besoin de se voir complètement remis en question que de progresser par petits pas : il est peut-être temps pour Goyah de lui rappeler, en duel, que la force n’est pas . C’est une opinion basée sur ma propre expérience, ceci dit, donc à prendre avec un grain de sel ; je note également que c’est un point positif de pouvoir établir autant de parallèles avec le Kunz adulte, que ce soient des ressemblances ou des contrastes.

Pieris est nettement plus appréciable, ce qui est ironique vu que c’est lui qui blesse Anis le plus durement des trois. Son introduction est solide, et pas moins juste que celle de Kunz : autant que je comprenne, il ment sur toute la ligne. Il se confie bien facilement sur des problèmes très personnels, à de parfaits inconnus, et même si cette partie-là aura tendance à être difficilement visible pour des lecteurs, son vrai talent est de leur faire gober l’histoire. Histoire, d’ailleurs, crédible et attachante, donc il réussit quand même son coup avec les lecteurs en plus d’être suggéré très bon menteur pour avoir fait Anis et Goyah le croire. L’un des points-clefs de cette scène est qu’Anis ne l’interprète pas forcément bien, puisqu’un Goyah sûr de sa force pourra être amusé plutôt que vexé par le commentaire sur son talent. Cette narration, parce qu’elle est plus subjective qu’elle n’en a l’air, est vivante, ce qui est un net avantage.

À noter que lorsqu’il s’excuse, Pieris parle de lui-même, pas de ses problèmes ou de sa famille. Il est plus sincère, et c’est là qu’est l’ironie, parce qu’autant cela suggère qu’il est plus sérieux avec cette excuse-ci… autant celle-ci passe moins bien, et je pense qu’Anis aurait voulu entendre autre chose. Ce qui le sauve est vraiment qu’Anis accepte la diversion d’un combat, et de fait la scène ne résout rien entre eux. C’est un développement de leur relation plutôt profond pour un personnage qui n’en est qu’à son troisième chapitre dans l’histoire (dont un passé en figurant), et ce que je disais de Kunz tout à l’heure s’applique ici : il a une présence importante pour son rôle finalement restreint, comme cela aurait pu être le cas de Kunz s’il s’était pris trois niveaux d’analyse d’un coup. De fait, ton traitement de la relation entre Pieris et Anis aurait été plus à sa place dans une fic plus longue, ce qui je pense traduit surtout que tu es à l’aise avec les points importants à faire ressortir. S’ils étaient le point central de la fic, il faudrait que Pieris reste absent plusieurs chapitres pour marquer l’importance de son départ, et comme ce n’est pas le cas tu as sagement escamoté ce passage dans une ellipse.

Reste Percila, qui est tenue à l’écart par son besoin de Parsley pour la protéger. Ce qui est dommage, puisqu’il y a un parallèle très visible entre elle et l’amie d’enfance d’Anis, et comme tu le dis Percila deviendra plus tard l’une des actrices les plus importantes de la vie d’Anis, une évolution qui est complètement passée sous silence. Au contraire, comme Kunz, Percila fait une entrée assez antipathique, qui empêche de trop s’attarder sur son évolution. Si tous les membres du Conseil, au final, ont une introduction qui leur correspond bien (et je compte Goyah là-dedans), cela reste Pieris qui ressort le plus, dans un rôle qui aurait peut-être mieux convenu à Percila vu son importance dans la vie de l’Anis adulte. De fait, je suis d’avis que c’est elle qu’il aurait été judicieux de développer le plus (quoique je ne me plaigne pas du portrait que tu fais de Pieris).

Avis


Ça peut surprendre de faire une fic sur les personnages d’Unys se dérouler à Sinnoh, quoique Percila donne déjà une base. C’est en partie pour cela que j’ai pensé à la statue de Vestigion tout à l’heure, d’ailleurs ! Mais d’un autre côté, l’explication de la Plume Lune dans NB2 fait une belle conclusion et rattache joliment la fic au canon. C’est un choix pertinent de conclure sur cette note sereine, surtout vu les baffes émotionnelles dont ta maîtrise porte le récit.

Je remarque également tes recherches toujours aussi précises (le fait qu’Anis soit gauchère, la couleur des yeux de Goyah, l’équipe de Parsley et le fait que Démolosse ne tombe pas en une seule attaque), il n’y a que la petite taille de Funécire qui m’ait semblé à côté de la plaque ce coup-ci (je vois très mal ce Pokémon tenir même une fillette par la main sans léviter). Le cadre du concours t’a aussi poussée à donner un point de vue nuancé et plus réaliste qu’il n’est confortable sur les métiers de l’écriture et du show-biz, ce qui est une touche agréable.

En bref, tu es restée en très bonne forme ! Les quelques défauts qui restent dans la fic me semblent dus au temps d’écriture resserré plutôt qu’à toi-même, et je pense que la plupart seraient bien moins sensibles dans une fic longue.

8 chapitres lus, évalué en 10/2023

Note : 16.4 / 20