La ligne de l'Entre-Vie de Kazumari

L’odeur de la cendre.

Aléandre Nertiloni traversait la forêt de Passelune en compagnie de son fidèle camarade Ixon, à la recherche d’une clairière où le binôme pourrait passer la nuit. Leurs sensations olfactives furent toutefois rapidement éveillées alors que le soleil déclinait à l’horizon pour laisser sa place à la lune ronde. Un feu ? En pleine forêt ? Les instincts de survie d’Aléandre le poussaient à trouver rapidement l’origine de cette odeur afin d’en venir à bout avant qu’elle ne menace tout l’écosystème environnant.

Le Pokémon Barrage l’accompagnant ouvrait la marche à travers le sentier, redoublant d’attention alors que l’émanation s’intensifiait. En tant qu’explorateur aguerri, l’homme qui approchait la trentaine avait l’habitude de visiter des lieux dont il ne connaissait rien. La forêt de Passelune se situait à seulement quelques jours de la grande cité de Sartopia, où le duo comptait faire escale afin de glaner des informations vis-à-vis de leur objectif, l’épée d’Arithmédia.

- Le feu… ne venait pas de la forêt ? s’étonna l’homme blond à l’instant où ils quittaient les frontières forestières de Passelune.

Perplexe, l’explorateur caressa sa barbe tout en inspectant les alentours à la recherche de la source du problème. Un village pittoresque se trouvait en bas de la colline et nul doute que la déplaisante odeur calcinée provenait bien de là. De multiples incendies semblaient s’être déclarés au même moment dans le périmètre. Aléandre songea que les chances d’une simple coïncidences se révélaient bien minces. Des brigands sans scrupules devaient avoir attaqué la zone sans crier gare.

Pourquoi ? Certainement pour dépouiller les pauvres villageois, de leur vie mais surtout de leurs maigres richesses ainsi que de leurs Pokémon et nourriture. Même si Aléandre arborait une larme rangée soigneusement dans son fourreau à la ceinture, il n’était pas un guerrier pour autant. Il savait manier l’épée mais ne l’utilisait généralement que dans un cadre défensif face aux Pokémon sauvages qui se montraient hostiles à son égard.

Il restait un explorateur dans l’âme, avide de découvrir de nouveaux horizons et de réaliser le rêve de son père disparu. Affronter des brigands à l’arme blanche était une vraie perte de temps. Aléandre fit donc un signe de la main à son partenaire de double-type Ténèbres et Normal pour lui indiquer de ne pas se préoccuper de cette affaire. Inutile de se mettre à dos des pillards dangereux qui pourraient aisément les tuer tous les deux en profitant de l’avantage du nombre.

La vingtaine de Tournegrin, Tournicoton et autres Pokémon Plante qui se ruaient à toute vitesse en direction de la forêt dans la panique, afin de prendre leurs distances par rapport au village, confortait Aléandre dans sa décision. C’était vraiment regrettable pour les nombreux paysans qui allaient périr dans cette triste affaire mais l’homme aux cheveux blonds sales n’était pas un héros, il ne pouvait pas accomplir un miracle ici pour renverser la situation.

- Ne fais pas cette tête, soupira-t-il en voyant la mine déconfite d’Ixon. Je sais que tu aimes te battre mais je ne pense pas que ce soit l’ennemi que tu aies envie de te mettre à dos. Tu auras toutes les occasions de combattre des Pokémon le temps que nous rejoignions Sartopia.

L’explorateur posa la main sur l’épaule de son fidèle équipier alors qu’il tournait le dos à la prairie qui s’étalait à perte de vue. Il tentait tant bien que mal de ne pas éprouver trop de peine pour les victimes qui n’avaient rien demandé. C’était la dure loi de la vie, où seuls les plus forts étaient autorisés à survivre. A contrecœur, Ixon finit lui aussi par repartir en sens inverse. Il valait mieux laisser rapidement ces possibles ennemis derrière eux le plus rapidement possible.

- Père ! Mère ! s’exclama alors une voix fluette.

Le sang d’Aléandre ne fit qu’un tour et il cessa aussitôt de marcher. Pivotant sa tête vers l’arrière, il aperçut une petite fille qui descendait la colline à toute vitesse, un bouquet de fleurs à la main. Sa tenue vestimentaire déplorable laissait supposer qu’elle était une des habitantes du village et qu’elle s’était simplement éloignée sans réaliser qu’il se ferait attaquer en son absence. Aléandre sentait qu’elle allait commettre une grave bêtise en se jetant dans la gueule du loup.

- Gamine, qu’est-ce que tu fabriques ? Tu vas juste te faire tuer ! cria-t-il à son intention mais la concernée se révélait bien trop loin pour l’entendre.

Le voyageur aguerri serra le poing. Il venait à peine de décider de laisser les paysans à leur triste sort qu’Arceus lui lançait déjà un nouveau défi. Même avec toute sa bonne volonté, il ne pouvait rien faire pour venir en aide au village. En revanche, modifier le destin de cet enfant qui courait droit à sa perte était encore dans ses moyens. Aléandre avait pu apercevoir son visage pendant l’espace d’une fraction de seconde. Elle était jeune. Bien trop jeune et ignorante du monde pour le quitter aussi prématurément.

Le sourire qui se dessina sur le visage d’Ixon lui signala que les deux comparses étaient sur la même longueur d’onde. Ainsi, sans perdre une seconde, ils s’élancèrent dans la descente de la colline avec l’ambition de rattraper la fille avant que les brigands ne découvrent son existence. Mais à cause de son avance, la paysanne fut la première à rallier le village, malgré ses jambes plus courtes. Aléandre sentit son cœur battre à toute vitesse contre sa poitrine.

Si jamais le pire survenait, aurait-il le courage de faire face à un groupe d’ennemis en supériorité numérique juste pour sauver la vie d’une personne qu’il ne connaissait même pas ? Sans être un parfait trouillard, l’explorateur n’était pas non plus l’homme le plus courageux qui puisse exister. Il préféra ne pas y penser pour le moment et continua de suivre la gamine du regard pour ne pas la perdre de vue. Si elle sortait de son champ de vision, alors il serait trop tard.

- Gamine, tu cherches à te faire tuer ? s’exclama Aléandre d’une voix forte alors que lui et Ixon passaient l’entrée du village.

Elle s’était stoppée subitement en voyant le spectacle se déroulant sous ses yeux ébahis. Le lieu où elle avait passé toute sa vie n’était à présent plus qu’un vaste champ de bataille envahi par les flammes. De nombreux corps, qu’elle pouvait reconnaître pour la plupart, se multipliaient sur le sol. Elle hurla de désespoir en tombant à genoux, les larmes coulant sur ses joues roses. Ce bref moment permit au voyage de réduire la distance les séparant.

Un des pillards nota leur présence et commença à s’approcher, empoignant fermement sa hache dans le creux de sa main. Aléandre hurla aussitôt à Ixon d’utiliser Tranche-Nuit pour l’assommer le temps qu’il récupère l’enfant et puisse prendre la fuite. Si le Pokémon Barrage fut en mesure d’accomplir sa mission avec brio, l’explorateur n’eut malheureusement pas autant de chance. Une explosion se produisit au niveau de la maison la plus proche de la position qu’occupait la paysanne.

Incapable de le prédire, la pauvre se retrouva très rapidement ensevelie sous les débris, variant du simple caillou au petit rocher. Sentant le stress l’envahir, Aléandre arriva immédiatement au point où elle se trouvait et commença aussitôt à retirer les pierres ardentes. Avait-il échoué à protéger une vie ? Il gardait encore une once d’espoir que ce ne soit pas le cas et s’attela à la tâche. S’il tardait trop, il allait être détecté par d’autres truands qui devaient se pavaner dans les environs. Par chance, Ixon avait agît sur celui à la hache avant qu’il ne puisse alerter ses camarades.

- Ixon, aide-moi ! Nous irons bien plus vite à deux.

Le Pokémon Barrage jeta le corps évanoui du brigand contre le sol et accourut vers son partenaire pour l’assister. Grâce à sa force brute, ils purent retrouver l’enfant ensevelie en moins d’une minute. Aléandre lâcha un soupir de soulagement en songeant qu’ils allaient pouvoir quitter le village sans avoir à se battre. Si le visage de la gamile était intact, ses vêtements étaient déchirés et brûlés à divers endroits et elle présentait des blessures importantes. Mais ce n’était pas ça qui préoccupait Aléandre.

- Prépare-toi à la porter sur ton dos, déclara-t-il pour Ixon. Je suis peut-être un adulte mais je ne pourrais pas courir bien longtemps si je devais m’occuper d’elle, tu seras bien plus efficace que moi.

L’évolution de Linéon acquiesça d’un signe de tête pour monter qu’il avait compris. L’explorateur commençait à entendre des voix, des rires notamment, qui indiquaient que des ennemis se situaient à seulement quelques mètres. Poussant les derniers morceaux de roche brûlante qui gênaient afin de sortir la petite fille de là, Aléandre attrapa aussitôt son poignet. Et malgré la tension que lui procurait toute cette opération, il parvint néanmoins à sourire.

Elle était encore en vie.



***


- Mère, je vais aller cueillir des fleurs dans la prairie pour te faire un bouquet !

- D’accord ma chérie mais surtout ne t’éloigne pas trop et pense à rester à distance de la forêt. Les Tournegrin ne te feront aucun mal mais on ne peut pas en dire autant de toutes les bestioles dangereuses qui errent là-bas.

- Promis, je ferai attention !

La jeune fille ouvrit lentement les yeux. Sa vision était encore trouble et il en était de même pour ses souvenirs. Sans même savoir où elle se trouvait, elle tenta de se rappeler de ce qui avait bien pu se passer avant qu’elle ne perdre connaissance. Tentant de se redresser, elle sentit alors une douleur terrible traverser chacun de ses membres, une douleur telle qu’elle n’en avait jamais vécu au cours de sa vie. Dépitée et le regard aussitôt humidité, elle fut contrainte de rester allongée.

Même le simple acte de respirer lui était désagréable mais elle devait le supporter. Bouger l’extrémité de ses doigts lui permit de se rendre compte qu’elle était enveloppée dans un drap. Était-elle dans sa chambre ? Non, elle entendait le cri d’un Corvaillus qui devait voyager à travers l’immensité céleste. L’inquiétude s’empara aussitôt de la paysanne. Sa mère lui avait demandé de ne pas s’approcher de la forêt de Passelune pour sa sécurité.

Si elle ne pouvait pas approcher son bras de son visage pour se frotter les yeux, elle tâcha de s’accommoder rapidement à son environnement.

- Ah tiens, tu es réveillée gamine ?

Elle n’était pas seule et cette voix ne lui était pas familière. Un enlèvement, voilà la réponse. Cette personne avait dû l’assommer pendant qu’elle cherchait des jolies fleurs afin de la vendre comme esclave. Mais cela n’expliquait pas en revanche pourquoi son corps était en si piteux état. Personne n’accepterait de prendre en charge une esclave blessée de la sorte, peinant à bouger le moindre de ses membres. Non, ça ne tournait pas rond.

Sa vision se stabilisant enfin malgré les larmes qui coulaient sur ses joues à cause de la douleur, la jeune fille tâche de relever doucement la tête en évitant de réveiller ses blessures plus que nécessaire. Son intuition d’origine fut vraie. Elle se situait bel et bien au sein de la forêt de Passelune, elle pouvait reconnaître la forme des armes locaux, plus imposants qu’à l’ordinaire. Sa mère allait l’assassiner en apprenant qu’elle avait mis les pieds ici, surtout en compagnie d’un parfait inconnu.

Se rappelant ainsi de la présence de quelqu’un d’autre, l’enfant croisa enfin son regard. Un homme était assis de l’autre côté d’un léger feu de camp. Un homme de taille moyenne, à la chevelure blonde sale et de silhouette plutôt élancée. Son visage laissait transparaître de légères rides au niveau du front et il arborait une barbe mal taillée qu’il caressait en ce moment-même. Ses yeux perçants mais sans once d’antagonisme fixaient la petite fille, qui détourna aussitôt la tête, tentant d’ignorer la douleur que cet acte provoqua.

Elle remarqua alors que l’homme était accompagné par un robuste Ixon. Prise d’un sursaut de peur, elle tenta de reculer par réflexe mais son corps refusa de lui obéir. Elle fondit à nouveau en larmes à cause de son action, se recouchant pour observer malgré elle le ciel nocturne au-delà de la cime des arbres. Ce Pokémon avait certainement eu de nombreuses occasions de la tuer pour la manger, il n’aurait pas attendu qu’elle se réveille pour le faire.

- Vous… vous m’avez enlevé à ma famille ? demanda timidement la jeune fille, brisant le silence pesant qui venait de s’installer.

- Enlevé ? répéta l’homme avec une légère surprise. Je n’avais pas vu les choses sous cet angle… effectivement, on peut dire que je t’ai enlevé en quelque sorte. Mais c’était ça où tu y laissais la vie, gamine. Je pense avoir pris la bonne décision.

Y laisser la vie ? La blessée tenta de rassembler ses souvenirs brumeux pour comprendre ce qu’il voulait entendre par cela. Elle eut alors un flash de son village envahi par un torrent de flammes. Bien sûr, elle s’était ruée en direction de l’habitation de ses parents pour s’assurer que tout allait bien. Un événement imprévu avait visiblement dû se passer en cours de route pour la stopper dans son élan. Ce trentenaire devait certainement avoir un lien avec l’histoire.

Était-il celui qui avait mis le feu dans le lieu où elle avait passé les six années de son existence ? Non, il venait de signaler qu’il lui avait sauvé la vie, cela n’avait pas de sens. Mais dans ce cas, qu’en était-il de ses parents ? De ses amis ? De tous les autres villageois ? La jeune fille espérait qu’elle était simplement séparée d’eux temporairement qu’ils avaient eu le temps de se mettre à l’abri. L’homme ne tarda cependant pas à briser tous ses espoirs.

- Tu as été ensevelie par les débris d’une maison qui a explosé. Si j’avais mis une minute de plus à te sortir delà, tu serais déjà en train de vagabonder au domaine de Shalkidalia à l’heure où je parle. En revanche, je doute fort que quiconque d’autre ait pu survivre à cet assaut…

- Mais… mais vous avez effectué des recherches ? balbutia-t-elle, le souffle coupé.

- J’ai privilégié ma sécurité… et la tienne. Certes Ixon aurait pu tenir tête à ces canailles et je me débrouille plutôt bien dans l’art de l’escrime mais combattre avec une gamine blessée à nos côtés aurait été bien trop handicapant. Et je ne suis pas un guerrier, juste un simple explorateur.

A ce rythme, elle allait vider toute l’eau contenue dans son corps. Si elle n’était pas de nature pleureuse dans la vie quotidienne, les larmes semblaient couler à flot ce soir. Son père, sa mère, tous ses proches. Disparus en un claquement de doigt. Et le destin avait décidé de la laisser en vie, Arceus devait avoir le sens de l’humour. Si elle n’avait pas pris la décision stupide d’aller cueillir des fleurs, si elle était simplement restée au village quand le drame avait eu lieu…

Cet homme avait également sa part de responsabilité dans l’affaire. Sans son intervention, elle aurait quand même rencontré la mort. Et cela lui aurait permis de rejoindre père et mère de l’autre côté. Maintenant, la paysanne n’avait aucune idée de ce qu’il allait advenir d’elle. Leur famille avait toujours vécu sans le moindre Pokémon de compagnie et à son jeune âge, elle ne pourrait jamais se défendre seule dans la nature. Surtout si l’on prenait en compte l’état actuel de son corps.

- La vie est quelque chose de précieux, tu sais ? souffla l’homme en approchant sa nourriture du feu de camp. Et elle est également courte. Si j’ai pris la décision de te sauver sans même te connaître, c’est parce que j’ai jugé que tu avais encore beaucoup de choses à expérimenter.

- J’aurais préféré mourir pour être honnête… murmura-t-elle, la voix brisée.

- Je peux le comprendre, c’est toujours dur de perdre sa famille. Si je n’ai jamais connu ma mère, qui est partie en me donnant naissance, ce fut un déchirement de me retrouver séparé de mon père. Mais malgré tout, il faut continuer à aller de l’avant. Au moins histoire d’honorer leur mémoire. Je n’ai pas eu la chance de les rencontrer mais je suis néanmoins persuadé que tes parents ne souhaiteraient pas que tu te sacrifies pour les rejoindre.

Elle n’ajouta rien et passa la tête sous le drap, songeuse. Si elle continuait à vivre, qu’allait-il advenir d’elle ? Son sauveur avait dit qu’il était un explorateur, peut-être accepterait-il de la laisser l’accompagner dans ses péripéties à travers le monde. En parallèle, cela lui permettrait également d’apprendre à se défendre. A cause de son statut de paysan, elle n’avait jamais eu l’occasion de manier ou même simplement de toucher une épée jusqu’ici.

Après l’acceptation du drame, ce fut la rancœur qui commença à s’installer dans son cœur. Quel monstre pouvait bien avoir attaqué un pauvre village à l’écart des grandes villes et qui ne détenait surtout aucune richesse notable ? Se venger, elle était sûrement là, sa solution. L’honneur de sa famille venait d’être piétiné et bafoué, elle pourrait sûrement le restaurer en prenant la tête du brigand qui avait causé sa destruction. Mais cela nécessiterait de devenir une guerrière aguerrie avant de passer à l’acte.

- Dis-moi gamine, nous n’avons toujours pas effectué les présentations. Il serait peut-être temps de réparer ça. Je m’appelle Aléandre Nertiloni et comme j’ai pu te le dire avant, je suis un explorateur toujours en quête de découvrir de nouveaux horizons. Et lui, c’est mon fidèle partenaire Ixon. Il m’accompagne depuis qu’il est un simple Zigzaton et il appartenait à mon père avant de finir avec moi.

- Ylliana… chuchota alors la petite fille, en révélant à nouveau une partie de son visage jusqu’ici dissimulé par la couverture.

- Ylliana comment ?

- Juste Ylliana...

- Très bien, Juste Ylliana. Ravi de faire ta connaissance. Je sais que tu n’es pas en état de marcher par toi-même pour le moment donc Ixon va te transporter dans ses bras. Il y a de fortes chances que le groupe de brigands passe la nuit dans ton village avant de reprendre la route le lendemain donc je doute qu’ils nous retrouvent mais ne prenons pas de risques.



***


- Où est-ce qu’on va ? demanda timidement Ylliana alors que le groupe approchait tranquillement de l’orée de la forêt de Passelune.

- Je reste sur mon projet initial de rallier Sartopia au plus vite, dévoila calmement Aléandre, qui marchait à l’avant tandis que le Pokémon Barrage transportait la petite fille dans son dos. Certes, ce sera un peu plus compliqué avec toi à nos côtés, surtout que tu es blessée mais nous devrions nous en sortir.

L’explorateur ajouta qu’elle serait ensuite déposée dans la grande cité, où elle pourrait devenir servante pour un homme aisé, travailler dans un bar ou peut-être aider dans un commerce quelconque. Ylliana s’était doutée que son sauveur n’avait pas l’intention de la garder avec lui éternellement mais préféra ne pas contester sa décision. Elle aurait toute l’occasion de le convaincre plus tard de la laisser l’accompagner dans ses voyages.

Si la paysanne ressentait une forte envie de vengeance vis-à-vis du groupe de pillards meurtriers, elle restait une petite fille qui ignorait tout du monde. Tout l’inverse d’Aléandre qui avait appris à le connaître au fur et à mesure de ses aventures. L’idée de pouvoir découvrir de nouvelles villes, des nouvelles cultures et des nouveaux Pokémon lui plaisait. Celle d’entrer dans la vie active qu’elle n’avait encore que six ans l’intéressait bien moins.

D’après les dires de l’homme blond, il leur faudrait environ trois jours pour rallier la grande cité commerciale. Ylliana jugea qu’il valait mieux profiter de ce temps pour se restaurer et récupérer de ses blessures. Son corps était parsemé de bandages et elle n’osait même pas imaginer à quoi pouvait ressembler sa peau à l’heure actuelle. Elle était entrée en contact avec de la roche brûlante pendant un cours instant, c’était déjà un véritable miracle que son visage en ait réchappé sans blessure.

- Ces monstres qui m’ont tout pris… qui sont-ils ? souffla-t-elle davantage pour elle-même que pour obtenir une réponse claire.

- Ixon a eu l’occasion d’assommer l’un d’entre eux avant que tu ne sois prise dans l’explosion. A en voir son armure noire et l’emblème qui figurait dessus, il y a fort à parier que ton village ait eu affaire aux Crânes Noirs. Et cela me conforte dans l’idée qu’il valait mieux éviter de leur faire face directement.

Les Crânes Noirs. Même en étant coupée du monde depuis sa naissance, Ylliana avait pu en entendre parler à quelques reprises, même si c’était surtout par le biais de rumeurs qui avaient la possibilité d’être infondées. Un groupe de truands passionnés par le combat et qui tuaient sans le moindre scrupule. Le village de la pauvre paysanne n’était pas le premier à se faire attaquer par ces horribles personnages et ne serait pas le dernier.

Ylliana garda cette information dans un coin de sa tête. Si maintenant, elle n’était qu’une pauvre enfant blessée incapable d’agir, elle comptait apprendre à se battre. Elle comptait se venger. Et cela permettrait également à d’autres villages d’éviter de subir le même sort que le sien. Ce genre d’actes ne pouvait pas être laissé impuni. Lui tournant le dos, Aléandre ne pouvait pas remarquer la lueur qui brillait dans le regard azurée de l’enfant.

La nuit avancée entraînait une baisse drastique de température. En prenant attention à ne pas réveiller ses blessures, Ylliana se frotta contre la fourrure de l’Ixon. Si le Pokémon de double-type Ténèbres et Normal paraissait terrifiant aux premiers abords, il demeurait toutefois doux envers ses connaissances. Il prenait très à cœur sa mission de transporter la blessée aux multiples brûlures et ne comptait pas la lâcher tant qu’elle ne serait pas capable de tenir sur ses deux jambes.

- Nous sommes chanceux ce soir, les Pokémon sauvages ont l’air de se tenir à l’écart, commenta Aléandre avec un petit rire satisfait. Ce cher Ixon aurait eu du mal à nous défendre tout en te transportant, gamine. Nous ferons une pause au lever du jour lorsque nous aurons quitté la forêt, je ferai bien une petite sieste.

- Je m’appelle Ylliana, rouspéta la jeune fille.

- Oui oui, Juste Ylliana pas vrai ? Je tâcherai de ne pas l’oubl…

- Monsieur Nertiloni, attention à vous ! Il y a un truc tout violet qui s’approche à toute vitesse, coupa aussitôt la petite blonde avec inquiétude.

- Qu’est-ce que tu racontes ? Nous sommes seuls tous les trois sur le sentier…

L’explorateur avait beau regarder autour de lui, il n’y avait vraiment rien qui pouvait le contredire. A cause de tout ce qui s’était passé, la pauvre Ylliana devait être en train de délirer. Un truc tout violet ? Voulait-elle parler d’un Pokémon ? Rares étaient ceux qui avaient la capacité de se rendre invisibles mais vu qu’il faisait nuit, il n’était pas improbable qu’un de ceux de type Spectre se balade dans les environs et essaye de s’attaquer à eux.

Aléandre sentit toutefois un choc douloureux au niveau de sa poitrine. Tout s’était déroulé en un éclair. Une attaque Ball’Ombre venait de surgir de nulle part dans sa direction et à cause du manque de luminosité des environs, le voyageur ne fut pas en mesure de l’esquiver. Pris au dépourvu, il tomba au sol, non loin des pattes de son fidèle Ixon. Par chance, les vêtements d’Aléandre comportaient une armure légère justement prévue pour encaisser quelques impacts tant qu’ils n’étaient pas trop importants.

Les Pokémon de type Spectre restaient la pire catégorie d’adversaire pour un escrimeur tel que lui. Malgré tous ses efforts, combattre un opposant capable de se rendre invisible ou de se dématérialiser était impossible. Quand le binôme croisait la route de l’un d’entre eux, Aléandre laissait justement Ixon et son type Ténèbres se charger de combattre. Mais dans le cas présent, il était bien trop occupé à protéger l’enfant pour lancer une capacité.

- Ixon, ne lâche surtout pas la gamine ! On va partir au plus vite avant que le Polthégeist ne finisse par nous blesser ou aggraver le cas d’Ylliana.

Maintenant qu’il avait la confirmation de la présence de l’ennemi, même sans pouvoir déterminer sa position, Aléandre tâcha de se montrer plus réactif. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de se relever, Ylliana tendit son bras en direction de la ceinture de l’explorateur, serrant les dents afin d’ignorer la douleur que lui procurait un acte pourtant si simple. Elle prit dans sa main la dague qui se trouvait là et la lança immédiatement en direction du Polthégeist.

Elle ne put ignorer la souffrance plus longtemps et lâcha un cri alors que ses yeux déjà irrités par les larmes précédentes redevenaient humides à nouveau. L’arme contondante passa au dessus de la tête de l’homme presque trentenaire et termina sa course dans le bras de la chose violette. Ce fut le Pokémon Spectre qui poussa un hurlement cette fois-ci, alors qu’Aléandre assistait bouche bée à la scène. Se retournant pour faire face à Ylliana, il fut aussitôt frappé de stupeur.

Les yeux azurs de la paysanne brillaient. L’explorateur n’eut pas le temps de s’apsentir là-dessus et se releva immédiatement pour attraper le poignard planté dans le pauvre Spectrum devenu visible et s’étant écroulé sur le sol. Sans perdre une seconde, le trio poursuivit immédiatement leur route à travers le sentier avant que la victime n’ait la vilaine envie de les poursuivre. Aléandre savait qu’une importante discussion avec la gamine s’imposait après cet épisode.

- Ce sont les Yeux Sacrés de l’Entre-Vie, cela ne fait aucun doute… songea-t-il.



***


- Gamine, il faut qu’on parle.

Le groupe venait de s’arrêter après avoir quitté la forêt dans une plaine verdoyante. Ixon allongea la fille blessée dans l’herbe avant de s’asseoir à ses côtés. Après s’être assuré qu’aucun Pokémon sauvage ne se trouvait dans les environs, Aléandre en fit de même. S’il s’était abstenu de lui poser des questions pendant leur fuite, il était grand temps de passer à l’acte. Le phénomène qui s’était déroulé avec le Polthégeist était tout sauf commun.

Même s’il existait toujours une possibilité d’erreur, tout semblait s’aligner avec la théorie d’Aléandre. Le fait qu’Ylliana ait pu apercevoir le Pokémon Spectre pourtant invisible alors que même Ixon n’avait rien vu venir, le fait qu’elle ait pu le toucher avec une arme blanche alors que cela se révélait impossible en temps normal. Mais surtout son regard illuminé alors que ces effets entraient en activation. Non, il n’y avait aucun doute à avoir. La paysanne était en possession des Yeux Sacrés de l’Entre-Vie.

- Ylliana, est-ce que tu as toujours été capable de voir les fantômes ?

- De quoi vous parlez ? s’enquit la jeune fille, qui ne comprenait pas d’où pouvait venir cette question. Les fantômes existent vraiment ?

- Je vois… dans ce cas, c’est l’explosion dans le village qui a été le déclencheur, comprit Aléandre.

Les Yeux Sacrés existaient sous bien des formes et s’obtenaient généralement à la naissance, avec une probabilité très faible. Mais il en existait certains qui pouvaient s’acquérir dans des conditions spéciales. Ceux de l’Entre-Vie entraient dans cette catégorie. Seuls ceux ayant touché la mort sans vraiment l’atteindre obtenaient ce pouvoir et même là, ce n’était pas systématique. Malgré ses nombreuses excursions à travers le monde, Aléandre n’avait jamais rencontré un possesseur des Yeux Sacrés avant aujourd’hui.

Leur présence se notait justement par l’éclat brillant du regard lorsqu’ils étaient en cours d’utilisation. Une personne possédant les Yeux Sacrés de l’Entre-Vie obtenait la capacité de toucher le domaine au-delà de la vie. Et cela se caractérisait notamment par la capacité de voir ce que le commun des mortels ne pouvait pas, les fantômes ou les Pokémon Spectre qui se rendaient invisibles mais également d’interagir avec eux pour les éliminer et leur permettre de rejoindre complètement le domaine des morts.

- Ylliana, je me doute que tu ne dois pas savoir de quoi je parle mais ton accident qui a failli te coûter la vie t’as permis d’obtenir un pouvoir important. Un pouvoir dont j’ai justement besoin.

Aléandre comptait initialement déposer la paysanne à Sartopia et reprendre ensuite son voyage avec Ixon après avoir glané des informations sur son objectif. Mais laisser passer sa chance de pouvoir déjouer le mécanisme entourant l’épée Arithmédia ne serait clairement pas une bonne idée. Lui qui rêvait de mettre la main sur l’arme de Shalkidalia depuis tant d’années s’en voudrait jusqu’à la fin de ses jours. L’explorateur n’aurait jamais pensé que cette fille qu’il avait pris la décision de sauver puisse être la clé.

L’homme blond avait une ambition particulière qui motivait son existence, mettre la main sur Arithmédia. On racontait que cette arme appartenait à l’Impératrice de la Mort Shalkidalia, divinité dirigeant l’Outremonde où se rendaient les défunts. Son père avait tenté de la récupérer mais l’on racontait qu’Arithmédia se trouvait dans un lieu habité par des fantômes qui poussaient immédiatement les intrus au suicide. Si Aléandre ne pouvait confirmer que son père avait succombé à cause de ça, il en était persuadé.

- Les Yeux Sacrés de l’Entre-Vie représentent le seul moyen de contrer ce problème. Grâce à eux, tu peux combattre les fantômes et les empêcher de modifier ton jugement pour te donner la mort. Je le savais depuis le début mais jusqu’à présent, je me suis contenté de chercher à localiser Arithmédia sans m’en préoccuper, raconta-t-il calmement.

- Et donc vous voulez que je vous aide à récupérer cette épée, monsieur Nertiloni ?

- Tu peux arrêter avec tes monsieur Nertiloni, ça c’était mon père. Je m’appelle Aléandre. Et effectivement, je pense que ton aide serait précieuse. J’ai bien pu voir à ta façon de te comporter que l’idée de rester à Sartopia ne te plaisait pas, n’est-ce pas ? Tu veux voyager avec Ixon et moi ?

Ylliana acquiesça d’un signe de tête, se demandant combien de fois elle allait encore pleurer avant que sa situation ne se stabilise. Elle sentait son cœur battre à toute allure contre sa poitrine. La jeune fille venait de perdre sa famille et tout ce qui lui était cher mais on lui offrait néanmoins une chance. Elle ne comprenait pas très bien la nature de son nouveau pouvoir et elle ne le maîtrisait pas du tout mais cela lui permettrait d’apprendre à découvrir le monde alors elle accepterait de vivre avec.