Aux portes du Crépuscule de Darkey

Sept ans avant le massacre de Nightopole, les Griffes d'Argent n'en étaient qu'à leurs débuts. Les Absol de Sang n'étaient pas une très grande menace. La plupart des gens vivaient tranquilles...
Insoucience, pas trop de quoi s'inquiéter...
Adriano Blackice faisait cependant partie de la catégorie des gens prompts à s'attirer des ennuis. Il faut dire, vu le boulot qu'il faisait, ce n'était guère étonnant.
Mais malgré cela, il était heureux.
Il avait pas mal d'argent, de bons amis, et surtout, il était amoureux.
Avant d'être un tueur sans pitié, Adriano Blackice avait eu un coeur...
Celui-ci appartenait alors à une splendide créature, de cinq ans son aînée, aux magnifiques boucles brunes et aux yeux d'un bleu pervenche qui se nommait Sarah. Il l'avait connu encore gamin. C'était la fille de ses voisins. Il se rappellait, à son neuvième anniversaire, où elle était présente, que lorsque ses parents lui avaient demandé ce qu'il voulait faire plus tard, il avait répondu de sa petite voix flutée:
- Moi, je veux me marier avec Sarah!!!
Si à l'époque, la jeune fille agée de quatorze ans avait pris cela en jolie petite déclaration pas très sérieuse, elle avait changé en grandissant. En effet, dix ans après, ils s'étaient revus. Et là, elle avait été stupéfaite par le changement.
Le petit garçon aux jolis yeux de ciel était devenu un jeune homme... et un très bel homme. Quant à elle, en grandissant, elle avait acquis une certaine maturité, mais elle était encore plus belle qu'avant.
Cela avait été le coup de foudre immédiat. Le soir même de leurs retrouvailles, ils avaient fait la première fois l'amour... et décidé de ne plus se quitter. Il ne l'oublierait jamais, cet instant où ils étaient ensemble sous les draps et qu'il avait dit:
- Epouse-moi, Sarah...
Elle avait été un peu stupéfaite:
- Tu me demandes ca après seulement une nuit passée ensemble???
Adriano avait pouffé de rire:
- Et si tu pars du principe que j'ai eu... dix ans pour revenir sur ma demande?
Elle avait éclaté de rire avant de lui répondre oui. Il l'avait pris dans ses bras à nouveau, respirant son parfum... Que c'était bon! Il savait que leur amour serait éternel. Il remontait du temps de leur enfance, ca ne pouvait être autrement. Il avait un bon job au sein des services secrets, il pourrait revendre l'appartement et acheter une belle maison près de la mer... Il savait à quel point elle aimait l'eau. Tout irait bien.

Cependant, elle demanda un peu d'attente. De toute manière, lui aussi avait des choses à régler. Ils décidérent qu'ils se marieraient quand il aurait eu sa promotion. Mais ils en profitaient un maximum.
Un jour cependant, tout alla de travers.
Cela allait faire six mois qu'ils étaient ensemble et filaient un amour parfait. Mais le Destin avait décidé d'abattre le malheur sur ces deux existences si paisibles...
Une nuit, alors qu'ils étaient dans les bras l'un de l'autre, Sarah se redressa d'un bond en respirant, affolée.
- Qu'est-ce que tu as??? demanda-il inquiet.
- Je... je me sens pas bien...
- Chut, calmes-toi, essaies de respirer...
Mais elle n'arrivait pas. Au bout d'un moment, elle avait dit:
- Je crois que je vais vomir...
Elle s'était levé et s'était précipitée aux toilettes. Elle avait vomi... et s'était évanoui. Adriano, fou d'inquiétude, avait regardé... et avait vu qu'elle avait vomi du sang. Il s'était dépêché d'appeller l'hôpital...
Un quart d'heure après, une ambulance était venue. Il était resté là-bas toute la nuit, tandis qu'elle passait les examens. Au matin, le docteur était venu le voir avec un air très sérieux.
- Alors???
- Restez assis, je vous prie. Ce que j'ai à vous apprendre n'est... pas facile.
Adriano sentit presqu'aussitôt son souffle se bloquer dans sa gorge mais dit:
- Je vous écoute...
- Votre fiancée... n'est pas bien du tout. Elle a attrappé un virus mortel et très rare. On en entend beaucoup parler ces temps-ci, vous le savez... Il n'est pas contagieux... mais terriblement létal.
Adriano avait eu l'impression qu'on venait de lui donner un coup de massue. Il lui avait fallu une minute pour réagir:
- Elle... elle va mourir?
- Je crains que oui.
- Combien... de temps?
Le docteur l'avait regardé d'un air comptatissant:
- Six mois tout au plus en prenant des médicaments.
Adriano avait cependant senti quelque chose en lui se rebeller:
- Et... il n'existe aucun traitement? Aucun?
Le docteur avait réfléchi avant de dire:
- Si. Mais il est très rare. Et coûteux. Tellement coûteux que tous vos biens ne pourraient sans doûte pas le payer.
Adriano n'avait pas hésité:
- Combien?
Voyant que le docteur hésitait:
- Combien???
- Au moins cinq-cents milles pokédollars, voire plus. Son extraction est extrêment difficle, raison pour laquelle il est si cher.
Adriano avait encaissé le coup avec courage. Et douleur.

Quelques jours plus tard, le soir...
- Je ne te laisserai pas mourir!!!
Sarah avait un pâle sourire:
- Où tu veux trouver une somme pareille?
Adriano la regarda:
- Je ne sais pas! Mais je trouverai! Je te le jure!!!
Il se rapprocha d'elle, l'embrassa avec une ardeur folle. Elle lui rendit son baiser et sentit l'inquiétude l'envahir. Au bout d'un moment il l'interrompit pour dire:
- Je t'aime... Je t'aime plus que toute ma vie. Je trouverai le moyen, même si je dois faire le plus sale boulot... Je dévaliserai une banque ou je vendrai des saloperies aux étrangers, mais je trouverai!!!
Sarah avait eu un sourire:
- Fais attention tout de même...

Le lendemain, il avait téléphoné à l'un de ses collègues:
- Steven? T'es libre après le boulot? Je t'invite à un verre. Ouais, j'ai une grosse merdasse sur les bras, faut que tu m'aides. Ok. Merci, je te revaudrai ca. A ce soir, alors.

Le soir dans un bar mal fâmé, il l'avait retrouvé. Steven n'avait pas été long à comprendre:
- Alors, Adi, qu'est-ce qui se passe? C'est vrai que t'as l'air super inquiet...
Adriano se pencha pour dire à voix basse:
- Ecoutes, je suis dans la merde. Il me faut de l'oseille. Beaucoup.
Steven ricanna:
- Nan? T'as des dettes de jeu?
- Très drôle! Si c'était que ca. Nan, c'est pour Sarah.
- Sarah? Elle a des ennuis?
- Elle est malade.
Il avait déjà dit ces mots plusieurs fois, mais à chaque fois, c'était une torture.
- Elle a quoi?
Adriano lui expliqua. Steven le regarda d'un air compatissant:
- Putain! T'as pas de pot! Alors là, je dois avouer, c'est vraiment la poisse! Je vais voir ce que je peux faire. C'est les élections en ce moment... Je pourrais peut-être te trouver quelque chose. Mais faut voir si ca te convient.
- Pourquoi?
Steven baissa la voix:
- Parce qu'en fait... c'est pas très réglo, ce que je vais te proposer... C'est... disons, un emploi pour une fois...
Adriano le regarda:
- Tu veux dire... Liquider quelqu'un???
- C'est pas plus naze que de faire ca au service du pays non? Et puis en général, c'est des crapules, si ca peut soulager ta conscience...
Adriano eut l'air déterminé:
- Franchement... J'assassinerai tout Nightopole pour offrir un jour de plus à Sarah. Pas de problème.
Steven le regarda d'un air impressionné:
- T'es vraiment accro, dis donc... Bon. Laisse ton portable branché. Je te donnerai bientôt des nouvelles.

Steven tint parole. Deux jours plus tard, il appellait:
- Adi, mon pote, j'ai ton affaire. Va à l'hôtel des Ailes d'Argent, dans une heure. Ton employeur t'y attend!
- Les Ailes d'Argent? Putain, il doit être fricé...
- Ca, tu l'as dit! C'est du gratin, que je t'ai trouvé vieux! A toi d'assurer et tu pourras sauver ta nana... et peut-être ajouter un beau voyage de noce!
- J'en demandais pas tant, mais merci, vieux!
- Pas de quoi, j'aide toujours les vieux potes comme toi...

Ainsi, une heure après, Adriano pénétrait dans l'hôtel quatre étoiles des Ailes d'Argent... sans se doûter qu'il allait prendre la pire décision de son existence. Il vit son client et le reconnut. C'était le sénateur Blackbird. Un politicien aux manières onctueuses et au sens moral très élastique...
Blackbird était un vrai rapace. Ses concurrents avaient tendance à tous mourir de mort violente... et encore, s'ils ne se retiraient pas plus vite de la course, quand leur femme ou leurs enfants avaient des accidents mystérieux..
Celui-ci le salua avec un ricannement:
- Bonjour, Monsieur Blackice. On m'a dit que vous étiez l'un des meilleurs dans votre genre...
- Je me défends, répondit-il modestement.
- Et bien, nous allons voir ca. Voici la cible.
Il lui tendit un petit carré de papier glacé. Adriano fut stupéfait. Sur la photo, une filette d'environ huit ans aux nattes blondes souriait de toutes ses dents.
- Mais... c'est qu'une môme!!!
- Ce n'est pas qu'une môme! C'est Kate, la fille de mon plus tenace adversaire, Whitebird... Ce vieux rabougri n'a visiblement pas compris qu'il valait mieux pour lui se tenir hors de mes plates-bandes...
- Une gosse! Vous voulez que je... bute cette gosse???
Il était horrifié. Tuer un homme c'était une chose, d'autant que ses cibles n'étaient pas franchement innocentes. Les femmes, par éthique, il évitait. Mais un gosse... Un gosse, c'était la pire chose qu'on lui eût jamais demandé. Il ne pouvait pas.
- Je ne tue pas les enfants, dit-il d'un ton froid. C'est hors de mes principes;
Le sénateur ricanna:
- Dommage... Vous auriez été récompensé au-delà de vos espérances....

Le soir-même, Adriano retrouvait Steven. Celui-ci ne fut pas très compréhensif:
- T'es con! Je te dégote un coup super-juteux pour sauver ta meuf, et tu me fais une crise de scrupules???
Adriano le foudroyea du regard:
- Tu fusillerais une môme pour du fric? Moi, désolé, je peux pas!
Steven rétorqua:
- Pour du fric, non! Mais pour la vie de la femme de ma vie, oui, sans hésiter! Sois pas con, merde! T'auras pas d'autre occaz. Et puis dis-toi une chose. Si cette gamine est dans le colimateur de Blackbird, c'est sûr, elle est morte. Donc mieux vaut que ce soit toi plutôt qu'un autre enfoiré qui ferait vraiment ca pour le blé, non? Toi, dis-toi que c'est un échange; la vie de cette petite contre celle de Sarah. Ca vaut pas le coup?
Adriano ne sut que répondre. Il finit par dire:
- Je... dois réfléchir...

Il ne mit pas longtemps à se décider. Steven n'avait pas tort. S'il ne le faisait pas, de toute façon, un autre le ferait, sans aucune scrupule. Et Sarah mourrait. Il rappella Blackbird et lui annonca qu'il était prêt à le faire.

Sarah, pendant ce temps, n'était pas à court d'idées. Elle travaillait pour le Comte... et avait découvert voilà quelques jours, une chose très vilaine... Elle allait le faire cracher. Il aurait intérêt à lui verser un beau paquet de fric.

Enfin, le jour arriva. Adriano avait bien chargé son fusil. Il était décidé à ne pas faiblir. La vie de Sarah en dépendait. Mais en revanche, il ne pouvait s'empêcher de se haïr pour ce qu'il allait faire. Il avait réfléchi et avait décidé qu'il n'emploierait qu'une seule balle, et toucherait sa cible directement au coeur. La gamine n'aurait même pas le temps de comprendre qu'elle mourrait. C'était d'une simplicité... enfantine. Il n'aurait qu'à attendre qu'elle passe devant l'immeuble dans lequel il s'était embusqué... et pan!
Il s'allonga sur le ventre et se mit en position. Le sénateur arriva donc dans la rue, dans sa grosse limousine rouge. Enfin, il descendit, accompagné de son épouse et de la petite fille qui portait une robe blanche. Il pointa son arme, visant droit le coeur. Et pria. Il se sentait presque incapable de le faire.
"Pauvre gosse..."
il eut presque envie de pleurer mais savait qu'il ne pouvait pas se permettre de faiblir. Il se ressaisit.
"Je suis vraiment désolé."
Il appuya sur la détente.
Des cris retentirent. L'enfant s'effondra, le sang maculant le blanc de sa robe. Elle était morte avant même d'avoir touché le sol. Adriano fonca hors de la pièce. Il savait qu'il n'aurait quelques minutes avant que le périmètre ne soit bloqué. En même temps, il se sentait sale, maudit. Il avait tué une gamine! Une gamine! Une pauvre gosse!!! Il savait qu'il aurait cela sur la conscience toute sa vie. Mais tant pis. Il aurait sauvé Sarah...

Pendant ce temps, Van Mortis réglait un léger problème. Le salon richement décoré, et la femme...
- L'argent est dans le sac. Donnez-moi le flash-drive!
La femme obéit. Mais elle ne vit pas du coup les gardes derrière elle...
BLAM!!!
Un révolver claque, elle s'écroule dans une mare de sang. Adieu à sa vie qu'elle aurait pu peut-être prolonger... Van Mortis ignore que cet acte cruel vient de réduire à néant... le sacrifice d'une petite fille blonde.

Adriano se dépêcha de rentrer. Son coeur bondissait de joie dans sa poitrine. Blackbird l'avait payé rubis sur l'ongle. Il sauverait Sarah. Il serra fort son sac contre lui et pensa au prix qu'il avait fallu payer pour ca...
"La vie d'un gosse ne vaut pas grand chose de nos jours, songea-il. Tout ca pour un siège de président et un peu de fric..."
A cet instant, il entendit son portable sonner et décrocha. C'était Steven:
- Allô?
- Adi? J'ai vu ton carton à la télé... Chapeau...
- Ouais, bah, j'en suis franchement pas fier, répondit Adriano d'un ton dégoûté.
- Oui, mais... il y'a un léger problème... Il faut que... tu viennes en urgence...
- Ou?
- Nouveau quartier de Nightopole. Quelqu'un s'est fait buter, on vient de retrouver son corps... Je crois que... c'est quelqu'un que tu connais...
- Ok.

Il y alla et eut le choc de sa vie.
Un corps était allongé au sol. Un corps de femme, aux boucles brunes...
- SARAH!!!!
Il se précipita affolé. Il ne pouvait pas y croire. C'était impossible... Après tout ce qu'il venait de faire pour elle...
- Non, non, non!!!!
Mais c'était bien elle. Il venait de la perdre pour toujours.
- Je suis désolé, mec...
Pour toue réponse, Adriano se releva d'un bond, le regard fou:
- On a une idée du responsable?
Steven le regarda:
- On pense que c'est le Comte qui l'a faite exécuter...
- JE LE TUERAI!!!
Il alla plus loin et poussa un long cri de chagrin, de haine et de douleur. Toute sa vie était détruite. Il s'était damné par amour pour cette femme qu'il aimait... le tout était maintenant réduit à néant...
Il fit secrétement don de l'argent du sang de la fillette à une organisation qui s'occupait justement des enfants abandonnés. Et lui même, s'il ne se suicida pas décida de tuer Van Mortis avant de se tuer. Mais entre-temps, six mois plus tard, les Griffes d'Argent le recrutaient et lui offrait une excellente raison de vivre. Car Van Mortis en quelques mois, organisa un coup d'état et devint un homme difficile d'atteinte. Le père de Kate mourrut d'une maladie du foie. Le sénateur Blackbird fut retrouvé égorgé dans la salle de bain des Ailes d'Argent, son sang remplissant la baignoire de marbre. Et Adriano Blackice devint le nettoyeur le plus redouté de la région...
Il en faut peu pour détruire une existence...
Mais il en faut beaucoup pour retrouver goût à la vie.