Les Griffes d'Argent.
Iris Greengrass enregistra rapidement les données qu'elle venait de lire sur le rapport d'analyse. Ses doigts agiles pianotant sur l'ordinateur, elle compara l'ADN mis à découvert par sa soeur et collègue à ceux déjà enregistrés dans la base de données et poussa un grognement de
frustration. Aucun ne correspondait, ce qui laissait à penser qu'une nouvelle meute de ces fichus Absol de Sang venaient de faire son apparition. Elle mit sa main devant sa bouche pour réprimer un baillement et jeta un coup d'oeil à sa montre. Il était une heure et demie du
matin. Ses yeux verts et perçants étaient déjà couverts de cernes, fatigués par la lumière de l'écran et par une journée longue suivie d'un début de nuit blanche. L'organisation des Griffes d'Argent laissait peu de repos à ceux qui travaillaient pour eux. La lutte contre le Comte et ses pokémon loups génétiquement modifiés étaient décidément une véritable course contre la montre. Sur son bureau s'étalaient donc en ce moment une liasse de papiers et un paquet de bonbons acidulés à moitié entamé, ainsi qu'une bouteille de soda. Elle était la seule à travailler encore à cette heure-ci. Sauf peut-être quelqu'un d'autre... Mais ca, elle le savait parfaitement...
Agée d'à peine dix-neuf ans, elle était déjà une scientifique chevronnée. Mais elle possédait également plusieurs pokémon. D'ailleurs, son Noctali somnolait à l'autre bout de la pièce, lové sur une chaise. Elle passa une main dans ses cheveux pour les lisser. Ils étaient d'une couleur noisette pulsée de doré et presque impossible à coiffer. Elle avait tenté de les apprivoiser pour travailler en une queue de cheval haute, mais le résultat n'était pas franchement réussi. De toute façon, son visage épuisé et ses cernes ne lui accordaient pas une apparence reluisante, d'autant que la blouse blanche qu'elle portait accentuait le teint pâle et maladif de sa peau, malgré son pull à col roulé noir qu'elle portait dessous et dessinait ses formes de manière graçieuse. A cet instant, elle entendit quelqu'un entrer dans le bureau. C'était sa soeur, Camélia. Agée de deux ans de plus, elle avait les mêmes yeux que sa soeur, sauf qu'elle était blonde. Elle la regarda:
- Monsieur Lunel a demandé à te voir, dit-elle. Tu le connais, il déteste attendre...
- Okay, j'y vais... J'espère que ca ne va pas se prolonger.
- Ah, et je t'avertis... dit-elle soudain d'un ton un peu malicieux.
Iris regarda sa soeur d'un air un peu gêné:
- Euh... Je crois deviner, mais vas-y...
- Cerbère en personne est avec lui, alors, prépare-toi...
Iris sentit une violente décharge d'adrénaline lui parcourir le corps. Si le Cerbère était là, l'entretien n'allait pas être triste... C'est emplie d'une terrible apréhension qu'elle entra dans le bureau du patron de l'organisation.
IL était là.
Regard de glace perçant.
Allure de rapace, ou plus exactement, de traqueur.
Tout vêtu de noir, arme à la ceinture, prêt à bondir, tel l'un des Absol de sang qu'il traquait.
Adriano Blackice, le plus redoutable espion de l'oraganisation, qu'elle avait d'ailleurs "affectueusement" surnommé le Cerbère ou le Chien de Garde, ou, dans ses plus mauvais jours, l'Emmerdeur.
Son oeil vert se noya presque instantanément dans le regard bleu glacé du jeune homme et son coeur se mit à cogner dans sa poitrine. Avant qu'il n'aie eu le temps de la narguer le premier, elle lanca:
- Tiens, je vois que le chien de garde est à son poste!
Adriano encaissa l'insulte avec patience. Cela faisait trois ans qu'on l'avait chargée de veiller, ou plutôt de surveiller cette sale gosse et il avait toujours autant de mal à garder son calme en face d'elle. Il répliqua d'une voix glaciale:
- Vous êtes bien placée pour parler de chien, avec le sale boulot que vous faîtes!
- Ca suffit.
Patrick Lunel, le directeur de l'organisation venait de prendre la parole. Il fallait calmer le jeu avant que les deux ennemis n'entamassent une joute oratoire dont il n'avait cure pour l'instant. C'était un grand homme blond, vêtu tout de noir, aux yeux marrons et perçants. C'était lui qui avait fondé les Griffes d'Argent pour lutter contre cette menace que représentaient les Absols de Sang. Il était également le patron d'Iris et d'Adriano et ils lui devaient obéissance. Rappellés à la réalité les deux se jetèrent un long regard... puis se détournérent l'un de l'autre. Mais une grande tension venait d'envahir la pièce. Il prit la parole:
- Bien, comme vous le savez, une terrible attaque a eut lieu la nuit dernière à Nightopole. Vingt morts en tout, dont une famille toute entière... c'est beaucoup. Mademoiselle Greengrass, avez-vous déniché la meute responsable de cette attaque?
- Non, répondit Iris. L'ADN ramassé ne correspond à aucun répertorié dans la base de donnée. L'autopsie du cadavre ramassé a révélé que l'Absol était bien mort d'un coup de griffe à la gorge de l'un de ceux de son espèce, ce qui nous pose problème puisqu'ils ne s'attaquent normalement jamais entre eux...
- En clair, comme d'habitude, vous faîtes chou blanc, lanca méchament Adriano Blackice, ravi de voir son ennemie en situation disgracieuse.
Si j'étais aussi efficace que vous, notre ville aurait été envahie depuis bien longtemps... ah, et de plus, vous seriez morte.
Iris foudroya le jeune homme du regard:
- Je ne vois pas ce qu'il y'a de reluisant à être un expert en tueries, traques et exécutions de tout genre, rétorqua-elle d'un ton perfide. Au moins, les Absol sortent et signent leurs crimes. Vous, vous n'êtes qu'un furtif assassin rôdant dans l'ombre et éliminant les gêneurs sans en faire plus de cas que de boire un verre d'eau... Vous semez la mort où vous passez et par-dessus le marché, vous m'épiez comme un prédateur devant une viande appétissante sous prétexte de veiller sur ma sécurité...
Vlan.
Le jeune homme resta coit devant cette répartie cinglante, d'autant qu'il fallait l'avouer, la remarque de la jeune fille avait un fond de vérité. Mais cela importait peu. Il allait répliquer lorsque Lunel s'en mêla:
- Agent Blackice, Miss Greengrass, je vous prie de stopper immédiatement votre querelle. Nous devons nous préoccuper de choses plus importantes. Vous êtes du même côté, alors apprenez à vous respecter un peu.
- Il faudrait déjà qu'ELLE commence, dans ce cas, dit Adriano d'un ton froid. Vous avez entendu Iris? Cessez donc vos petites remarques blessantes de Persian enragé et prouvez-moi plutôt qu'on peut vous faire confiance. Car pour l'instant, je ne pense pas.
- Je vous fait encore moins confiance que vous ne m'en faîtes, rétorqua-elle. J'ai de bonnes raisons, vous le savez...
Les deux se regardèrent avec hostilité. Lunel reprit la parole:
- En attendant, voici ce que nous allons faire. Miss Greengrass, je vous charge de me dénicher autant de chose que vous pouvez sur cette nouvelle meute. Je sais que vous en avez largement les moyens. L'Agent Blackice vous assistera.
- S'il s'agit de ma protection, ne pourrais-je pas avoir quelqu'un d'autre? demanda-elle d'un ton un peu furieux. Je ne peux travailler avec quelqu'un en qui je n'ai pas confiance...
- Mais moi, j'ai confiance, répondit Lunel avec un mauvais sourire. Vous savez parfaitement que nous ne pourrions trouver meilleur appui que lui pour vous...
Adriano se contenta de faire la grimace. Bon. Il commencait doucement à s'y habituer, mais pas facile de travailler avec quelqu'un qui vous témoignait une telle hostilité et ne se privait pas de vous le faire savoir... Déjà, il devait la veiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors...
- Très bien, lâcha Iris, furieuse.
Elle sortit du bureau avec un certain mécontentement. Adriano Blackice dans les pieds, bosser était rarement facile. D'autant que le vicieux agent prenait un malin plaisir à la voir échouer dans ses investigations. Et pourtant, avec ses dons spéciaux, rien n'était vraiment difficile pour elle. Elle retourna dans le bureau de sa soeur. Camélia se mit à rire:
- Alors... On a de nouveau Cerbère entre les pattes?
- Exactement! Ce mec me colle aux basques comme un Absol de Sang derrière un morceau de viande! Il va me rendre folle...
- Folle? De lui, c'est bien possible...
- Tais-toi, Camélia. Tu sais très bien que je déteste ce genre de blague idiote.
- Attends, il t'obséde ce type! Si tu le déteste autant que tu prétends, pourquoi tu l'ignores pas, tout simplement?
- Camélia, tu connais suffisament Blackice pour savoir qu'il est très difficile d'ignorer sa présence... surtout si tu ne sais jamais s'il est là pour te protéger ou te descendre! Bon, je dois te laisser, parce que justement, il m'attend le Cerbère...
- Il te ramène, je suppose?
Elle hôcha la tête:
- Oui, pour s'assurer que je suis bien vivante jusqu'à chez moi...
Camélia eut un petit rire:
- Ma pauvre... il doit déjà avoir posé ses hommes devant ton immeuble!
- Comme d'habitude...
Elle enleva sa blouse et sortit sur le parking. Adriano l'attendait en effet près de sa voiture noire. Elle croisa de nouveau son regard de glace et sentit son coeur s'emballer tandis qu'une haine brûlante lui passait dans les veines. Adriano quant à lui, sentit de noveau l'agacement l'envahir à la façon dont elle le regardait... et surtout cette méfiance instinctive à son égard. Ils s'assirent tous les deux dans la voiture et ne désserrèrent pas les dents, sachant que s'ils s'adressaient la parole, ce serait du suicide. La tension entre eux était tellement forte qu'il leur semblait que des effluves brûlantes leur touchaient la peau. Deux personnes destinées à se déchirer et à se haïr depuis si longtemps... Cependant, Adriano finit par rompre le silence:
- A part ca? Vous avez lu le rapport que je vous ai transmis, je suppose?
Elle hôcha la tête:
- Oui, et je suis d'accord avec vous en ce qui concerne la famille du jeune homme blessé. Ils devaient sûrement avoir des rapports avec le Comte. Quand à savoir lesquels...
- C'est ce qu'il va falloir essayer de savoir, soupira le jeune homme. Je vais devoir enquêter là-dessus, et en même temps de nouveau vous empêcher de vous faire tuer. Sale boulot en perspective, alors tâchez vraiment de m'y aider, d'accord?
- Oh, je ferai ce que je pourrai... Personne n'est parfait, n'ayez pas honte. Tout le monde un jour ou l'autre doit tremper les mains dans la boue. Même si quelques fois, c'est quelque chose qui arrive très vite...
- Ne commencez pas!
- D'accord, d'accord...
- Et justement...
Il se tourna vers elle, alors qu'ils étaient au feu rouge:
- Je sais, vous et moi, ce n'est pas le grand amour, mais je pense que si vous voulez vraiment être débarrassée au plus vite de ma présence... et moi, de la vôtre, nous devrions tenter de faire la lumière sur cette affaire au plus vite! Car si nous pouvons enfin renverser le Comte nos soucis seront terminés. N'oubliez pas que vous et moi sommes du même côté!
Iris le fusilla du regard:
- J'ai mes raisons d'en doûter...
Adriano ne discuta pas. Elle ne pouvait deviner à quel point elle avait raison de se méfier de lui. Mais de toute manière cela n'avait pour l'instant pas d'importance. Avant toute chose, il fallait résoudre ce nouveau mystère. Enfin, ils arrivèrent au bas de l'immeuble où habitait la jeune fille. Plusieurs voitures y étaient déjà garées, des hommes aux yeux cahcés par des lunettes noires au volant.
- Je vois que vos cerbéres sont déjà placés... prenez garde à ne pas prendre mes voisins pour cible!
Adriano eut un mauvais sourire:
- Raison de plus pour obéir et rester où vous êtes... à moins que vous ne teniez aux accidents regrettables..."
- Il y'a déjà eu un accident regrettable... vous avoir rencontré!
- Ce qui a été aussi regrettable pour moi que pour vous, très chère!
Ils se regardèrent longuement. Entre eux, la joute oratoire pouvait durer des heures. Iris se demandait souvent en revanche quels secrets pouvaient bien se dissimuler dans ce regard bleu si perçant...
- Bonne nuit... pour ce qu'il en reste...
- A demain, Iris.
Il attendit qu'elle fut rentrée puis s'éloigna. Ses agents surveilleraient attentivement, il n'avait pas à s'inquiéter. De toute façon, si elle se faisait descendre, ca ne l'affligerait pas plus que ca... A part le fait de prendre un blâme par Patrick Lunel.
Cependant, il ne se doûtait pas que bien des choses allaient bientôt se bouleverser...