Nuit blanche
A peine un quart d'heure après le carnage, deux voitures stoppaient devant la maison où avait eu lieu le plus gros massacre. De la première, noire aux vitres teintées descendit un jeune homme vêtu d'un manteau noir, l'air plutôt glacial. Ses cheveux étaient d'un noir de jais, assez drus, encadrant un visage au teint mat où brillaient deux yeux d'un bleu glacé, semblable à un lac gelé. Il respirait le calme et l'assurance. Il émanait également de lui une froideur proche du stoïsme. Visiblement, c'était le genre d'homme qui pouvait vous sauter à la gorge en moins de deux. D'ailleurs, il portait à la taille un révolver et des pokéball. De l'autre voiture, une petite Renault violette, sortit une jeune femme blonde aux yeux d'un vert profond.
- Agent Blackice, le salua-elle en l'aperçevant.
- Camélia, le salua-il à son tour.
Il était soulagé de la voir elle. Il s'était plutôt attendu à voir débarquer sa peste de soeur. Tant mieux en l'occurence, car par chance, ses rapports avec l'aînée des soeurs Greengrass étaient nettement plus cordiaux, quoique teintée d'une certaine hypocrisie. Mais au moins, chacun éprouvait vis à vis de l'autre un certain respect qui permettait un meilleur travail pour l'organisation.
- Joli, commenta l'espion en regardant le carnage. Une fois de plus, on en est à mare de sang...
Ce qui n'était pas peu dire. A l'intérieur de la maison, un spectacle assez peu ragoûtant s'offrait aux deux enquêteurs. Une femme était allongée au sol, éventrée, la moitié de ses intestins dévorés. Un peu plus loin, un homme avait une grosse fente sur la gorge qui s'étandait jusqu'à son ventre et se vidait lentement de son sang, ses yeux grand ouverts sur une expression de terreur figée. Mais le pire, c'était le dernier cadavre; le corps de ce qui avait dû être une petite fille, la tête coupée se trouvant à quelques mètres prés d'elle. La créature qui l'avait attaquée lui avait dévoré les jambes jusqu'à l'os, transformant les membres inférieurs du corps en un petit tas de lambeaux.
- Oh la vache, gémit la scientifique le souffle court.
Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait des cadavres, mais à chaque fois la nausée la prenait. Iris avait le coeur beaucoup plus accroché qu'elle mais ce soir-là, elle avait accepté de se rendre sur le lieu du massacre à sa place, d'abord parce qu'elle savait que sa soeur détestait l'idée de supporter la présence d'Adriano Blackice plus souvent que necessaire, et aussi parce que celle-ci avait déjà assez de travail en ce moment pour ne pas avoir besoin de se rendre sur le terrain.
- Ca va, vous n'allez pas vous évanouir? lanca son collégue d'un ton moqueur.
- Ca va! Vous n'allez pas me dire que ca vous amuse ce genre de vision...
Adriano hausse les épaules:
- On s'y habitue, vous savez. Moi, ces cadavres, je les vois et ca ne me fait rien... à part le regret de ne pas avoir pincé les sales bêtes responsables de ce carnage. Il n'y a pas à avoir peur en face d'un cadavre. Je dirais même qu'il n'y a rien de plus tranquille et d'inoffensif!
Camélia le foudroya du regard:
- Evidement que ca vous fait rien! Et franchement, je vous envie pas. Je sais que ca vous arrive d'en fabriquer, alors bien sûr, vous en foutez que ca a été des gens avant que la vie ne les quitte de cette façon brutale...
- Ne commencez pas comme votre soeur, rétorqua l'agent avec cynisme. Je sais que vous me considérez toutes les deux comme un dangereux psychopathe assoiffé de sang et pervers mais en dehors de ca reconnaissez que je ne suis pas un mauvais collègue...
Camélia pouffa de rire. Elle n'appréciait guère cet homme froid et toujours à l'affut d'une gorge à trancher... du moins, c'était l'impression qu'elle avait même si elle avait rarement vu l'agent tuer autre chose que des Absol de Sang enragés. Mais au moins, elle n'en était pas encore à être agacée par sa seule présence. Elle allait un peu plus loin quand Adriano la rappella:
- Camélia! Regardez!
L'agent s'était agenouillé prés d'un jeune homme situé plus loin des cadavres.
- Il est blessé, peut-être mortellement, mais je crois qu'il vit encore! expliqua-il. Il a perdu beaucoup de sang, mais apparement il n'y a que le bras... Vous croyez que vous pourriez demander à Iris de venir?
Camélia eut un geste négatif:
- Les pouvoirs d'Iris ne fonctionnent que si elle passe directement sur la blessure fraîche. Or, désolée, mais le sang a déjà séché, il ne reste que l'hopital pour tenter de sauver ce type.
Adriano se redressa:
- Alors, appellez les agents et dîtes-leur de faire envoyer discrètement une ambulance. Il ne faudrait pas que les hommes du Comte comprennent que nous avons été sur place!
- Ca prendra plus de temps! protesta Camélia. Il ne lui reste peut-être plus que quelques minutes à vivre!
Adriano la foudroya du regard:
- Camélia, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre erreur! Envoyer des secours à ce mec est déjà beaucoup, compte tenu du fait que nous devons agir dans le secret le plus total! Si Iris ne peut soigner sa blessure, il ne reste que cette solution.
Camélia se résigna. Elle savait que son collégue avait raison. Elle sortit dehors et soudain, son attention fut attirée par une forme étendue à l'arrière de la maison. Elle alla voir et quand elle vit de quoi il s'agissait, elle fut stupéfaite:
- Agent Blackice! Venez voir, c'est incroyable!!!
Le jeune homme répondit à l'appel de sa collègue et regarda à son tour:
- Nom de nom!
Le cadavre d'un Absol de Sang se trouvait devant eux. Saigné à blanc. Probablement attaqué par un de ses congénéres. Ce qui était impensable.
- Je ne comprends pas, dit-il soudain. Ils ne font jamais ca! Sauf peut-être s'il s'agit de...
- Lunreck? suggéra Camélia. Ca m'étonnerait. Il n'attaque jamais sans la permission d'Iris. Et ceux de sa race, il les évite comme la peste...
Adriano hausse les épaules:
- Peut-être que sa chère maîtresse lui a demandé de faire un peu de nettoyage...
- Elle me l'aurait dit.
- C'est bizarre...
Camélia n'hésita pas:
- Bon. Appellez les secours. Moi, je vais le ramener à la base pour une...
Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Brusquement Adriano dégaina son révolver avec un "chut!" impérieux. Deux minutes après, il s'écria:
- Plaquez-vous par terre!!! Vite!
Elle ne posa pas de question, et se jeta au sol. Deux secondes plus tard, l'agent entraîné tirait à bout portant sur un soldat qui portait une mitrailleuse et tomba mort avant d'avoir compris ce qui lui arrivait. Deux autres arrivèrent, mais Adriano lanca une pokéball:
- Givrali, à toi!!!
Le pokémon de glace sortit de sa pokéball. Une attaque Onde Boréale suffit à tuer par hypothermie les deux autres fouineurs. Tout comme son maître, le pokémon était entraîné pour la traque et le meurtre. Adriano traitait ses pokémon avec respect mais exigeait d'eux qu'ils soient capables de réagir au quart de tour quand il les appellaient. Depuis sept ans qu'il exercait dans sa profession, il savait une chose: la moindre erreur, c'était se condamner à mort. Il fallait être impitoyable, être prêt à liquider le moindre individu faisant obstacle, à tuer avant d'être tué. Les soldats du Comte ne devaient en aucun cas savoir que les Griffes d'Argent continuaient à fouiner. Et ca, c'était son boulot. Faire taire définitivement les sales fouineurs. Camélia se releva, secouée:
- Vous ne les avez pas ratés, dit-elle dans un souffle. Vous croyez qu'ils ont entendu ce qu'on disait?
- En tout cas, ils n'iront pas le raconter, dit Adriano avec un sourire mauvais.
Camélia eut un léger frisson devant l'air si satisfait d'Adriano. Pour lui, cette exécution n'était décidément qu'un travail bien fait, une fois de plus.
Mais elle se garda de montrer ses impressions et se hâta:
- Aidez-moi à transporter ce cadavre dans ma voiture. Il est assez lourd...
- Pas de problème...
Ils soulevèrent donc à deux le cadavre de l'Absol de Sang et le chargèrent sur la banquette arrière.
- Après ca, vous pourrez tout nettoyer, commente le jeune homme en voyant le sang commencer à se répandre sur la banquette.
- Oh ca... de toute façon, ma banquette en a déjà vu d'autres! Heureusement que moi, je n'ai pas de cuir dans la mienne! Qu'allez-vous faire?
- Je rentre aussi à la base pour faire mon rapport à Lunel, répondit Adriano. C'est tout de même bizarre... Pourquoi CETTE maison?
Camélia le regarda:
- Bien d'accord avec vous. Bon, on ferait bien de se dépêcher, les hommes du Comte ne vont pas tarder à ramener leur clique.
- Attention aux flics et aux soldats! lui répondit-il avant de monter dans sa voiture.
Tandis que les deux agents disparaissaient, une ambulance au service des Griffes d'Argent arrivait incognito et emportait le jeune homme blessé. Deux minutes après son départ, c'était au tour d'une troupe d'agents du Comte. Ceux-ci avaient trouvé des cadavres partout autour de la ville. Vingt, en tout. Ils n'étaient pas surpris. Seulement, pour les convenances, il leur fallait intervenir...
- Saloperie de bestioles, jura l'un d'eux alors qu'on emportait les cadavres à la morgue. Peuvent jamais nous laisser dormir!
- Ah bah que veux-tu, ils font leur boulot, ricanna un autre. Les gens sont terrorisés par ces bestioles. Le Comte est un fiéffé malin... qui songerait à se rebeller en sachant que des sales bêtes spécialisées dans la traque lui règleront son compte?
Son compagnon ricanna. Les autres du régiment surveillèrent le transport dans les ambulances. Au bout de quelques minutes, l'un des soldats demanda:
- Alors, Général, qu'est-ce qu'on fait?
- Blocus général autour de Nightopole, décida-il. Et on va en tuer quelques uns de ces Absols de Sang de façon à ce que personne ne puisse accorder foi à ces putains de rumeurs qui circulent! Appellez les unités de contrôle et dîtes-leur de rappeller tous leurs individus en liberté pour qu'on puisse faire leur rafles. Qu'ils nous envoient les plus incontrôlables pour la purge!
- Bien, Général.
Du haut de la colline, quelqu'un avait entendu toute la conversation.
Un Absol de Sang au pelage noir et à la fourrure blanche. Il allait courir pour retourner dans son repaire quand l'un des soldats l'aperçut:
- Général, y'en a un, là-bas!!!
- Tirez dessus!!! C'est un de ceux qu'on recherche!!!
Les tirs sifflèrent, tandis que l'Absol dévalait précipitament la colline où il se trouvait. Ca n'allait pas être facile de rejoindre les anciens quartiers...
Une douleur fulgurante lui brûla la patte droite quand l'un des tirs l'atteignit. Un deuxième lui perca le flanc, répandant une épée de feu dans son corps. Il poussa un léger gémissement et ne s'arrêta pas de courir. Mais plus loin, une patrouille tenta de le coincer...
Grave erreur.
L'Absol cracha une Ball'Ombre sur ses poursuivants, les désarmant. L'un d'eux tenta de l'abattre...
Une masse de vingt bons kilos lui tomba alors brutalement dessus, un étau lui enserra la gorge, la minute d'après, il avait la veine jugulaire à nu et son sang ruissellait au sol. Nul ne pouvait arrêter un Absol de Sang en état de rage. Cependant, celui-ci n'essaya pas de dévorer sa victime; sa seule priorité était de se défendre. Il se remit à courir, sentant la peur dans tout son être, telle la bête traquée qu'il était... et se dissimula derrière un pan de mur. Deux secondes après, on voyait apparaître un jeune homme portant un tee-shirt blanc et un jean déchiré, aux cheveux brun et drus, à la peau mate et aux yeux... de fauve.
Sans presser, celui-ci se dirigea vers les quartiers désaffecté de Nightopole. Il entendit derrière lui les jurons des soldats:
- Sale bestiole de merde!!! Où se cache-elle???
- Il était là, y'a deux secondes!!! Je l'ai vu!!!
- Putain! Il a saigné le lieutenant!
- Général, qu'est-ce qu'on fait?
- Blocus, comme prévu! Je trouverai cette putain de bestiole et je la saignerai!!! Et toute sa meute avec!
Le jeune homme eut un léger ricannement en entendant cela. Il murmura entre ses dents:
- Tss... petits humains stupides et naïfs...