« Qui suis-je ? »
« Laboratoire du Nord, 1er février 1958.
« Qui suis-je ? »
C'est ce que l'un d'entre eux nous a demandé ce matin. Nous l'avons regardé de travers. Que pouvions-nous bien lui répondre ? « Rien » ? « Un cobaye » ? « Je ne sais pas » ?
Alors, à notre grande surprise à tous, Harshness a arraché une dent à sons Grahyena – pas devant les prototypes, bien sûr –, l'a attachée à un bout de ficelle, et la lui a donnée, en disant qu'elle avait appartenu à son père. L'autre l'a cru, et a gardé la dent serrée dans sa main toute la journée.
Qui aurait cru Harshness capable de tant d'humanité vis-à-vis de ce prototype ? Lui qui ne les considère même pas comme des êtres humains à part entière... »
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6 octobre.
La nuit devenait moins claire au fil des nuits, car la lune décroissait. William et Eliott avaient continué leur fuite, ne restant pas trop longtemps au même endroit. Mais ils se sentaient suivis. Cela ne les étonnait guère : un ou plusieurs scientifiques s'étaient sûrement lancés à leur poursuite. Mais ceux-ci ne pouvaient pas savoir où les fuyards se trouvaient. Et pourtant, ils se sentaient bel et bien suivis. Et il y avait autre chose. Ils avaient l'impression que quelqu'un épiait le moindre de leurs gestes.
William tripota la dent qu'il portait en pendentif. C'était son bien le plus précieux, ce étant sa seule possession. Depuis qu'il l'avait reçue, quelques mois plus tôt, jamais il ne s'en était séparé. Cela comptait beaucoup à ses yeux, pour la simple et bonne raison que cela avait appartenu à son père. Du moins, c'est ce qu'un scientifique lui avait affirmé après qu'il ait demandé qui il était.
Il observa la dent une énième fois. Il se demandait à quel genre d'être elle avait bien pu appartenir. C'était une grosse dent longue, un peu jaunie par le temps. Elle avait un aspect presque meurtrier. A sa racine, on pouvait encore voir des traces de sang séché. William la serra dans sa main, comme il le faisait si souvent, jusqu'à garder son empreinte dans sa paume. Ainsi, il avait l'impression de se rapprocher de son père...
C'était pour ça qu'il était parti avec Eliott. Il voulait savoir qui il était.
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Je suis trop sensible...
Maintenant qu'il y pensait, Harshness se demanda pourquoi il avait laissé la vie à cette fillette. C'était la première fois qu'il faisait cela. Avant cela, il n'avait jamais cédé aux supplications de ses victimes.
« Vous... vous n'avez pas d'enfants ? Essayer de comprendre, par pitié ! »
Comprendre ? Harshness avait très bien compris. Il ne devait pas flancher devant les supplications de ses victimes. C'étaient elles qui ne comprenaient rien. Elles n'avaient toujours pas compris que le but de l'assassin était de tuer, et que les pleurs des victimes ne l'arrêteraient en rien. Mais ça, ça l'avait arrêté... Quelques simples mots étaient venus à bout de l'homme. A cette pensée, il ragea. Ce n'étaient que des mots ! Pourquoi fallait-il qu'il y soit sensible ?
Il se promit alors de ne plus jamais écouter les dernières supplications de ses victimes. Plus jamais.
Par ailleurs, selon le flair de son fidèle Grahyena, il se rapprochait de plus en plus de l'endroit où étaient les deux fuyards. Plus qu'une petite poignée de kilomètres et il les aurait. Il y serait le lendemain. L'homme soupira. Dommage. Il n'avait pas souvent l'opportunité de sortir, et aurait aimé en profiter un peu plus longtemps.
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Soudain, William leva brusquement la tête. Il huma l'air. Il était sûr d'avoir senti une odeur qu'il connaissait bien. Cette odeur était encore plutôt faible, son possesseur ne se trouvait sûrement encore qu'à quelques kilomètres de là. Mais cette odeur, il la connaissait bien, c'était celle qui était omniprésente au Laboratoire. Eliott remarqua le comportement de son ami.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je sens un scientifique. »
Eliott ne répondit rien, mais il avait bel et bien mesuré l'ampleur de la chose. Un scientifique tout près, cela signifiait le retour au Laboratoire, et qu'ils auraient fui pour rien. Ils auraient à peine tenu deux petites semaines. Le garçon roux rageait intérieurement. Tout ça pour rien ! Mais il voulait continuer, et ils continueraient.
« Il... il est tout près, déclara William, apparemment anxieux. Il nous trouvera demain. »
Là encore, Eliott ragea. La seule solution, c'était de se cacher dans l'espoir que ce scientifique ne les débusque pas. Mais leurs chances d'échapper au retour au Laboratoire étaient malheureusement très minces, dans la mesure où il était parvenu à les trouver, bien qu'ils auraient pu se trouver n'importe où dans le pays. Comment avait-il fait ?
« Eliott... Qu'est-ce qu'on fait ? »
Ce dernier se tourna vers son compagnon, et, sans savoir exactement pourquoi, peut-être pour le rassurer, lui adressa un sourire plein de confiance en soi, et son regard était déterminé. William resta abasourdi devant tant de certitude. Lui avait plus peur qu'autre chose.
« A ton avis ? On se cache, et s'il nous trouve, on se bat ! On s'en sortira, je te le promets ! »
William regagna un peu de confiance devant la conviction de son ami. S'il disait qu'ils s'en sortiraient, c'est qu'ils s'en sortiront. Eliott ne se trompait jamais. En tout cas, Le garçon aux cheveux noirs voulait à tout prix lui faire confiance.