L'éveil
« Hé ! Fleur, réveille-toi, fleur ! »
Ma tête était lourde, affreusement lourde, elle me faisait mal. J'avais comme l'une de ces atroces migraines que l'on attrape quand on est resté trop longtemps au soleil, ou qu'on a trop bu. Je n'avais absolument pas envie de me lever, ni de faire le moindre mouvement. Je voulais juste dormir.
« Fleur ! Hé ! Fleur ! Réveille- toi ! Allez, c'est l'heure du repas, les humains vont nous donner à manger, tu viens, oui ? Fleur ! »
J'avais l'impression qu'une petite voix douce m'appelait. Une voix toute mignonne, très agréable. Celle d'une petite fille de l'âge de six ans, à peu près. Cependant, 'Fleur', ce n'était pas mon nom, moi je m'appelais...Je m'appelais...
- « FLEUR !!! »
La petite semblait furieuse. Cependant, ma douleur l'était tout autant. Je m'apprêtais à grommeler que jamais je ne me lèverais quand 'quelque chose' me mordit à l'oreille. D'un geste brusque, je donnai un coup sur mon assaillant et je me levai en sursaut.
- Aie ! Non, mais ça va pas ?
Je n'eus pas le temps d'entendre le gémissement de créature qui me mordait, que mon mal de tête empira, et je retombai par terre, les bras sur la tête.
- Laisse-moi, je me sens mal, affirmai-je à la jeune fille sans savoir même qui elle était.
Toutefois, malgré le coup reçu et ma nonchalance, elle s'obstinait.
« Tu es nouvelle ici ! Tu ne comprends pas ? Ça fait trois jours que tu dors, si tu ne manges pas, tu vas tomber malade ! Allez, écoute moi, et viens manger !»
Cette voix aigüe, bien que mignonne, commençait à m'agacer. Je sentais la colère monter en moi. Ma monstrueuse migraine ne me laissait pas supporter une jeune fille me criant dessus et s'adressant à moi en pensant que j'étais 'Fleur'. De plus, elle prenait visiblement plaisir à me mordiller un peu partout. Exaspérée, je me levai une deuxième fois, écarquillant grand les yeux pour paraître plus impressionnante. Bien que la lumière m'éblouissait, j'étais décidée à me débarrasser de ce pot-de-colle.
- « Ecoute ! » Criais-je, « je n'ai pas faim ! Laisse-moi tranquille, petite sauvageonne ! Et arrête de me mordre la...»
Sans réfléchir, j'allais dire « la queue ».
Pendant quelques secondes, je restais ébahie, les yeux grands ouverts. C'était comme si mon cerveau avait planté, comme si une information incorrecte, une idée erronée, s'était pendant un instant, présentée comme vraie. J'avais réellement pensé que j'avais une queue ! C'était impossible. J'en avais été certaine pendant un moment. Ridicule. Je secouai la tête pour remettre mes pensées en place, cependant, le doute était trop désagréable. Je tournai alors la tête pour vérifier si une chose poilue et longue avait pu orner mon arrière-train, mais je voyais trop mal pour discerner quoique ce soit. Une silhouette floue s'agitant devant moi attira mon regard. Je distinguais les contours vagues de la petite fille.
« Mais, qu'est-ce qui t'arrives ? » dit-elle dans sa douce petite voix, « Fleur, tu es vraiment bizarre ! »
Je ne savais que répondre, et je n'avais pas envie de parler. Je me sentais abattue. Mes yeux, mes bras, mes jambes, me paraissaient lourds. Mon corps était exténué, comme si j'avais marché pendant plusieurs jours. Plus je faisais d'efforts pour distinguer les formes autour de moi, plus ma vision se brouillait. Finalement, j'abandonnai et posai mon regard sur le sol.
Je décidai d'attendre.
- « Fleur, vraiment... »
La fillette se coucha devant moi en grommelant que j'étais irrécupérable.
Petit à petit, ma vue se fit plus nette. La première couleur qui se dévoila à mes yeux fut le vert. J'en jugeai que j'étais posée sur de l'herbe. J'essayai alors d'attraper un brin d'herbe, mais mes mains engourdies m'empêchèrent de l'arracher du sol. Depuis que la petite ne criait plus, mes oreilles percevaient des sons familiers: des hululements, des chants d'oiseaux, des feuilles frissonnantes, des petits cris de monstres de toutes sortes et pleins d'autres bruits, lointains et proches, dont une grande gamme qui m'étaient inconnus. Ce doux concert était agréable, mais me rendait un peu mal à l'aise, car ce n'était pas ce que j'avais pour habitude d'entendre. Quelque chose avait changé en moi.
Ma vue était maintenant claire, je pouvais distinguer et différencier chaque brin d'herbe. Je décidai alors de regarder autour de moi, et grande fut ma stupéfaction quand je compris que je me trouvais dans un jardin dont les frontières étaient infinies. J'étais seule dans cette immensité. La petite n'était plus devant moi. Partie, probablement pour manger, me disais-je.
J'étais seule. Le jardin pouvait être comparé à une grande surface recouverte d'herbe, avec de temps à autre quelques grands arbres ou des petits buissons, quelques fleurs. Parfois, un roucool ou un piafabec volaient d'un arbre à un autre, animant le silencieux paysage.
Etrangement, je trouvais du plaisir à scruter les environs avec concentration. A chaque fois qu'une ombre bougeait, l'envie de sauter et de l'attaquer était présente dans mon esprit. Cet étrange instinct me rendait perplexe, j'avais l'impression de me comporter comme un monstre sauvage qui désirait capturer une proie. L'idée de faire de mon repas un roucool ne me gênait même pas. Au contraire, elle m'excitait.
Quelque chose d'étranger devait m'habiter. Je n'étais plus tout à fait la même. Que s'était – il passé ? J'essayai de repenser aux instants passés, mais c'était difficile. Mes pensées étaient confuses.
Je mettais cette confusion sur le compte de mon état critique.
J'avais sûrement dû, comme d'habitude, boire sans réserve quelques litres de bière la veille. Cela expliquait mon état vaseux et pourquoi je me trouvais dans un lieu insolite. Quel événement avais-je pu fêter pour me mettre dans un tel état?
Un signe d'agitation au loin, me sortit de mes méditations.
Une forme étrange, de couleur bleue, s'approchait de moi rapidement. Cela me semblait être un pokémon, mais je n'en étais pas sûre. On aurait dit un humain, un enfant d'après sa taille.
Un doute grandissait en moi, au fur et à mesure que 'la chose' s'approchait. Quand elle fut enfin devant moi, arrêtée, je compris.
Je compris, et mon sang se glaça. L'adrénaline monta en moi et une grande peur envahit mon estomac. De frayeur, je fis quelque pas en arrière, pas seulement pour m'éloigner du monstre hybride, mais pour fuir toutes ces pensées folles qui me parcouraient la tête. Instable, je retombai immédiatement sur le dos. Mon rythme cardiaque s'accélérait. Mon corps tremblait. J'avais peur. Mes yeux figés fixaient le 'monstre' devant moi. J'avais très chaud. Je ne comprenais pas ma réaction. Je me mis à grogner et à gémir de peur. J'étais sur la défensive.
Le 'monstre' devant moi parut étonné.
- Fleur ! Mais...que fais-tu ?
Ces quelques mots firent immédiatement s'envoler ma torpeur. Je connaissais cette voix. C'était celle de la fille qui m'avait crié dessus avant. Je m'adressai à elle dans un soufflement :
- Qui...qui...qui es-tu ?
L'étrange bête sourit.
- Mais, c'est moi, Pixie ! J'essayais de te réveiller juste avant. Mais c'est trop tard, on a tout mangé.
Maintenant que j'étais calme, je percevais mieux les choses. En fait, ce n'était pas vraiment un 'monstre'. L'être qui était devant moi, ressemblait fortement à une petite fille. Cependant...Ses mains, ses pieds, son ventre, étaient recouverts de poils bleus et fins. Ses doigts étaient reliés entre eux avec une peau fine, comme des palmes. Une collerette blanche entourait son cou comme un collier. Le plus étrange étaient ses oreilles : elles n'étaient pas de forme humaine, elles ressemblaient à deux petites oreilles de chats de couleur glace, en pointe sur sa tête. Ses lèvres et ses pupilles étaient de la même couleur bleu-ciel. En l'observant un peu mieux, je constatai que son dos était parsemé de taches azur, et qu'au bas de celui-ci, débutait...une queue.
Malgré ces observations, elle avait la forme globale d'une humaine, et son sourire ne laissait pas de doute sur son origine. Son attitude décontractée me rassura. Cependant, je restais dans l'incompréhension.
- Tu...tu es quoi ? Un humain ? Un monstre ? L'interrogeai- je sans réfléchir.
La petite fille me regarda d'un air étonné.
- Mais, moi, je suis....je suis...
Elle se mit à réfléchir, ce qui me surprit. Il me semblait qu'on n'avait pas besoin de réfléchir pour dire qui l'on est. Son regard se figea, et son expression faciale devint vide. Elle ne prononça rien pendant quelque secondes, puis elle me regarda à nouveau.
- « Je...Je ne sais pas...trop... » Gémit-elle.
Je sentais qu'elle allait se mettre à pleurer et je n'en avais pas envie. Néanmoins, sa réaction m'intriguait, mais je ne voulais pas la brusquer plus. Je lui posai alors une autre question, pour détourner le sujet.
- Euh, Pixie, tu es sûre que les autres ont tout mangé ? Je commence à avoir faim...
Immédiatement, la petite me regarda d'un air amical et dévoila un grand sourire. J'étais étonnée qu'elle soit sortie si vite de ce sombre état.
- On a beaucoup mangé, mais je crois que Zero-Volt t'a laissé une part. Peut-être que les humains ont gardé des réserves pour toi.
Pourquoi appelait – elle, les gens comme moi, « les humains » ? S'il y avait des êtres qu'elle appelait « humains », alors qu'était-elle, cette petite fille ? Elle ressemblait à un être entre deux, entre le monstre et l'humain. On pouvait presque croire...à un mélange... Mais est-ce seulement possible de mélanger le Pokemon et l'humain ? Comment se comporterait 'le monstre' qui en ressortirait ? Que deviendraient les deux êtres... ?
Plein de questions me tiraillaient l'esprit. J'essayais aussi de comprendre pourquoi la petite fille n'avait pas réussi à me répondre et pourquoi son comportement avait subitement changé.
-Fleur ? Que fais – tu ? Hé, ho, Fleur ! Tu réfléchis ?
Mais, pourquoi ce nom « Fleur » ? Pourquoi m'appelait-elle toujours ainsi ? Ce nom, ce n'était pas le miens...mon nom était...
« Al.... ! »
Mes pensées se figèrent. Un éclair me parcourut le crâne, et une migraine atroce se réveilla à nouveau dans ma tête. Impossible de me souvenir. Je bloquais. Pourtant, je savais, j'étais certaine que j'avais un nom. Mes parents me l'avaient donné ! Je savais que j'étais quelqu'un ! Mon nom, mon nom ! Impossible de me le remémorer. Je n'étais pas Fleur, j'étais...
- Bon sang, qui suis-je... !? Criais-je dans un instant de folie.
Cette situation m'énervait. Mon cerveau se jouait de moi. Je n'avais quand même pas pu...pas pu prendre une dangereuse drogue, non? Ça n'était pas mon genre, mais je ne pouvais pas non plus accepter que tout ceci soit réel. Cet endroit insolite, cette fille d'apparence hybride, les bruits, les sons, et ses sensations nouvelles...
Soudain, me vint à l'esprit l'idée que mon apparence n'était peut-être plus la même. Prise d'inquiétude, je vérifiai rapidement mes mains et mes jambes. J'étais soulagée de voir qu'elles étaient celles d'une humaine. Cependant, un étrange détail attira mon attention : Mes bras étaient ornés d'une curieuse marque en forme de cercle, de couleur jaune, étincelante.
Je ne me souvenais pas de posséder un tel tatouage, et pourtant, au fond de moi cette marque m'était familière. J'essayai de la faire disparaître en passant ma main dessus, mais rien ne disparut ni ne s'étala ou déteignit sur ma main. Cette marque brillante était fermement incrustée dans ma peau.
Je sentis la peur resurgir dans ma poitrine. Cette tâche n'était pas de moi. J'étais une humaine, une humaine banale. Ça ne pouvait pas m'appartenir !
Je me demandais quel autre élément m'éloignant de l'humain je pouvais encore posséder. J'espérais de tout coeur que cette marque soit la seule chose...
- « Une queue, peut-être? » Dis-je d'une voix nerveuse.
J'avais prononcé ces trois mots avec ironie, mais en réalité, j'avais très peur de savoir si oui ou non, à l'extrémité de mon dos était accrochée une queue. Je savais que c'était impossible, mais j'avais la sale impression d'en posséder une. Dans ma tête étaient inscrites des convictions irrationnelles. Quand je pensais à mon dos, par exemple, je voyais un dos 'humain', mais je voyais aussi un dos recouvert de poils noirs. Je me demandais aussi quel aspect pouvait avoir mon ventre et mes jambes, en dessous de ces habits que je portais.
Je n'osais pas regarder. Je ne voulais pas savoir, j'avais peur, peur que mes folles idées soient véridiques. Pixie m'observait toujours. Elle me voyait dans mon intégralité. C'était la seule personne qui m'avait vue jusqu'à maintenant. C'était la seule qui pouvait savoir.
- Pixie ! Dis-je soudainement.
- Oui... ?
- Tu ne voudrais pas me dire comment je suis... ?
La petite acquiesça, bien que la question lui semblât bizarre. A quatre pattes, elle se mit à marcher autour de moi, en m'examinant minutieusement. Sa longue queue azur balançait à chaque pas. L'observation terminée, elle s'arrêta net et s'assit, l'air perplexe. Ses deux petites oreilles vibrèrent.
- Fleur, tu ne veux pas enlever ces habits ? Ils sont moches et m'empêchent de te voir complètement !
- Mais, je vais être nue ! Répliquais-je, l'air gêné.
- Nue ? Mais tous les autres ne portent pas d'habits. Ce n'est pas grave.
Elle avait dit 'les autres', ceci m'interpella, mais je me n'y fit pas attention plus longtemps. Malgré ma gène, je me déshabillai, les yeux fermés. Je ne voulais pas me voir.
- Waouh ! Fleur, tu es très jolie !
- Comment je suis? Dis-je, l'air crispé.
- Ben, euh... Jolie?
- C'est pas ça que je veux dire...
- Bah je ne sais pas alors.
Résignée, je me décidai à regarder.
Lentement, je soulevais mes paupières. Je vis en premier mes pieds : Ils étaient ceux d'un humain, à l'exception de mes ongles noirs qui ressemblaient plutôt à des griffes. Le long de ma jambe, des minuscules poils noirs serrés et fins, rayaient ma peau par endroit. Plus je montais vers mon ventre, plus les rayures se resserraient. Finalement, au niveau de mon bas ventre, on ne voyait qu'un doux pelage noir. Cette fourrure douce recouvrait aussi mon ventre et ma poitrine. Les seuls endroits où ma peau n'était pas recouverte, étaient mon coup, où se dessinait un collier jaune, mon visage, mes bras, ainsi que mes mains, dont les ongles étaient noirs. Le pelage noir rayait mon dos symétriquement, et formait un joli dessin, selon Pixie. Cependant, il y avait encore une chose que je n'osais pas voir.
- Pixie, est-ce que j'ai...une queue ?
Elle m'observa un quart de seconde et répliqua énergiquement
- Bah oui, comme moi !
Cette réponse me fit trembler.
- Et, heu, est-ce que j'ai des oreilles comme les tiennes ?
- Euh, je ne sais pas, je ne les vois pas. Elles sont peut-être en dessous de tes cheveux noirs?
Je passai alors ma main dans mes longs cheveux. J'avais le souvenir qu'ils étaient blonds. Blonds et très longs. Je me souvenais qu'ils tombaient sur mes épaules. Je me souviens aussi qu'une personne appréciait beaucoup les coiffer. Cette personne, c'était un garçon. Qui était ce garçon ? En y repensant, une impression amère s'empara de moi. L'impression amère d'avoir oublié quelqu'un d'important.
- Fleur, tu viens manger maintenant ?
Je ne répondis pas. Je me sentais mal. Ma poitrine semblait se contracter, j'avais du mal à respirer. Je sentais la tristesse m'envahir.
- Fleur, mais...tu pleures ?
A l'entente de ses mots, j'éclatai en sanglot.
- Fleur, qu'est-ce que tu as ?...
- Je suis en plein cauchemar...Que quelqu'un m'aide... dis-je, gémissant.
- Mais non, c'est la réalité, ne t'inquiète pas ! Affirma la créature, enthousiaste.
Le regard indubitable de la jeune fille fit disparaître tous mes espoirs.
« ça...ne peut pas... » Pensais-je, avant de perdre connaissance.