Chapitre 4: Extraction et empathie
Au fond d'une gigantesque carrière, plusieurs dizaines d'hommes s'activaient, et semblaient dégager des parois de la falaise un minerai quelconque. Mais le plus effroyable était l'uniforme de ces hommes : un bon dixième d'entre eux portaient un brassard de la Lazer. Les autres, dans des vêtements crasseux et déchirés obéissaient aveuglément aux ordres qu'on leur donnaient. Bien dissimulée par le surplomb de la falaise et les hautes herbes, Aria observa leur étrange manège pendant près d'une heure.
Elle se rendit ainsi compte que les travailleurs agissaient comme des robots. Certains d'entre eux se comportaient comme de véritables zombies. S'imaginer la façon dont on pouvait transformer des humains en morts-vivants pareils faisait se dresser les cheveux d'Aria.
Mais c'est à la fin de leur journée de travail qu'Aria prit conscience de toute l'horreur de la situation. Les hommes de la Lazer firent quelques mouvements, et les mineurs disparurent ! Aria resta figée quelques instants. Que se passait-il dans cette carrière ? Elle ne comprenait plus. Qu'était-il arrivé aux esclaves ? L'arrivée de la nuit mit fin à ses sombres ruminations. La jeune fille décida de remettre au lendemain la suite de ses investigations.
A son réveil, elle se posta à nouveau sur le surplomb. Elle évalua sa hauteur à celle de deux arbres de bonne taille. Impossible d'être plus précise. Les hommes de la veille n'ayant pas encore repris leurs activités, elle profita de ce répit pour se pencher un peu plus et examiner les lieux. Sur sa gauche, le terrain descendait et devenait très rocailleux.
Elle décida d'aller vers là pour son observation. Se dissimulant autant que possible parmi les rochers, elle se poudra ensuite le visage et les mains à l'aide de la poussière du sol, dans le but d'être moins visible de loin.
Quelques instants plus tard, elle entendit la rumeur de voix qui approchaient. Ils semblaient y avoir plus de Lazers que la veille. Ils transportaient trois caisses contenant les fameuses sapsballs. Un déclic se fit dans la tête d'Aria : les sapsballs... les hommes qui avaient disparu... non ! Cela ne pouvait pas... Mais quand les Lazers jetèrent les balls, elle ne put nier plus longtemps l'évidence : ces balls pouvaient réellement contenir des humains... La Lazer avait réussi à créer ces instruments... leur pouvoir semblait désormais sans limites... Aria frissonna. Les esclaves étaient moins bien traités que des chiens, mais cela ne semblait pas les affecter. Ils obéissaient aux ordres aveuglément, subissaient les pires humiliations sans broncher.
Vers midi, d'autres esclaves arrivèrent, apportant boisson et nourriture. La ration des esclaves était versée par terre, et ils devaient se débrouiller pour laper leur pitance comme ils pouvaient. Aria remarque que les esclaves serveurs avaient les yeux bandés, et qu'ils étaient guidés par un homme de la Lazer.
Brutalement, l'un des sbires annonça :
« On a eu de bons résultats, ce mois ci. On est autorisé à organiser un match ! »
Des cris de joie furent poussés par l'ensemble des Lazers. Le visage des esclaves se ferma un peu plus.
« On en a droit à huit. » repris l'homme.
Les gardes passèrent alors dans les rangs des esclaves, qui semblaient se ratatiner sous leur regard. Ils choisirent une quinzaine d'esclaves, et après de longues négociations, finirent par garder les huit autorisés. Les autres retournèrent travailler avec un air légèrement soulagé. Deux des huit étaient des « serveurs », aux yeux bandés. Trois étaient des femmes. Quelques uns semblaient ne pas savoir à quoi ils devaient s'attendre. Mais tous avaient peur.
« Le match aura lieu à vingt heures dans l'arène. A ce soir ! »
Des acclamations retentirent à nouveau, et les Lazers reprirent leur travail dans une ambiance survoltée, pendant que l'annonciateur repartait avec les huit esclaves.
Ecœurée par tant de sadisme, Aria recula, et remonta au pommier dans une sorte de torpeur. Pendant son absence, les deux pokémons semblaient s'être goinfrés de pommes, d'herbe, et de cailloux. Aria laissa distraitement Galekid lui lécher les mains. Il semblait apprécier la terre et la poussière rocheuse, mais Aria ne s'y intéressa pas. Tout cela était tellement irréel... la scène à laquelle elle venait d'assister n'avait pas pu se dérouler pour de vrai... Elle ne sortit de sa prostration que quand Fly vint la secouer en la poussant du bout du nez, avec une certaine insistance. Elle le suivit à contrecœur vers Galekid, qui semblait fixer bizarrement quelque chose sur le sol. Sous le nez de Galekid se trouvaient deux métamorphs. L'un d'entre eux était bleu.
Le premier instant de surprise passé, et ne sachant que penser des nouveaux venus, Aria replongea dans ses pensées. Elle avait la nette impression « d'attirer » les pokémons sauvages.
C'est ce jour là qu'Aria comprit comment, après le DNP, étaient sélectionnés les futurs dresseurs. On leur disait qu'il fallait un certain charisme, et certains aspirants étaient rejetés. A première vue, pourtant, rien ne les distinguaient des autres. Aria fut admise malgré son handicap, car, d'après les profs responsables des tests, elle possédait un fort charisme. Bien sûr, elle n'était pas destinée à devenir dresseuse, comme le lui avait si bien expliqué l'homme chargé de l'entretien à l'issue des tests, mais elle pourrait quand même travailler dans un laboratoire ou un centre pokémon, par exemple...
Aria refusait ce destin tout tracé, et une lueur d'espoir l'aidait à croire que peut-être, malgré tout, elle pourrait faire autre chose. Elle avait alors débuté sa formation, mais n'avait jamais compris l'histoire du « charisme ». les profs eux-mêmes semblaient avoir des difficultés à interpréter cette notion.
Pourtant, le test était très simple : il consistait à passer une semaine avec un pokémon prêté par le centre. L'animal vous suivait pendant tous vos déplacements. Vous étiez libre de faire ce que bon vous semblait avec : matches, concours,... A l'issue de cette période, vous étiez déclaré apte ou non à posséder des pokémons. Aria pensait que les vrais « testeurs » étaient les pokémon et qu'il communiquaient leurs avis aux évaluateurs, d'une manière ou d'une autre.
Aria éprouvait le besoin pressant d'aller voir ce qui se passait dans l'arène. Mais il était hors de question qu'elle s'y rende, les risques étaient trop grands, et elle ne pouvait se déplacer de manière autonome. Alors même qu'elle finissait de formuler cette pensée, elle eut la surprise de voir l'un des Métamorph se changer en Papilusion, et l'autre en Eoko. L'insecte fila vers la mine, et l'autre s'approcha d'Aria, enroulant sa queue autour des yeux de la jeune fille. Elle ferma instinctivement ses paupières, puis tenta prudemment de les rouvrir. La vision qu'elle eut la stupéfia : elle voyait la mine ! C'était extraordinaire. Mais le point de vue se déplaçait, et Aria réalisa soudainement qu'elle était « dans » les yeux de papilusion !
« Ainsi, le fameux « charisme » exigé, n'était peut-être au final qu'une sorte d'empathie ! Le dresseur éprouverait une certaine empathie pour les besoins de ses pokémons, et le pokémon pourrait comprendre instinctivement une partie des intentions de son dresseur. Ca expliquerait tout : pourquoi les plus grands dresseurs n'avaient pas besoin de parler à leurs pokémons, pourquoi certains pokémons d'un niveau trop élevé étaient incontrôlables, (le dresseur n'avait pas une expérience d'empathie suffisante pour son pokémon, pourquoi certains dresseurs ne supportaient pas de voir souffrir leurs pokémons...
Le flot de pensée d'Aria fut interrompu par une « vue » du campement des mineurs : on voyait se diriger la quasi-totalité d'entre eux vers la fameuse arène. Arène qui, d'ailleurs, ne faisait pas vraiment penser à celles où l'on gagnait des badges, mais plus aux antiques cirques de la civilisation romaine.
Deux hommes de la Lazer furent tirés au sort pour combattre. Ils eurent droit à trois sapsballs chacun. Les combats furent dégradants, les esclaves se battaient à coup de jets de sable, combo-griffe, écrasement...
Le combat fut long et brutal. Les combattants se mettaient KO très rapidement, n'ayant pas l'endurance, ni la résistance physique des pokémons. Aria doutait également que leurs blessures se remettent aussi rapidement. Le tour des serviteurs aux yeux bandés arriva. Deux sbires furent à nouveau tirés au sort. L'un hérita des esclaves, l'autre de deux pokémons. Le premier humain, les yeux toujours bandés, eut pour adversaire... un chenipan. La salle entière hurla de rire.
L'esclave paraissait assez jeune. Il était maigre et décharné, vêtu d'un simple pagne, comme ses semblables. Il semblait complètement déboussolé, et se tourna dans tous les sens. Quand la foule riait ou criait, il tremblait. Quand son propre « dresseur » lui cracha dessus, il baissa la tête en signe de soumission.
Des larmes de rage montèrent aux yeux d'Aria. Comment pouvait-on faire CA ?
Quand le Chenipan lança sécrétion sur ses jambes, l'esclave cria, déclenchant à nouveau rires et huées de la foule. En entendant les cris, il sembla pris de panique, recula, trébucha, et s'affala aux pieds de son maître. Celui-ci lui envoya un violent coup de pied dans les côtes, en maudissant le sort qui l'avait fait hériter d'une chiffe molle pareille. La panique du jeune esclave redoubla. Il se releva dans une pitoyable tentative de fuite, mais, les jambes toujours prises dans les sécretions de Chenipan, il tomba à nouveau. Mais sa chute se termina sur le Chenipan. Victoire par KO.
Complètement estomaquée, la foule se tut un instant, avant de se remettre à rire et vociférer. Craignant ne nouveaux coups, le jeune homme hurla :
« Pitié !!! »
Les spectateurs ne se tenaient plus. A demi affalés sur les gradins, certains paraissaient étouffer. Leur hilarité ne faisait aucun doute.
« Ce combat restera dans les annales ! » cria le juge en pleurant de rire.
Etalé au milieu de la piste, le jeune homme semblait n'avoir toujours pas compris ce qu'on lui voulait. Il leva le visage vers le ciel, et vers Papinox qui planait plus haut. Ses joues étaient sillonnées de larmes. En voyant son visage de façon si nette, Aria eut l'impression de recevoir un coup de poignard en plein coeur. Elle venait de le reconnaître. Cerro...