Trois St Félix.
Le réveil sonne doucement, comme s'il n'osait pas nous réveiller. Il l'éteint tandis que j'ouvre un œil, puis l'autre. Enfin, je lève mon regard vers lui tandis qu'il pose le pied sur le tapis. Je l'imite avant d'étirer chacun de mes muscles. Hier au coucher, il m'a promis une journée mémorable. Il n'y aura pas un seul combat, aujourd'hui, son arène restera fermée. Qu'a-il voulu dire, je n'en ai aucune idée. Comme à son habitude, il s'est assis et sa main s'est posée sur mon crâne qu'il gratte distraitement. J'y réponds d'un mouvement de tête suivi de quelques coups de ma langue râpeuse dans le creux de sa main. Il semble apprécier et se lève en souriant. Après un rapide passage dans la salle de bains, il me rejoint dans le salon, une boîte de la meilleure pâtée Pokélix dans la main. Il la vide dans mon plat avant de s'asseoir devant un bol de liquide noir et amer. Alors que nous déjeunons, il me dit :
– " Persian, - je lève la tête et le regarde - comme je te l'ai dit hier, je n'ouvre pas l'arène aujourd'hui. Nous sommes le 12 février, c'est la St Félix. Un jour où l'on fête les Pokémons-chats. Nous allons sortir faire une promenade, juste toi et moi. "
Comme pour souligner ces derniers mots, il s'est penché vers moi et a touché mon nez puis le sien. Sans détourner mon regard, je me mets à ronronner si fort qu'il ajoute en souriant :
– " Persian, arrêtes ! Tu fais plus de bruit que les pales de mon hélicoptère ! "
Je suis heureux, il a pensé à me faire ce cadeau : un moment de tranquillité en sa compagnie. Lui qui est si âpre au combat, aujourd'hui, il a décrété qu'il fermait son arène ... J'aime bien affronter d'autres Pokémons mais, parfois, ça m'ennuie ... Je préfèrerais passer du temps seul avec lui. Je décide de lui montrer toute mon affection et je vais me frotter contre ses jambes. Son rire, que j'entends rarement, résonne dans la pièce tandis que sa main se pose de nouveau sur le sommet de ma tête et qu'il me gratte la racine du nez de ses doigts. Un vrai bonheur !
Une demi-heure plus tard, nous montons dans l'hélicoptère et nous décollons. J'adore les voyages. Bercé par le son des pales qui fendent l'air, je m'endors, la tête posée sur ses genoux. Soudain, un léger choc me réveille. Nous avons atterri à Céladopole. Je me demande ce qu'il me prépare. À peine sommes-nous sortis qu'il se baisse et, son regard plongé dans le mien, il me dit :
– " Persian, nous sommes ici pour que tu sois bichonné comme jamais. Au programme : toiletteur et masseur pour Pokémon. Ensuite, nous irons faire quelques achats et nous reprendrons l'hélicoptère jusqu'à un endroit que je veux te faire voir ... La maison où j'ai grandi. "
Nous entrons dans la boutique d'un toiletteur qui, immédiatement, commence à s'occuper de moi. Quant à mon dresseur, il est parti se faire coiffer lui aussi. Quand il revient enfin, je sors l'accueillir. Avec deux doigts, il me gratte le menton, me faisant plisser la truffe de plaisir.
*****
Roulé en boule, Miaouss dort encore. James et moi, nous allons essayer de lui offrir un petit cadeau. C'est James qui m'y a fait penser avant-hier … Aujourd'hui, c'est la St Félix, la Fête des Chats. Dans la pénombre, j'entends James qui se réveille dans son lit. Sur la pointe des pieds, je m'approche et je le bâillonne de la main pour l'empêcher de réveiller notre compagnon d'infortune. Voilà bientôt une semaine que nous avons perdu la trace du morveux et de son rat électrique … Nous nous sommes réfugiés dans une cabane de pêcheur pour échafauder notre nouveau plan. Je chuchote pour que James soit le seul à m'entendre :
– " James, ne fais pas de bruit, il ne faut pas que Miaouss se réveille avant notre retour ! J'ai préparé tes affaires. Tu t'habilles en silence et tu me rejoins à côté. "
Miaouss se retourne dans son sommeil et je sens que, sous ma main, James hoche la tête. J'enlève mon baillon de sa bouche et je me relève pour rejoindre la porte qui sépare notre chambre de la cuisine. Hier, James nous a préparé deux onigiri supplémentaires chacun. Nous les mangerons en marchant jusqu'à la ville, à deux kilomètres d'ici.
Dix minutes plus tard, nous franchissons en silence la porte d'entrée. Au cas où, j'ai laissé un mot à Miaouss lui disant que James et moi, nous sommes allés cueillir des baies pour le déjeuner.
– " Jessie, - James me tend une boulette de riz - on peut lui prendre du Pokélix et une balle rebondissante, hein ? Et pour nous, je préparerai des crèpes ! Il faudra prendre du Mutéla et des bananes ! J'ai déjà vérifié, on a assez d'argent ! "
Je hurle en lui assénant sur la tête une série de coups digne d'une attaque Dard-Nuée :
– " QUOI!! Comment ça, 'On a assez d'argent' ! Ça fait deux mois qu'on ne mange que du riz blanc et là, tu me dis qu'on a assez d'argent pour acheter de la pâtée de luxe, une balle rebondissante et de quoi faire des crèpes choco-banane ! J'ai l'air d'un squelette ambulant et toi, tu mets de l'argent dans tes poches pour te faire des crèpes ! "
James, affolé par mon accès de colère, me répond, un sanglot dans la voix :
– " Mais, Jessie ! On en avait pas assez de sous pour des crèpes à Noël. Tu disais que tu rêvais de crèpes. Je voulais te faire plaisir alors j'ai économisé toute la petite monnaie des courses ... Pour te faire des crèpes choco-banane ! "
Je suis si surprise que, instantanément, ma colère retombe comme un soufflé. James a fait ça pour moi ! C'est vrai que, vu le nombre de fois où il est revenu des courses en me disant qu'il avait perdu la monnaie dans un égoût ou que des voyous l'avaient racketté (elle me semblait bien louche, cette excuse !), c'était très bizarre. Je l'enguirlandais à chaque fois. En y repensant, je lui ai même donné quelques coups de poing et lui, il économisait chaque Pokédollar pour me faire des crèpes.
– " Toute la petite monnaie ...! Tu veux dire que les pièces que tu n'arrêtes pas de perdre depuis un mois et demi, en fait, tu les a gardées pour ça ? - James hoche la tête d'un air benêt qui ne lui va pas du tout - Pourquoi tu ne m'as rien dit, espèce d'idiot ! "
Tout en parlant, nous sommes arrivés à Céladopole. James semble hésiter à me répondre puis il me dit, dans un murmure à peine audible :
– " Je n'ai pas osé, ... Je ne savais pas si j'arriverais à économiser assez vite pour tout acheter. En plus, je voulais te faire la surprise, Jess ! "
Quelques minutes plus tard, nous entrons dans le centre commercial pour faire nos achats. En ressortant, nous percutons un homme. Sans même le regarder, je commence, rapidement imitée par un James caché derrière un monceau de paquets en tout genre, à lui réciter notre devise.
– " Nous sommes de retour ... "
– " Pour vous jouer un mauvais tour ... "
L'homme n'a pas bronché, ignorant sans doute qui nous sommes. Son coûteux costume et ses chaussures de businessman m'énervent. Tout en continuant, je lève les yeux et ...
– " Afin de préserver le ... Boss ? "
– " Euh, Jessie, c'est le 'MONDE', pas le 'BOSS' qu'on préserve de la dévastation ! "
– " Personnellement, monsieur Morgan, je ne refuserai jamais que vous me préserviez de votre bêtise ! "
Là, James, qui a lâché nos paquets sur le sol pour être plus à l'aise pour un lancer de Pokémon regarde notre interlocuteur d'un air épouvanté.
– " B ... BBoss ? "
En voyant la boîte de Pokélix au saumon que nous avons acheté pour Miaouss et qui roule vers son Persian, Giovanni nous jette un regard furieux. Il nous demande sèchement :
– " J'ose espérer que vous n'avez pas encore l'intention de faire passer vos achats de luxe en note de frais ! "
James et moi avons le même réflexe pour répondre :
– " Non, non, Boss ! Ne vous inquiétez pas, on a économisé chaque pièce pour l'acheter, cette patée. C'est pour la St Félix ! Pour Miaouss ! "
Il se retourne vers Persian et lui dit :
– " Tu vois, même ces deux idiots fêtent la St Félix à Miaouss. D'ailleurs, où est-il, celui-là, je n'entends pas ses bavardages incessants ? "
Je lui montre la colline couverte de forêt en répondant.
– " Il dormait encore quand nous sommes partis. Il y a une cabane de pêcheur près d'un petit étang, là-bas. On a décidé d'y rester quelques jours. - comme il a l'air de ne pas apprécier l'information, j'ajoute - Mais on repart demain matin ! "
– " Je me moque du temps que vous y resterez, tant que vous ne détruisez pas tout à l'intérieur ! Je connais bien cette cabane et je sais ce qu'elle contient ! Maintenant, si vous le souhaitez, vous pouvez m'attendre ici, je ne serais pas long et je pourrais vous ramener jusqu'à la clairière en hélicoptère. J'avais prévu de me rendre près de là avec Persian. "
Malgré le fait que je trouve louche qu'il nous propose de nous emmener en hélicoptère, j'accepte de l'attendre. Je vois bien que James me remercie du regard mais je fais semblant de l'ignorer.
*****
Nous marchons depuis deux heures. J'ignore pourquoi il ne m'a pas demandé d'aller dans ma PokéBall ce matin. Je l'interroge du regard et, soudain, il s'arrête et s'accroupit devant moi.
– " Qu'est-ce que tu en penses, hein, Glamy ? Tu aimes ce paysage ? Avec l'étang et cette cabane, là-bas, ma peinture pourrait avoir du cachet. On s'installe là, Glamy ? Tu peux aller jouer dans l'herbe, je vais peindre une belle toile. "
Comme il commence à sortir son grand chevalet pliant, je comprends que nous allons passer un bon moment ici et que je peux m'éloigner et me dégourdir les pattes. Je cours jusqu'à la cabane avant de m'immobiliser. J'ai senti une odeur. Il y a un Pokémon dans la cabane. Mon éleveur, eh oui, Daisuke, l'humain qui partage ma vie n'est pas un dresseur mais éleveur de Pokémons-chats, a remarqué ma réaction et me rejoint. En quelques instants, il a compris l'origine de mon trouble. Nous avançons vers la cabane. Il ouvre la porte et nous rentrons. Un papier vole sous la table.
– " Il y a quelqu'un ? Ého ! "
Soudain, Daisuke et moi, nous entendons une voix.
– " Jessie ! ... James ! ... Où êtes-vous ? JESSIE ! JAMES ! Répondez moi, enfin !! Jess ... "
La voix est celle d'un Miaouss qui vient d'apparaître dans l'embrasure de la porte. Surpris de nous voir, il s'est brusquement arrêté d'appeler. Il me regarde, les yeux remplis d'avidité. J'ai peur, et j'ignore pourquoi. Ce doit être le fait de l'avoir entendu parler comme un humain. Ça me semble si contre-nature de voir un Pokémon qui parle la langue des humains ... Il a sorti ses griffes et semble vouloir se battre contre moi. Avant que Daisuke ne me le demande, j'imite l'étrange Pokémon, bien décidée à aider mon éleveur à avoir un nouveau félin à élever.
– " Glamy, tu sais ce que tu dois faire ! "
Je me lance à l'assaut du Pokémon-chat qui, d'un bond, esquive mon attaque et se retrouve perché sur une chaise. Là, bizarrement, il recommence à parler.
" Je suis de retour,
Pour vous jouer un mauvais tour,
Afin de voler un maximum de Pokémon,
Afin de les apporter au Boss et de devenir riche,
Afin de reprendre la place que Persian m'a piqué,
Afin de retrouver Miaoussie et de tout lui expliquer,
Miaouss, le chat-pardeur le plus doué,
Donnez-moi vos Pokémons ou ça va barder ! "
Daisuke regarde le félin et lui demande :
– " Eh, minute, Miaouss ! Tu es un Pokémon sauvage ou c'est ton dresseur qui t'a appris à parler ? "
Un bruit d'hélicoptère se fait entendre au dessus de nos têtes. J'ai l'impression qu'il vole bas, très bas. Puis le bruit s'éloigne et se taît. Le Miaouss, apparemment satisfait de ne pas devoir m'affronter tout de suite, regarde Daisuke avant de s'asseoir et de lui répondre :
– " Non, j'ai appris à parler la langue des humains tout seul ! Pour plaire à Miaoussie ! Mais elle n'a pas aimé et c'est moquée de moi ! Elle m'a traîté de 'monstre' ! "
– " Si elle a fait ça, c'est sans doute qu'elle ne méritait pas ton affection pour elle. - lui dit Daisuke - Je suis éleveur de Pokémons-chats ! Est-ce que tu serais d'accord pour venir avec moi et Glamy ? Je suis sûr que mes Pokémons ne te snoberont pas ! "
Miaouss semble intéressé par la proposition mais il secoue la tête.
– " Non, non, non, je suis avec Jessie et James ! Ces deux là ont besoin de moi pour ... pour travailler correctement ! Ils ont disparu mais je vais les retrouver ! Ils ne doivent pas être très loin ! "
À cet instant, la porte s'ouvre et deux personnes, les bras chargés de paquets entrent et, comme Miaouss un peu plus tôt, se lancent dans un duo.
Nous sommes de retour,
Mais pas question de mauvais tour
Afin de fêter la St Félix comme il se doit
Afin de traîter Miaouss comme un roi
Afin de le surprendre vraiment, cette fois
Avec un invité qui tous nous étonnera
Jessie !
James !
La Team Rocket à la vitesse de la lumière
A fait les courses et va faire la fête !
Un homme en costume, suivi d'un Persian, entre à son tour et, s'adressant aux deux autres :
Vous avez fini, vous deux ?
Le regard de cet homme me fait froid dans le dos. Il m'a vue. Il se tourne vers Persian et, un sourire mauvais au coin de la bouche, lui demande :
– " Tu veux t'amuser un peu, Persian ? - Le Pokémon se frotte à lui, apparemment heureux de la proposition. Il sort ses griffes et bondit près de moi. Je comprends que je n'ai pas le choix. - Commences par une morsure ensuite, tu griffes ! "
Tandis qu'il me mord, mes griffes le frappent mais j'ai l'impression de ne pas réussir à le blesser. Je vais tenter autre chose ... Je m'éloigne et je commence un mouvement que je sais être séduisant avec tous les matous. Le Persian, séduit, se retourne vers l'homme et lui donne un coup de griffes, le faisant crier de douleur.
– " Pas moi ! Lui ! "
Daisuke, le sourire au lèvres, lui dit que je suis une femelle avant de me féliciter. La réaction de se fait pas attendre, je sens mon corps changer.
– " Chaffreux ! "
Daisuke bondit sur moi. Il semble heureux de mon évolution. Comblée par l'affection de Daisuke, je me vante devant le Persian qui, maintenant, refuse de combattre contre moi. L'homme, visiblement deçu, soupire. Comme si la fin du combat avait réveillé mes sens, une bonne odeur vient me chatouiller les narines. Le dresseur aux cheveux bleus nous rejoint, une assiette de crèpes dans les mains. Il invite les autres humains, y compris Daisuke, à s'asseoir autour de la table.
– " À table !! Y'a des crèpes choco-banane pour tout le monde ! "
Daisuke sort mon écuelle et la remplit de pâtée. Je m'apprête à la partager avec Miaouss quand la femme aux cheveux rouges entre avec une écuelle à la main. À l'odeur, je reconnais la pâtée Pokélix au saumon. Je comprends pourquoi il ne voulait pas les quitter ... Ces deux-là tiennent visiblement à lui. J'approche mon écuelle de Persian et lui propose de partager mon repas.
THE END.