1) Une vingtaine d'années plus tard ...
2007, Eternara :
La jeune femme marchait lourdement. Le marbre sur le sol ne faisait aucun bruit, de toute façon, il était neuf. Elle ne voyait rien. Son regard était flou, trouble. Ses larmes inondaient ses yeux irrités et rouges.
« - Je vous conseille de mettre vos lunettes, mademoiselle Elise. Et de manger. Vous êtes très maigre.
- Oui ... »
Elise posa sa main sur une colonne de pierre. Elle saisit la paire, et la plaça devant ses yeux. La "gouvernante" lui avait demandé de manger, mais elle n'avait pas faim. Son repas était composé de mille deux cent calories environ. Beaucoup, beaucoup trop. Elise se limitait à 500 par repas. Elle notait tout ce qu'elle mangeait sur un carnet qu'elle trainait partout. De la barre de céréales « light » à la pomme, tout était noté, bien listé.
« - Oh non ... »
La femme attrapa une balance, et se pesa. Horreur, elle avait pris sept cent grammes en deux jours ! Surement à cause de ce yaourt pas allégé. Elise s'affala sur une chaise, et un os craqua. Les traits tirés, la fatigue bien visible sur son visage et la peau sur les os, cette fille ne ressemblait à rien. Même pas a une gamine. Ni une vieille. Rien. Un corps sans âme, peut-être. Sans désir de vivre surtout. On sonna, mais Elise n'ouvrit pas. Alors elle entendit une clé tourner.
« - Elise, c'est moi. C'est Cynthia. Tu es là ?
- Non ... je ne suis pas là ...
- Elise ... tu n'as pas faim ?
- Non ...
- Je venais te proposer de faire du lèche-vitrines avec moi. Viens ! Ca te changera les idées !
- Mais je ne veux pas aller dans un salon de thé, ou je vais vomir. »
Cynthia rigola, mais d'un rire très inquiet. Elise ne disait pas ça pour rire. Son état empirait beaucoup. La jumelle attrapa son sac, mit machinalement des chaussures puis sortit de son appartement en compagnie de son amie. Arrivées dans un magasin de haute couture, les jeunes femmes se mirent à discuter, autour d'un verre ... d'eau.
« - Elise, raconte-moi ce qui te turlupine ainsi.
- Trop long ..., soupira Elise.
- Raconte, ou je t'oblige à manger une glace à la vanille ! »
La concernée fit une mine de dégout. Les blagues idiotes de son amie ne la faisaient plus rire. D'ailleurs, plus rien ne pouvait lui redonner son ancien sourire. Un sourire si beau ...
Après une longue pause, Elise raconta un peu de son enfance.
« - Mais ... pourquoi ? Pourquoi t'es tu sauvée ?
- On nous maltraitait. Enfin ... pas physiquement. Psychologiquement. On se moquait de nous. Ses gens n'étaient pas nos parents adoptifs. Ils n'étaient qu'une figure de haine pour nous deux. La nourriture se faisait rare, les tensions plus fortes, les tortures plus blessantes. Je ne vivais plus ainsi. Je déteignais. Jusqu'au jour où je l'ai vue. Il l'avait jeté dehors, sous prétexte qu'elle perdait ses poils. Elle m'a joué sa douce mélodie, son grelot chantait tout le temps. Et quand nous nous sommes enfuis, elle est venue. Mais elle n'est pas restée longtemps ...
- Je comprend, Elise, mais ne devrais tu pas ...
Elise s'était levée. Dans un magasin de hi-fi à côté, il y avait en vitrine des écrans géant qui diffusaient une interview d'un célèbre PDG. Elise se tenait devant l'écran, scotchée, et quand elle aperçut le visage de son frère à l'écran, les larmes lui montèrent aux yeux. Quand le journaliste demanda à son frère si il avait un message à faire passer, voilà ce qu'il répondit :
" Je voudrais dire à ma soeur jumelle que je vais bien, je la vois trop peu, avec tous ces déplacements. Elise, tu me manques terriblement ... "
La concernée n'écouta pas la fin de la phrase, déja partie en pleurant vers chez elle.
" Tu me manques aussi, John ! "