Combat en eaux troubles
Lucy secoua la tête pour chasser les grains de sable qui s'étaient glissés dans ses cheveux. L'aéroport de Sérén' île se réduisait à une grande piste de sable parsemée de hangars. Les passagers devaient descendre directement de l'avion pour rejoindre l'agence de location de véhicules située à gauche de la piste principale. Un vent violent balayait le terrain, charriant des mottes d'herbe sèche et jaune.
Peter avançait à grands pas vers la sortie de l'aéroport, devançant Lucy de plusieurs mètres. Il voulait être le premier sur le terrain de combat. Les deux jeunes dresseurs avaient décidé de combattre à Sérén' île. Malgré le côté perdu de la cité, Lucy assurait qu'il y aurait bien un centre d'entraînement. Les combats étaient célèbres à Rhode.
Un grand bus à impériale les attendaient près d'un hangar. À son bord se trouvait un chauffeur blasé qui mâchonnait une cigarette éteinte. Lucy lui tendit quelques Pokédollars et prit place près de la fenêtre, son billet à la main. Elle arborait un air calme et étendu.
"Je vais quand même affronter le maître des dragons... Faut que je reste zen. Cool, Lucy. Y'a rien à craindre."
Pendant que la jeune dresseuse se consacrait à ses méthodes de relaxation, Peter affichait les stigmates d'un stress croissant. Il commençait à douter de la finalité de l'enquête. Du point de vue de monsieur Rochard, c'était simple : ils devaient observer et faire leur rapport régulièrement. Le jeune homme n'était pas aussi optimiste. Rien ne prouvait que les habitants de Rhode verraient cette inquisition d'un bon oeil. Peter observa à la dérobée les autres passagers. Ils avaient tous cet air empreint de fatigue, ces même
rides au coin des yeux. Ils semblaient tous redouter quelque chose. Ou quelqu'un.
Lorsque le bus s'arrêta enfin près de la mairie de Sérén' île, le jeune homme laissa échapper un soupir de soulagement. Il n'aurait pas pu voyager une minute de plus dans ce véhicule surchauffé où l'atmosphère était aussi pesante qu'un Wailord. Lucy descendit la première, traînant son sac par une bretelle. Au bout de quelques minutes, il était recouvert d'une couche de poussière jaune. Peter leva les yeux au ciel.
-Tu pourrais pas porter ton sac comme tout le monde ? grommela t-il d'un ton réprobateur.
Lucy l'ignora et se tourna vers un groupe de gamins qui jouaient au football. Son visage s'éclaira.
-Là, un terrain !
Joignant le geste à la parole, la jeune fille pointa du doigt un panneau qui affichait une Pokéball noire. Le règlement était inscrit en dessous, en lettres capitales. Peter observa le terrain de combat et son visage afficha une expression dubitative. Pour ne pas dire dégoûtée.
Les règles de la ligue Pokémon stipulent que chaque dresseur doit prendre soin de l'endroit où il décide de disputer un match, que se soit en pleine nature ou en centre d'entraînement. Vu l'état du terrain, les dresseurs de Rhode ne devaient pas obéir à la règle "Veillez à laisser chaque cercle de combat en place" mais à la règle " Transformez les cercles de combat en décharge municipale".
Le terrain était divisé en trois parties. La première, un rectangle de béton probablement réservé aux combats tout type, était recouvert d'ordures ménagères qui dégageait un parfum vivifiant. La deuxième partie était sûrement destinée aux combats avec des Pokémon plante : des palmiers entouraient un carré d'herbe. Sauf que les palmiers en question s'étaient écroulés sur le sol, ce qui rendait la pratique de combat plutôt ardue. De temps en temps, un Pokémon poison jaillissait des arbres, tout à son aise dans ce terrain moisi. La troisième partie se révélait être une piscine qui, à première vue, semblait assez propre. Des blocs de mousse flottaient paresseusement à le surface de l'eau.
-Qu'est ce que vous en pensez ? demanda Lucy à Peter.
-Je n'ai jamais vu de terrain plus pourri.
-La piscine, ça pourrait aller, non ? Elle à l'air assez propre...
-Tu veux les empoisonner, tes Pokémon ?
-Non. Je voulais juste tester vos compétences en matière de dressage. Ce sera pour une autre fois...
Piqué au vif, le jeune homme se retourna lentement vers sa partenaire.
-Qu'est ce que tu insinues ?
-Moi ? Rien du tout.
Peter se retint in extremis d'étrangler la jeune fille. Il s'en fallut de peu pour qu'il laisse tout en plan et retourne à Ebenelle. Le jeune homme respira profondément, sourit d'un air pincé et dégaina une Pokéball.
-Très bien, sale peste, murmura t-il en fixant la piscine. Voyons voir ce que t'as dans le ventre... Hyporoi !
Un dragon bleu jaillit de la Pokéball dans un grand flash qui éclaira le visage du jeune dresseur. Le Pokémon fit le tour du bassin, attendant les ordres de son maître. Ce dernier observait Lucy qui sélectionnait l'une de ses Pokéballs. Après deux minutes de réflexion, elle choisi d'envoyer un Rafflesia. Les pétales géants du Pokémon plante répandaient une odeur âcre et doucereuse. Il sauta sur l'un des matelas, puis jaugea le dragon du regard.
-On y va, lança Peter. Hyporoi, Laser glace !
-Rafflesia, esquive !
Le Pokémon plante évita facilement le Laser en sautant sur le côté. Le maître des dragons afficha un air surpris. Les Rafflesias n'étaient pas réputés pour leur rapidité.
-Chlorophylle murmura Lucy avec un léger sourire. Augmente vitesse au soleil.
Peter fronça les sourcils, cherchant un moyen pour toucher le Pokémon plante. Soudain, le jeune homme remarqua une lueur anormale sur la tête du Rafflesia.
-Hyporoi, attention !
Le dragon plongea sous l'eau. Le rayon lumineux passa au ras de la surface, créant un remous dans la petite piscine.
-Ce Lance-soleil...marmonna Peter. Comment t'as fais ?
-Facile, rétorqua la jeune fille. Il fait super chaud, le soleil tape fort et en plus, vous avez été surpris par l'esquive de mon Raffly. Un jeu d'enfant.
Elle souriait, attendant patiemment que l'Hyporoi veuille bien remonter à la surface. Le jeune homme jura entre ses dents. Le dragon ne pourrait rester indéfiniment sous l'eau, mais s'il remontait, Rafflesia l'accueillerait avec un Lance-soleil. Impossible de tenter un percée tant que le Pokémon plante ne serait pas touché.
-Hyporoi, Onde boréale !
Un rayon multicolore jaillit de l'eau et vint frapper le Rafflesia. Sous le choc, celui-ci chancela, puis se redressa avec aplomb. Il n'en était pas moins sérieusement affaibli.
-Bien... murmura Lucy. Joli coup. On va pouvoir passer aux choses sérieuses... Rafflesia, Poudre para!
Des spores jaunes s'échappèrent de la fleur géante puis se déposèrent délicatement sur l'eau. Peter fit la moue. Cette attaque était totalement inutile : la poudre surnageait à la surface sans toucher Hyporoi. Néanmoins, le jeune homme restait méfiant. Lucy semblait parfaitement calme, et ce malgré le manque d'énergie de son Pokémon. Le maître des dragons haussa les épaules.
-De toute manière, c'est fini pour elle... Hyporoi, Écume !
Le Pokémon dragon remonta brusquement, puis aspira de l'eau afin de pouvoir envoyer ses bulles. Grave erreur. Les spores envoyés quelques secondes plutôt pénétrèrent dans son organisme. Le Pokémon se crispa sous l'effet de la paralysie. Il luttait pour ne pas sombrer dans les flots. Peter sera les poings : le combat n'était pas fini, mais il perdait l'avantage.
-Maintenant, Giga-sangsue !
Rafflesia tapota le matelas en mousse de son pied, puis ouvrit grand la bouche. Un rayon d'énergie verte jaillit d'Hyporoi. Le pokémon plante absorba la vie volée au dragon avec un soulagement non dissimulé. Ca commençait vraiment à devenir chaud pour lui.
Hyporoi semblait aussi mal en point que Rafflesia était en forme. Il se contorsionnait pour rester à la surface, battant de la queue et agitant ses appendices dans un signe de détresse. Brusquement, son corps se raidit et il coula lentement, les yeux clos. Peter rappela son Pokémon. L'espace d'un instant, il se surprit à espérer que le dragon jaillirait de l'eau en criant "Poisson d'avril !"avant d'écraser le Rafflesia. Malheureusement pour le jeune homme, les dragons ne parlent que dans les contes de fées. Et le combat qui venait de se dérouler n'était pas un conte de fées. Loin de là. Le match n'avait même pas duré cinq minutes .
-Peter ? demanda Lucy d'une voix douce.
-Ouais?
-Je peux te dire un truc ?
-Depuis quand tu me tutoies ?
-Depuis que t'as perdu.
Le jeune homme la massacra du regard. Il avait perdu. Battu par une morveuse.
-Bien, poursuivit Lucy. Il faut que je te dise deux choses. Primo, c'est normal que tu aies perdu. J'avais l'avantage du type.
-J'avais pas remarqué, ironisa le jeune homme.
Il ajouta, pensif :
-J'aimerais quand même bien savoir comment ça se fait que t'aies un tel niveau.
-C'est parce que je suis maîtresse Pokémon, Peter.