Ivi
Ma maîtresse déambula dans le corridor à toute allure, claquant la porte derrière elle et faisant trembler les murs de la maison. Je courrai sur ses pas pour la rattraper à toute haleine et je la retrouvai dans sa chambre, étalée de tout son long sur son lit, la tête cachée dans ses bras. Je m'avançai lentement en faisant le moins de bruit possible, et je distinguai qu'elle était parsemée toute entière de petits soubresauts et qu'elle reniflait à une fréquence régulière. Ma maîtresse tentait de ne pas pleurer, mais elle n'y parvenait pas.
Je fit un bond silencieux jusqu'au lit et l'observa. Sa tristesse semblait s'étendre dans toute la pièce, et me perçait mon propre cœur. Même si je n'étais qu'un animal et elle une humaine, et que mes sentiments sont moins compliqués, j'exprimais le désir de partager sa tristesse, ou même, de la subir à sa place. Ma propre existence enlevée à la nature, et mon rôle d'animal de compagnie devait me dicter cette façon de penser. Un réflexe animal sans doute, et aucune autre raison de vivre à part d'être là pour elle. Alors toute mon énergie et mes pensées était pour elle, même si je ne savais pas réellement pourquoi.
Je posai une patte sur son épaule pour lui montrer que j'étais là pour l'aider ou même que j'étais juste là et qu'elle n'étais pas seule. Elle pencha un peu sa tête de mon côté et me vit de son œil rougi par les larmes. Je lui lécha gentiment le visage et un goût salé se répandit dans ma gueule. Elle glissa sur le côté et me pris dans ses bras, me serrant très fort, si fort qu'elle me faisait mal. Mais je ne bronchais pas, j'acceptai cette infime douleur pour elle. Elle balbutia quelques mots entre ses larmes : " Il m'a laissé tomber… ils me laissent tous tomber… " et ponctua la fin de sa phrase par une nuée de tremblements et de larmes. Si j'avais eu des bras, je l'aurais enlacée, si j'avais été plus grande je l'aurais enveloppé, si j'avais été humaine, je lui aurai prouvé le contraire. Mais je n'étais qu'un pauvre Evoli, alors je me contentai de me serrer fort contre elle pour lui prodiguer un peu de chaleur, un peu de mon amour bestial à simple sens.
Elle commença à éteindre un peu son étreinte sur mes côtes meurtries et son corps se calma à nouveau. Elle me regarda de son regard triste et embué que je ne pouvais fuir, et dont j'en fixais le centre même. Sa tête se posa mollement sur le coussin humide, les yeux à demi-ouverts puis se refermèrent en même que son corps se recroquevilla. Elle avait besoin de douceur et de chaleur pour combler le vide qu'elle ressentait. Je me laissai guider à son avantage, j'étais un simple pantin, une peluche, je mis ma raison au vestiaire pour ces quelques heures passées, et accompli mon devoir, du moins ce que je pensais l'être. Je voulais l'aider à être moins triste, j'avais réussi.
* * *
Une odeur que je ne connaissais pas… Une voix inconnue surgit dans la maison. Elle était basse et résonnait dans les couloirs, une voix masculine. Je m'approchai de la porte d'entrée et l'observai du coin d'une porte. A cette voix se mêlait celle de ma maîtresse, enjôlée et plein de vie, que je n'avais plus entendue depuis bien longtemps maintenant. Ils enlevèrent en vitesse leurs vestes et se dirigèrent dans sa chambre, filant entre les pans de porte, sans même s'apercevoir de ma présence. J'entrepris d'aller voir ce qu'il se passait, mais devant moi, une porte fermée, dont j'entendis le tintement de la clé à l'intérieur. Et après plus un seul bruit, ou du moins, pas un seul bruit que je désirais entendre.
* * *
On me déplaçait, quelqu'un était en train de me porter. J'ouvrai les yeux habitués à mon sommeil et vit dans les hauteur ma maîtresse qui semblait vouloir m'amener quelque part. Je me réveillai enfin totalement lorsque nous arrivions dans sa chambre, en pleine nuit, et je l'interrogeai des yeux. Des photos déchirées jonchaient les draps de son lit et des dizaines de petits débris de verre ornaient le sol. D'un revers de main, elle essuya le lit des morceaux de papier et se coucha. Elle me prit dans ses bras, mais ne dégageait rien, ni tristesse, ni joie, un sentiment plus brut, que je n'arrivais pas à affiner et à déchiffrer.
Elle se serra bizarrement contre moi, et cette fois je sorti de son étreinte d'un bond. Je tombai sur les débris de verre qui m'écorchèrent le dessous des pattes, avant de m'enfuir dans le salon et de me réfugier sous les ténèbres du canapé. Ce qui régnait ou ce qui manquait dans l'atmosphère de la pièce m'effrayait, malgré moi, je me suis enfui.
* * *
Une odeur familière parvint à mes narines. Un autre animal, et même de la même espèce venait d'arriver. J'entendis les jappements d'un collègue apparemment plus jeune et la voix enjouée de ma maîtresse. Je tentai d'aller à leur rencontre, mais ma maîtresse et son nouveau jouet dans ses bras continuèrent leur route, et ils fermèrent la porte derrière eux, à une dizaine de centimètres de mon museau. Un bruit métallique, des bruits de pas, des bruits de tissus me parvinrent de derrière la porte.
Je me dirigeai dans la cuisine et observa ma gamelle : elle était encore vide.