Les premiers pas d'une Maître
« Il est étrange de repenser au passé lorsque l’on a déjà parcouru tant de chemin. Aujourd’hui, mon nom est connu à travers toute la région de Sinnoh. Championne. Maître. Archéologue. Tant d’étiquettes que l’on m’a attribuées au fil des ans, comme si elles suffisaient à définir qui je suis vraiment.
Mais avant tout cela, j’étais une enfant comme les autres. Une fille de Celestia, élevée parmi les ruines et les légendes, qui n’avait jamais rêvé de combats ni de gloire. Et pourtant…
Chaque rencontre, chaque défaite, chaque choix m’a menée jusqu’ici. Alors aujourd’hui, je prends enfin le temps de poser des mots sur ce chemin que j’ai parcouru. Mon histoire.
Non pas celle de la Maître de Sinnoh, mais celle de la jeune dresseuse que j’ai été. »
La lumière du matin traversait les fines étoffes suspendues devant ma fenêtre, projetant sur les murs de ma chambre des ombres mouvantes. Dehors, Célestia s’éveillait doucement au rythme des murmures du vent et du chant des Étourmi. Pourtant, je restais assise sur mon lit, les jambes repliées contre moi, une Poké Ball posée dans le creux de ma main.
Elle était plus lourde que je ne l’avais imaginé.
Je la fis rouler lentement entre mes doigts, observant les reflets du métal poli sous la lumière matinale. Un simple objet, et pourtant, il représentait tant de choses. Je l’avais reçue la veille, offerte par ma grand-mère avec un sourire énigmatique et ces quelques mots :
— Chaque dresseur commence quelque part, Cynthia.
Un premier Pokémon. Un premier partenaire. Une tradition pour tous ceux qui souhaitaient se lancer sur les routes.
Mais moi…
Je laissai échapper un soupir et jetai un regard à la Poké Ball, hésitante. Je n’avais jamais aimé les combats Pokémon. Certains enfants du village passaient des heures à s’entraîner, à regarder des duels, à rêver de devenir Maîtres ou Champions d’Arène. Moi, je préférais les livres, les légendes, l’histoire des Pokémon plutôt que leurs affrontements. L’idée d’ordonner à une créature de se battre pour moi me mettait mal à l’aise.
Et pourtant…
Je pressai le bouton central de la Poké Ball. Un éclat de lumière s’échappa dans ma chambre, projetant des ombres sur les murs. Devant moi, une petite créature apparut, secouant légèrement la tête avant de me fixer de ses grands yeux curieux.
Griknot.
Il était plus petit que je ne l’avais imaginé, avec ses écailles bleu nuit et son allure trapue. Il renifla l’air, puis s’approcha de moi, grimpant sans hésitation sur mon lit.
— Grriik ! fit-il en frottant sa tête contre mon bras.
Un sourire involontaire naquit sur mes lèvres.
— Salut, toi…
Je tendis la main, et il la poussa doucement du bout de son museau, comme s’il voulait me dire "Ne t’inquiète pas". Je l’observai un instant. Pouvais-je vraiment être une dresseuse ?
Le matin était vif et frais, l’air chargé de cette odeur si particulière de terre humide et de feuilles encore perlées de rosée. Dans ma chambre, je vérifiais une dernière fois le contenu de mon sac, mes doigts crispés sur les lanières de cuir.
Des potions, quelques baies, un carnet vierge, et un vieux livre sur les mythes de Sinnoh. J’aurais voulu emporter plus de choses—plus de livres surtout—mais ma grand-mère m’avait prévenue : "Voyager, c’est apprendre à se délester du superflu."
J’inspirai profondément. C’était le jour du départ.
Dans notre région, c’était une tradition aussi ancienne que cruelle : à douze ans, nous quittions nos foyers pour devenir dresseurs. Peu importait que nous soyons prêts ou non. C’était la règle.
Certains revenaient rapidement, brisés par la rudesse du voyage. D’autres allaient plus loin avant de s’effondrer face aux vérités du monde extérieur. Seule une poignée d’entre nous deviendrait réellement dresseur, et parmi eux, encore moins atteindraient un jour le statut de Champion ou de Maître.
Et moi ? Quelle place avais-je dans cette histoire ?
Un léger bruit attira mon attention. Sur le bord de mon lit, Griknot me regardait, la tête légèrement inclinée sur le côté. Depuis hier, il ne m’avait pas quittée d’une semelle. Il semblait comprendre que quelque chose d’important se jouait aujourd’hui.
— C’est l’heure, soufflai-je.
Il se redressa immédiatement, prêt. Plus prêt que moi.
J’attrapai mon sac, puis je quittai ma chambre. Chaque pas dans notre maison me paraissait étrange, comme si je la voyais pour la dernière fois. Je passai une main sur les meubles de bois usé, mémorisant chaque rainure, chaque craquement du sol sous mes pieds.
Dans l’entrée, ma grand-mère m’attendait déjà.
Elle ne dit rien d’abord. Son regard balaya ma tenue de voyage, mon sac, la Poké Ball à ma ceinture. Puis, lentement, elle hocha la tête.
— Te voilà prête.
J’aurais voulu répondre "Non, pas du tout" mais à la place, j’opinai simplement. Elle s’approcha et posa une main sur mon épaule.
— Souviens-toi de ce que je t’ai toujours dit, Cynthia. Ce n’est pas la force d’un Pokémon qui fait un bon dresseur. C’est le lien qu’il tisse avec lui.
J’avalai difficilement ma salive.
— Et si j’échoue ?
Son regard s’adoucit.
— Alors tu échoueras. Et tu apprendras.
Je voulais une autre réponse. Une assurance. Mais il n’y en avait pas.
Le cœur battant, je passai la porte et pris la direction de l’entrée du village. Tous les adultes étaient là.
Ils formaient une demi-lune silencieuse devant la porte de bois sculpté qui marquait la sortie de Célestia. Certains arboraient des sourires bienveillants, d’autres affichaient une gravité solennelle. Certains savaient que je reviendrais peut-être vite. D’autres espéraient que non.
Je reconnus le forgeron, qui avait affûté mon couteau de voyage, la guérisseuse qui m’avait glissé quelques baies médicinales, et même le vieil homme qui passait ses journées à observer les ruines, murmurant aux pierres.
Et puis, au centre de tous, ma grand-mère. Je sentis mes mains trembler. C’était réel, cette fois. Un homme s’avança. Le maire du village., M. Grinberg, un ami de la famille. Il posa sur moi un regard pénétrant avant de déclarer :
— Aujourd’hui, Cynthia de Célestia quitte ce village pour suivre le chemin de l’initiation. Que la force des ancêtres veille sur elle, que les légendes guident ses pas.
Il s’inclina légèrement, et les autres villageois firent de même. Je me raidis sous le poids du moment.Derrière moi, Griknot poussa un petit grognement.
Je jetai un dernier regard à ma grand-mère. Elle ne pleurait pas. Elle ne me retenait pas. Elle était là, droite et fière, comme si elle savait déjà que je reviendrais changée.
Alors, avec une dernière inspiration, je franchis les portes du village. Sans me retourner.
Le sentier serpentait entre les collines basses et les hautes herbes, s’enfonçant progressivement dans la forêt qui bordait Célestia. Loin des murmures du village, chaque bruit, chaque mouvement de feuille prenait une intensité nouvelle.
Je marchais depuis plusieurs heures déjà, le cœur battant à chaque bruissement dans les buissons. Malgré moi, mon regard balayait sans cesse les environs, à l’affût d’un Pokémon sauvage qui surgirait sans prévenir. Je n’avais jamais combattu. L’idée qu’un Pokémon puisse m’attaquer sans que je ne sache quoi faire me tordait l’estomac.
Griknot trottinait à mes côtés, les oreilles dressées, visiblement bien plus détendu que moi. Par moments, il s’arrêtait pour renifler le sol ou observer un Papilusion voletant entre les branches. Il semblait parfaitement à l’aise dans cet environnement inconnu, comme si rien ne pouvait l’inquiéter.
Si seulement j’étais aussi confiante que lui.
Je continuais mon chemin, essayant de garder mon souffle régulier. Ma première destination était Bonville. Ce n’était pas une grande ville, juste un petit village de campagne à l’orée des bois. De là, un bus devait m’emmener jusqu’à Charbourg, où m’attendait mon premier véritable défi : le Champion d’Arène.
Je n’étais pas encore certaine de vouloir l’affronter. Mais c’était la logique de ce voyage initiatique. C’était ce que tout dresseur était censé faire.
Un bruit de branches cassées me fit sursauter. Je m’arrêtai net, la main crispée sur la lanière de mon sac. Griknot redressa la tête, grognant faiblement. Quelque chose bougeait dans les buissons, non loin de moi.
Mon cœur s’emballa. Un Pokémon ? Un prédateur ? Avant que je ne puisse reculer, un homme surgit des fourrés.
Je fis un bond en arrière, la panique me prenant à la gorge. Il paraissait pressé, essoufflé, et son regard balayait le sentier comme s’il cherchait quelque chose ou quelqu’un. Ses vêtements étaient légèrement froissés, et une branche s’accrochait encore à sa manche.
— Hé, toi ! lança-t-il en m’apercevant.
Je ne répondis pas tout de suite, encore figée par la surprise. Un voyageur ? Un bandit ? Mais il ne me laissa pas le temps de réfléchir.
— Le chemin vers Bonville est bloqué !
Je clignai des yeux, essayant de comprendre.
— Bloqué ? répétai-je.
— Oui ! Il jeta un regard par-dessus son épaule, comme s’il s’attendait à être suivi. Un groupe de Psykokwak bloque le passage. Ils sont devenus complètement fous. Quiconque essaie de passer est violemment repoussé par des ondes psychiques !
Un frisson me parcourut. Des Psykokwak ? Agressifs ? Ces Pokémon étaient connus pour souffrir de migraines chroniques qui, dans des cas extrêmes, pouvaient leur faire perdre le contrôle de leurs pouvoirs psychiques. Mais jamais je n’avais entendu parler d’un groupe entier sombrant dans une frénésie incontrôlable.
— Comment est-ce arrivé ? demandai-je, troublée.
L’homme haussa les épaules, visiblement agacé.
— Aucune idée. Mais c’est impossible de passer. Les autres voyageurs ont dû faire demi-tour.
Mon cœur s’alourdit. Si Bonville était inaccessible… alors Charbourg aussi. L’homme s’éloignait déjà à grandes enjambées sur le sentier, ne prenant même pas la peine de se retourner. Il avait fui sans hésiter, comme s’il savait que toute tentative de passer serait vaine.
Mais moi…
Je fixais l’endroit où il avait disparu, hésitante. Les Psykokwak étaient peut-être dangereux, mais quelque chose ne collait pas. Ils n’agissaient jamais ainsi sans raison. Mon instinct me criait que ce n’était pas normal.
Je pris une profonde inspiration et tournai les talons dans la direction qu’il m’avait indiquée. Je devais voir par moi-même. Le chemin jusqu’à Bonville suivait une rivière qui serpentait entre les collines. Plus j’avançais, plus l’air semblait lourd, comme chargé d’une tension invisible.
Puis, je les aperçus. Un groupe de cinq ou six Psykokwak s’agitaient sur le sentier, se balançant maladroitement d’un côté à l’autre. Leur plumage habituellement lisse était hérissé, et leurs yeux brillaient d’une lueur étrange.
D’ici, je pouvais déjà sentir l’onde psychique qui émanait d’eux, une pression invisible qui s’appuyait sur mon crâne comme une migraine grandissante. Griknot, à mes côtés, grogna en secouant la tête. Je le sentis vaciller, déstabilisé par la pression psychique.
— Ça va ? murmurai-je en posant une main sur sa tête.
Il couina faiblement en réponse. Ses petits membres tremblaient, comme si quelque chose lui écrasait le corps. La pression augmenta encore, un poids invisible qui compressait mes tempes, faisant pulser mon crâne d’une douleur lancinante. Impossible d’aller plus loin comme ça.
À contrecœur, je saisis sa Poké Ball.
— Repose-toi.
D’une pression du pouce, je rappellai Griknot dans sa sphère protectrice. Le flot d’énergie rouge l’absorba et je sentis immédiatement le poids sur lui disparaître.
Moi, en revanche… J’avançai d’un pas hésitant. Une vibration sourde résonna dans l’air. Une vague d’énergie me heurta de plein fouet, m’arrachant un gémissement de douleur. C’était comme si l’air autour de moi s’était épaissi, comme si mon propre corps pesait trois fois son poids habituel.
Je fis un pas de plus, puis un autre. Mais la pression devint insoutenable. Mon corps céda avant ma volonté. Je fus repoussée brutalement en arrière, projetée contre le sol couvert de feuilles. Je haletai, mon esprit engourdi par l’onde psychique.
Et c’est à ce moment-là que je le vis. Une ombre, tapie dans un fourré, juste à la lisière du sentier. Je plissai les yeux malgré le flou qui voilait ma vision. Une silhouette fine, humanoïde, au pelage doré. Un Kadabra, un pokémon assez rare de la région que l’on disait particulièrement habile avec ses capacités psychiques.
Il était immobile, son regard fixé sur les Psykokwak. Dans sa main, il serrait fermement une cuillère qui scintillait d’une lueur trouble. Et soudain, tout s’éclaira. Ce n’étaient pas les Psykokwak qui étaient à l’origine de cette agitation.
C’était lui.
Kadabra dirigeait sa cuillère vers eux, comme s’il maintenait leur état d’agitation… comme s’il les manipulait. Un frisson me parcourut l’échine.
Kadabra était toujours là, tapi dans les fourrés, une lueur étrange dans le regard. Son attention restait focalisée sur les Psykokwak, sa cuillère tendue dans leur direction. Mais quand j’avançai d’un pas de plus, il tourna brusquement la tête vers moi. Nos regards se croisèrent. Une fraction de seconde. Puis, sa cuillère brilla.
Un éclair psychique fendit l’air droit sur moi.
— !
Par pur instinct, je me jetai sur le côté.
L’attaque frappa le sol à l’endroit exact où je me tenais une seconde plus tôt, soulevant un nuage de poussière. En roulant sur le sol, mon pied se tordit légèrement sur une racine. Une douleur vive me traversa la cheville, mais je n’eus pas le temps de m’arrêter.
Kadabra préparait déjà une seconde attaque. Je n’avais pas le choix.
— Griknot, go !
D’un éclat rouge, mon Pokémon apparut devant moi. Il secoua la tête et grogna en voyant Kadabra.
Kadabra n’attendit pas. Sa cuillère brilla violemment, et une vague d’énergie psychique s’abattit sur Griknot. Je parvins à identifier une attaque Choc Mental, la spécialité de cette espèce de pokémon.
— Esquive !
Griknot bondit sur le côté avec une agilité surprenante. L’onde psychique frappa le sol dans une explosion de poussière.
Mon cœur battait à tout rompre. C’était mon premier combat.
— Attaque-le ! lançai-je, sans même savoir quelles capacités il possédait.
Griknot laissa échapper un cri et s’élança. Ses crocs scintillèrent d’une lueur étrange. Il tenta de mordre Kadabra, mais ce dernier leva à nouveau sa cuillère.
Son corps se brouilla… puis plusieurs copies de lui apparurent autour de Griknot. Je crispai mes doigts sur ma Poké Ball. Je connaissais cette attaque. L’attaque Reflet, qui augmentait son esquive.
Griknot hésita une fraction de seconde, ne sachant plus lequel attaquer… Kadabra en profita. Une nouvelle onde d’énergie frappa Griknot de plein fouet. Son petit corps fut soulevé du sol avant d’être projeté en arrière. Il roula sur plusieurs mètres avant de s’écraser contre une pierre.
— Non !
Je courus vers lui. Il tremblait légèrement, les yeux mi-clos. Kadabra m’observa une dernière fois… puis tourna la tête vers les Psykokwak. Un changement subtil s’opéra dans l’air. Les Pokémon eau cessèrent peu à peu de trembler. Leur regard se vida de cette lueur étrange. Kadabra comprit. Il n’avait plus d’emprise sur eux. Sans attendre, il leva sa cuillère et disparut dans un flash lumineux.
Le silence tomba. Les Psykokwak, désorientés, battirent des paupières et s’éloignèrent lentement du sentier. Le passage était libre. Mais mon regard restait fixé sur Griknot. Je m’agenouillai à côté de lui.
— Ça va ? soufflai-je en le soulevant doucement.
Il ouvrit un œil, couina faiblement… et referma les paupières. Mon premier combat.
Ma première défaite.
Et pourtant, au fond de moi, une pensée étrange me traversa l’esprit. J’avais tenu bon.
« Ce fut ma toute première défaite… et elle eut un goût amer. Griknot, blessé, n’avait rien pu faire. Moi non plus. Nous étions faibles, inexpérimentés, naïfs. Mais en voyant les Psykokwak retrouver leur calme, en réalisant que, malgré tout, nous avions forcé Kadabra à fuir, quelque chose en moi s’est éveillé.
Ce combat m’a fait comprendre une vérité essentielle : la force ne se mesure pas aux victoires, mais aux défis qu’on accepte d’affronter. Et ce jour-là, sans même m’en rendre compte, j’avais fait un premier pas vers la dresseuse que je deviendrais. »