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Team Rocket X-Squad de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 15/02/2025 à 08:21
» Dernière mise à jour le 15/02/2025 à 08:21

» Mots-clés :   Action   Fantastique   Organisation criminelle   Présence d'armes   Présence de Pokémon inventés

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Bonus : Chapitre 0
Mot de l'auteur :
Ce très long chapitre est une préquelle à la fic, racontant la création de Diox-BOT et la naissance des enfants Crust. Livédia en est la personnage principale. Je l'ai écris pour le tout premier concours de X-Squad, c'est à dire celui fêtant la fin de l'arc...3. Ce chapitre bonus, il a donc près de 12 ans. Et ça se sent. J'ose croire que mon style s'est amélioré depuis. Et surtout, il y avait quelques incohérences, car bien sûr, j'ai pas mal changé en cours d'écriture de X-S bien des aspects du scénario et de ce que j'avais prévu à l'origine. J'ai donc pris la peine de le relire et de le modifier le plus possible avant de vous le poster aujourd'hui, pour fêter les 14 ans de Team Rocket X-Squad !











Le professeur Achille Cubens était sans nul doute l’homme le plus intelligent qu’ait jamais compté dans ses rangs la Team Rocket. Mais en ce moment, de l’avis de Livédia, c’était aussi le plus ennuyeux de mémoire d’homme. La jeune femme tenta de garder l’esprit clair tandis que Cubens radotait encore.

– …de la fusion à l’état synthétique des cellules…

Livédia n’avait pas trop la tête au travail et aux données du professeur, ce matin. Elle s’impatientait pour ce soir, mais en même temps, elle était stressée. Le commandant de la base où elle travaillait, le colonel Hegan Tender, l’avait invité à dîner. Il s’agissait juste, avait-il dit, d’un dîner professionnel. Le colonel, en homme organisé et en supérieur attentif, voulaient connaître tout le personnel de sa base, des militaires aux scientifiques en passant même par la maintenance technique. Il faisait ça apparemment pour tout le monde. Livédia faisait partie de la Team Rocket depuis presque une année maintenant, et elle n’avait que très rarement vu le colonel. En fait, elle ne voyait pas grand monde, mis à part ses collègues scientifiques, et le commandant Penan, son parrain et un ami de son père.

– …structure rattachée au code source de l’hyperbolisme…

Mais de quoi pourraient-ils bien parler au cours de ce dîner ? Livédia pouvait devenir intarissable quand il s’agissait de données scientifiques, mais elle doutait que ça intéresse le colonel. Apparemment, c’était un dresseur doué et reconnu, mais hélas, Livédia ne connaissait pas grand-chose aux Pokémon, si ce n’est les différentes énergies qu’ils pouvaient produire.

– …du métal à un stade quasi solidifié…

Quand elle avait reçu cette invitation, Livédia s’en était vite allée demander conseils à Penan, qui connaissait le colonel, même s’il ne l’appréciait pas trop. Hegan Tender était un ami et un homme de confiance de Giovanni, l’Agent 001 et le fils de Madame Boss. De ce qu’elle avait retenu les rares fois où elle l’avait croisé, le colonel était encore jeune, proche des quarante ans, et était plutôt bien fait de sa personne. Penan avait appris à Livédia qu’il avait été marié, bien qu’aujourd’hui veuf. Il avait un enfant aussi, un petit garçon, dont il s’occupait seul. Livédia aimait bien les jeunes enfants. Peut-être pourraient-ils discuter de ça. Mais ils n’allaient pas faire tout un repas en discutant uniquement des bambins…

– …à l’élaboration supraconductrice d’une forme interne…

La jeune femme se retint de bailler. Elle n’avait vraiment pas la tête aux possibles utilisations du Sombracier, ce matin. Natael, l’autre jeune assistant du professeur, croisa le regard à moitié endormi de Livédia et lui adressa un sourire moqueur. Natael Grivux avait le même âge que Livédia, à savoir dix-huit ans, bien qu’il soit entré après elle au service de Cubens. Mais son intelligence était bien hors de portée de Livédia. À lui seul et en à peine deux mois, Natael avait fait avancer le projet Sombracier du professeur de presque deux années de travail et de recherche.  

Il fallait ajouter à ça que Natael étant sans nul doute l’homme le plus gentil au monde, et qu’il était atrocement beau, avec son visage parfait, ses yeux clairs rieurs, ses fins cheveux blonds, sa voix de velours et son sourire de star. Livédia avait, malgré elle, l’estomac qui faisait un bond à chaque fois que Natael la regardait ou lui parlait, mais elle n’avait jamais songé à lui comme petit-ami. Il était trop parfait pour elle, ça ne l’intéressait pas. Et puis elle tenait trop à son amitié pour prendre le risque de la briser avec une histoire de cœur qui ne marcherait peut-être pas.

– …ce qui nous amène donc aux différentes études de composition des armures qui pourraient marcher, conclut enfin le professeur. Natael, si tu veux commencer ?

– Oui professeur, fit le jeune homme en se levant. Comme vous le savez, parvenu à une certaine chaleur, le Sombracier durcit pour ensuite devenir indestructible. Cependant, son poids et sa densité font, qu’avec nos connaissances actuelles, il est impossible qu’un être humain puisse le supporter sur lui. Même avec un Pokémon, ça serait improbable. Il nous faudrait un Pokémon Légendaire, et encore, l’un des plus puissants. Il n’est même pas certain qu’Arceus lui-même s’en remette après une exposition prolongée.

Livédia trouvait marrante l’idée que le Dieu et créateur de l’univers puisse servir de cobaye à la conception d’armures indestructibles. Mais bien qu’elle ne soit pas aussi intelligente que Natael, elle avait aussi compris qu’aucun être vivant ne pourrait porter une armure de Sombracier pur. Le Sombracier était un métal nouvellement découvert qui provenait ni plus ni moins de l’espace. Une météorite contenant cet alliage s’était écrasée sur Terre il y a des années, et récemment, un peu après que Livédia n’intègre le corps scientifique de la Team Rocket, le professeur Cubens en avait trouvé la trace dans la région Mandad, et avait lancé une expédition pour ramener ce métal. Livédia en avait fait partie. Ils avaient dû se battre avec la Garde Noire, l’organisation dirigeante à Mandad, pour s’emparer du Sombracier. Suite à cela, le professeur Cubens avait été chargé de découvrir les propriétés de ce métal fascinant pour améliorer la technologie de la Team Rocket, afin qu’elle puisse prendre l’ascendant sur tous ses autres rivaux.

– En conclusion, conclut Cubens, on ne pourra utiliser le Sombracier que sur des objets. Par exemple, pour rendre nos appareils indestructibles.

– En effet, approuva Natael. Mais on peut aussi envisager l’hypothèse de créer des objets avec le Sombracier, justement. Un robot indestructible, peut-être.

– Cela est-il possible ? demanda Livédia, sceptique. Une densité qui peut affaiblir des organismes vivants peut sans nul  doute détraquer tous circuits électroniques.

– Cela dépendra du placement de ces circuits, et de la source énergétique utilisée, répondit Natael. Il y a certes beaucoup de constantes et de variables à prendre en compte, mais je pense que ça vaut la peine de chercher un peu.

– Très bien, fit Cubens. Voyons cela.

Ils passèrent toute la journée à étudier si l’idée d’un robot fait de Sombracier était viable. Au final, ils en conclurent que techniquement, rien ne s’y opposait, mais que le travail pour un tel projet serait énorme.

– Je ferai part à Madame Boss de cette idée, leur dit Cubens. Ça pourrait être la plus grande avancée technologique de ce siècle. Soyez fiers de ce pourquoi vous travaillez, mes enfants.

Livédia l’était. Pas tant pour ce qu’elle faisait que de la fierté qu’elle apportait à son père. Elle avait fini première dans toutes les classes qu’elle avait faite, elle avait eu son diplôme d’ingénieur en physique quantique avec mention et avec cinq ans d’avance. Tout ça pour pouvoir intégrer la Team Rocket, ce qui avait toujours était le souhait le plus profond de son père, lui qui avait été l’un de ses fondateurs. Mais elle aimait aussi son métier. La science était pour elle l’une des choses les plus formidables de ce monde.

Quand Cubens les libéra pour aujourd’hui, il était dix-huit heures. Elle avait rendez-vous avec le colonel Tender à vingt-heure, au mess des officiers, que le colonel avait apparemment fait entièrement réserver pour eux. Alors que généralement, Livédia restait un peu au labo pour continuer à travailler, cette fois, elle décida de rentrer dans ses quartiers pour se préparer. En femme entièrement consacrée à la science, la coquetterie n’était pas trop son genre, mais elle n’allait sûrement pas se pointer à ce dîner avec le commandant de la base en blouse blanche de chercheur.

Livédia avait ses appartements dans l’aile nord de la base, là où se trouvaient les plus luxueux quartiers. Cette base, qui était la plus grande de tout Kanto, pouvait se le permettre. 70% de son personnel était des militaires, et logeaient donc par conséquent dans les dortoirs. Quelques rares personnes, comme les hauts officiers, disposaient de leur quartier privé. En revanche, tout le personnel civil, comme le corps scientifique, avait leur chambre à eux tout seul. Et celle de Livédia était particulièrement grande. Peut-être à cause du nom de son père.

Quand elle entra dans son appartement, elle entendit le son d’une télé qu’on éteignait précipitamment, puis le bruit d’un placard qu’on ouvrait et qu’on fermait. Livédia sourit. Zeff avait pris cette habitude de se cacher pour la surprendre quand elle rentrait. Mais comme elle était rentrée plus tôt, c’était lui qui avait été surpris. Quand elle passa dans le petit salon, qui ne contenait qu’un seul placard, elle s’interrogea à haute voix :

– Tiens, tiens, mais où peut donc se trouver Zeff ce soir ?

Comme un signal à son attention, un petit garçon surgit du placard en criant de joie. Livédia fit mine d’être surprise, puis enserra le garçon dans ses bras. Zeff avait six ans, était plutôt grand pour son âge, et possédait des cheveux blonds et des yeux gris.

– Liv ! Tu ne rentres pas comme d’habitude aujourd’hui ! s’exclama le garçonnet.

– Oui. Je t’en ai parlé. C’est parce que j’ai ce repas avec le colonel, tu te rappelles ?

Zeff se renfrogna. Oui, il se souvenait. Et il n’était pas content. Il n’appréciait guère quand Livédia partait avec quelqu’un en le laissant seul.

– Allons allons, tu es un grand garçon, maintenant, lui dit Livédia. Tu peux survivre deux heures sans moi le soir. Et du coup, tu pourras manger ce que tu veux et regarder le film de ton choix.

Cette perspective le fit réfléchir et sembla le consoler assez. Zeff était un petit garçon que Livédia avait recueilli sept mois plus tôt, justement lors de cette expédition dans la région Mandad pour trouver le Sombracier écrasé. Les parents de Zeff avaient été sauvagement assassinés par la Garde Noire, une bande de sauvages en armure qui apportaient mort et souffrance partout où ils passaient. Le petit garçon avait été épargné, étrangement, et laissé seul dans cette maison en ruines, affamé et sale. Livédia n’avait pas pu se résoudre à le laisser là, malgré les avertissements des soldats Rockets. Elle l’avait pris sous son aile durant la durée du voyage, et bien lui en avait pris, car le jeune garçon, qui connaissait bien la région, les avait guidé.

Livédia avait compté le laisser dans un orphelinat de Kanto à leur retour, mais elle s’était tant attachée au garçon durant leur périple qu’elle avait fini par l’adopter, en quelque sorte. Enfin, ce n’était pas officiel, et Livédia ne voulait pas que ça le soit. Mais la présence de Zeff à ses côtés dans cette vaste base lui faisait du bien. Zeff, quant à lui, avait promis de protéger Livédia de quoi que ce soit. Un peu trop sérieusement pour un enfant de son âge, à vrai dire ; Zeff avait apparemment était formé aux gestes élémentaires d’auto-défense et au maniement des couteaux. Mais peut-être était-ce normal dans une région sous contrôle de la Garde Noire.

Il n’était pas rare qu’il la suive dans tous ses déplacements, à quelques pas derrière elle en baraquant les épaules et en lançant des regards noirs à tous ceux qui s’approchaient d’un peu trop près. Livédia s’en était amusée. Elle appelait parfois Zeff son chevalier protecteur. C’était peut-être pour cela aussi qu’il était si réticent à laisser aller Livédia à ce dîner avec Tender.

– Le colonel est quelqu’un de très gentil, ajouta Livédia. Je ne craindrais rien, même si tu n’es pas avec moi pour assurer mes arrières.

Zeff haussa les épaules et retourna s’asseoir pour regarder la télé. C’était un garçon très intelligent, mais aussi taciturne, qui ne cherchait pas à se faire des amis parmi les autres enfants de son âge dans la base. Après ce qu’il avait vécu, c’était un peu normal. Livédia ne s’en faisait pas. Il était peu bavard aussi, bien qu’il lui parlait avec joie à elle.

La jeune femme s’enferma dans sa petite salle de bain et s’observa dans la glace. Elle voyait une jeune femme tout juste adulte, aux longs cheveux magenta et aux yeux bleus, au beau visage et au corps bien proportionné. Livédia était consciente de son physique, encore plus depuis qu’elle s’était installée à la base, où elle avait dû refuser une bonne vingtaine d’invitations à sortir de garçons un peu trop entreprenants. Être belle était parfois une malédiction. Aussi elle ne faisait rien pour s’attirer encore plus les regards intéressés des hommes et ceux jaloux des femmes.

Elle ne s’habillait jamais autrement qu’avec une de ses blouses blanches de laboratoire, et n’usait jamais de maquillage ou autre produit de beauté. Mais ce soir, c’était l’occasion de faire bonne impression. Elle passa donc un peu plus d’une heure à se laver, se coiffer et s’habiller en une robe légère à paillette qu’elle tenait de sa mère. Quand elle sortit de la salle de bain, Zeff lui jeta un long regard étrange, comme si c’était la première fois qu’il la voyait.

– Je suis comment ? demanda Livédia en tournant sur elle-même.

Zeff bégaya mais ne trouva pas les mots, continuant de la reluquer de long en large, les yeux écarquillés.

– J’en conclus que ça va. Je ne sais pas comment de temps ça va durer, Zeff, mais ne te couche pas trop tard. Inutile de m’attendre.

Elle disait ça, mais elle ne se faisait guère d’illusion. Elle retrouverait en rentrant Zeff caché sous le lit, attendant de la surprendre. C’était dix-neuf heures trente quand elle se rendit vers le mess des officiers. Toutes les tables avaient été poussées pour n’en conserver une seule à deux places. Et le colonel était déjà là, lisant une feuille de papiers d’un air mécontent. Mais son visage s’éclaira quand il la vit arriver, et il se leva. Le colonel Tender avait passé un uniforme de circonstance, noir et impeccable. Il avait de fin cheveux turquoise parfaitement coiffés, et était très élégant.

– Ah, Mlle Crust. Qu’il me soit permis de vous souhaiter le bonsoir.

Il fit le tour de la table pour tirer la chaise de Livédia, en un geste qui se voulait galant. Livédia rougit, et regarda autour d’elle, comme si elle craignait que quelqu’un ne la remarque en une compagnie aussi prestigieuse.

– Je… bon… bonsoir, c…nel…

Idiote, reprends-toi ! songea Livédia avec force.

– Vous êtes en avance, dites-moi !

– Euh… je suis désolée. Peut-être que vous aviez des choses à faire avant…

– Il n’en est rien, la rassura Tender. Je vous en prie, asseyez-vous.

Livédia obéit tout en essayant de contrôler un peu mieux sa respiration. Apparemment étranger à son trouble, Tender retourna à sa chaise et la regarda de près.

– Vous avez les yeux de votre père, conclut-il. Un grand homme, et un grand Rocket, qui m’a enseigné bien des choses. Je suis fier d’avoir servi sous ses ordres.

– Et je suis fière d’être sa fille.

Livédia sut qu’elle avait dit ce qu’il fallait. Mais c’était aussi ce qu’elle pensait, de toute façon. Livédia avait en effet ouï dire que le colonel avait été sous les ordres directs du Généralissime Karus autrefois. Ce qui expliquerait aussi la facilité avec laquelle son père l’avait fait entrer dans cette base qui était la plus importante de Kanto, si le commandant était l’un de ses anciens subordonnés.

– Comme vous le savez peut-être, continua Tender, j’aime savoir avec qui je travaille ; et plus que ce que pourrait m’apprendre un simple C.V. Bien entendu, étant donné le nombre d’hommes et de femmes qui travaillent ici, cela prend du temps, et je n’ai pas autant de temps que je voudrais à organiser ce genre de dîner. Vous m’excuserez d’avoir mis si longtemps à vous inviter, professeur.

– Il… il n’y a pas de mal, colonel. Et je ne suis pas professeur, seulement assistante.

– Peut-être, sourit Tender, mais si je vous appelais ainsi, ce serait le comble de l’impolitesse. Et puis étant donné votre dossier et les remarques du professeur Cubens à votre sujet, je ne doute pas que vous deviendrez professeur en peu de temps.

Tender claqua des doigts, et aussitôt, un serveur se pointa avec une bouteille d’un vin dont le nom seul signifiait son prix exorbitant. Et avec des gestes délicats et expérimentés, il servit les deux verres. Tender en but une gorgée puis demanda :

– Alors Mlle Crust, parlez-moi de vous. Vous êtes ici depuis presque un an. Est-ce que vous vous plaisez dans ma base ? Vous êtes-vous fait des amis ?

– Oh euh… oui. Je me sens très bien ici. Et je m’entends bien avec tout le monde. Le professeur est très aimable, et il y a Natael Grivux, son autre assistant, qui est un grand ami. Et puis, j’ai aussi mon oncle…

– Ah, vous voulez parler du commandant Penan ? J’avais cru comprendre qu’il n’était que votre parrain ?

– C’est le cas. Mais depuis que je suis toute petite, j’ai pris l’habitude à l’appeler oncle, donc c’est resté.

– Je ne connais pas le commandant autant que je le voudrais, et nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout. Mais c’est sans conteste un officier légendaire. Je crois savoir qu’il avait servi en même temps en compagnie de votre père ?

– Oui, ce sont de grands amis, acquiesça Livédia.

– Et ce petit bonhomme qui est souvent dans votre ombre ?

– Oh, Zeff ? C’est un orphelin que j’ai pris avec moi lors de notre expédition à Mandad. Il prend très à cœur ma… euh… protection personnelle. Mais sans doute que plus tard, il pourra rejoindre la Team Rocket.

– Ah oui, le major Angurs m’en avait parlé. Voilà qui est très généreux, Mlle Crust.

– C’est généreux à vous d’avoir permis qu’il reste ici.

– On accueille tout le monde dans la Team Rocket, fit savoir le colonel. Et plus ils sont jeunes, mieux c’est.

Livédia prit son verre de vin en essayant de trouver le courage de poser des questions, elle aussi. Elle était certaine que c’est ce que Tender aurait voulu ; qu’elle se sente assez à l’aise pour ça. Le vin était assez fort, et sa chaleur lui monta rapidement à la tête.

– J’ai cru comprendre que vous aviez un fils, colonel ?

– Ah oui, Lusso. C’est un garçon doué pour son âge, mais je plains l’officier qui plus tard l’aura sous ses ordres. Il a le même caractère rebelle que sa mère, paix à son âme.

Livédia savait que la femme du colonel était morte quelques années plus tôt, mais elle ignorait en quelle circonstance. Et ce n’était sûrement pas une question qu’il convenait de poser. Mais Tender en parla de lui-même.

– C’était une femme forte et courageuse, Sienela. Elle ne faisait pas partie de la Team Rocket, vous comprenez ? Mais elle acceptait le fait que ce que je faisais était dangereux pour moi, mais aussi pour elle et notre fils. Un jour, un salaud du gouvernement, qui me pourchassait, est entré chez nous alors qu’elle était seule à la maison. Mais elle n’a jamais parlé, même quand ce type lui a ouvert le ventre…

Livédia eut un haut-le-cœur et reposa brusquement son verre. Tender sortit de ses pensées et parut comprendre qu’il l’avait choqué.

– Je suis désolé, dit-il.

– N-non, c’est moi qui suis désolée, colonel, fit Livédia avec sincérité. C’est terrible…

– Oui, c’est le mot. Surtout que c’est de ma faute. Si elle avait épousé quelqu’un d’autre… ou même si elle avait dit ce qu’il voulait à ce type… Enfin, c’est pour ça que je l’ai aimée, je suppose. Et maintenant, je dois faire pénitence en acceptant de passer le reste de mes jours seul, en élevant Lusso seul, jusqu’à devenir un vieil officier sénile et grincheux qui effrayera les jeunes recrues.

Il eut un rire maussade.

– Mais vous êtes encore jeune, colonel, fit Livédia. Vous pouvez vous trouver quelqu’un d’autre, j’en suis sûre.

– Jamais je ne mettrai encore la vie d’une femme en danger. Quand on a de hautes responsabilités dans l’organisation clandestine qui est la nôtre, il faut savoir refuser l’attachement, sous peine de faire paraître des moyens de pressions à nos ennemis.

Livédia n’était pas d’accord, et le fit savoir :

– Si tout le monde avait fait comme vous, je ne serais pas là en train de vous parler, colonel. Mon père est l’un des fondateurs de la Team Rocket, et le commandant en chef de ses armées. Pourtant, il est marié.

– Votre père est le Généralissime Karus, lui rappela Tender. Aucun abruti du gouvernement, ou qui que ce soit, n’aurait les tripes de se frotter à lui.

– Beaucoup de ceux qui travaillent à la Team Rocket sont mariés, insista Livédia. Ou fréquentent quelqu’un.

– Oui. Mais ce sont le plus souvent d’autres membres. D’autres personnes qui connaissent les risques et qui les acceptent car ils travaillent pour nous.

Livédia y réfléchit et se dit que c’était vrai. Les membres de la Team Rocket se mariaient souvent entre eux. Justement à cause de ce qui était arrivé à la femme de Tender. Et aussi car il existait peu de gens qui accepteraient une relation avec quelqu’un de la Team Rocket. Ou alors, dans les cas rares où cela arrivait, ces personnes là rejoignaient leur compagnon dans l’organisation.

– Dans ce cas, dit Livédia, il existe peut-être une femme qui pourrait faire votre bonheur au sein même de cette base.

Tender lui fit un pauvre sourire.

– En tant qu’officier supérieur et commandant de cette base, il serait malvenu que j’ai une relation avec une militaire.

– Une civile alors ? Quelqu’un d’extérieur à l’armée.

– Oui. Mais je ne connais fort peu de civil, et je n’ai pas le temps d’essayer de les connaître.

 – Pourquoi suis-je là en face de vous alors ?

Tender parut surpris par la remarque, puis sourit. Livédia rougit, mais ne se sentait plus mal à l’aise avec le colonel. C’était de toute évidence un homme qui n’avait pas peur de se confier, avec qui on pouvait facilement discuter. Livédia avait souvent eu l’idée reçue comme quoi les gradés étaient des personnes rigides et strictes, peu enclins au bavardage et aux familiarités. Hegan Tender n’était pas du tout comme ça.

Ce fut un bon moment que passa Livédia en sa compagnie. Ils parlèrent d’un peu de tout et n’importe quoi, avec quelques éclats de rire à l’occasion. Le repas était divin. Livédia avait toujours l’habitude de manger rapidement un plat tout prêt à cause de son travail. Elle essaierait de faire plus souvent honneur à la cuisine du mess.

La jeune femme fut contente en quittant la table du colonel. En deux heures, elle s’était fait un nouvel ami, et pas le moindre : le commandant de la base en personne. C’était vraiment un homme charmant et de bonne nature. Livédia lui avait demandé avant de partir si elle pourrait espérer que le colonel trouve, à l’occasion, quelque temps libre dans son emploi du temps pour qu’ils puissent se revoir. Tender l’avait longuement dévisagé, puis avait dit que ça pourrait se faire. Livédia savait très bien ce qu’elle lui avait demandé, bien sûr. Elle savait aussi qu’un seul repas de deux heures était trop peu pour savoir bien jauger un homme, mais elle voulait apprendre à mieux connaître le colonel.

 
***

 
Le lendemain, Livédia avait à nouveau la tête ailleurs que dans ses notes et son ordinateur. Tandis qu'elle travaillait avec Natael sur un programme pour expérimenter le Sombracier en tant qu'alliage robotique, elle pensait aux meilleurs moments du dîner d'hier, ainsi que la hâte, l'excitation et l'appréhension de revoir bientôt le colonel. Natael ne mit pas longtemps à remarquer son air peu concentré, et après une énième erreur de calcul de la part de Livédia, il demanda :

– Alors, comment c'est passé ton dîner avec Tender ?

– Oh... Bien, très bien même, avoua Livédia. Le colonel est un parfait gentleman !

– Rien qu'avec les jolies jeunes femmes, sans doute, ricana Natael. Il a une réputation assez effrayante dans la base. C'est un dur.

– Je suis sûr qu'il peut facilement être adouci.

– Et tu vas t'en charger, je suppose ?

Livédia sut qu'elle rougissait, mais se cacha bien derrière son écran quand elle lança :

– Tu supposes trop, Natael.

– Allons, rigola le jeune homme. Y a qu'à voir ta tête. Et pour que tu fasses des calculs aussi nazes, il faut vraiment que tu sois troublée, ma vieille.

– De toute façon, ça ne te regarde pas ! réussit à dire Livédia tout en continuant à cacher son visage.

Natael éclata de rire.

– Quelle réplique ! Dommage qu'il n'y ait rien pour t'enregistrer. Ça aurait été génial pour les soirées marrantes. Mais ce gars, il doit avoir le double de ton âge, tu sais ?

– Et alors ? Je fais plus vieille que mon âge, moi, protesta Livédia.

– Oh oui, certainement, sourit Natael. Surtout avec les joues rouges, en train de soupirer comme une lycéenne devant ton écran.

– Lâche l'affaire, tu veux ?

– À vos ordres, future madame Tender.

Livédia se leva pour jeter une réplique cinglante, mais ce fut ce moment où le professeur Cubens entra dans le laboratoire, apparemment de très mauvaise humeur. Il avança d'un pas lourd vers la table pour prendre la cafetière et se verser un verre entier qu'il avala d'un seul coup. Et il se resservit ensuite.
Livédia et Natael furent tous les deux surpris et intimidés. Le professeur était souvent morne, ennuyeux, mais ils ne l'avaient jamais vu dans cet état. Ils ne posèrent aucune question, cependant. Ce fut Cubens qui brisa le silence.

– J'ai fait mon rapport à Madame Boss sur les conclusions de nos recherches concernant le Sombracier, expliqua-t-il d'un ton haché. Je lui ai présenté notre proposition de se servir du Sombracier sur des machines.

– Et alors ? demanda Natael, anxieux. Elle n'a pas accepté ?

– Oh que si. Elle était même ravie. Et c'est là le problème. Elle veut que nous lui fabriquions un robot fait de Sombracier. Un robot fait pour le combat.

Natael haussa les sourcils, et Livédia savait ce qu'il pensait. Le professeur Cubens était un grand chercheur, mais terriblement naïf. Avait-il pensé que le projet Sombracier serait utilisé uniquement pour inventer une voiture incassable ? Il n'arrivait pas à saisir l'implication de la science dans la recherche d'armes nouvelles. Pour ainsi dire, il haïssait les armes. Elles existaient pour la destruction, disait-il, alors que la science avait pour but la création. Mais à quoi s'était-il attendu en travaillant pour la Team Rocket ?

– Je pense qu'il ne s'agit que d'un premier stade, professeur, dit Livédia. Quand on aura montré qu'on est capable de construire ce que veut Madame Boss, et que ça marche, on pourra utiliser le Sombracier à notre convenance dans n'importe quel domaine.

– La question n'est pas là, répliqua Cubens. Urgania veut une machine ultime, exécutant le moindre de ses ordres, indestructible, et dont la puissance dépasse l'entendement. Il ne s'agit pas pour nous de lui bricoler une armure incassable; elle veut que nous utilisions le Sombracier aussi pour l'armement.

   – Mais le Sombracier est trop instable pour être utilisé en tant que puissance offensive ! protesta Livédia.

– Pas nécessairement, objecta Natael. Nous n'avons juste pas encore trouvé le bon équilibre, c'est tout.

– Tu soutiens ça ?! s’indigna Cubens.

– Je ne soutiens rien, professeur, répondit le jeune homme. Je fais ce qu'on me dit de faire. Je suis un scientifique, mais qui travaille pour la Team Rocket. Urgania nous finance ; il est normal qu'elle récolte les fruits de notre travail. Mais songez à la suite, professeur. Livédia à raison. Quand Madame Boss aura été satisfaite, nous pourrons utiliser le Sombracier à grande échelle. Pour tout et n'importe quoi, ce métal va révolutionner la vie des êtres humains.

Personnellement, je me fiche des projets de Madame Boss et de la Team. Peu importe ce qu'elle compte faire avec son robot indestructible. Je travaille pour la Team Rocket parce que c'est le meilleur endroit pour nous, scientifiques, pour faire progresser la recherche. La Team dispose de ressources que nous ne trouverons nulle part ailleurs. Alors la construction d'un seul robot de guerre invincible me parait être un bien faible prix à payer pour l'aboutissement de ce qui pourrait être un grand pas en avant pour l'humanité. Le professeur posa son verre de café, et secoua la tête.

– Qu'Arceus t'entende, Natael, quand tu dis que la construction de cette chose sera un faible prix à payer. Urgania n'a pas perdu de temps, et nous a déjà remis les plans de ce qu'elle veut que nous construisons. Et le pire, c'est que si ça fonctionne, ça ne sera pas le seul.

Cubens envoya à Natael un dossier qu'il portait sous le bras. Ce dernier le feuilleta. Plus il lisait, plus son visage palissait. Il reposa le dossier, livide.

– C'est... monstrueux !

Livédia lut à son tour. Les chiffres qu'elle avait sous les yeux dépassaient toutes limites. La panoplie d'armes et de puissance de destruction que pouvait contenir cette chose était ahurissante. Et le schéma représentait une masse mécanique, humanoïde, avec deux jambes et deux bras. Sur ses bras étaient dessinés deux arcs de cercles qui se terminaient en bouts pointus. Et la forme de la tête, la couleur d'un blanc nacré du corps, et celle, dorée, des arcs de cercles aux bras, et enfin le vert émeraude de ses yeux... C'était ni plus ni moins une réplique robotique façon humanoïde du Pokémon mythique Arceus, le créateur de l'Univers. En lettre soignée était tracé le nom de code de ce robot : Diox-BOT.

 
***
 

Cubens et ses deux assistants n'eurent d'autre choix que de créer cette monstruosité appelée Diox-BOT. Madame Boss avait été parfaitement claire : c'était ça, ou la porte. Et de toute façon, même sans eux, Urgania n'aurait aucun mal à trouver un autre chef scientifique qui accepte de lui créer sa machine infernale. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Cubens se disait qu'il était peut-être mieux qu'il se charge de ça : ainsi il pourrait tenter de réduire, sans que cela ne se voit, le potentiel destructeur de Diox-BOT. Mais même ainsi, le robot serait l'arme la plus puissante de l'Univers.

Il y avait tellement à faire que Livédia en avait le tournis. Entre la fabrication du métal pour l'armure, les circuits hautement complexes, l'énergie requise pour les armes, les ondes psychiques qu'ils devaient intégrer au robot, la reproduction de nombre d’attaques spéciales de Pokémon qu'il devait pouvoir lancer, et enfin, la mise en route de son intelligence artificielle qui comprenaient un croisement d'ondes cérébrales humaines pour le rendre le plus autonome possible, il y en avait bien pour deux années de travail, si ce n'était plus. De plus, Urgania leur avait fait parvenir une dizaine d'autres scientifiques en renfort. Pour Livédia, qui avait l'habitude de travailler seulement avec Natael et le professeur, c'était assez dérangeant.

Mais même si elle savait qu'elle était en train de construire une horreur, elle prenait vraiment plaisir à ce qu'elle faisait. Depuis qu'elle était rentrée dans la Team Rocket, elle n'avait guère fait de plus que l'épluchage de données, hormis l'expédition dans la région Mandad pour récupérer le Sombracier. Là, elle commençait réellement à travailler. Elle trouvait aussi une autre source de plaisir dans les rencontres, de plus en plus fréquentes, avec le colonel Tender. De plus en plus romantiques, aussi, devrait-elle dire. Ils se tutoyaient depuis des mois, à présent. Et il était clair, aux yeux et aux oreilles de tout le monde dans la base, que le colonel qui avait juré le célibat depuis la mort de sa femme s'était trouvé une jeune et belle amie qui travaillait dans l'équipe scientifique, et qui de plus était la fille du célèbre Généralissime Karus.

Pourtant, il n'y avait rien d'officiel pour le moment. Livédia y avait pris soin. Mais plus le temps passait, plus elle craignait de voir Tender lui présenter une bague de mariage ou quelque chose du genre. Pourtant, c'était elle qui avait voulu poursuivre leur relation. Elle aimait beaucoup Hegan Tender, elle devait l'avouer, mais elle ne savait pas comment elle réagirait si le colonel décidait brusquement de passer à l'étape suivante, et cette perspective l'effrayait.

Cela faisait un an aujourd'hui, jour pour jour, que Livédia avait rencontré le colonel lors de ce fameux diner. Elle doutait qu'Hegan ne s'en souvienne, ni ne s'en soucie, mais pour elle, ça avait de l'importance. C'était justement un dimanche, donc Livédia avait décidé de se rendre à l'improviste chez le colonel pour fêter ça. Elle était en train de s'habiller dans sa chambre quand Zeff entra et lui fit une déclaration :

– Liv, quand je serai grand, je me marierai avec toi !

– Ah bon ? En voilà une surprise… fit Livédia d'un air absent en arrangeant sa coiffure.

– Oui, dit le petit garçon avec le plus grand sérieux. Comme ça je serai toujours avec toi pour te protéger.

– Tu es gentil mon chou, mais quand tu seras en âge de te marier, je ne serai plus qu'une vieille peau à tes yeux.

– Même pas vrai ! Tu seras toujours aussi belle. Et on a que... que... euh... (il compta difficilement sur ses doigts) douze ans de différence !

– Douze ans, c'est déjà trop.

– Ah ? Et combien tu as de différence avec le colonel ?

Livédia arrêta son geste pour se coiffer, surprise par la question du garçon. Il n'avait pas demandé ça par plaisir de casser son raisonnement ou pour l'embarrasser. Non, Zeff n'était pas comme ça. Mais de toute évidence, elle l'avait sous-estimé. Elle oubliait souvent qu'en dépit de son jeune âge, il était très intelligent et mâture.

– Euh... dix-sept, je crois, finit-elle par répondre avec un sourire embarrassé. Mais tu sais Zeff, les hommes préfèrent généralement les femmes plus jeunes qu'eux. Et les femmes préfèrent les hommes plus âgés. C'est comme ça.

Depuis que Livédia avait commencé à fréquenter le colonel, Zeff avait redoublé d'efforts pour se faire remarquer. Il était jaloux, Livédia l'avait tout de suite vu. Jaloux qu'elle puisse avoir quelqu'un d'autre dans sa vie que lui. Elle se pencha pour le serrer dans ses bras.

– Tu auras toujours la même place dans mon cœur, Zeff, lui dit-elle. Rien ne pourra changer ça. Mais pourquoi n'essaierais-tu pas de connaître un peu plus le colonel ? Ou son fils, alors ? Lusso est quelqu'un de très gentil...

– C'est un idiot, répliqua Zeff. Il n'arrête pas de faire des bêtises. Lui et son copain Tuno. Puis de toute façon, ils ne me veulent pas dans leur bande.

Lusso Tender avait quelques années de plus que Zeff. C'était un peu le leader des jeunes Rocket, comme il s'appelait lui-même. Lui et d'autres enfants de son âge passaient la journée à faire les quatre-cent coups à la base. Il avait un grand ami de son âge, Tuno, et tous les deux étaient les chefs de leur petite bande. Mais de l'avis de Livédia, ce n'était pas tant eux que Zeff qui posait problème. Livédia connaissait Lusso et Tuno. C'était des enfants tapageurs, mais gentils, qui ne refuseraient pas à prendre avec eux un autre jeune garçon. Mais encore une fois, Zeff faisait preuve d'une asociabilité hors du commun.

Quand elle entra dans les quartiers du colonel, ce fut son jeune fils qui l'accueillit. Livédia n'avait jamais connu la défunte femme du colonel, mais elle était certaine que Lusso lui ressemblait, car le garçon n'avait pratiquement aucun des traits de son père, si ce n'était un petit quelque chose dans son menton. Pour le reste, il avait des cheveux violets dru et épais, alors que son père avait les cheveux fins et couleur lavande. Puis Lusso avait les yeux verts, contrairement à Hegan qui les avait brun foncé.

- Liv ! s'exclama le garçon. Tu m'as rapporté quelque chose, dis ?

Livédia lui fit un clin d'œil en lui donnant discrètement une sacoche de friandises. Lusso avait bien accepté la présence de Livédia dans sa vie, surtout en raison des cadeaux qu'elle lui faisait à chaque fois qu'il la voyait. Elle savait qu'elle ne remplacera jamais sa mère, et de toute façon, Livédia n'avait pas cette prétention. Mais elle espérait devenir un peu comme une grande sœur pour lui, si jamais quelque chose se concrétisait entre Hegan et elle. Le jeune garçon cacha son présent dans une poche de son pantalon.

- P'pa ! Liv est là, appela-t-il.

Le colonel Tender sortit du salon, affublé d'un uniforme de cérémonie encore plus impeccable que son uniforme habituel. Livédia savait qu'elle était mal tombée. Quand Tender enfilait cette tenue, c'était généralement pour des funérailles d'un membres de la Team Rocket, ou, plus rare, d'un mariage. Il était courant que les membres de la Team qui se mariaient entre eux veuillent célébrer leur mariage à la base, et Tender, en tant que chef de cette ce lieu, avait pour prérogative d'y présider. Dans tous les cas, il n'aurait sûrement pas de temps à accorder à Livédia aujourd'hui.

– Ah, Livédia, fit-il d'un air embarrassé. J'ignorais que tu passerais aujourd'hui, sinon je t'aurai prévenu...

– Ce n'est pas grave, lui assura-t-elle. Tu te dois à tes obligations de commandant de la base.

– Ce n'est pas une affaire de la base cette fois, sinon j'aurai très bien pu faire semblant d'être malade pour rester avec toi. Madame Boss démissionne, et cède la place à son fils unique, Giovanni, l'Agent 001.

– Vraiment ? s’étonna Livédia.

Madame Boss était encore jeune. Du moins le paraissait-elle. C'était étrange qu'elle cède sa place si vite.

– Je suis convié au quartier général pour la passation de pouvoir, en tant que commandant de cette base, mais aussi en tant qu'ami de Giovanni. On a fait pas mal de missions ensemble, et il m'a bien formé aux combats Pokémon.

– Je vois. Eh bien, je suis contente pour toi. C'est utile d'avoir le patron comme ami.

– Tu peux venir avec moi, proposa Tender avec empressement. Ça me ferait plaisir, et il y aura sûrement un grand dîner là-bas.

– Mais... je ne suis qu'une assistante scientifique... je n'ai aucune invitation.

– Tu es avec moi, personne ne dira rien, assura Tender. Et ton père sera là-bas sans doute, aussi.

– Oh ? rigola Livédia. Tu serais prêt à lui annoncer toi-même notre petite relation ? Tu es bien courageux. Un dîner officiel avec toutes les grandes pompes de la Team Rocket n'a jamais été une excuse pour lui pour l'empêcher de commettre un meurtre.

– La vie est faite de dangers. C'est ça qui la rend amusante.

Hegan se pencha et pressa ses lèvres contre les siennes. La jeune femme lui rendit son baiser, en ayant la certitude d'être la Rocket la plus chanceuse et heureuse du monde. Ils partirent donc pour le quartier général de la Team à bord de l'appareil personnel du colonel. Livédia ne fit pas trop attention au trajet, mais il lui semblait qu'ils se trouvaient à Johto. Une foule était déjà massée dans la cour de l'immense base, avec des banderoles ornées du R rouge de la Team Rocket. Tender, en lui prenant la main, l'amena vers le petit groupe de tête, qui était composée de Madame Boss, de son fils, de quelques Agents Spéciaux et de différents généraux de la Team Rocket. Livédia eut soudain le trac. Tant de personnes importantes, pour elle qui n'était pas grand-chose...

Madame Boss était la plus voyante et la plus reconnaissable, avec sa tenue entièrement blanche et immaculée, qui contrastait avec ses cheveux violets et ses yeux rouges. C'était des yeux pas naturels, trop dilatés, comme ceux d’un félin, qui firent frissonner Livédia. Et ce n'était pas la chose la plus étrange chez Madame Boss. Non, le plus remarquable, c'était qu'en dépit du fait qu'elle avait un fils de plus de trente ans, elle semblait n'avoir guère plus que l'âge de Livédia. Elle était belle, et faisait terriblement jeune, comme si la vieillesse était une notion inconnue pour cette femme. Les rumeurs faisaient aussi mention des pouvoirs paranormaux de Madame Boss. Nul doute que cette femme était bien plus qu'une simple humaine.

Son fils, l'Agent 001 Giovanni, était un homme distingué aux cheveux châtains coiffés à la perfection. Il était habillé d'un costume noir impeccable, avec un petit R rouge brodé sur la poitrine, et il affichait ostensiblement ses Pokéball à sa ceinture, signe de sa fierté de dresseur. Livédia avait d'ailleurs entendu dire qu'il était champion d'arène de la région Kanto. Tender s'approcha jusqu'à eux et s'inclina parfaitement devant Madame Boss, et Livédia s'empressa de l'imiter. Puis il salua militairement les généraux, et enfin serra la main du tout nouveau Boss d'une façon si naturelle et décontracté qu'elle en devenait déplacée. Livédia, elle, se contenta de s'incliner rapidement devant tout le monde, les joues rouges.

- Ah, Hegan, mon ami, je suis content que tu sois là, dit Giovanni. Qui est ta charmante amie ?

– Monsieur, je vous présente Livédia Crust. Elle est la fille unique du Généralissime Karus, et l'une de nos plus brillantes scientifiques à la base.

Le futur Boss de la Team Rocket lui prit la main pour effectuer un baisemain impeccable, comme si elle était une espèce de Chef d'Etat.

– Encore une fois, Hegan, tu sais toujours comment bien t’entourer, le complimenta Giovanni. Votre présence ici nous illumine tous, mademoiselle Crust.

– Euh... je... non... merci... balbutia Livédia.

 Ce fut pire quand Madame Boss en personne vint la saluer.

– La fille de Karus, hein ? fit-elle d'une voix suave et vibrante. Je suis heureuse de vous rencontrer enfin. Votre père a été pour moi un précieux collaborateur. D'ailleurs, où est-il, ce vieux grigou ?

– Le Généralissime ne va pas tarder, madame, répondit l'un des généraux. Il tenait à s'assurer que la sécurité pour la cérémonie était optimale.

– Je suis là, non ? Quelle preuve de plus lui faut-il pour la sécurité ? Sa paranoïa ne cesse de grandir avec l'âge...

Livédia ne put qu'acquiescer mentalement. Son père était un militaire de génie, le fondateur de l'armée de la Team Rocket, mais il avait de plus en plus tendance à ne plus faire la différence entre une poignée de main et une tentative de meurtre.

Madame Boss et les autres commencèrent à parler de politique et d'affaires internes. Livédia demanda poliment à Tender la permission de se retirer, et elle alla faire un tour du côté des tables de nourriture. Elle croisa quelques visages familiers, comme son oncle Penan, qui discutait avec d'autres militaires une bouteille de vin à la main. Elle reconnut aussi 'un homme qu'elle avait parfois vue en compagnie de son père pour avoir fait des missions sensibles avec lui : l'Agent 008, celui qui se faisait appeler Acutus. Cet homme au regard pénétrant et tranchant, et au visage entourée de bandelettes noires, lui avait toujours fait un peu peur, aussi s'éloigna-t-elle rapidement de son champ de vision. Et sans faire exprès, elle percuta quelqu'un qui tenait un verre et qui renversa tout son contenu sur sa robe. Livédia constata qu'il s'agissait d'une petite fille, aux cheveux châtains soyeux et aux yeux bleu marines.

 – Oh... Oh ! Je... je suis désolée, madame, bredouilla-t-elle en s'inclinant. Votre jolie robe... Je vais nettoyer tout de suite ! Désolée, désolée...

– Non, non, ma chérie, ne t’inquiète pas, lui dit Livédia d’un ton rassurant. Cest moi qui ne regardais pas où j'allais. Ça séchera bien assez vite.

La petite fille parut surprise, puis suspecte, comme si elle n'avait pas l'habitude qu'on lui parle gentiment. Elle balbutia encore des excuses désordonnées puis prit la fuite. Livédia la regarda partir, étonnée.

– Tu devrais faire attention, fit une voix rauque derrière elle. Cette gamine pourrait être ta « Madame Boss » dans le futur.

Livédia connaissait cette voix. Elle se retourna pour voir un homme, environs la cinquantaine, aux cheveux blancs toujours aussi drus et épais, et aux yeux bleu clair comme les siens. La jeune femme le prit dans ses bras.

– Papa. Tu as déjà fini de vérifier s'il n'y avait pas de bombe cachée sous une des tables du buffet ?

– C'est ça, moque-toi, grogna Karus. Mais figure-toi que pas plus tard que ce matin, j'ai failli glisser sur un excrément de Pokémon. Je suis certain que l'assassin a fait exprès de le placer sur mon chemin. Sans doute espérait-il que je tombe et que je me brise la nuque.

– C'est ta paranoïa qui finira par te tuer, pas ton assassin imaginaire, répliqua Livédia. Et que voulais-tu dire par future Madame Boss ? Qui est cette fille ?

– C'est Estelle, la fille aînée de Giovanni. Apparemment, notre nouveau boss place beaucoup d'espoirs en elle pour le futur de la Team Rocket. Et toi, que fais-tu là au juste ? Même ton patron Cubens n'a pas été invité. Comme s'il avait eu envie de venir d'ailleurs...

– Je suis venue avec Hegan, répondit Livédia.

– Hegan... tu veux dire Tender ?! D'où que tu l'appelles par son prénom ? Vous êtes ensemble ?! Il est où, ce gamin, que j'aille lui dire ma façon de penser ?!

– Je sors avec qui je veux, papa. Et Hegan est un parfait gentilhomme. Il me fait un peu penser à toi, d'ailleurs. Enfin, sans les cheveux blancs et la paranoïa excessive.

– La vie de femme de militaire n'est pas faite pour toi.

– Qui a parlé de ça ? Je ne suis pas mariée, ni même fiancée. On est plus comme à ton époque, papa, où vous épousiez automatiquement votre première petite-amie.

Karus eut un rire bref.

– Ma pauvre enfant... Sache que j’ai fréquenté nombre de femmes avant de rencontrer ta mère. Mais Tender avait une épouse, autrefois. Tu sais ce qui lui est arrivée ?

– Sa femme n'était pas une Rocket, papa. Je doute que le gouvernement ou une Team concurrente tente de m'attaquer pendant que je suis à la base, et je ne sors pratiquement jamais.

– Pratiquement jamais, ce n'est pas jamais. Il suffit d'une seule fois. J'aimerais que tu vives assez longtemps pour que tu puisses me présenter mes petits-enfants, ma fille.

Livédia secoua la tête, mi-exaspérée, mi-amusée.

– Et comment suis-je censée te présenter tes petits-enfants si tu ne me laisses pas loisir de les faire avec qui je veux ? De toute façon, avoir des enfants est le dernier de mes soucis pour le moment.

Ils revinrent plus tard auprès des autres, où Karus se montra à la limite de l'impolitesse envers Tender, mais le colonel ne s'en formalisa pas. Livédia fut surprise et génée d'entendre son père appeler Monsieur Giovanni « gamin » ; apparemment, il le connaissait depuis qu'il était tout jeune, et l'avait pas mal formé à la stratégie militaire et Pokémon. Karus s'adressait aussi à Madame Boss en la tutoyant et en l'appelant par son prénom. Livédia savait que Karus avait été l'un des premiers associés de Madame Boss lors de la création de la Team Rocket.

Puis la cérémonie de passation de pouvoir débuta. Ce fut bref et sans pompe. Madame Boss fit un petit discours annonçant qu'elle quittait la direction de l'organisation pour s'adonner à « d'autres travaux », et qu'elle nommait son fils à sa place. L'ascension de Giovanni fut très applaudie. Contrairement à sa mère qui se mêlait rarement à ses hommes, l'Agent 001 s'était très vite attiré le respect de la plupart des Rocket en travaillant au plus près d'eux.

 Le père de Livédia en profita pour annoncer lui aussi sa retraite. Ce n'était apparemment pas prévu, et nombre de hauts gradés furent surpris. Il nomma lui-même, avec l'accord de Giovanni, son successeur en tant que commandant suprême de l'armée Rocket : le général Curlin Boxtown. Le premier acte de Giovanni en tant que Boss fut de promouvoir Hegan Tender au grade de général. Ce ne fut pas vu autrement que par l'amitié que Giovanni vouait à Tender, mais il n'y eu personne pour s'en plaindre. Livédia, ravie pour Hegan, applaudit bruyamment avec les autres.

 
***
 

Nul n'ignorait plus à présent, que ce soit à la base ou même dans le reste de la Team Rocket, que Livédia Crust, la jolie scientifique qui bossait avec le vieux Cubens sur un projet top secret, et qui était de plus la fille de l'ex Généralissime Karus, sortait avec le tout nouvellement promu général Tender, ami du nouveau Boss. Pour beaucoup de mauvaises langues, les hautes relations faisaient bien les choses. Mais Livédia n'avait cure de ce que les gens pensaient. Elle se plaisait avec Hegan, et entendait bien rester avec lui.

Elle n'avait guère de temps à passer avec lui, cela étant. Le projet Diox-BOT nécessitait de plus en plus de travail. Le Boss Giovanni, loin de désapprouver l’idée de sa mère, avait même raccourci le délai de fabrication. Les militaires de la base étaient à présent tenus d'assister les scientifiques dans l'acquisition d'éléments propres à la construction de Diox-BOT. Inutile de préciser que ça ne les enchantait guère, surtout qu'ils ignoraient parfaitement sur quoi travaillaient les scientifiques.

Tandis qu'elle travaillait au cryptage d'un code supra-neuronal de l'intelligence artificielle du robot sur ordinateur, Livédia se surprit à songer à la nuit qu'elle avait passé la veille avec Hegan, hautement romantique, pour ne pas dire autre chose. Il lui semblait évident que le général allait la demander en mariage dans peu de temps. Livédia était impatiente, mais aussi anxieuse. Qu'est-ce qui changerait pour elle si elle se mariait avec le commandant de la base ? Hegan accepterait-il qu'elle garde Zeff avec elle ? Il avait déjà un fils. Et ça rendrait la situation peu évidente pour les deux jeunes garçons. Livédia ne considérait pas Zeff comme son fils, ni Lusso, mais qu'en serait-il si elle vivait avec Hegan ?

Livédia avait un moment envisagé de confier Zeff à son oncle, le commandant Penan. Il formait plein de jeunes pour la future génération de la Team Rocket, et il s'y prenait bien avec les enfants. Mais elle avait renoncé à cette idée. Elle n'avait pas envie de se séparer de Zeff, ce garçon qui faisait partie intégrante de sa vie depuis plus d'un an. Et puis, lui aurait vu ce geste comme une infâme trahison. Elle avait pris une responsabilité en acceptant de garder et de s'occuper de ce garçon. Elle ne pouvait pas le bazarder quelque temps après parce qu'elle avait enfin rencontré un homme.

 Le projet Diox-BOT avançait bien, de son côté. Ils avaient utilisé le Sombracier pour créer l'armure du robot. D'un blanc de marbre, avec des lignes gracieuses qui évoquaient à la fois la puissance, l'inébranlable et le divin, Livédia devait avouer que cette représentation mécanique d'Arceus était impressionnante. Elle était fière de ce qu'ils faisaient, malgré les réserves du professeur Cubens. Le meilleur, c'était qu'étant donné la grande résistance du Sombracier, ils n'avaient pas eu besoin de tout utiliser pour l'armure de Diox-BOT. En fait, il en restait la moitié. Et le Boss avait ordonné la création d'un autre robot du même type avec la moitié de Sombracier qu'il restait.

Mais avant, ils devaient finaliser le cerveau moteur de Diox-BOT. Afin d'en faire le robot le plus proche de l'intelligence humaine possible, on lui avait créé une banque de données qui pouvait copier les ondes cérébrales humaines. Ainsi, si Livédia lui avait intégré ses propres ondes, reproduction de l'ensemble de ses neurones, Diox-BOT serait devenu une réplique par l'esprit, avec ses souvenirs, ses sentiments et son caractère. Livédia avait copié une partie de ses ondes cérébrales dans la banque de données de Diox-BOT, mais elle n'avait pas été la seule. Tous les scientifiques du projet l'avaient fait, pour que la personnalité de Diox-BOT soit totalement nouvelle, le fruit de la fusion des esprits de tous ses créateurs.

Mais il fallait bien deux années entières, voire plus, pour que les ondes fusionnées deviennent une réelle intelligence artificielle. Et puis il restait quelques matériaux à ajouter à l'algorithme de Diox-BOT avant qu'il ne soit totalement terminé. Livédia avait été chargée par Cubens de se procurer l'un d'entre eux : les ondes delta d'un Neitram. Ce Pokémon, de type extraterrestre, était connu pour avoir le cerveau le plus développé de tous les Pokémon, et Cubens voulait une copie de ses ondes pour diriger de façon optimale l'afflux de donnée que Diox-BOT aurait à traiter.

Le souci, c'était que personne dans la base ne possédait un tel Pokemon, assez peu commun. Et Livédia avait reçu une réponse négative à sa demande au Quartier Général, signe que là-bas non plus, ils n'en avaient pas. Elle s'était donc résolue à aller en chercher un sauvage. Les données sur lui indiquaient qu'on pouvait en trouver dans la région d'Unys, à un certain endroit uniquement. N'ayant jamais mis les pieds à Unys, Livédia demanda un petit transport aérien et un pilote à Hegan. Mais ce dernier n'aimait pas trop le fait qu'elle aille si loin seule, juste pour trouver un seul Pokémon.

– Ça serait plus simple d'en voler un, lui avait-il dit. Je peux t'arranger ça rapidement ; la Team Rocket détient les plus vastes données sur chaque dresseur de Kanto et Johto et sur leurs Pokémon.

– Tu sais que je n'aime pas le vol de Pokémon, avait répliqué Livédia. Et puis il me faut juste un enregistrement de ses ondes, pas le Pokémon lui-même.

– Eh bien dans ce cas, pas besoin d'aller à Unys non plus. Tu peux simplement te contenter de demander gentiment à un dresseur du coin qui en possède un s'il veut bien te laisser enregistrer les ondes de ce Pokemon. Dis-lui que tu es une scientifique et que c'est pour un projet dans le but d'améliorer la recherche.

– Ce qui est vrai, d'ailleurs, avait souri Livédia.

  Hegan lui trouva un dresseur possédant un Neitram dans la demi-heure suivante, grâce aux banques de données géantes de la Team Rocket. Un certain Jon Stuck, originaire de Lavanville, qui se trouvait actuellement à Acajou, dans la région Johto. Ce n'était certes pas Kanto, mais c'était bien plus proche qu'Unys.

- Mais tu n'es pas obligée d'y aller toi, avait continué à protester Tender. Tu dois être occupée dans ton labo. Je peux envoyer quelqu'un qui ira...

– Hegan, le professeur Cubens me l'a demandé à moi. Les missions sur le terrain font aussi partie du travail d'un scientifique, et puis un peu de temps hors du labo me fera le plus grand bien.

– Très bien. Mais prends deux sbires avec toi, au cas où.

– Je suis une grande fille. Je peux me débrouiller toute seule. Et puis, je doute que ce Jon ne veuille bien coopérer s'il me voit accompagnée de deux Rockets en uniformes.

Tender avait fini par céder. Livédia savait qu'il ne pensait qu'à bien, mais son attitude protectionniste l'étouffait un peu. Certes, elle n'avait pas de Pokémon, ni une ceinture noire de judo, mais elle avait quand même subi un entraînement d'autodéfense en intégrant la Team Rocket, ainsi qu'un de tir. Elle avait même amené son petit pistolet que son père lui avait offert quand elle avait eu l'âge de commencer à sortir avec les garçons. Bon, en fait, il lui en avait offert deux à cette époque, mais un faisait amplement l'affaire. Elle allait à Johto, pas à Mandad chez la Garde Noire.

Elle dut quand même accepter l'hélico et le pilote que lui donna Hegan pour aller jusqu'à Acajou. Livédia aurait pu très bien prendre le train magnétique de Safrania jusqu'à la capitale de Johto, Doublonville, et de là gagner Acajou en bus. Ou même le ferry qui faisait la liaison Carmin sur Mer - Oliville. Ou même encore l'avion. Mais bon, il ne fallait pas trop en demander à Tender non plus, aussi accepta-t-elle.

Le pilote traita Livédia comme si elle était l'impératrice mondiale. Après tout, pour les soldats, on ne rigolait pas avec la fiancée du général. Livédia lui demanda de se poser à distance d'Acajou, pour ne pas éveiller les soupçons, et lui ordonna de l'attendre dans l'appareil. Elle parvint en ville une heure de marche plus tard. Acajou était une ville tranquille et paisible, et le Lac Colère, qui se trouvait au nord, en faisait un haut lieu touristique de la région. Maintenant, elle devait trouver ce fameux dresseur, Jon Stuck, mais elle n'avait aucune adresse. Elle alla demander des renseignements à l'arène de la ville. Généralement, tous les dresseurs y passaient un moment ou un autre. Le champion, un homme dans la fleur de l'âge et au visage buriné du nom de Fredo Pryce, affirma avoir bien affronté Stuck il y a quatre jours.

– La dernière fois que je l'ai vu, il était au Lac Colère, lui dit-il. Il a perdu contre moi, et a décrété qu'il ne quitterait pas le lac tant qu'il ne serait pas assez entraîné pour me vaincre. Il doit encore être en train de combattre les Léviator.

Livédia se rendit donc là-bas, en profitant pour respirer le grand air de Johto. Elle était née à Johto, même si elle avait passé toute sa vie à Kanto. Beaucoup disaient que Kanto et Johto ne formaient qu'une seule et même région, que l'herbe y était identique, mais Livédia n'était pas d'accord. La preuve en était qu'on n'y trouvait pas les mêmes Pokémon. Et eux étaient bien plus doués que les humains pour différencier les environnements.

Alors qu'elle n'était plus qu'à un kilomètre du lac, elle entendit un énorme choc sourd, comme une explosion, puis plusieurs cris étouffés. Peut-être les Léviator qui étaient de mauvaises humeurs, songea Livédia. Mais non. Plusieurs gens s'enfuyaient en courant du Lac Colère, terrifiés. Les Léviator, auxquels ils étaient habitués, n'étaient sûrement pas les responsables. Sa prudence céda le pas face à sa curiosité, et Livédia continua son chemin en courant. Au-dessus du lac, deux silhouettes se percutaient et s'envoyaient divers rayons qui, en se croisant, provoquaient les explosions qu'elle avait entendu. Sous la puissance de leur combat, le lac était agité, l'eau sortait de son nid et les Léviator mugissaient, affolés.

Livédia, restant à une distance prudente, plissa les yeux pour tenter d'apercevoir les deux Pokémon qui se battaient. Mais elle constata, à sa grande stupeur, qu’ils ne s’agissaient aucunement de Pokémon, mais bien d’humains. L'un d'eux était un homme qui semblait âgé, aux cheveux gris en broussailles et au visage dur. Il lui manquait un œil, et il lançait des rayons noirs sur son adversaire. Ce dernier était bien plus jeune, avec un visage intact et de longs cheveux bleu foncé. Lui lançait des rayons d'un blanc nacré et étincelants.

Livédia était subjuguée et paralysée par ce combat incroyable. Ces deux hommes étaient entourés d'une lueur surnaturelle et ils volaient et tournoyaient au-dessus du lac comme n'importe quel oiseau. Elle était une scientifique, et en tant que tel, son esprit n'acceptait pas cette déferlante de phénomènes surnaturels. Aussi resta-t-elle là, sur la rive, paralysée et son regard ne quittant pas la confrontation des deux hommes.

Au bout d'un moment, après s'être lassés de se rentrer dedans et de s'envoyer des rayons qui s'annulaient entre eux, les deux adversaires se mirent à lancer d'autres choses. Livédia n'arrivait pas à dire ce que c'était ; peut-être bien des attaques de Pokémon, mais inconnues d'elle. La jeune scientifique crut les attendre parler aussi, peu avant de lancer leurs attaques. Cela fit redoubler l'affrontement d'intensité. Des tourbillons et des typhons apparurent à la surface du lac, et les Léviator, terrifiés, ne savaient plus où se mettre pour échapper à ce chaos.

Une attaque inconnue de son adversaire envoya l'homme aux cheveux gris et à l'œil en moins près de Livédia. Quand il la vit, son visage se tordit d'un sourire qui n'avait rien de bienveillant, mais Livédia n'aurait pas été capable de faire un pas. De si près, elle sentait une pression formidable se dégager de cet homme, qui paralysait tous ses muscles et réduisait sa volonté à néant. L'homme leva les bras, et fit :

 – J'invoque la Succion du Damné !

Un cercle rouge apparut entre les mains tendues de l'homme, et aussitôt, Livédia se sentit vidée de ses forces. Un douloureux bourdonnement envahit sa tête, et elle se sentit tomber à genoux. Derrière l'homme, les Léviator semblèrent connaître le même phénomène, leur énergie vitale aspirée par ce que l'homme avait invoqué.

Livédia se dit qu'elle allait mourir ici, sans comprendre ce qui lui arrivait, sans comprendre pourquoi. Elle sentait déjà les griffes froides de la mort se refermer sur elle. Mais elle sentit aussi autre chose. Une faible chaleur qui tentait de faire barrage. Elle ouvrit difficilement les yeux, et vit que l'autre homme aux cheveux bleus était arrivé. Il semblait lui aussi faire les frais de la succion de son adversaire, mais ne semblait pas s'en inquiéter.

– Tu veux mon Flux, Miridas ? demanda-t-il. Tiens, je te l'offre volontiers.

Il croisa ses mains de haut en bas en un mouvement compliqué. Le dénommé Miridas eut l'air soudainement effrayé, et sa succion prit fin. Livédia put mieux respirer.

– Tu n'oserais pas ! s'écria Miridas.

– Tu n'as pas fait grand-chose dans ta vie, répliqua l'homme aux cheveux bleus en achevant son mouvement des mains. Les dégâts dans la ligne du temps seront minimes.

 Miridas secoua la tête.

 – Tu bluffes, fit-il avec un sourire assuré, mais des gouttes de transpiration venaient gâcher son assurance.

L'autre haussa les épaules, puis s'écria :

– J'invoque le Malefeu !

Une petite flamme noire commença à grandir entre les mains tendues de l'homme. Miridas poussa un cri d'effroi et disparut aussitôt dans un flash de lumière noire, comme s’il n’avait jamais été là. Livédia dut cligner des yeux plusieurs fois pour vérifier qu’elle n’avait pas halluciné. L'homme aux cheveux bleus, toujours là lui, éteignit la flamme noire et baissa la main, l'air embêté. Puis ses yeux d'un vert émeraude se posèrent sur Livédia.

– Je suis désolé de vous avoir impliqué là-dedans, dame. Venez. Je l'ai effrayé pour un moment, mais il va revenir.

Il souleva Livédia comme s'il s'agissait d'une petite enfant, et se mit à se déplacer très vite. Livédia voyait les arbres passer à grande vitesse, et quand elle baissa les yeux au sol, elle se rendit compte qu'ils étaient en train de léviter à plus de deux mètres.

– Je vous ramène en ville, fit l'homme. Il vous faudra juste vous reposer une heure ou deux pour récupérer de la Succion du Damné de Miridas, mais elle n'exige aucun soin particulier.

– Att-Attendez, bredouilla Livédia. Mais... qui êtes-vous...?

Elle aurait aimé poser la question « qu'êtes-vous », mais ça semblait assez malpoli envers un homme qui venait de vous sauver la vie.

– Un illustre inconnu de passage. Moins vous en saurez sur moi, mieux ça vaudra pour vous.

– Non, au contraire, je veux savoir ! protesta Livédia. Je suis scientifique ! Je veux… non, j’exige de savoir comment vous et cet homme avaient réussi ces prodiges ! Êtes-vous un G-Man ?

L'existence de ces hommes et ces femmes, très peu nombreux, qui possédaient des pouvoirs propres aux Pokémon était connue de tous. La science moderne avait révélé que la cause était une tranche d'ADN très rare et transmissible qui se rapprochait de celle des Pokémon.

– Non, je ne suis pas de ceux que vous appelez G-Man, répondit l'homme, tout en continuant de flotter dans les airs en la portant.

– Vous ne pourriez pas me poser ? demanda Livédia. Je me sens assez en forme pour marcher. Si des gens nous voient...

– Aucun risque. J'ai jeté un sort nous rendant invisible à leurs yeux.

– Mais enfin, que...

L'homme dut se lasser de ses questions, car il passa la paume de sa main sur le front de Livédia, et aussitôt, la jeune femme se sentit entraîner dans le plus profond des sommeils.

 
***
 

Elle se réveilla dans un lit, dans une chambre comprenant plusieurs lits superposés. Elle quitta la pièce et suivit un couloir pour se rendre compte qu'elle se trouvait dans le Centre Pokémon d'Acajou. L'infirmière Joëlle, à l'accueil, s'adressa à elle :

– Ah, vous êtes réveillée !

– Comment suis-je arrivée ici ?

– Un homme vous y a amené. Vous étiez inconsciente, et il nous a dit que vous vous trouviez au lac quand les explosions se sont produites. Vous rappelez-vous de ce qui s'est passé là-bas ?

Livédia s'apprêta à lui conter le duel magique entre ces deux hommes, mais s'arrêta à temps. Elle avait trouvé bizarre que son sauveur aux cheveux bleus ne se soit pas soucié que la vérité éclate de sa bouche. Livédia comprenait maintenant que même si elle racontait ce qu'elle avait vu, l'infirmière penserait qu'elle délirait, encore sous le choc de ce qui l'avait fait tomber dans les pommes. Aussi privilégia-t-elle la prudence.

– N-Non..., fit-elle en hésitant. J'ai entendu des bruits étranges provenant du lac, alors je suis allée voir. Puis il y a eu un flash, et je me suis retrouvée... ici.

– Je vois, dit l'infirmière. Plusieurs personnes ont signalé des explosions au Lac Colère. Sans doute une bagarre entre les Léviator, et vous avez été touchée par l'onde de l'une de leur attaque.

– Sans doute. Et l'homme qui m'a amené ici ? Vous le connaissez ? Où est-il allé ?

Joëlle secoua la tête.

– J'aimerais vous répondre, mais j'ignore qui il est, et je ne l'ai jamais vu avant. Mais ce n'est pas trop étonnant. Acajou est une ville de passage pour beaucoup de dresseurs qui ne restent pas bien longtemps.

Livédia remercia l'infirmière de son accueil et sortit du Centre. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée endormie, mais son pilote devait commencer à s'inquiéter. Le problème, c'était que Livédia n'avait pas trouvé ce dresseur et son Neitram. Mais après ce qui s'était passé au lac, il pouvait être n'importe où, maintenant. Mais Livédia ne pouvait pas abandonner si vite. Elle quitta la ville pour rassurer quand même le Rocket qui l'attendait, et lui dire que ça allait prendre un peu plus de temps.

Mais quand elle arriva à l'endroit où l'hélicoptère s'était posé, elle ne trouva rien. Le pilote était-il parti sans elle ? Cela semblait peu probable, à moins qu'il ne souhaite subir la colère du général Tender. Une odeur de fumée et de brûlé vint aux narines de Livédia, et son anxiété monta d'un cran. Plus loin, elle vit ce qu'elle redoutait : la carcasse brûlé d'un hélicoptère, avec un squelette noirci dans le cockpit.

Livédia sentit son estomac se retourner, et se pencha pour vomir dans les buissons. C'était la première fois qu'elle voyait un homme mort. Et en plus de l'horreur de cette découverte, Livédia était envahie par la peur et l'interrogation. Qu'était-il arrivé ? Qui avait fait ça ? Et surtout, Livédia elle-même était-elle en danger de connaître le même sort ? Elle respira un grand coup pour se reprendre, et se retourna pour rentrer le plus vite possible en ville. Mais elle tomba sur l'homme qui avait combattu celui aux cheveux bleus au Lac Colère. Le dénommé Miridas, à qui il manquait l'œil gauche. Un sourire de prédateur s'afficha sur son visage.

– Te voilà, humaine. Je te cherchais.

Il approcha son visage d'elle et la huma. Livédia, paralysée, ne pouvait pas faire un seul geste. Quelque chose en cet homme, une pression indescriptible, l'empêchait de bouger un seul de ses muscles.

– Je sens de là l'odeur d'Elohius sur toi. A-t-il déjà compris ce que tu étais ? S'est-il accouplé avec toi, femme ?

Livédia n'aurait pu rien dire même si elle le voulait. Alors, la pression qui la paralysait disparut, comme si Miridas l'autorisait à parler.

– C'est vous qui avez tué cet homme ? demanda Livédia d'une voix faible en désignant la carcasse noircie.

– Réponds à ma question, femme ! Elohius t'a-t-il déjà engrossé ? Je ne veux pas ramener à mon maître une humaine qui a été salie par la semence de cet idiot amoureux de la lumière. Quoi que mon maître se ferait un plaisir d'arracher son rejeton de ton ventre.

– Je ne comprends rien de ce que vous dites, protesta-t-elle. Je ne sais pas qui vous êtes, pas plus que cet Elohius, et je n'ai rien avoir avec vous ! Je...

– Oh que si, tu as avoir avec nous, humaine, l’interrompit Miridas. Quand j'ai exercé ma Succion du Damné sur toi, j'ai clairement senti que tu étais une Favorable ; et une des plus pures qui soient. Elohius n'a pu que le sentir, lui aussi. Mais c'est au grand dieu Asmoth que tu appartiendras. Réjouis-toi, humaine. Tu aurais l'immense honneur de t'accoupler avec lui et de porter son enfant, le prochain Élu des Ténèbres.

Tout ceci n'avait strictement aucun sens pour Livédia, mais ce dont elle était certaine, c'était que Miridas et son maître, quel qu'il soit, ne lui voulaient pas vraiment du bien. Ceci dit, comment pouvait-elle se défendre face à un homme capable d'aspirer son énergie vitale sans bouger ? C'est alors que l'autre homme surnaturel, celui qui l'avait sauvé, apparut à son tour, son corps brillant d'une lueur étincelante. Miridas, un affreux rictus sur ses lèvres, se retourna.

– Maudis sois-tu !

– Il suffit Miridas, dit l'autre. Nous nous sommes assez battus pour aujourd'hui. Rentre auprès de mon frère.

– Pour que tu puisses t'accaparer la femelle ? Ne te trompe pas, dieu Elohius. Si cette Favorable ne peut appartenir à mon maître, elle ne t'appartiendra pas non plus !

La main de Miridas brilla d'une lueur noire, et il la plaça en direction de Livédia. La jeune femme s'attendit avec raison à quelques rayons mystérieux et mortels, mais courir n'aurait rien changé. Mais quand le rayon noir partit, il fut intercepté par l'homme aux cheveux bleus. Son visage se crispa en une grimace de douleur, mais il resta debout, faisant apparaître une lueur dorée entre ses deux mains, qui frappa Miridas de plein fouet. Ce dernier cria, de peur ou de douleur, et disparut dans cette même lueur dorée. Essayant de retrouver son souffle, Livédia soutint le regard émeraude de son sauveur, qui lui sourit difficilement.

– Acceptez encore une fois mes excuses pour vous avoir entraîné dans tout ceci, ma dame.

Et il s'écroula, inconscient. Livédia était bien tentée de fuir, mais elle ne pouvait pas laisser un homme qui lui avait sauvé la vie par deux fois comme ça. Mais elle eut l'intuition que l'amener à l'hôpital n'aurait pas changé grand-chose. Peu de médecins savaient guérir les rayons noirs d'origine inconnue. Elle remonta sa tunique blanche pour vérifier l'ampleur de sa blessure. Elle fut étonnée de constater qu'il n'y avait rien, aucune trace du choc.

Livédia passa sa main sur les abdominaux de l'homme, elle ne sentit rien de plus qu'elle n'aurait pu voir. Peut-être ce rayon fonctionnait comme une attaque spéciale de Pokémon, type Ball’Ombre, blessant sans provoquer de dommages physiques. À sa surprise, Livédia se rendit compte qu'elle n'avait pas cessé de caresser le ventre de l'individu. Elle retira sa main prestement. Elle examina toutefois l'homme plus en détail. Il avait un corps parfait, sans nul doute. En regardant de près son visage, Livédia se rendit compte qu'il était peut-être un peu plus âgé qu'elle ne l'avait d'abord pensé. Il ne semblait pas dépasser les trente ans, pourtant, vu de près, on pouvait distinguer plusieurs petites rides sur son visage noble, signe d'une sagesse qui dépassait son âge. Quand Livédia se demanda ce qu'elle devait faire, l'homme ouvrit les yeux, et se redressa d'un coup, touchant son ventre dénudé. Livédia rougit.

– Je suis désolée. C'est moi qui... Je voulais voir si vous étiez blessé...

– Je m'en remettrai, dit-il en se levant. Il nous faut partir, maintenant.

– Euh... nous ?

– Miridas va vite revenir.

– Je pensais que vous l'avez... détruit ?

– Non. Mon attaque l'a déphasé pendant quelque temps, mais il ne saurait rester éternellement prisonnier du Multivers.

Livédia ne demanda même pas ce que ce qu’il entendait par « déphasé » et « Multivers », bien qu'elle en mourrait d'envie. De toute évidence, cet homme remettait en cause toutes les connaissances scientifiques établies à ce jour. À la place, elle demanda :

– Pourquoi cet homme me pourchasse-t-il ? Je ne le connais même pas !

L'homme aux cheveux bleus la regarda, apparemment gêné.

– C'est assez compliqué...

– Il a dit que j'étais une Favorable, quoi que ça veuille dire pour lui. Il a ensuite parlé d'un maître, et d'un enfant que je suis censée engendrer... Tout cela est assez confus.

– Je vous promets de tous vous expliquer quand nous serons en sécurité.

 – Et où c'est ?

– Là où ni Miridas ni son maître ne pourront nous atteindre, lui dit-il en tendant la main.

Livédia hésita à la prendre. Elle ne savait rien de cet homme, mais pourtant, quelque chose en lui faisait qu'elle arrivait sans mal à lui accorder sans confiance.

– Dites-moi au qui vous êtes, exigea Livédia. Cet homme vous a appelé « dieu Elohius ». Qu'est-ce que cela signifie, exactement ?

– Elohius est bien mon nom, mais dieu, je ne le suis plus.

– Plus ? Ça veut dire quoi au juste ? Vous étiez un dieu avant ?!

– Je vous promets de répondre à vos questions, Livédia Crust, mais s'il vous plaît, il nous faut...

– Attendez ! Comment connaissez-vous mon nom ?

Elohius lui fit un sourire d'excuse.

– Pardonnez-moi, je me suis permis de sonder vos pensées pour le découvrir.

Sonder mes pensées, se répéta Livédia. Quel genre d'homme était donc cet Elohius, si tant est qu’il fut un homme ? Et qu'est-ce que Miridas lui voulait exactement ? Pour le découvrir, elle se rendit compte qu'elle n'avait pas d'autre choix que de prendre la main qu'on lui tendait. Dès qu'elle entra en contact avec Elohius, le sol sembla se dérober sous ses pieds, et le paysage devint entièrement noir. Mais avant même que Livédia ait pu en ressentir de la peur, la lumière revint et elle ressentit un sol ferme sous ses pieds. Mais quand elle regarda autour d'elle, elle retint une exclamation. Elle se trouvait au beau milieu d'une vaste cour, au centre de ce qui semblait être les ruines d'un ancien temple à ciel ouvert ; ou du moins, le toit avait disparu.

– Où...?

– Nous sommes au Refuge, dit Elohius. Ce lieu bénéficie de toutes les protections inimaginables en termes de Flux. Miridas ne pourra pas nous atteindre tant que nous resterons ici. Et nous y resterons le temps qu'il se lasse de nous poursuivre.

– Et ça prendra combien de temps ?

– Oh, un ou deux mois, peut-être trois.

Livédia se demanda si Elohius se payait sa tête quand ce dernier lui sourit.

– Ne vous inquiétez pas. Ce lieu est isolé de l'espace-temps. Le temps y s'écoule bien plus lentement qu'à l'extérieur. Trois mois devraient correspondre à trois jours ici. Jusque-là, je vais m'efforcer de répondre du mieux que je peux à toutes les questions que vous pourriez vous poser.

Livédia s'imagina Hegan et Zeff n'ayant plus de ses nouvelles pendant trois mois. Pourtant, elle n'en ressentit pas l'inquiétude qu'elle devrait. Elle avait devant elle un surhomme qui pouvait voler, lire dans les pensées, se téléporter et modifier le cours du temps. Et en tant que scientifique, c'était Noël en cent fois mieux. La première question qui vint à ses lèvres concernant un terme qu'Elohius avait prononcé il y a quelques secondes.

– Qu'est-ce que le Flux ?

Elohius sourit et ouvrit grand sa main. Une lueur blanche et lumineuse y apparut.

– Le Flux est une source infinie de pouvoir ; il peut permettre bien des choses, et peut-être à la fois source de création comme de destruction. Il peut être noir comme le plus grand abysse de ténèbres, ou lumineux comme les rayons du soleil. Il peut nous réconforter autant qu'il peut nous oppresser. Le Flux est un cadeau que fit Arceus, le Créateur, à quelques rares humains, au commencement des temps. Ces humains, qui se firent appeler Mélénis, battirent une immense civilisation qui dura des siècles. Grâce au Flux, ils poussèrent plus loin que nul autre la recherche et la création de la vie. Ils atteignirent même des âges formidablement élevés, le Flux leur conférant force et vitalité durant des siècles. Mais les Mélénis devinrent arrogants, et leur soif d'expériences avec le Flux les perdirent. Aujourd'hui, les possesseurs du Flux sont très peu nombreux. Ils ne sont que les rares descendants des Mélénis, où le Flux a décidé de revenir dans leurs gènes, et de façon très négligeable.

– Je n'appellerai pas vraiment négligeable ce que vous avez fait, où ce Miridas.

– Miridas a subi un entraînement de plusieurs années auprès d'un maître du Flux, et est bien plus vieux que vous pourriez le concevoir, répliqua Elohius. Quant à moi, eh bien... je ne suis pas un descendant de Mélénis. Je suis un Mélénis. J'ai plus de dix-mille ans.

Il y eut un silence, puis Livédia éclata de rire. Pas parce qu'elle ne croyait pas Elohius, mais parce que l'afflux d'informations menaçait d'envahir son cerveau, et que la situation présente lui paraissait irréelle. Elle eut donc ce rire nerveux et incontrôlable pendant bien deux minutes avant de pouvoir se reprendre.

– Très bien, admettons tout ça. Pourquoi ce Miridas vous en veut-il ?

– Miridas est au service de mon frère, Asmoth, un Mélénis pur-sang, comme moi. Lui et moi... nous venons d'une école de pensée diamétralement opposée. Nous nous combattons depuis des siècles, même des millénaires. Et il s'est formé autour de lui plusieurs fidèles ayant du sang de Mélénis qu'il a formé au Flux Noir.

– Je vois. Mais qu'est-ce que moi, j'ai à faire dans toute votre histoire ? Qu'est-ce que me veut Miridas, ou votre frère ?

Elohius prit son temps pour répondre. Il prit d'abord une grande respiration, puis ramassa par terre sur l'herbe une petite fleur jaune, qu'il fit tournoyer entre ses doigts.

– Les Mélénis, commença-t-il, ont été amenés à presque disparaître car, pour qu'un enfant obtienne le Flux de façon certaine, il faut que ses deux parents l'aient également. Si un Mélénis et un humain s'accouplaient, cela ne ferait qu'un enfant normal. Il aurait le Flux dans ses gènes, mais le pouvoir serait endormi à jamais. Mais il existe de rares humains, que l'on nomme les Favorables, qui eux permettent de transférer un Flux actif à leur progéniture. En clair, si un Mélénis, ou un descendant de Mélénis, même avec un Flux endormi, s'accouplait avec un Favorable, le ou les enfants qu'ils engendreront auront obligatoirement le Flux. C'est pourquoi ce type d'humain est très précieux pour les rares Mélénis qui restent encore.

– Et c'est donc ce que je suis, n'est-ce pas ? Une Favorable ? demanda Livédia, à la fois apeurée et impressionnée, mesurant les conséquences de sa nature.

– En effet, acquiesça Elohius. Miridas l'a senti avant moi, sans doute en opérant sa Succion du Damné sur vous. Même quand je vous ai transportée jusqu'au Centre Pokémon, je n'ai pas fait attention. Ce n'est que lorsque Miridas est réapparu auprès de vous que j'ai compris ce qu'il vous voulait.

– Comment le voyez-vous ? Et en quoi je suis différente des humains normaux ?

– Tous les Mélénis le sentent grâce au Flux. C'est une réaction naturelle, presque hormonale, comme quand un Pokémon mâle sent une compagne en chaleur. Quant à ce qui vous sépare des humains normaux, il n'y a rien, si ce n'est ce détail.

– Mais il doit bien y avoir quelque chose ! Au niveau génétique, peut-être...

  – Ah, sourit Elohius, j'oubliais que vous êtes une scientifique. Eh bien, nos anciens chercheurs Mélénis ont tenté d'expliquer ce phénomène avec les Favorables. Il existe une part de génétique ; vous avez sans doute un ancêtre Mélénis dans votre famille. Mais c'est surtout lié à l'esprit. Voyez-vous, le Flux est un pouvoir de l'âme. La conclusion que nos chercheurs en ont tirée est que, pour se transmettre, le Flux d'un Mélénis devait trouver un esprit auquel il pouvait se lier. Être un Favorable ou non dépend en grande partie du hasard, mais aussi de la nature profonde de la personne.

 – Si cela dépend de l'esprit, alors on peut devenir Favorable sans naître ainsi, non ? questionna Livédia.

– Nous n'avons jamais repéré de Favorable bébés ou enfants. On les repère qu'à partir de certain âge, généralement lors de la puberté. Mais non, je ne pense pas que l'on puisse devenir Favorable. L'esprit peu changer, certes, mais il y a quand même une part, la plus profonde, la plus enfouie, qui est propre à la personne et qui restera la même à jamais.

Livédia garda le silence un moment, le temps d'assimiler tout ça. Puis un détail lui revint.

– Miridas a dit quelque chose... comme quoi j'étais l'une des plus pures Favorables qui soient...

– Tous les Favorables peuvent transmettre le Flux à leurs enfants si leur compagnon est un Mélénis, mais à des niveaux différents, expliqua Elohius. Cela dépend encore une fois de la nature de l'esprit, mais il arrive que des Favorables puissent transmettre le Flux à un niveau bien plus élevé que d'autre, pour que l'enfant soit encore plus puissant.

– Alors, Miridas... Il comptait me livrer à votre frère pour que je lui fasse des enfants ?

– En effet. Avoir des enfants Mélénis est pour nous un don du ciel, alors que nous sommes si peu. Asmoth, lui, désire une descendance pour enfin me vaincre. Nous sommes à force égale, et jamais nous ne pourrons nous départager, à moins de nous entre-tuer. Un enfant Mélénis d'un côté ou de l'autre changerait grandement la donne.

Livédia prit conscience un peu tardivement que l'homme devant lui était aussi un Mélénis, et qu'il devait espérer plus que tout autre avoir des enfants.

– Et c'est-ce que vous attendez aussi de moi ? demanda-t-elle craintivement.

Elohius parut horrifié.

– Je ne suis pas mon frère. Jamais je ne demanderais ceci à une femme, pas plus que je prendrais ce que je veux de force. Vous n'avez rien à craindre de moi, Livédia.

La jeune femme fut un peu plus rassurée, mais resta malgré tout sur ses gardes.

– Mais pourquoi votre frère et vous ne vous marierez-vous pas à une de vos semblables ? Il doit bien rester quelques femmes Mélénis, non ?

– C'est... compliqué. Mon frère et moi avons besoin de nous reproduire spécifiquement avec une humaine, pour accomplir une certaine tâche... Et oui, il reste bien des femmes Mélénis, mais elles ne peuvent enfanter qu'une seule et unique fois. Cela résulte d'un très ancien sortilège que nous avons lancé sur notre propre race il y a des siècles, dans le but de limiter notre population afin de mieux nous cacher. Un sort définitif, hélas. Une juste punition, sans doute, après tous les excès que nous avons commis dans le passé, alors que nous sommes nés uniquement de la bonté d'Arceus...

Elohius sombra un moment dans ses pensées, une expression nostalgique sur son visage, puis secoua la tête et se leva.

– Enfin, j'en oublie mes devoirs d'hôte. Vous allez demeurer ici pendant trois jours, autant vous mettre à l'aise. Venez.

Elohius lui fit faire le tour du Refuge, lui indiquant les limites à ne pas dépasser, entre deux grandes montagnes. Il lui montra un lac charmant, dont les rives étaient remplies de Pokémon. Du reste, il y avait au Refuge plus de Pokémon que Livédia n'en avait jamais vu ailleurs. Elohius lui montra un petit tour. Il demanda à plusieurs Pokémon, par la pensée, de leur apporter de la nourriture. Et dix minutes plus tard, ces mêmes Pokémon revinrent avec plusieurs fruits qu'ils déposèrent aux pieds de Livédia.

– C'est ainsi qu'on se nourrit, au Refuge, expliqua Elohius.

– Vous ne mangez jamais de viande ? s'étonna Livédia.

– C'est un choix que j'ai fait, ainsi que tous les autres Mélénis qui partagent ma philosophie, même s’ils ne sont que deux, à l'heure actuelle. Nous répugnons à tuer pour subvenir à nos besoins. Je suis désolé de vous imposer cela...

– Je pourrai tenir trois jours sans viande, quand même, sourit Livédia.

Le Mélénis la raccompagna ensuite au temple, et lui fit visiter la partie sous terre de l'édifice, qui aurait fait la joie de tout bon archéologue.

– Ce temple est le dernier qui demeure à peu près en état de la grande époque des Mélénis. Un des derniers qu'ils ont bâtis. Vous voyez les dessins sur les murs ?

Livédia hocha la tête. Ils représentaient des humains et des Pokémon, face à face, puis des êtres étranges, qui semblaient être un mix entre les humains et les Pokémon.

– Ils comptent la chute des Mélénis, expliqua Elohius. Alors que l'Empire Mélénis était à son sommet de gloire et de connaissance du Flux, nous avons tenté quelque chose contre nature. Avec le Flux, les Mélénis ont fusionné avec des Pokémon.

– Fusionné ? répéta Livédia.

– Les deux devenaient un. De la sorte, les Mélénis pensaient créer la race la plus évoluée de cette planète, surpassant à la fois Mélénis, humains et Pokémon. Mais ce fut leur plus grosse erreur. Cette fusion marcha un temps, mais au final, elle se soldait irrémédiablement par la mort, à la fois du Mélénis, mais aussi du Pokémon. Mais certains de leur succès et trop arrogants pour envisager qu'ils se soient trompés, les Mélénis n'attendirent pas de savoir si cette fusion marchait sur un seul d’entre eux ; ils l'ont pratiquement tous pratiqué en même temps. Et ils ont péri pratiquement tous en même temps. Ensuite, le groupe des survivants se scinda en deux. Les Mélénis avaient trouvé le moyen d'acquérir les pouvoirs des Pokémon sans fusion ; mais cette méthode nécessitait de manger les Pokémon vivants. Une partie des Mélénis s'adonna à cette monstruosité, et on les appela les Mélénis Noirs. Mais aujourd'hui, ils sont tout aussi en déclin que nous.

– Mais pourquoi Arceus a-t-il laissé cela se faire ? demanda Livédia. Il devait savoir que la fusion avec les Pokémon vous serez fatale. Il est dieu, après tout. Pourquoi vous-a-t-il donné ce pouvoir en vous laissant faire n'importe quoi avec ?

– Arceus avait tourné le dos aux Mélénis depuis bien longtemps, en réalité. Les Mélénis ont fait quelque chose qui a attiré son courroux sur eux.

– Qu'est-ce que c'était ?

– Arceus avait deux fils ; deux puissants Pokémon qu'il avait envoyé diriger les Mélénis en tant que dieux respectifs de la lumière et des ténèbres. Les Mélénis les vénérèrent pendant longtemps, mais plus ils contrôlaient le Flux, plus ils comprirent que ces deux Pokémon n'avaient rien de dieux tout puissants qu'il fallait craindre. Un jour, forts de leur pouvoir, les Mélénis attaquèrent les deux fils d'Arceus, et ils firent quelque chose de terrible : ils rassemblèrent leur Flux en un seul pour transformer les deux Pokémon en humains, comme eux. Plus jamais les deux fils d'Arceus ne purent retrouver leurs formes originelles, et demeurèrent prisonniers de ces corps d'humains.

– Pourquoi Arceus n'a pas défait ce sort ?

– Parce que le Créateur ne possédait pas le Flux. Il avait utilisé ses pouvoirs divins pour donner ce pouvoir aux humains, mais lui-même ne pouvait l'utiliser. Même Arceus s'est révélé impuissant à libérer ses fils. Et en punition, il abandonna les Mélénis à leur sort. Plus jamais Arceus ne refit confiance aux humains. Après les fusions et leur peuple pratiquement décimé, les Mélénis restants commencèrent à connaître le manque d'être lié à une puissance supérieure qui veillait sur eux. Ils regrettèrent leurs fautes, et tentèrent de libérer leurs anciens dieux de leurs corps d'humains. Mais ils étaient trop peu nombreux, à présent, pour rassembler le Flux nécessaire. Ils ne purent que déplorer leur folie et leur arrogance durant les longues années de leur vie, en voyant leur race s'éteindre peu à peu.

– C'est une histoire triste, avoua Livédia.

– C'est vrai, fit Elohius. Mon cœur est à chaque fois bercé par le chagrin quand je songe à l'histoire de mon peuple. Pourtant, cette histoire est aussi riche en enseignement. Elle nous apprend qu'il ne faut jamais céder à la suffisance de soi, et toujours respecter et demeurer loyal envers les puissances supérieures qui nous ont accordées ce que nous possédons. Mais l'humain n'est pas condamné au malheur éternel et à répéter ses mêmes erreurs. Je pense au contraire qu'il peut toujours s'améliorer. C'est ce que nous avons en commun avec les Pokémon, et que nous possédons de plus que les Dieux. Nous évoluons constamment, nous nous enrichissons par le temps. Alors que des êtres cosmiques comme Arceus ou Mew, qui sont déjà parfaits, ne vivent qu'une vie éternelle et tristement plate.

Livédia fut soudain mal à l'aise. Elle pouvait trouver une certaine similitude entre l'histoire des Mélénis et ce qu'elle était en train de faire, avec ses collègues, sur le projet Diox-BOT. Les Mélénis avaient tenté de surpasser Arceus en battant et emprisonnant ses fils, et en mêlant leurs pouvoirs à ceux des Pokemon. Et aujourd'hui, la Team Rocket tentait de créer une machine à l'image d'Arceus, qui devrait être plus puissant que lui, dans le but d'asseoir sa domination sur le monde. Les Mélénis avaient utilisé le Flux, la Team Rocket utilisait la science, mais c'était pareil. Livédia se demanda vaguement si leur punition serait aussi lourde que celle des Mélénis.

 
***

 
Livédia n'aurait jamais pensé que rester enfermée dans un temple en ruine et ses environs, avec un être millénaire comme compagnon, tandis que d'autres du même type la recherchait pour la violer pouvait être aussi agréable. Rien que le paysage et le temple valaient à eux seuls des heures et des heures passées à les contempler, mais l'activité principale de Livédia durant ces trois jours fut sans conteste la conversation.

Elle ne cessait jamais de poser des questions à Elohius ; sur lui, sur les Mélénis en général, sur le Flux, sur les possibilités qu'il offrait, et sur de nombreux sujets scientifiques et métaphysiques, à tel point qu'en très peu de temps, Livédia avait appris sur l'Univers et son fonctionnement bien plus que durant toutes ses études. Elohius ne rechignait jamais à lui expliquer quelque chose en détail et en faisant étalage de sa maîtrise du Flux. Livédia avait vite compris qu'elle aurait pu rester cent ans avec Elohius qu'elle ne réaliserait jamais toute l'étendue de pouvoirs qu'offrait le Flux. Elle profitait aussi de l'incroyable durée de vie d'Elohius pour améliorer sa vision de l'Histoire. Après tout, cet homme l'avait vécue, bien qu'avait-il dit, il avait toujours essayé de se tenir à l'écart des grands événements entre humains et Pokémon.

Elohius en connaissait beaucoup sur les Pokémon, notamment sur les us et coutumes de chacun d'entre eux, et sur la mythologie. Il lui parla ainsi longuement de tel ou tel Pokémon Légendaire qu'il avait longtemps connu, du caractère de celui-ci, des discussions passionnantes qu'il avait eues avec celui-là.
Mais les questions n'allaient pas à sens unique. Elohius semblait s'intéresser à elle autant que Livédia s'intéressait à lui. Il la questionnait sur elle, sur la Team Rocket, sur ses recherches. Livédia savait qu'en tant que membre d'une organisation clandestine, elle avait un devoir de secret sur beaucoup d'informations, mais garder le silence ne servait à rien, car Elohius lisait tout dans ses pensées. À tel point qu'à force, Livédia arrêtait tout bonnement de répondre, laissant le soin au Mélénis de lire en elle, ce qui était plus rapide.

Bien avant la nuit du premier jour, ils se tutoyaient déjà, prenant tous les deux grands plaisirs de la compagnie de l'autre. Le second jour, il semblait à Livédia qu'elle connaissait Elohius depuis des années, et elle l'avait affublé de ce diminutif de El, que le Mélénis n'était pas mécontent de porter. Et lors de la seconde nuit, ils dormirent côte à côte sous les étoiles.  

Le lendemain, Livédia avait compris qu'elle était amoureuse, aussi brusque cela soit-il. Elle se sentait honteuse par rapport à Hegan, mais c'était comme ça. Jamais elle ne s'était sentie aussi bien qu'avec El, ni rencontré d'homme aussi merveilleux. Le fait d'avoir quelques dix-mille ans d'âge et de posséder un pouvoir fantastique en plus de connaissances incroyables sur à peu près tout y faisait beaucoup, aussi. Et le fait qu'il soit très bel homme n'était pas en reste. Mais Livédia s'en retrouva gênée de ressentir pareille chose, car elle était certaine qu'El lisait en elle comme dans un livre. Il ne fit pourtant aucun commentaire, et se comporta tout à fait normalement. Ce ne fut lors de la troisième et dernière nuit, alors qu'ils étaient serrés l'un contre l'autre dans l'herbe fraîche, que la jeune femme, ne se sentant plus maîtresse de ses sentiments, pensa à quelque chose d'assez désagréable.

– Sur mon honneur et sur tout ce en quoi je crois, je te jure qu'il n'en est rien, Livédia, répondit El après avoir lu ses pensées. Tes sentiments t'appartiennent.

Livédia se sentit rougir. Elle venait de penser qu'El usait peut-être de ses pouvoirs du Flux pour la faire tomber éperdument amoureux de lui.

– Ce n'est pas juste, se plaignit-elle. Tu as un accès direct sur toutes mes pensées, et moi j'ignore totalement les tiennes !

– Ne t'en fais pas, lui dit-il en caressant la courbe de son menton. Tu peux connaître mes pensées et sentiments actuels, car ils sont identiques aux tiens.

La jeune femme leva les yeux aux étoiles, savourant l'instant présent, car elle savait que ça ne pouvait pas durer. Pourtant, elle le regrettait.

– Je te mettrai en danger, fit El comme si Livédia avait parlé à voix haute. Asmoth et ses sbires n'auraient de cesse de te courir après.

– Mais si tu as un enfant, et pas lui, tu pourrais le battre ?

El hésita.

– C'est compliqué...

– Oui, je sais, tout est compliqué avec toi… Explique-moi. Que deviendrait un enfant Mélénis ?

– Un enfant de moi ou d'Asmoth aurait un destin lourd, très lourd, mais aussi très important. Il existe une prophétie qui...

El s'arrêta, puis se remit assit, l'air grave.

– Non, mieux vaut commencer depuis le tout début. Tu es partante pour une dernière histoire ?

– Et comment ! sourit Livédia.

– Tu sais qu'Arceus créa l'Univers à partir du Néant. Il créa d'abord Dialga, Palkia et Giratina, pour le Temps, l'Espace et la Matière. Puis il donna naissance au Trio de la Création, Crehelf, Crefollet et Crefadet, qui ensemble créèrent l'esprit. À partir de là, la création des Pokémon commença. Mew fut le premier, et ce fut de lui que naquit cette planète, bien des millions d'années plus tard.

Livédia hocha la tête. Elle connaissait cela. C'était la base de la mythologie, mais aussi de la science, car n'ayant jamais pu découvrir une vision autre de la création de l'Univers, les scientifiques avaient communément décidé de souscrire à celle que les historiens défendaient.

– Mais voilà, lors de cette Grande Création, un être fut mécontent. Le Néant lui-même.

– Le Néant n'était pas content ? répéta Livédia, qui trouva l'idée absurde.

– Tout comme le Temps est personnalisé par Dialga, le Néant a lui-même sa personnification, expliqua El. Il s'agit d'un être cosmique qui se trouvait là bien avant tout, et où il régnait en maître dans le vide le plus absolu. Il n'a d'autre but dans son existence que de faire régner le Néant, de détruire jusqu'à la dernière trace de vie et de matière, bref, de détruire l'existence. Nous le nommons l'Endless. Car que ce soit dans la vie ou dans la non-vie, le Néant est toujours là.

– Est-ce un Pokémon ?

– Nul ne le sait. En tous cas, il est l'antithèse d'Arceus, et son plus grand ennemi. Arceus l'a combattu bien des fois, mais même le Créateur fut impuissant à défaire cette entité du Néant. Toutefois, il parvint à la sceller dans une autre dimension, un monde appelé Aerigin. Mais l'Endless regagna peu à peu ses forces, et quand il sera assez puissant pour briser son sceau, alors le monde des vivants connaîtra le retour du Néant. C'est alors que Mew eut une révélation et en fit une prophétie. Seuls deux êtres peuvent espérer détruire un jour l'Endless. L’Élu de la Lumière, et L’Élu des Ténèbres. Ces deux êtres seront des ennemis mortels, mais aucun d'entre eux ne peut exister sans l'autre. Et celui qui détruira l'Endless décidera du futur de cet Univers. Si l'Elu de la Lumière venait à bout du Néant, alors le monde serait éternellement plongé dans une lumière bienfaitrice. Si au contraire c'est l'Elu des Ténèbres qui bat l'Endless, la noirceur totale s'abattrait sur le monde.

– Mais qui sont ces deux élus ?

El lui fit un sourire attendu.

– J'étais l’Élu de la Lumière, tandis que mon frère Asmoth était celui des Ténèbres.

– Mais alors, pourquoi le monde n'est ni plongé dans la lumière ni dans les ténèbres ?

– Tout simplement parce qu’aucun d'entre nous n’est parvenu à vaincre l'Endless. Nous nous sommes rendus à Aerigin, nous nous sommes battus entre nous pour savoir qui aurait le premier l'opportunité de combattre l'Endless. Puis il est arrivé, et chacun d'entre nous a tenté d'être celui qui lui porterait le coup de grâce. Mais ce fut l'Endless qui nous vainquit. Nous nous retirions, à moitié morts et honteux. Et maintenant, nous attendons tous les deux nos successeurs, les prochains Élus de la Lumière et des Ténèbres.

– Tu veux dire... vos enfants ?

El hocha la tête.

– Ainsi Mew l'a-t-il prévu. Toutefois, l'identité des Élus n'est pas gravée dans le marbre. Si mon enfant ou celui d'Asmoth se montre indigne d'être un des Elus, un autre serait immédiatement choisit par le cours du temps. De même que s'ils meurent avant d'avoir eu des héritiers, un autre serait également choisi. Et ce jusqu'à que l'Endless soit battu, ou qu'il parvienne à se libérer de sa prison et ramène tout au Néant.

Livédia prit un moment pour avoir à l'esprit toutes les conséquences et les aboutissements de ce que lui avait conté El.

– Alors, il est de la première importance que tu aies un enfant qui deviendra l’Élu de la Lumière ! Tu ne peux pas laisser Asmoth et son héritier plonger le monde dans les ténèbres éternelles !

Bien évidemment, El comprit ses pensées avant même que Livédia n'ait pu en faire le tri.

– Tu es consciente de ce que tu proposes ?

Livédia se pencha et lui fit un léger baiser sur les lèvres.

– Oui. Laisse-moi t'aider à vaincre l'Endless et à recouvrir ce monde de lumière. Laisse-moi devenir la mère de l’Élu de la Lumière.

 
***
 

Livédia était déterminée dans le chemin où elle s'était lancée. Toutefois, sa plus grande épreuve ne fut pas de concevoir un enfant avec El, ni d'élever un utilisateur du Flux, ni de regarder tous les jours derrière son épaule en craignant de voir débarquer Asmoth et ses sbires qui voudraient lui prendre son enfant. Non, sa plus grande épreuve fut d'expliquer tout cela à Hegan Tender, quand elle rentra à la base, accompagné d'El.

Elle n'osa même pas le regarder dans les yeux, et s'adressa à lui d'une façon très protocolaire. Elle ne lui raconta même pas tout. Elle s'était mise d'accord avec El pour présenter la chose sous un jour favorable pour la Team Rocket. El, qui possédait d'immenses pouvoirs, avait besoin d'un enfant pour quelque chose d'important. Livédia était l'une des rares femmes à pouvoir transmettre le pouvoir à cet enfant. En échange donc de l'aide de Livédia pour la conception de l'enfant, et de la promesse qu’il reviendrait à son père pour accomplir sa quête le jour de sa majorité, la Team Rocket se réservait le droit de profiter des pouvoirs de l'enfant jusqu'à ses dix-huit ans, en prenant garde toutefois de le préserver.

Et pour faire mieux passer la chose, ni El ni Livédia n'avaient expliqué que seul trois jours s'étaient écoulés tandis que trois mois étaient passés pour le reste du monde. Livédia voulait faire passer ça pour un marché aux yeux d'Hegan. Elle voulait qu'il pense qu'elle avait vendu son corps pour le bien de la Team Rocket, mais le général ne pouvait pas être si aisément trompé. Il connaissait Livédia, et il voyait très bien que la jeune femme éprouvait quelque chose pour le Mélénis. Toutefois, il ne fit aucun commentaire durant l'exposé, se contentant de poser quelques questions pour éclaircir tel ou tel point, comme les mystérieux ennemis qui ne manqueraient pas de pourchasser Livédia s'ils apprenaient qu'elle était enceinte de lui.

– Vous comptez donc mettre mademoiselle Crust en danger pour assurer votre descendance ? demanda Tender à El.

– Je peux la protéger. Et d'après ce que m'a dit Livédia, votre Team Rocket aussi. Mais je trouverai un plan pour protéger Livédia et notre enfant avant qu'il ne soit conçu, ne vous inquiétez pas.

– Livédia ? interrogea Hegan.

La jeune femme n'eut pas la force de le regarder dans les yeux.

– Je l'ai choisi, général. J'ai accepté les risques... et toutes les conséquences. Ce sera à la fois le mieux pour El, les Mélénis, la Team Rocket, et le futur de ce monde.

Mais pas pour nous deux, songea Livédia, en pensant à cette vie avec Hegan qu'elle aurait pu avoir. Cette pensée n'échappa pas à El, qui la dévisageait à présent intensément.

- Bon, quoi qu'il en soit, reprit Tender, je n'ai pas l'autorité pour discuter des détails d'un tel arrangement, ni donner mon accord pour la Team Rocket. Je vais contacter notre Boss et lui parler de tout ça.

El hocha la tête, et quitta le bureau rapidement, tout en jetant un dernier coup d'œil à Livédia, lui demandant mentalement de rester et de mettre les choses au point avec Tender. Livédia déglutit, et commença avec difficulté :

– Hegan...

Le général leva la main pour l’interrompre.

– Je n'ai pas besoin d'entendre d'excuses ni de justifications, Livédia. Tu es maîtresse de ton cœur et de ton corps, et libre de mettre les deux pour le futur de la Team Rocket, voir du monde, si j'ai bien saisi cette histoire. Nous sommes des gens de devoir tous les deux. Je n'ai rien à te reprocher. Et toi, tu n'as pas à être désolée.

– Mais je le suis quand même, soupira Livédia. Hegan, je t'aime. Je ne te l'ai jamais dit directement, mais c'est le cas. Je te mentirais si je disais que je ne ressens rien pour El... mais mon choix a d'autres raisons que mes seuls sentiments.

– Je te crois, fit simplement Hegan. Et il nous faut parfois savoir mettre nos sentiments de côté pour faire ce que l'on pense juste et bon.

Livédia eut un sanglot de soulagement, et alla se réfugier dans les bras du général.

– Merci... de ta compréhension. Nous resterons bons amis à jamais, hein ?

– Je ne l'entendais pas autrement.

Ils restèrent un bon moment comme ça, jusqu’à qu’Hegan dit enfin :

– Maintenant, tu devrais aller voir Zeff. Il a été intenable durant les deux premiers mois, cherchant à s'enfuir chaque jour pour aller te sauver, où que tu sois. Et depuis, il est devenu inconsolable, et se terre dans ta chambre sans sortir...

Livédia eut une pointe de honte en se rendant compte que depuis qu'elle était rentrée, elle n'avait pas songé une seule fois au garçon, qui l'attendait depuis trois mois, en se demandant ce qui avait pu lui arriver. Elle avait l'impression de se noyer sous ses responsabilités. Celles envers Zeff, celles envers Hegan, celles envers la Team Rocket, celles envers El et celles envers son futur enfant. Pourtant, c'était elle qui choisissait de les endosser. Personne d'autre ne le décidait pour elle.

 
***

 
Il semblait que Zeff ne comptait plus quitter Livédia de ses deux yeux. Il la suivait désormais partout, que ce soit au mess ou sur son lieu de travail dans le laboratoire. Et quand elle allait aux toilettes, il restait collé à la porte. Livédia avait accepté ce zèle du garçon pour se faire pardonner son absence et pour le rassurer, mais ça devenait vite embêtant, surtout quand il refusait de la laisser alors qu'elle devait assister à une entrevue privée avec un des Agents Spéciaux du Boss au sujet de l'accord avec El. En ces occasions, Livédia ne voulait pas de Zeff avec elle. Elle ne souhaitait pas qu'il apprenne qu'elle avait en quelque sorte marchandé la naissance de son futur enfant pour la Team Rocket. D'ailleurs, elle ne lui avait encore rien dit à ce sujet. Il était déjà bien sur les nerfs depuis sa disparition, inutile d'en rajouter de suite. Mais elle lui avait présenté El, lui disant qu'il était l'homme qui l'avait sauvée et qui s'était occupée d'elle durant ces trois mois. Le garçon était resté poli, mais Livédia avait bien vu qu'il se méfiait d'El. Une fois Zeff au lit, le Mélénis, qui avait bien sûr lu dans ses pensées, avait éclaté de rire en plaignant le pauvre gars qui aurait l'idée de faire du mal à Livédia devant ce bambin.

Pour la réunion avec l'Agent, Livédia parvint à convaincre Zeff à force de suppliques et de promesses de rester devant l'entrée de la salle. L'envoyé du Boss les attendait, seul. C'était un homme au visage livide et anguleux, aux longs cheveux roux et aux yeux sombres enfoncés dans leur orbite. Dès le premier coup d'œil, Livédia le trouva inquiétant.

– Bienvenu, Mademoiselle Crust et Monsieur... El. Je suis l'Agent 006, envoyé par le Boss pour mettre au point les détails de l'arrangement que vous avez énoncé au général Tender.

Livédia remarqua qu'El était en train de sonder intensément le visage de l'Agent. Il devait être en train de lire ses pensées, et en juger par son froncement de sourcils, ce qu'il y lisait ne devait pas lui plaire. Ils passèrent bien une heure à répéter à 006 ce qu'ils avaient déjà dit à Tender. Sauf que l'Agent du Boss ne se contentait pas de quelques imprécisions sur les sujets que El désirait garder cachés.

– Qui sont exactement ses ennemis qui vous en veulent, monsieur El, et qui pourraient s'en prendre à mademoiselle Crust et à vos enfants ?

– Leurs noms ne vous diront rien, répondit El. Sachez juste qu'ils ont les mêmes pouvoirs que moi, et qu'aucun humain normal ne pourrait leur tenir tête.

– Oui... d'ailleurs, pardonnez ma brusquerie, mais le Boss serait très intéressé de connaître la nature des pouvoirs dont vous parlez. Disons... qu'il souhaite pouvoir se faire une idée de la marchandise avant d'accepter le contrat.

Livédia n'appréciait pas du tout les paroles et le ton de 006. Elle n'acceptait pas que son futur enfant soit qualifié de « marchandise », pas plus qu'il ne sous-entende que le Boss avait quelconque décision à prendre concernant le choix de son partenaire. Elle s'apprêtait à protester, mais El lui mit une main sur la sienne pour l'empêcher, et montra à 006 ce qu'il voulait voir. Il fit léviter plusieurs objets de la pièce, il lança un rayon pour réduire en miette une chaise, il lut à voix haute les pensées de 006, il se téléporta d'un point à un autre, et enfin il agita la main pour faire apparaître devant lui un Joliflor.

– Vous l'avez téléporté de l'endroit où il vivait ? demanda 006.

– Non. Je l'ai créé.

– Vous l'avez créé ? Juste comme ça ?

– Le Flux, s'il est parfaitement apprivoisé, peut devenir un pouvoir de création défiant la nature elle-même.

El fit disparaître le Joliflor, et Livédia vit parfaitement la lueur dans les yeux de 006.

– Je vois... Tout ceci est impressionnant, en effet.

– Il me semble que votre chef pense pareil, dit El avec un léger sourire. N'est-ce pas, vous qui nous observez depuis le début ?

Il parlait à un miroir au bout de la pièce. Ce dernier s'alluma alors comme un écran télé, et montra à tous le visage du Boss.

– Impressionnant, c'est le mot, reconnut Giovanni.

Puis il regarda Livédia.

– Mes excuses, professeur. Mais la prudence est la qualité principale d'un chef, dit-on. Je ne pouvais me montrer moi-même à un inconnu qui possède en outre le pouvoir de lire dans les pensées.

– Je comprends, monsieur, assura Livédia.

– Mais tout ceci est inutile, ajouta El. Bien que vous soyez derrière votre écran, à des lieux d'ici, je peux quand même vous dire que vous pensez en ce moment même à la possible armée de Pokémon que vous pourriez avoir si vous aviez quelqu'un qui pouvait en créer de rien comme je l'ai fait.

Le visage de Giovanni se crispa.

– Impressionnant, je le répète. C'est une offre très avantageuse pour la Team Rocket, je dois l'avouer. Mais quelles sont exactement vos conditions, monsieur ?

– Juste celles que j'ai déjà énoncé au général Tender. Que cet enfant soit bien traité et en sécurité jusqu'à ses dix-huit ans. À sa majorité, je viendrai le chercher, moi ou quelqu'un d’autre travaillant pour moi, afin de le former complètement pour qu'il accomplisse son devoir de Mélénis. Après, s'il le désire, il pourra revenir travailler pour votre organisation. Ce sera son choix ; pas le mien ou le vôtre.

– Je vois, fit Giovanni. Mais une chose m'inquiète. Si vos ennemis sont aussi puissants que vous, comment nous, la Team Rocket, pourrons-nous les empêcher de s'en prendre à votre enfant tant qu'il sera sous la responsabilité de sa mère... et la nôtre.

– Vous n'aurez pas à le faire, répondit El, car il convient de prendre avant les mesures pour cacher la naissance de cet enfant à mes ennemis.

– Et qui sont ?

El jeta un coup d'œil à Livédia qui se voulait désolé, et dit :

– Je ne pourrais pas vivre en couple avec Livédia. Si je le faisais, je la mettrai en danger, ainsi que l'enfant. Il faut que mes ennemis ne se doutent de rien.

– Vous suggérez donc que mademoiselle Crust ait un autre... mari ?

– Plus que ça, si vous me permettez. Notre ennemi a des espions partout, et il sait tout ce qui se raconte. Jusqu'à que le Flux apparaisse chez l'enfant, tout le monde devra croire qu'il est de quelqu'un d'autre que moi. Je suis désolé de proposer quelque chose d'aussi... contraire à vous coutumes, mais il serait prudent que Livédia ait un enfant d’un autre homme avant que l'on fasse le nôtre. Ainsi, tout le monde ne verra en lui que le second enfant du mari, quel qu'il soit.

Voyant où il venait en venir, Livédia se tourna vers lui et s'apprêtait à parler quand elle entendit sa voix dans son esprit :

– C'est pour le mieux, Livédia. Tu l'aimes, et je ne pourrai pas rester avec toi. Je suis désolé.

Livédia parvint tant bien que mal à conserver un visage neutre, tandis qu'à la fois Giovanni et 006 étaient plus que surpris par cette idée.

– Mais qu'en dit la principale intéressée ? demanda le Boss.

Livédia prit une grande mais silencieuse inspiration, puis, consciente de l’immoralité de la chose, dit :

– Je pense que c'est une bonne idée. Notre enfant sera alors protégé jusqu'à ce que ces pouvoirs ne s'éveillent, et qu'il puisse se défendre de lui-même.

Giovanni haussa les sourcils, étonné qu'elle soit d'accord si vite.

– Bien. Je peux en effet ordonner à n'importe qui sous mes ordres de vous épouser pour la cause. Ça ne devrait pas être une si grande corvée pour lui, après tout, avec la fille du Généralissime, reconnue dans toute la Team Rocket pour sa beauté et son intelligence. Je vous laisse le choix de la personne, mademoiselle. Moi y compris.

– C'est un honneur que vous me faites, monsieur, concéda Livédia. Mais acceptez mes plus plates excuses, j'ai déjà choisi l'homme avec qui j'aimerais passer le restant de mes jours.

Giovanni eut un fin sourire.

– Je n'ai pas le pouvoir de lire dans les pensées contrairement à notre ami Mélénis, mais je pense savoir de qui il s'agit.

 
***
 

Livédia vivait dans un rêve, comme si tout était irréel et passait si vite qu'elle n'avait pas le temps de se rendre compte de tout. En tous cas, une semaine plus tard, elle se retrouva mariée au général Hegan Tender. Un mois après, elle était enceinte. El n'était pas resté. Il était parti loin pour attirer le regard d'Asmoth hors de cette base, avait-il dit. Il avait promis de revenir après la naissance de l'enfant de Livédia et de Tender, pour bien sûr accomplir sa partie de son marché conclue avec Giovanni.

Livédia ne savait pas trop gérer ses sentiments contradictoires. Elle jonglait avec deux hommes qu'elle aimait, qui seraient tous les deux les pères de ses enfants. Il y avait aussi le secret absolu sur toute cette affaire ; aux yeux de tous, tous les enfants de Livédia seraient ceux de Tender. Elle allait devoir mentir à Zeff, à son ami Natael, à son oncle Penan et même à ses parents. Elle le savait, et elle le redoutait, mais pour l'instant, elle cultivait son bonheur de partager la vie d'Hegan et de porter son enfant. Elle n'avait pas songé devenir mère si jeune, ni en de pareilles circonstances, mais elle se rendit vite compte que c'était ce qu'elle avait toujours désiré.

Le mariage avait été grandiose, si ce n'était même grandiloquent. Le Boss, pour honorer son ami Tender, et aussi pour que personne dans la Team Rocket n'ignore plus que Livédia Crust était devenue Livédia Tender, n'avait pas ménagé ses efforts pour fêter l’événement, avec plus d'un millier d'invités et un banquet qui devait coûter autant que toute la région Kanto. Livédia avait revu sa mère aux côtés de son père pour cette occasion, et l'ancien commandant en chef des forces Rocket Karus avait même félicité Tender, laissant de côté pour une fois son attitude surprotectrice envers sa fille unique. Maintenant, le père de Livédia semblait attendre impatiemment de devenir grand-père.

Lusso, le fils d'Hegan, semblait aussi ravi que Livédia. Ravi d'avoir une nouvelle mère qu'il considérait comme une amie, et ravi d'avoir bientôt un frère ou une sœur. Zeff, lui, semblait clairement moins enthousiasme par tout ça. Il faisait semblant d'être content, car il voyait que Livédia l'était, et pour ça, la jeune femme ne l'aimait que plus. Et le garçon avait fini par s'habituer à Tender. Le mariage, il aurait pu l'accepter. Mais l'annonce de la grossesse de Livédia fut pour lui un grand choc, et quand Livédia le lui dit, Zeff déclara :

– Mais tu n'as pas besoin d'un enfant ! Tu m'as moi !

Livédia l'avait alors serré dans ses bras.

– Zeff, tu es grand maintenant, et tu es intelligent et fort, alors tu peux entendre ce que je vais te dire. Je ne t'ai jamais considéré comme mon fils. Tu es pour moi comme un petit-frère. Mais il faut que tu comprennes que cet enfant à naître ne changera rien de l'amour que je te porte. Tu comprends, Zeff ?

– Je crois... hésita le garçonnet.

– Tu resteras toujours avec moi aussi longtemps que tu le désires. Et tu protégeras mon enfant. Tu lui apprendras à être aussi fort que toi. Le feras-tu ?

Zeff fronça les sourcils comme s'il réfléchissait, puis dit :

– Je n'avais plus de papa ni de maman, et tu t'es occupé de moi. Sans toi, je serai mort à Mandad, dans les ruines de mon ancienne maison. Alors je le ferai. Pour toi.

Livédia fut encore une fois étonnée par la maturité et les paroles de ce garçon de sept ans.

– Alors, tu deviendras le parrain du petit, annonça Livédia.

– Parrain ? Qu'est-ce que c'est ?

– Un parrain, c'est quelqu'un qui prend soin de l'enfant dont il a la charge. Si jamais il devait m'arriver quelque chose, à moi ou à Hegan, c'est toi qui devras t'occuper de l'enfant.

– Mais il ne va rien t'arriver, hein Liv ? s'inquiéta Zeff.

– Bien sûr que non, mon chou. Mais c'est une tradition.

– Alors je serai le parrain de ton fils ou de ta fille. Mais le général Tender ? Il est d'accord avec ça ?

– Bien sûr, Zeff. Il t'apprécie beaucoup.

D'ailleurs, comme Hegan ne pouvait avoir l'une sans l'autre, il avait bien évidement accepté de prendre Zeff chez lui et de s'en occuper comme s'il était son fils. Ce fut une bonne chose pour Zeff, qui devait apprendre peu à peu à moins dépendre de Livédia pour tout, et qui façonnait des relations amicales avec Lusso.
La grossesse de Livédia et son nouveau nom de famille ne lui épargnait pas, cependant, de travailler comme jamais au laboratoire. Avant de partir, El avait eu la bonté de créer un Neitram pour que Livédia puisse enregistrer ses ondes, et les intégrer à Diox-BOT. Ils avaient entrepris aussi, en parallèle, de commencer à construire le second robot avec le Sombracier restant. Cette fois, c'était le Boss qui avait fait le choix du Pokemon représenté.

Le sombre et légendaire Pokemon Darkrai. Avec son armure totalement noire, il semblait la parfaite antithèse de Diox-BOT et de son armure d'un blanc nacré. Du côté de ce dernier, on ne cessait de lui ajouter des armes et de renforcer ses pouvoirs. Livédia ne tentait même plus de calculer le potentiel destructeur de ce robot ; ça allait au-delà de tous chiffres. Inutile de dire que Giovanni préparait quelque chose d'énorme, avec ses deux robots indestructibles et surpuissants, et avec son futur membre de la Team Rocket qui possèderait le Flux.

Livédia s'en inquiétait un peu, d'ailleurs. La Team Rocket, sous le règne de Giovanni, semblait aller dans une direction qui ne plaisait pas trop à Livédia. Voilà que le vol et la menace semblaient être devenus la règle dans leur relation avec les dresseurs, et la quête de l'argent le but. Giovanni était ambitieux, très ambitieux, et sous sa coupe, la Team Rocket, qui avait été une organisation idéaliste et plus ou moins respectueuse des gens du temps de sa mère, devenait peu à peu une organisation criminelle qui traitait les Pokemon comme les plus vulgaires des outils. Elle en fit un jour la remarque à son mari, avec prudence, car elle savait qu'il était un grand ami loyal du Boss, et il se contenta de hausser les épaules.

– Nous avons partagé beaucoup de choses, Giovanni et moi, durant notre jeunesse, mais il ne m'a jamais fait part de ses objectifs à long terme. Je peux juste dire que c'est quelqu'un de raisonnable et de raisonné, et quelques soient ses plans, ils n'auront pour but final que le progrès de l'humanité, comme ceux de sa mère avant lui.

Livédia n'en était pas si sûre, mais abandonna le sujet. De toute façon, ce n'était pas à elle de juger les décisions du Boss. Au cours de son cinquième mois de grossesse, son ami et collègue Natael Grivux lui proposa de vérifier le sexe du bébé, pendant une après-midi de temps libre, et Arceus savait qu'ils n'en avaient pas beaucoup. Il proposa de le faire lui-même.

– Tu sais, sourit Livédia, pour ça, il y a une infirmerie dans la base, et on a un docteur très qualifié...

– Peuh... Il est gynécologue, ton toubib ? Et je n'ai besoin d'aucun doctorat en médecine pour savoir faire une échographie. On peut faire ça bien plus rapidement qu'eux, avec tous ce qu'on a dans le labo. C'est bien plus sympa, juste nous deux.

– Dans le labo ? Tu es fou ! Et si quelqu'un nous voit ?

– Bah, il n’y a plus personne aujourd'hui, à part le prof. Et la réincarnation d'Arceus pourrait passer juste à côté de lui qu'il ne lèverait pas les yeux de son fichu ordinateur.

Livédia ricana.

– Très bien. Mais laisse-moi amener Zeff, j'aimerais qu'il voie ça.

– À la bonne heure. Va chercher le petit pendant que je monte la sonde.

Quand Livédia revint avec Zeff, tout était déjà prêt, et comme l'avait prévu Natael, le professeur Cubens ne s'était même pas retourné tandis qu'il travaillait encore sur une série de données complexe du programme de Diox-BOT.

– Désolée de vous déranger, professeur, fit Livédia. Ça ne sera pas long, on va juste regarder le sexe du bébé.

– Le bébé ? Quel bébé ? Ah oui... Oui, fais donc, fais donc, mon enfant...

Natael faillit éclater de rire.

– Je lui ai dit ce qu'on allait faire quand je suis entré, et il a déjà tout oublié en dix minutes. Je me demande comment il fait pour rester encore le meilleur dans la résolution d'équation... Bon, si tu veux bien ?

Il désigna le siège pliable improvisé sur lequel Livédia s'allongea. Natael prit la sonde et régla les instruments sur l'écran, puis passa un gel sur le ventre de Livédia. Cette dernière devait avouer qu'elle aurait été plus gênée que le docteur de la base ne la touche ainsi plutôt que Natael, son ami avec qui elle ne ressentait aucune gêne pour quoi que ce soit. Ce dernier passa la sonde au-dessus de son ventre légèrement arrondi, pianota une minute sur le clavier de l'ordinateur, et une image s'afficha à l'écran. Dix minutes plus tard, après avoir regardé l'image de long en large et en travers, Natael sourit et dit à Zeff.

– Je te présente ta sœur, mon gars.

– Pas ma sœur, répliqua le garçon. Ma filleule.

Il avait dit ça sur un ton très sérieux, mais Livédia remarqua le léger sourire sur ses lèvres, et ça plus que le fait de savoir qu'elle allait avoir une fille la fit sourire à son tour.

 
***

 
Ils la nommèrent d'avance Siena, en hommage à feu la première femme d'Hegan, Sienela. Maintenant que Livédia savait que c'était une fille et qu'elle avait un nom, elle s'était mise à lui parler, chose qu'elle n'avait pas faite jusque-là. En fait, elle passa ses journées à ça, à tel point que Lusso et Zeff vinrent à s'interroger sur sa santé mentale.

Quand vint le stade des deux derniers mois de sa grossesse, Hegan insista pour qu'elle stoppe son travail. Les militaires avaient beau parler des scientifiques et se gausser d'eux, leur travail – surtout en cette période – était épuisant et éprouvant. Livédia passa donc ses journées dans les quartiers d'Hegan, à jouer avec Zeff et Lusso quand ils étaient là, parfois accompagnés de leur ami Tuno. Quand elle était seule, elle continuait de parler à son ventre, et quand elle en avait assez d'entendre le son de sa propre voix, elle s'allongeait, fermait les yeux et songeait à El, à l'endroit où il pouvait être et ce qu'il faisait.

Elle savait qu'Hegan espérait secrètement qu'il ne revienne pas. Et elle ne pouvait pas lui en vouloir de ressentir cela. Malgré sa loyauté indéniable et totale envers Giovanni, Hegan était un homme, et peu d'hommes acceptaient facilement de partager leur épouse. Mais Livédia le savait aussi intègre et bon, et elle savait qu'il s'occuperait de l'enfant de Livédia et d'El comme si c'était le sien. Enfin, l'accouchement arriva. Et comme de nombreuses femmes avant elle, Livédia se demanda pourquoi Arceus avait jugé nécessaire qu'on doive enfanter dans la douleur. Mais quand on lui mit sa fille dans les bras, elle jugea le prix bien dérisoire pour le bonheur qui était le sien. Ses yeux étaient encore noirs, sans teintes visibles, mais Livédia remarqua un petit duvet bleu clair sur sa tête. Et après l'avoir observé avec attention, elle lui déclara :

– Siena Tender. Tu ressembles à ton père.

Le premier à arriver dans la chambre fut bien sûr Hegan, qui prit sa fille dans ses bras avec une expression de tendresse pure que Livédia voyait très rarement chez lui. Puis ils invitèrent les garçons à entrer. Lusso contempla sa demi-sœur avec un étonnement et une joie candide, tandis que Zeff restait grave face à sa filleule. Livédia et le bébé restèrent deux jours en chambre, durant lesquels plein de monde vint leur rendre visite. Le commandant Penan, qui prit Siena cinq secondes dans ses bras avant de déclarer que cette fille serait forte. Natael, suivi du professeur Cubens, qui à son visage avait l'air d'être arrivé ici par hasard en de se demander où il était. Puis les parents de Livédia. Elle crut distinguer une lueur inexplicable de tristesse dans les yeux de son père quand il prit Siena dans ses bras. Le Boss lui-même se déplaça pour contempler la nouvelle petite Tender et féliciter sa mère. Quand il fut parti, Livédia leva Siena et la mit devant elle, debout sur sa poitrine.

– Tu es déjà célèbre. Tout le monde veut te rencontrer !

Siena produisit un son comme si elle acquiesçait. Livédia ne connaissait pas grand-chose aux bébés, mais elle trouvait que Siena était bien singulière. Elle ne pleurait que très rarement, même pour réclamer la tétée. Elle dormait quand Livédia dormait et se réveillait quand elle se réveillait. Du reste, elle ne dormait pas beaucoup, restant le plus souvent dans son berceau, les yeux grands ouverts à regarder ses mains. Même les infirmières s'en étaient étonnées, qualifiant Siena de bébé précoce. Juste avant qu'elle ne quitte l’infirmerie et ne regagne ses quartiers, un dernier visiteur vint voir Livédia… en apparaissant dans la pièce comme par magie.

– El ! Tu es venu !

Le Mélénis la serra dans ses bras.

– J'aurai voulu être là pour l'accouchement, je suis désolé. J'aurais pu user du Flux pour que tu ne sentes pas la douleur.

– J'aurais dit non, certifia Livédia. On ne triche pas avec la naissance de son premier enfant.

El se pencha vers le berceau pour observer Siena, qui était encore éveillée.

– Elle a tes yeux, constata-t-il. Mais après, c'est le portrait de son père. En esprit aussi.

– En esprit ? interrogea Livédia. Comment peux-tu sentir ce que pense un nourrisson ?

– Je ne peux pas, mais je peux remonter la ligne du Flux la concernant pour me projeter dans son futur. Je peux voir qu'elle aura un grand avenir, et que son nom retentira longtemps à travers l'Histoire. Je peux voir qu'elle affectera sensiblement le destin d'un grand monde de personnes. Elle sera aimée, respectée, crainte, détestée. Elle se fera modeler par quelqu'un, puis elle modèlera les autres.

 Livédia eut un léger rire.

– C'est ça qui me manquait le plus chez toi. Tes paroles mystérieuses et en énigme que je peux à peine déchiffrer...

– Je n'arrive pas non plus, le plus souvent, à déchiffrer le destin. Et concernant ta fille, c'est encore moins clair que d'habitude. Mais une chose est certaine ; Siena Tender marquera de façon significative le cours de l'avenir.

 
***
 

Livédia dut se l'avouer : elle avait craint qu'El ne soit revenu que pour le travail qu'ils s'étaient promis de faire, tous les deux. Car aussi contente qu'elle fut de le revoir, elle ne songeait pas du tout, si peu de temps après l'accouchement, de s'adonner aux plaisirs de la chair dans l'espoir de concevoir un autre enfant. El allait devoir être un peu patient. Quand le Mélénis capta cette pensée en elle, il éclata de rire.

– Quelle opinion tu as de moi ! Bien que je sois en effet un mâle, j'ai – au cours de mes dix-mille ans d'âge – acquis suffisamment de patience pour savoir refréner mes pulsions naturelles et éviter d’exiger quoi que ce soit de ma partenaire quelques jours seulement après son accouchement.

Livédia lui offrit un sourire d'excuse.

– Désolée. La seule opinion des hommes que j'ai me vient de mon père quand il me mettait en garde contre tous ces types libidineux qui ne penseront qu'à mon entre-jambe. Mais je crois finalement qu'il prenait un peu son cas pour une généralité.

– Je suis venu pour te voir, toi et le bébé, mais je vais vite repartir. Il me reste encore du travail pour éloigner les serviteurs d'Asmoth. J’essaierai de revenir dans six mois environ.

– Je ne bouge pas de là, assura Livédia.

Ils se quittèrent par un baiser, alors qu'El disparaissait comme à son habitude d'un coup. Les mois suivants furent probablement les plus heureux que Livédia n'ai jamais vécus. Être mère était quelque chose de formidable, bien que pas toujours facile. Livédia devait remercier Arceus que Siena fut franchement un bébé facile à gérer, qui dormait toujours à des horaires précis et qui mangeait de même. Hegan en fit la remarque, une fois :

– Voilà une enfant qui ne te refile guère d'insomnie. Je me rappelle, quand Lusso avait son âge, et même après... Je me demande encore comment j'ai pu rester sain d'esprit à cette époque.

Quand elle reprit le travail après ses congés de maternité, Livédia fit assez confiance à Zeff et Lusso pour s'occuper de Siena tandis qu'elle et Hegan étaient absents. Enfin, elle faisait un peu plus confiance à Zeff, quand même. Lusso était un gamin très gentil, mais il n'aurait pas été surprenant qu'il ne tente quelconques bêtises de son cru avec Siena. Entre temps, le projet Diox-BOT avait bien avancé. Ils avaient activé le robot avec une intelligence artificielle basique et toutes ses armes désactivées. Pour la première fois, Livédia entendit la voix de leur création. Elle était très réussie, avec des tonalités différentes qui donnaient un petit écho, ce qui ajoutait à l'air divin de la chose.

– Bonjour, chers créateurs, je suis Diox-BOT, mécha-droïde à l'image d'Arceus pour servir la Team Rocket. Quels sont mes ordres ?

Tout le monde se congratula en applaudissements satisfaits, mais pas Livédia. Entendre ces mots polis de cette voix grave, profonde et multiple, de même que voir ses petits yeux verts lumineux qui ne cessaient de la dévisager, lui donna la chair de poule. Il fonctionnait, mais il restait encore beaucoup à faire, notamment pour créer son cortex neuronal, qui lui permettrait de posséder une intelligence bien au-dessus de l'être humain et une autonomie sans faille. Mais le Boss était satisfait. Il leur fit savoir en invitant tous les scientifiques du projet à un grand dîner dans sa base mère en sa compagnie. Livédia eut d'ailleurs la place d'honneur en siégeant à ses côtés. Nul doute que ce ne fut pas un hasard.

– Vous avez tant apporté à la Team Rocket, chère Livédia, comme votre père l'a fait avant vous, lui dit Giovanni en se penchant vers elle pour qu'elle seule l'entende. Vous avez ma reconnaissance éternelle.

Il lui prit discrètement la main sous la table. Livédia ne se dégagea pas mais resta protocolaire.

– C'est un honneur de vous servir ainsi que la Team Rocket.

Hegan lui avait souvent parlé de Giovanni, et bien qu'il soit son meilleur ami, il reconnaissait qu'il avait de nombreux défauts ; l'un d'eux étant son appétit insatiable pour les femmes. Selon Hegan, il avait déjà onze enfants différents, et avec peu de différence d'âge car les ayant faits à court intervalle avec plusieurs femmes. Giovanni n'avait eu qu'une seule épouse, jadis, avec qui il avait eu un seul enfant. Il s'agissait de la mère d'Estelle, sa première fille. Mais cette femme était morte, et le Boss ne s'était jamais remariée, mais ses maîtresses nécessitaient plus que deux mains si on voulait les compter. Et – Hegan l'avait prévenu à ce sujet – Giovanni n'avait aucun problème à courtiser les femmes d'autrui, même des hommes qui travaillaient pour lui. Personne ne disait rien, bien sûr ; il était le Boss, et il prenait ce qu'il voulait.

Au vu de sa loyauté envers Giovanni, Livédia était certaine qu'Hegan aurait accepté de lui « prêter » sa femme. Et elle se devait de reconnaître que le Boss était un homme charmant, distingué et fort intelligent. Bien des femmes se seraient battues pour lui, qui avait l'argent, le pouvoir, la jeunesse et la beauté. Mais la situation sentimentale de Livédia étant ce qu'elle était - très compliquée - elle n'avait nulle envie d'avoir un troisième homme dans sa vie, fut-il le Boss de la Team Rocket. Elle tâcha donc rester distante avec lui durant toute la durée du repas, en prenant garde toutefois de ne pas l'offenser.

Plus sa prochaine rencontre avec El approchait, et plus la jeune femme commençait à hésiter. Elle avait accepté de s'unir à lui sous le coup de l'émerveillement face à ce qu'il était, à ce qu'il ferait avec son enfant, et à son charme indéniable. Mais désormais, elle avait une famille. Elle avait une fille, et un mari. Bien que leur mariage soit nécessaire pour le plan, Livédia avait été sincère en prononçant ses vœux ; dont l'un d'eux, justement, était la fidélité. Elle aimait Hegan et ne voulait pas le blesser. Aussi, un soir après avoir couché Siena, alors qu'ils étaient allongés dans leur lit, Livédia lui dit d'un bloc :

– El va revenir bientôt. Si tu ne veux pas que je le fasse... Si ça te gène en quoi que ce soit, je ne le ferai pas.

– Tu lui as fait une promesse. Au Boss aussi, en quelque sorte. Il serait très fâché s'il n'obtenait pas son enfant Mélénis.

– Je me fiche de Giovanni et de ce qu'il veut ! C'est de toi que je parle.

Le général soupira.

– Livédia, tu m'as apporté ces derniers mois un bonheur tel que je n'en ai plus connu depuis mes jours passés avec Sienela. Tu m'as donné une nouvelle vie. Je te dois tant, et je serai mal inspiré de t'en vouloir pour quelque chose que tu as décidé par bonté et par amour. C'est aussi pour cela que je t'aime comme personne.

Livédia fut touchée, plus qu'elle ne l'aurait cru, et se détourna pour essuyer ses larmes.

– Du reste, poursuivit Hegan, tu as fait cette promesse au Mélénis bien avant de m'épouser, donc techniquement, elle prévaut sur tout ce qu'on a pu se jurer après.

– Mais tu es en colère contre El...

– Non, je ne suis pas en colère.

– Vraiment ? Même pas un peu jaloux ?

– Ce n'est pas la même chose. Bien sûr, je suis jaloux. Je suis un homme. Mais je n'ai pas de colère contre lui, seulement de la reconnaissance. Ce type t'a sauvée la vie ; sans lui, je ne t'aurais pas. Puis il a pris sur lui de se tenir loin de son enfant pour le protéger, nous laissant toi et moi. Il a accepté que j'élève son enfant. Et je le ferai comme si c'était le mien, de ça il a ma parole, et toi aussi. S'il ou elle vient de toi, je ne pourrai que l'aimer.

Livédia n'avait jamais autant aimé Hegan Tender qu'en cet instant. Et elle le lui démontra pendant une bonne partie de la nuit. En prenant leurs précautions, bien sûr. Il ne s'agirait pas de retomber enceinte maintenant, juste avant l'arrivée d'El.

 
***
 

– Tu hésites ?

El se trouvait au-dessus d'elle, totalement nu, où Livédia avait une bonne vue sur son corps parfait. Pourtant, voilà qu'au moment de l'acte, El semblait... gêné.

– Je n'ai pas été totalement franc avec toi, avoua-t-il.

Méfiante, la jeune femme plissa les yeux.

– Et c'est maintenant que tu me le dis ? Que m'as-tu caché de si grave pour que tu ais l'air d'avoir avalé une baie Tomato entière ?

– C’est quelque chose que j’évite de dire. Même la plupart de mes disciples Mélénis actuels l’ignorent. Mais je tiens à ce que les femmes qui partagent mon corps le sachent.

Livédia eut un rire ironique.

– J’imagine qu’il y en a eu un paquet, en dix-mille ans…

– Pas tellement. Dans ma position, j’évite de trop me lier aux autres. La plupart de ces femmes n’ont été qu’une aventure d’un soir. Mais il y en a eu une avec qui j’ai vécu un moment, et avec qui j’ai même eu un enfant. C’était il y a longtemps. Je me rappelle même plus de son visage…

Les yeux verts du dieu Mélénis brillèrent de nostalgie et de tristesse, avant de se reprendre.

– Excuse-moi. Ce n’est pas vraiment le moment de te parler d’autres femmes. Mais comme pour elles, je tiens à ce que tu le saches avant que l’on… commence. Vois-tu… Je ne suis pas totalement un humain.

– Bah non, fit Livédia sans comprendre. Tu es un Mélénis.

– Les Mélénis sont des humains, du moins au niveau organique. Mais moi, à l'origine, je n'étais ni l'un ni l'autre.

Il se redressa, respira un grand coup, et dit :

– Je t'ai raconté un jour qu'Arceus avait eu deux fils, qu’il avait chargé de régner sur les Mélénis. Et que bien plus tard, les Mélénis combattirent leurs Dieux et les emprisonnèrent à jamais dans des corps d'humains. Je suis l'un de ces dieux. Je suis Elohius, fils d'Arceus, et moi et mon frère Asmoth avons été trahi par le peuple qu'avait créé notre père, et transformés en humains immortels pour l’éternité.

L'information était si saugrenue qu'elle mit un moment à pénétrer l'esprit de Livédia.

– Tu... tu es un Pokémon ?

– J'étais. Rien dans mon corps ne me distingue d'un humain normal à présent, bien que mon âme soit toujours en partie celle du Pokémon Légendaire que j'étais autrefois. De ce fait, j’évite de m'unir à une humaine, bien que cela me soit possible. Comme je te l’ai dit, j’ai déjà eu un enfant d’une humaine. Une fille. Elle est devenue une demi-Mélénis, mais a irrémédiablement hérité d'une partie Pokémon. Ça c’est… mal fini pour elle, et j’ai été puni par mon père pour cela. Mais j'ai fini par me rendre compte... Arceus nous a abandonné, nous, ses fils, et ne se soucie même plus de la Prophétie des Élus et de l'Endless. En tant qu'ancien Élu de la Lumière, j'ai le devoir de faire perdurer la Prophétie et d'empêcher Asmoth d'arriver à ses fins. Alors je te le demande, Livédia Tender : en sachant ce que je suis au plus profond de moi, acceptes-tu toujours de t'unir à moi pour qu'ensemble on conçoive le futur Élu de la Lumière ?

– Que sera notre... Je veux dire... Que deviendra exactement notre enfant ?

– Je ne le sais pas trop. Je ne peux pas prendre l’exemple de ma fille et en faire une généralité. Le seul autre Pokémon ayant engendré un enfant avec un humain est Mew, après avoir usé de Morphing pour s'octroyer un corps d'homme. Le résultat de cette union fut Sparda, le mi-Pokémon, primogéniteur des Aura Gardiens. Mais pour nous, ce sera différent. Techniquement, je suis un humain, tout comme toi, si ce n'est que je possède un Flux amélioré qui me vient de mon père. Je pense que notre enfant sera humain. Il possédera le Flux, mais aura une infime partie de Pokémon en lui.

Cette idée fit naître un sourire sur le visage de Livédia. Elle serait la mère du petit-fils d'Arceus, rien que ça ! Bizarrement, que son amant fut autrefois un Pokémon ne semblait pas la troubler outre mesure. Ce n'était pas plus étrange que le reste, après tout. Mais il y avait autre chose qu'elle voulait savoir.

– Les Mélénis t'ont trahi et t'ont enlevé ton ancienne vie, ainsi que ton statut et tes pouvoirs. Pourquoi es-tu devenu l'un des leurs ? Pourquoi ne les haïs-tu pas ?

– Je les ai haïs, au début, avoua El. Mon frère et moi, on ne songeait qu'à nous venger, d'eux, et aussi de notre père, qui les avait laissé faire. Mais j'ai fini par me lasser de cette haine. Et j'ai fini par me lasser de la solitude, alors, après des siècles, je les ai rejoints. Leur race était déjà en stagnation, et les Mélénis d'alors n'avaient rien en commun avec ceux qui m'avaient emprisonné. Ils regrettaient le geste de leurs ancêtres, et m'ont accueilli comme le Dieu que j'étais autrefois. Depuis, je continue de guider ceux qui restent.

– Et ton frère ?

– Lui n'a jamais pu oublier sa rancœur. Après tout, il représentait les ténèbres, et était bien moins ouvert que moi au pardon. Il tua plusieurs Mélénis au cours des années qui précédèrent leur chute. Il en captura certain, pour en faire ses soldats loyaux. Mais je crois qu'il déteste Arceus encore plus qu'eux.

– Encore une question. Je suis curieuse à ce sujet. À quoi tu ressemblais quand tu étais un Pokémon ?

Elohius eut un pauvre sourire.

– Tu veux connaître la terrible vérité ? Je ne m'en rappelle-même pas. Et inutile de chercher des représentations de moi ou de mon frère dans vos encyclopédies. Nos noms ont été effacés de l'histoire et de la mythologie depuis longtemps. Mais il reste encore quelques peuples primitifs proches de la civilisation Mélénis qui se souviennent encore de nous et qui nous vouent un culte. Il doit rester aussi quelques références chez les chercheurs de légendaires les plus passionnés et dans certaines légendes. On me nommait Elohius, le Seigneur du Ciel, Dieu de la Lumière... et Pokémon des Miracles.

 
***

 
Livédia savait qu'elle était enceinte le lendemain. El lui avait affirmé que les Mélénis n’avaient besoin que d’un seul rapport pour concevoir leurs enfants. Livédia se demandait quel genre de destin prédéterminé avait décidé pour elle qu'elle irait coucher avec le fils d'Arceus, le créateur de l'univers et le plus rare de tous les Pokémon, et qu'elle porterait son enfant, un hybride possédant un pouvoir stupéfiant et destiné par une ancienne prophétie à aller affronter l'incarnation du néant dans un combat qui déciderait du futur de l'univers. Dit comme ça, Livédia elle-même trouvait ça risible.

El resta peu de temps, mais revint lui rendre visite quelques jours chaque deux mois. Quand Livédia passa l'échographie, une nouvelle fois grâce aux bons soins de Natael, elle eut une surprise. Elle n'attendait pas un garçon, ni une fille, mais les deux. Des jumeaux. Voilà qui était inattendu, et qui allait peut-être ajouter des problèmes avec Hegan. Mais d’un autre côté, elle ne pouvait s’empêcher d’être heureuse. Elle s'interrogeait aussi sur le futur de la Prophétie. Pouvait-il y avoir deux Élus de la Lumière ? Mais El, quand il apprit la nouvelle et après sa propre surprise, lui dit :

– Il ne peut y avoir qu'un seul Élu de la Lumière à la fois, et ce sera normalement le premier né. Mais l'autre aura lui aussi le Flux. Voilà qui est heureux pour la lumière, et pour le futur de la race même des Mélénis. C'est très rare pour eux d'avoir des jumeaux. Ça n'est arrivé que deux fois en tout, si je me souviens bien.

– Comment voudrais-tu les appeler ?

El secoua la tête.

– Chez les Mélénis, on nomme nos enfants dès leur naissance. Leur nom vient du Flux lui-même, qui est transmis à leurs parents.

– Je devrais donc laisser le Flux choisir le prénom de mes enfants ? ricana Livédia.

– Il n'y a aucune inquiétude à avoir. Les noms qui me seront transmis seront la représentation écrite de l'âme des enfants. Aucun autre nom ne leur irait mieux. Et nous ne pourrons que les approuver.

Livédia dut donc dire à Zeff et Lusso qu'elle préférait cette fois attendre la naissance pour choisir les noms, et subir chaque journée une centaine de propositions de leur part. Elle avait mal au ventre de leur mentir sur l'identité du père, surtout à Lusso, qui pensait que les jumeaux étaient ses demi-frères et sœurs. Hegan promit à Livédia de le lui dire, quand il serait plus âgé. Entre temps, Siena avait fêté sa première année, et se baladait à quatre pattes dans tous l'appartement. Et avec sa grossesse avancée, Livédia avait du mal à la suivre et devait compter sur Zeff pour l'empêcher de faire des bêtises. Il n'aurait servi à rien de compter sur Lusso, étant donné que c'était généralement lui qui montrait les bêtises à sa sœur.

Cette fois ci, El arriva un mois avant l'accouchement, avec la promesse de rester jusqu'à l'évènement et même quelque temps après. Hegan profita de l'occasion pour se lancer dans une vaste campagne militaire contre la Garde Noire à Mandad, qui devait durer deux mois. Livédia savait qu'il n'était pas obligé d’y aller lui-même, mais elle savait aussi qu'il désirait la laisser seule avec El pour l'accouchement et les jours suivants, qu'ils partagent leur joie à deux.

– C'est un homme bon et brave, répondit El quand Livédia le lui dit. Je n'aurais pas rêvé meilleur tuteur pour mes enfants. Ceci dit, je ne vais pas rester longtemps après. J'ai beaucoup de choses à faire.

– Mais tu reviendras, dit ?

– Plus je viendrai, et plus je vous mettrai en danger, toi et les enfants. Et puis, il serait compliqué que j'entretienne des relations avec les jumeaux avant leurs dix-huit ans, quand je leur apprendrai la vérité.

Livédia en convenait. Et bien qu'Hegan soit le plus gentil et compréhensif des hommes, elle ne pouvait pas lui imposer d'avoir éternellement à la partager avec un autre homme. Mais ça ne l'attristait pas moins. Enfin, pour l'instant, elle devait juste profiter de la présence d'El et de la naissance imminente des jumeaux.
Quand elle arriva, Livédia renia ses convictions profondes et supplia El de faire cesser la douleur ; elle ne se rappelait pas que ce fut si dur lors de la première fois. Peut-être parce qu'ils étaient deux, cette fois, et qu'ils semblaient presque se battre pour avoir le privilège de sortir en premier. Finalement, ce fut le garçon qui émergea en premier. El le reçut dans ses bras, le dévisagea quelques instants, puis dit, solennel :

– Tu te nommeras Mercutio. Mon héritier, tu seras l'épée de la lumière et le bouclier de tous ceux qui souffriront près de toi. Ton destin sera grand, et un jour, tu te tiendras à Aerigin face à l'Endless, avec sur tes épaules le sort de l'univers entier. Je ne peux en voir le dénouement, mais je sais que tu porteras ce fardeau avec dignité, honneur, et avec la bonté propre à ceux qui naissent sous la lumière.

Puis, quelques minutes plus tard, la fille émergea à son tour, et une nouvelle fois, son père la nomma et lui déclara ces puissants mots d'avenir.

– Tu te nommeras Galatea. Bien que ton destin t’entraînera sur d'autres chemins que celui de ton frère, il sera aussi grand que le sien. Car, je le sais, il ne pourra pas accomplir la Prophétie de Mew sans ton intervention. Ta gentillesse et ton amour éclairera bien des êtres au cours de ton existence. C'est toi qui seras amenée à faire perdurer l'héritage des Mélénis, et, je le sens, tu instruiras de ta sagesse quelqu'un qui sera central pour le futur de ce monde.

Quand il eut terminé sa déclaration, il posa Galatea au creux du bras de Livédia, où elle rejoignit son frère. Livédia regarda pendant longtemps les jumeaux, ses enfants, mais aussi les petits-enfants du Créateur et les héritiers des Mélénis. Mercutio et Galatea... El ne s'était pas trompé quand il faisait confiance au Flux pour choisir les noms.

Tout comme Siena, Mercutio avait les yeux bleus de sa mère, mais elle pouvait distinguer quelques cheveux bleus sur son crâne, comme son paternel. Galatea, quant à elle, possédait les yeux émeraude d'El, mais le visage et les cheveux magenta de Livédia. En les ayant de chaque côté, Livédia se sentait comme en équilibre avec le monde entier.

 
***
 

Il semblait à Livédia que Siena n'était pas forcément ravie de ces nouveaux arrivants. Du haut de ses un an et demi, l'enfant montrait déjà un sérieux caractère, et n'hésitait pas à taper son frère ou sa sœur. Bien qu'ayant été une enfant formidablement gentille, voilà qu'elle se mettait à hurler sans raison et à repousser les assiettes qu'on tentait de lui faire avaler. Livédia commençait à s'en inquiéter, mais El la rassura :

– C'est une réaction naturelle. Elle défend son territoire face à des envahisseurs qui en plus lui vole l'attention de sa mère. Elle finira par s'habituer, comme tout le monde.

Livédia observait ses jumeaux qui, à un mois seulement, laissaient déjà entrevoir des caractères bien différents. Galatea était un bébé toujours souriant, affectueux, recherchant la compagnie, mais qui, quand elle était insatisfaite, le faisait savoir avec des cris qu'on attendait depuis la grande cour de la base. Mercutio, lui, était plus calme, moins désireux de présence autour de lui, et il faisait montre d'une curiosité et d'une attention peu commune à son âge. Quand quelqu'un arrivait devant lui, il pouvait le dévisager pendant plusieurs quarts d'heure, de même qu'il pouvait fixer quelque chose de précis un long moment. En l'absence d'Hegan, Livédia avait fait seul le choix des parrains, mais par souci d'égalité, en veillant à choisir quelqu'un de proche à son mari. Ainsi, son ami à elle, Natael, était devenu le parrain de Mercutio, et Livédia avait contacté le Boss elle-même pour lui demander d'être le parrain de Galatea. Elle ne savait pas trop si c'était convenable de choisir son patron et un homme si important, mais ça ferait plaisir à Hegan, sans aucun doute.

– Vers quel âge le Flux se manifestera-t-il chez eux ? osa demander Livédia.

– Je ne saurais le dire, répondit Elohius. Ce n'est pas vraiment une question d'âge, en fait. Le Flux est déjà en eux, mais contenu par ce qu'on pourrait appeler une barrière. Il sera libéré lorsqu'ils ressentiront une émotion telle qu'elle détruira cette barrière. Cela peut-être à dix ans comme à vingt. Ça dépend de leur environnement et de la situation.

– Je ne crois pas que le Boss sera vraiment ravi si leurs pouvoirs ne se montrent pas avant leur majorité.

– Si tel est le cas, je les lui laisserai plus longtemps. De toute façon, avant de les former, il serait mieux qu'ils aient déjà fait l'expérience du Flux et de ses possibilités.

– Je suis totalement ignorante en Flux. Qu'est-ce que je devrais faire quand il se présentera ? Leur dire la vérité ?

– Non. Je le sentirai quand ils utiliseront le Flux pour la première fois, et je peux facilement me lier à leurs esprits pour communiquer. Ne t'inquiète pas à ce sujet, je m'en chargerai. Il y a juste une chose à laquelle tu devras être très attentive.

Le ton d'El était devenu tout ce qu'il y avait de plus sérieux. Livédia se redressa sur le canapé.

– Qu'est-ce que c'est ?

– Il existe une loi chez les Mélénis, qui existe depuis la nuit des temps, et qui, aujourd'hui encore, malgré leur très faible nombre, se doit d'être appliquée. Il existe une catégorie de personne que les Mélénis ne doivent en aucun cas côtoyer. As-tu déjà entendu parler des Gardiens de l'Harmonie ?

– Oui, dans les contes pour enfants. Ce sont ces preux héros d'autrefois qui posséderaient le don d'un Pokémon Légendaire, et pour mission d'apporter la paix et de combattre toute forme de mal et d'injustice.

– C'est cela, à ceci près que c'est un peu plus qu'une légende. Les Gardiens de l'Harmonie ont réellement existé, et furent les auteurs de la chute de grandes figures du mal, tel Maleval l'Obscur. Mais leur caste s'est éteinte il y a de ça cinq cent ans.

– S’ils n'existent plus, pourquoi me prévenir ?

– Ai-je dit cela ? J'ai dit que leur caste s'est éteinte, mais ils ont pu avoir des descendants et transmettre leur don, bien que selon leur loi, procréer leur soit interdit. Ceux qui possèdent le Flux en eux, même en sommeil, ne doivent jamais fréquenter ceux qui possèdent le Don des Gardiens de l'Harmonie.

– Pourquoi cela ? Sont-ils ennemis ?

– Non. À l'époque où les Gardiens de l'Harmonie sont apparus pour la première fois, la civilisation Mélénis était déjà tombée en désuétude, et il n'en restait qu'une poignée, plus ou moins éparpillée. Nous n'avions aucun antagonisme envers eux, ni eux envers nous. Nous avons même établi contact ensemble. Mais voilà ; nous avons décidé communément de ne jamais plus nous croiser. Archangeos, le Pokemon Légendaire qui commandait aux Gardiens, a compris que jamais quelqu'un qui possède le Flux ne devait engendrer un enfant avec quelqu'un qui possède le Don. L'enfant hériterait alors des deux pouvoirs. Et selon Archangeos, un enfant né d'une telle union ne pourrait être que profondément maléfique et perverti, et aussi d'une puissance diabolique.

– Mais comment cela ce peut-il ?

– Un effet secondaire du croisement entre le Flux et le Don, qui créerait un pouvoir unique et inconnu, mais qui dévorerait peu à peu l'âme de son hôte. De tels enfants seraient immortels, et d'une puissance qui rivaliserait avec celle d'Arceus en personne. Selon les termes d'Archangeos, ils seraient des Trous dans le Monde. Mais malgré ses mises en garde, une Mélénis, du nom de Tianus, et un Gardien, du nom de Zepathéos, s'unirent et engendrèrent un fils. Ils refusèrent de le tuer après sa naissance. Ils pensaient qu'en lui donnant toute l'amour nécessaire et leur sens de la justice, il n'y avait aucune raison qu'il ne sombre dans les ténèbres. Ils pensaient que conjointement, ils pourraient maîtriser ses pouvoirs démoniaques. Inconscients qu'ils étaient ! À l'âge de six ans à peine, Vistarte tua ses parents, et avant même que les Mélénis ou les Gardiens n'aient pu l'arrêter, il se leva une armée et se lança à la conquête du monde. Ce fut une guerre qui dura près de deux siècles. Le monde a bien failli disparaître dans ce conflit, et tous, nous avons perdu espoirs de pouvoir arrêter le Trou dans le Monde et ses pouvoirs sidéraux. Il a fallu qu'Arceus lui-même et la plupart des Dieux Pokémon interviennent pour vaincre Vistarte. Depuis, Arceus et les Dieux ont établi cette loi que nul ne doit enfreindre. Si jamais un autre Trou dans le Monde venait à naître, le Créateur lui-même se chargerait de le tuer, et de châtier sévèrement ses parents. C'est pour cela, Livédia, que jusqu'à que je me charge de la formation des jumeaux, tu devras être très attentive à leur fréquentation.

– Mais... protesta la jeune femme, comment suis-je censé reconnaître quelqu'un qui possède le Don des Gardiens de l'Harmonie ?

– Peut-être ont-ils tous disparu, je n'en sais rien, répondit El. S'il en reste, ils doivent être vraiment très peu nombreux. Mais on reconnaît facilement quelqu'un qui possède le Don. C'est un pouvoir qui entoure d'une aura de vérité et de charisme son possesseur. C'était grâce à ça que les anciens Gardiens de l'Harmonie se faisaient reconnaître, et que tout le monde, humains ou Pokémon, les aidaient dans leurs tâches. Quand on est en présence de quelqu'un avec le Don, on est irrémédiablement admiratif devant lui. On perd plus ou moins le contrôle de nos émotions, et on est écrasé par la présence de l'individu.

– Comme un coup de foudre, plus ou moins ?

– Si tu veux, mais les deux ont leur différence. Face à quelqu'un qui possède le Don, qu'il soit de ton sexe, qu'il soit un vieillard ou un nourrisson, tu ressentiras la même chose. Et tu devineras que ce qui t'arrive n'est pas naturel. Tu devras toujours tenir les jumeaux à distance de ce genre de personne, s'il en existe encore. Tu as bien compris ?

– J'ai compris, l'assura Livédia.

El partit le mois suivant, avec la promesse de revenir bientôt, mais Livédia savait que ce serait pour la dernière fois. Peu de temps après, Hegan revint, ce qui remit du baume au cœur de Livédia. Elle s'était inquiétée de la réaction de son époux devant ces deux enfants qui n'étaient pas les siens, mais Hegan se comporta avec eux comme il le faisait avec Siena, ce qui réconforta Livédia. La jeune femme eut droit après à une visite de ses parents pour voir les jumeaux. Elle se sentit une nouvelle fois gênée de cacher la vérité à ses proches, mais ils ne posèrent aucune question sur le fait que Mercutio ne ressemblait ni à elle ni à Hegan, ni d'où provenait les yeux émeraudes de Galatea alors que Livédia et Hegan avaient tous les deux les yeux bleus. Après avoir contemplé un moment les enfants, Karus tendit une Pokeball à sa fille.

– Très important : tu devras conserver cette Pokéball, et le jour venu, la remettre à la fille de Mercutio.

Livédia cligna des yeux sans comprendre.

– La fille de... Mais qu'est-ce que tu racontes ?

– Arrivera un moment où elle disparaîtra pendant un certain temps, poursuivit l'ancien Généralissime avec un ton empreint de nostalgie. Mais elle reviendra, et quand elle le fera, je veux que tu lui donnes la Pokéball. Ne l'ouvre pas. Conserve-la secrètement, et remets-la à Valkyria, la fille de Mercutio, quand le moment sera venu. Dis-lui que c'est de la part de son arrière-grand-père Surak. Elle devrait comprendre.

Livédia, surprise, interrogea sa mère du regard, mais celle-ci se contenta d'un haussement d'épaule. Ça faisait longtemps qu’elle avait accepté les bizarreries de son époux sans plus se poser de question.

– Qu'est-ce que tu veux dire par Surak ? l'interrogea Livédia. Et comment pourrais-tu savoir que Mercutio aura une...

– Ne cherche pas à savoir, ma fille, coupa Karus. Et non, je ne suis pas encore totalement sénile. Fais ce que je te dis. C'est important.

Livédia avait fini par accepter, bien que ne comprenant pas du tout les raisons du comportement de son père. Il avait toujours été un peu bizarre, et semblait toujours savoir des choses que la plupart des gens ignoraient. Elle était curieuse de savoir quel genre de Pokémon se trouvait dans cette Pokéball, mais elle se retint de l'ouvrir. Son père était toujours sérieux quand il demandait quelque chose à quelqu'un. Elle cacha donc la Pokéball dans un fond de tiroir de son armoire personnelle.

 
***

 
C'était une autre nuit que Livédia passait seule. Enfin, elle avait ses trois enfants avec elle, mais Hegan était parti pour une réunion importante de l'état-major du Boss au quartier général et ne devait rentrer que dans plusieurs jours. Lusso devait être, comme à son habitude, en train de commettre un méfait de plus dans la base ; quant à Zeff, il était sorti hors de l'enceinte, comme il lui prenait l'habitude depuis quelque temps.

Il aimait bien sortir la nuit et regarder les étoiles, seul, dans la petite clairière qui bordait la base. Livédia ne pouvait savoir ce qu'il se passait dans l'esprit du jeune garçon, et Zeff n'était pas quelqu'un qui s'ouvrait facilement. Mais elle pouvait se douter que Zeff pensait à son avenir ; et aussi à son passé, à ses parents, assassinés, à sa région natale, Mandad, et à la Garde Noire contre laquelle il voulait se venger. Livédia voulait l'aider à faire le tri dans ses pensées, mais elle savait que le garçon avait atteint un stade où il devait d'abord réfléchir seul. Si plus tard, il voulait se confier à elle, Livédia serait prête. Elle voulait pour lui tout ce qui pouvait contribuer à son bonheur. Si Zeff voulait s'engager dans la Team Rocket pour aller combattre la Garde Noire, tant mieux. S'il voulait passer le reste de sa vie avec elle, tant mieux. Et même s'il désirait devenir dresseur, champion d'arène voir Maître Pokémon, et combattre la Team Rocket, tant mieux aussi. Elle l'avait adopté en connaissance de cause, et le soutiendrait dans toutes ses décisions.

Comme la pluie commençait à tomber dehors, Livédia espéra que Zeff serait vite de retour. Quand un éclair frappa, cela fit sursauter la petite Siena, qui alla se réfugier derrière les jambes de sa mère. Cette dernière achevait de faire téter Galatea. Son frère Mercutio était déjà endormi dans son landau.

– N'aie pas peur, chérie, dit Livédia à sa fille aînée. Ça fait du bruit, mais rien ne peut t'atteindre ici.

– Je n'en serai pas si sûr, fit une voix rauque.

Ce fut au tour de Livédia de sursauter, et quand elle vit l'homme qui venait d'apparaître au centre de la pièce, un filet de sueur froide coula le long de sa nuque. Elle ne l'avait plus revu depuis presque deux ans, pourtant, elle ne pouvait oublier son visage torve, dénué d'un œil. Miridas, le serviteur Mélénis d'Asmoth. Livédia se leva et serra instinctivement Galatea contre elle, en plaçant Siena derrière elle, mais elle ne pouvait rien faire de plus. Miridas se trouvait devant elle et la porte. Et de toute façon, même si elle avait eu l'ignoble lâcheté de tenter de fuir en laissant ses enfants là, Miridas l'aurait ramené en un claquement de doigt. Ce dernier regarda de droite à gauche, puis pencha sa tête comme pour humer l'air.

- Elohius n'est pas là pour te protéger, cette fois, humaine. Nous allons pouvoir régler nos comptes.

Il regardait d'un air gourmand le bébé que Livédia tenait dans ses bras, ainsi que celui qui dormait encore paisiblement dans son landau. Toute peur quitta soudain Livédia. Il ne resta plus que de la colère, et de la détermination. Qu'importe ce qui lui arriverait, elle ne laisserait pas cet homme toucher à un seul cheveu de ses enfants. Pourtant, elle était consciente qu'elle n'avait rien pour se défendre. Pas même un Pokémon...

Puis elle se rappela. La Pokéball que son père lui avait remise pour la soi-disant fille à venir de Mercutio ! Il lui avait demandé de ne pas chercher à l'ouvrir, mais c'était une situation d'extrême urgence. Quel que soit le Pokémon qu'il y avait dedans, Livédia ne pariait pas sur ses chances face à un Mélénis, mais peut-être qu'avec l'effet de surprise... De toute façon, elle n'avait qu'une autre solution. Elle recula, ne quittant pas Miridas des yeux, cherchant à s'approcher le plus possible de l'armoire où elle avait rangé la Pokéball.

– Tu ne peux pas fuir, humaine, fit Miridas. Soit raisonnable, et tu vivras, de même que tes enfants.

– Vous... Vous n'allez pas leur faire de mal ?

– Quelle idée ! Alors que je peux ramener à mon Maître Asmoth deux enfants Mélénis, dont l’Élu de la Lumière ! Il en fera ses disciples, et ainsi, il n'y aura pas un Élu de la Lumière et un des Ténèbres, mais bien deux des Ténèbres. Mon Maître aura d’ores et déjà gagné !

Le visage de Livédia se crispa. Elle cherchait à tâtons de sa main libre la poignée du tiroir où était rangée la Pokéball, le cachant à Miridas de son corps.

– Je préfère savoir mes enfants morts plutôt qu'esclaves d'Asmoth ! répliqua Livédia.

– De biens dures paroles de la part d'une mère, commenta Miridas. Mais de toute façon, tu n'as pas le choix. Tes enfants seront ceux du Dieu des Ténèbres, et toi, tu lui auras servi à créer la future génération de Mélénis Noirs.

– De même que je serai morte avant que ton maître me touche !

Miridas ricana. Livédia en profita pour ouvrir doucement le tiroir, et sa main se referma contre la sphère froide de métal.

– Te toucher ? Pauvre sotte. Tu penses réellement que le Seigneur Asmoth accepterait de s'accoupler avec une humaine qui a déjà été souillé par la semence d'Elohius le pleutre ? Et puis, il n’a plus aucun besoin d’une Favorable, vu qu'il aura à sa disposition une demi-Mélénis, qui plus est de son sang.

Miridas jeta un regard amusé et malsain sur Galatea, encore logée dans les bras de sa mère. Ça, plus qu'autre chose, fit réagir Livédia, et elle jeta la Pokéball sur le front du Mélénis. Surpris, il fut un moment désarçonné par l'éclair de lumière alors que la Pokéball s'ouvrait. Livédia n'avait jamais vu ce Pokémon. Dans le cas contraire, elle s'en serait forcément rappelée, car elle le trouvait trop chou. On aurait dit un petit loup sur deux pattes, haut comme un enfant. Il était tout habillé de rouge, et portait un long bonnet serti de deux trous pour laisser passer ses oreilles. Enfin, il avait une clochette dorée au cou, qui joignait son habit rouge comme une cape.

Il avait l'air mignon, certes, mais Livédia eut une vision furtive de ses énormes griffes couleur sang avant que le Pokémon ne se jette férocement sur Miridas et lui laboura le visage en le mordant à la gorge. Le Mélénis poussa un cri terrible, se débattit, utilisa le Flux à l'aveuglette, faisant exploser plusieurs parties du mobilier. Livédia prit ses deux filles et alla se jeter sur le landau de Mercutio, faisant bouclier de son corps à ses trois enfants. Finalement, Miridas jeta à terre le Pokemon, qui se réceptionna gracieusement en grognant. Ses crocs et ses griffes dégoulinent de sang. Miridas, lui, était en bien mauvais état. Son visage était méconnaissable tellement il était lacéré et en sang, et sa gorge avait l'air bien ouverte. Il allait mourir bientôt, et Livédia doutait que le Flux ne puisse le sauver. Mais son œil unique brillait d'une lueur meurtrière bien vivace.

- Tant pis... Tant pis... grogna-t-il en titubant vers Livédia et ses enfants. Alors, je tuerai au moins les enfants d'Elohius ! Si Asmoth ne peut pas les avoir, personne ne les aura !

Livédia vit avec horreur les mains de Miridas briller d'une lueur noire, et elle savait qu'elle ne pourrait rien faire pour sauver ses enfants. Le Pokémon loup sauta, mais il arriverait trop tard. Miridas s'autorisa un rictus de satisfaction... qui se transforma en une grimace de surprise et d'effroi quand il vit dépasser de son corps une lame pointue. Miridas s'effondra, crachant du sang, fut secoué de tremblement, puis s'immobilisa à jamais. Son assassin, armé d'un couteau de cuisine, n'était nul autre que Zeff. Livédia posa Galatea à côté de son jumeau, et alla serrer son protégé dans ses bras.

– Tu nous as sauvés ! Moi et les petits... Merci Zeff... Merci à jamais !

– C'est la première fois que je tue quelqu'un, dit le garçon d'un air presque détaché.

Soudain, le cadavre de Miridas se mit à fluctuer, puis exploser en faisant trembler la chambre et en projetant tout le monde contre le mur. Zeff ne fut guère surpris par ce phénomène. Il dévisageait intensément Livédia et les bébés dans leur landau.

– J'ai entendu ce que cet homme a dit. Qui est Elohius, Liv ?

Livédia garda le silence, incapable de trouver les mots. Pendant ce temps, le Pokémon loup grimpa au-dessus du landau et renifla les jumeaux. Puis, sans rien de plus, il revint de lui-même dans sa Pokéball.

 
***

 
Livédia n'eut d'autre choix que de révéler la vérité à Zeff, du moins assez partiellement pour qu'il comprenne ses agissements. Elle lui fit jurer de ne rien dire à personne. Il le fit solennellement, mais Livédia voyait très bien qu'il la considérait désormais d'un air différent. Sans doute lui en voulait-il de le lui avoir caché. Ou alors la jugeait-il par le mépris pour avoir eu des enfants de deux hommes différents ? Tant pis. Livédia allait devoir faire avec, jusqu'à qu'il soit assez grand pour comprendre. Quand il apprit l'intrusion de Miridas dans sa base et dans ses propres appartements, Hegan rentra immédiatement, et fit tripler la sécurité. El revint lui aussi, pour se faire prendre à partie par le général, furieux.

– Je croyais que vous deviez la protéger ?!

– J'ai commis une erreur, avoua le Mélénis. Je me suis trop concentré sur Asmoth, en pensant que Miridas serait avec lui. Apparemment, même Asmoth ignorait que son serviteur allait tenter de voler les enfants. Miridas comptait sans doute lui faire une surprise pour gagner encore plus ses faveurs, et c'est pourquoi il n'a rien dit. Et heureusement. Sa cupidité fait qu'Asmoth n'est pas encore au courant, donc notre secret reste un secret.

– Vous êtes sûr ? demanda Hegan, sceptique.

– Oui. Seul Miridas connaissait l'existence de Livédia. Et je peux affirmer qu'il n'est entré en contact avec aucun des autres Mélénis Noirs. De toute façon, ils ne peuvent pas se sentir entre eux. Livédia ne risque plus rien. Tous vos gardes sont inutiles. Et puis, si un Mélénis s'avisait de vouloir du mal à Livédia, aucun de vos gardes ne pourrait l'empêcher.

– Vous m'avez l'air bien peu concerné par ce qu'il se passe, grommela Hegan. Sans l'intervention de Zeff, Livédia serait morte, et...

– Mais je ne suis pas morte, Hegan, coupa Livédia. Et les enfants vont très bien. Si El affirme qu'il n'y a plus de danger, je le crois.

Tender la dévisagea, une grande détresse sur son visage.

– Si jamais je devais te perdre... Je n'y arriverai pas, Livédia, tu le sais ! Je ne pourrais jamais élever ces trois enfants, plus Zeff et Lusso, sans toi ! Et je ne pourrais pas non plus prendre que Siena, sinon tout ça n'aura servi à rien !

- Hegan, lui dit doucement Livédia en lui serrant le bras. Tu n'auras personne à élever seul, car je serai là. Je te le promets.

Hegan hocha la tête, et plaça sa main sur le bras de sa femme. El eut le tact de ne pas déranger ce bref instant de tendresse, puis quand ils se séparèrent, il dit :

– J'ai pensé à quelque chose. Pour un Mélénis, il est extrêmement rare de donner naissance à des jumeaux. Et jamais encore nous n'avons eu de triplé.

– Et alors ? demanda Livédia.

– Si vous laissiez entendre que vos enfants sont des triplés, voilà qui éloignera encore plus le regard d'Asmoth sur vous. Il sait tout aussi bien que moi que des triplés sont impossible à avoir pour un Mélénis.

– Mais tout le monde sait à la base que ce n'est pas le cas, répliqua Hegan. Et Siena a un an et demi de plus que les jumeaux. Ça se verrait.

– Pour le moment, oui, mais quand ils grandiront, on ne verra guère de différences. Beaucoup de personnes font plus vieux ou plus jeune que leur âge. Quant aux personnes qui savent que Siena est née bien avant les jumeaux, je peux m'en charger. Un petit tour de Flux pour modifier leurs esprits, et ils seront convaincus que vous avez donné naissance à des triplés. Et quand ils regarderont les jumeaux, leurs esprits les montreront du même âge que Siena.

Ils finirent par se mettre d'accord sur cette protection supplémentaire. Livédia demanda toutefois à El de ne pas modifier la mémoire de ses parents, de Zeff et Lusso, de Natael et de son oncle Penan. Hegan y inclut le Boss et l'Agent 006, qui étaient dans le secret. El resta une semaine, durant laquelle il opéra ses modifications de mémoire, et profita de ses moments pour être avec ses enfants. Comme il le répéta, ça serait la dernière fois qu'il les verrait en chair et en os, jusqu'à leurs dix-huit ans.

– Mais ils ne seront jamais bien loin de moi, ajouta El, tandis qu'il faisait sauter Mercutio sur ses genoux. Mon esprit sera toujours connecté aux leurs, et je pourrai les voir, même leur parler si je le voulais.

– Et moi ? soupira Livédia. Je n'ai pas le Flux pour que tu puisses te connecter à mon esprit. Devrais-je attendre dix-huit ans avant de te revoir ?

Livédia savait qu'elle avait un mari, qu'elle aimait sincèrement et tendrement, mais le fait de savoir El loin d'elle pendant si longtemps lui était presque insupportable. Et elle eut honte de ce sentiment. Sans doute était-elle une mauvaise épouse, mais elle ne pouvait pas effacer ce qu'elle ressentait pour El.

– Mon frère me surveille de très près, dit El en lui caressant la joue. Être avec toi te met inutilement en danger, tu le sais.

– Oui... Mais tu es le fils d'Arceus, bon sang ! Tu as sûrement un moyen de me rendre visite de temps en temps sans te faire voir, non ?

– Bien entendu, sourit El.

Livédia cligna des yeux, surprise, puis lui balança un oreiller du canapé dessus en éclatant de rire.

– Tu es peut-être le fils d'Arceus, vieux de dizaines de milliers d'années, le Dieu des Mélénis, l’Élu de la Lumière ou quoi que ce soit d'autre, mais tu es aussi insupportable que Natael !

– C'est un trait typique de ceux qui ont du succès avec les femmes, affirma très sérieusement El.

– Tu parles ! Natael est beau gosse, mais je suis sûr qu'il n'a jamais touché à une femme. Quant à toi, tu ne m'avais pas dit que tu n’avais pas grande expérience ?

– Sous ma forme humaine, oui. Mais que sais-tu de ma vie en tant que Pokémon ? Mercutio et Galatea ont peut-être des centaines de demi-frères et sœurs Pokémon quelque part...

Il fallut une longue minute de silence avant que El ne perde son sérieux apparent et n'éclate de rire devant une Livédia comme frappée par la foudre. Pour la peine, elle lui envoya un second coussin.

– Tu aurais dû savoir que je plaisantais, se moqua Elohius. Les Pokémon Légendaires n'ont pas de genre, et ne peuvent pas engendrer d'enfant.

– Alors comment toi et ton frère êtes venus au monde ? s'étonna la jeune femme.

– Arceus, c'est Arceus, répliqua El. Il est le Créateur de tout. Il nous a créé à partir de son esprit et de ses gènes, sans avoir à s'accoupler qui quiconque.

Mais il y avait un point qui dérangeait Livédia.

– Mais euh... puisque tu dis que les Pokémon Légendaires n'ont pas de genre... Pourquoi euh... Pourquoi es-tu dans un corps d'homme ?

El haussa les épaules.

– Sans nul doute que les Mélénis qui nous ont vaincu et emprisonné dans ces corps, à moi et à mon frère, nous ont plus vu comme des mâles que comme des Pokémon femelles. Ce qui n'était pas vraiment faux. Nous étions bien les fils d'Arceus, même si nous n'avions pas de genre.

– Et ce corps ? Comment les Mélénis l'ont-ils créé ?

– Ils ne l'ont pas vraiment créé. C'est un miroir de leur Flux sur ma forme Pokémon. En clair, il vient plus de moi que d'eux. Si j'étais né en tant qu'humain, j'aurais été comme ça. Mais, mon père en soit loué, ils n'ont pas foiré leur sort. Je veux dire, je suis plutôt bel homme, non ?

– Je ne connaissais pas cet aspect taquin de ta personnalité, fit observer Livédia. C'est la paternité qui te rend comme ça ?

– Peut-être. Peut-être que le fait de tenir mes enfants dans mes bras me rend plus humain... J'ai passé des milliers d'années dans un corps d'humain, à vivre avec vous. Pourtant, je n'ai pas encore totalement assimilé votre mode de vie et vos esprits.

 Il se chargea d'aller changer les enfants, après quoi, Livédia demanda :

– Et ton frère ? Parle-moi de lui.

– Que veux-tu savoir sur lui ?

– Je ne sais pas, avoua Livédia. À quoi ressemble-t-il ? Pourquoi est-il maléfique ?

– Il ressemble à un humain, comme moi, sourit El. Désolé d'être guère plus précis, mais pour moi et les Pokémon, les humains se ressemblent tous, et ça fait un bail que je n'ai plus vu mon frère. Il doit être sans doute aussi beau que moi...

– Arrête avec ça…

– De toute façon, il avait pris pour habitude de modifier son corps. Il peut le rendre plus jeune ou plus âgé à volonté, de même qu'il peut changer sa couleur de cheveux ou celle des yeux. J'ai sans doute le même pouvoir, mais je n'en vois pas l'utilité. Ce corps me convient, et changer d'apparence ne me cachera pas aux yeux des Mélénis, de toute façon. Quant à savoir pourquoi Asmoth a embrassé le mal, c'est de son fait seul, à cause de sa haine de Père et des Mélénis, ses aspirations, ses ambitions, sa cruauté...

– Ce n'est pas parce qu'il était l’Élu des Ténèbres ?

– Non, dit El avec conviction. On ne naît pas maléfique, on le devient. Hormis les Trous dans le Monde, mais eux sont des êtres contre nature. Asmoth est né sous le signe des ténèbres, c'est un fait. Arceus l'a voulu ainsi. Un être de lumière, un être de ténèbres, les deux tirés de son esprit, car l'univers est partagé entre lumière et ténèbres. C'est ainsi qu'est l'équilibre. Mais les ténèbres ne sont pas forcément maléfiques, de même que la lumière n'est pas forcément bonne. Elles existent, c'est tout. Et elles deviennent ce que l'on en fait. Mercutio deviendra l’Élu de la Lumière. Pour autant, il peut tout aussi bien choisir de faire le mal avec le Flux. De même que l'hypothétique enfant d'Asmoth, qui deviendra l’Élu des Ténèbres, pourra faire le bien. Asmoth est rongé par le mal depuis longtemps, mais il n'a pas toujours été ainsi. Quant à moi, ce serait mentir de dire que j'ai toujours été quelqu'un de bon, de généreux et de désintéressé. On a tous une part de bien et de mal en nous, une part de lumière et d'obscurité. Et ça, c'est aussi l'équilibre.

Livédia hocha lentement la tête.

– Je crois que je comprends...

– Tant mieux. Car si ce monde et tous les êtres vivants n'étaient divisés qu'en fonction du bien et du mal, ou de la lumière et des ténèbres, mon père, Arceus, aurait totalement raté sa grande création. Ce serait un monde bien morne.

 
***

 
El était parti. Quand Livédia le reverrait, elle n'en savait rien. Elle ne manquait pas de famille, pourtant désormais, mais elle se languirait de l'absence d'El, c'était certain. Remarquant son amertume, Hegan lui proposa quelque chose qui lui fit oublier El un moment.

– Un... Un autre enfant ?!

– Et pourquoi pas ? Je vois comment tu adores en être entouré et t'occuper d'eux. Quant à moi, rien ne me fait plus plaisir que d'en élever un autre à tes côtés.

– Je pensais qu'avec les cinq que nous avons, ça te suffirait, rigola Livédia.

– Justement. On est plus à un près, maintenant. Et j'avoue que j'aimerais bien avoir un garçon de toi.

– Moi aussi, mais... et le plan d'El ? Je doute qu'on arrive à faire croire aux gens qu'on a eu des quadruplés.

– Non, mais il est inutile d'essayer. On fait croire que les jumeaux et Siena sont des triplés pour que tout le monde pense qu'ils sont tous les trois de nous. Maintenant, il n'y a plus aucun risque que nous fassions d'autres enfants.

– Je... je ne sais pas... Je pense qu'on devrait quand même demander l'autorisation d'El.

Livédia prit conscience de sa bourde quand Hegan plissa des yeux.

– Que suis-je pour demander à un autre homme la permission de faire un enfant avec ma propre femme ? Un esclave ?

– Je... Non... Désolée. Je ne voulais pas dire ça...

– Ecoute, si tu ne veux pas...

– J'ai juste besoin d'y réfléchir un peu, Hegan. On va bientôt terminer Diox-BOT, et le travail me prend la tête en ce moment. Attend juste que j'en aie fini avec ça.

Hegan hocha la tête, mais de toute façon, Livédia savait ce qu'elle dirait. Oui. Car elle détestait refuser quelque chose à son mari, et parce que rien ne la comblait plus que de tenir un enfant dans ses bras. Et c'était en quelque chose justice pour Hegan. El avait bien eu deux enfants d'elle, après tout.

La mise en place de l'I.A. finale dans Diox-BOT était le dernier point de sa conception, et celui qui demandait le plus de détails minutieux, mais Livédia était contente de voir enfin la fin de ce projet qui durait depuis plus de deux ans. Enfin bon, après ils devraient poursuivre avec l'I.A. du robot à l’éfigie de Darkrai, si tout allait bien sur Diox-BOT. Et Livédia espérait que Giovanni n'en demanderait pas un autre. Elle avait envie de passer à autre chose, et de toute façon, il n'y avait plus assez de Sombracier pour en faire un troisième. Natael, qui avait pris la tête de l'équipe après que le professeur Cubens fut clairement devenu sénile, avait décidé de faire une épée pour Diox-BOT avec le Sombracier qui restait. Une épée tout à fait indestructible, et qui pouvait trancher n'importe quel métal ou roche aussi bien que du beurre. Ils la baptisèrent Avalon, en gravant son nom dessus en lettre d'or. Une épée digne d'un être aussi divin que Diox-BOT.

La mise en route du processeur devait avoir lieu demain en grande pompe. Livédia avait bien calculé son temps, en posant un jour de congé ce jour-ci exprès. Elle ne savait pas pourquoi elle avait fait ça ; après tout, c'était l'aboutissement de deux longues années de travail ! Mais elle ressentait comme un mauvais pressentiment à chaque fois qu'elle posait les yeux sur Diox-BOT. Elle n'arrivait pas à le définir, mais un frisson remontait toujours dans sa nuque quand elle était confrontée aux yeux vert brillant du robot.

Entre temps, Livédia s'était souvenue des paroles d'Hegan. Que si jamais il lui arrivait quelque chose, il n'aurait jamais la force d'élever seul les trois enfants, et qu'il ne pourrait pas non plus n'élever que Siena sinon tout le monde saurait que les jumeaux n'étaient pas de lui. Ça préoccupait Livédia. Si jamais Siena grandissait en pensant être la vraie sœur de Mercutio et Galatea en tant que triplé, quand elle apprendrait la vérité, ça lui ferait un choc. Elle en voudrait surement à Hegan, alors qu'il n'y aurait été pour rien. Elle fit donc une vidéo à son intention, au cas où. Elle la remit à Hegan, lui demandant de la donner à Siena si elle venait à mourir, quand Siena aurait appris la vérité. Ça ne plut que très moyennement à Hegan, forcé d'envisager l'hypothèse de perdre sa femme.

– Je ne compte pas mourir, le rassura Livédia. Mais j'aime prévoir toutes les situations, même les plus imprévisibles. Mon naturel de scientifique, sans doute.

Le jour J, Natael vint la retrouver, tout essoufflé, dans sa chambre.

– Livédia... Je sais que tu es en repos, mais c'est urgent ! J'ai reçu un appel de ma mère. Elle est à l'hôpital et elle va très mal... Il faudrait que j'y aille, mais aujourd'hui, c'est...

– Ne t'en fait pas, assura Livédia. Cours rejoindre ta mère. Je prendrai ta place.

– V...Vraiment ? Tu sais ce qu'il y aura à faire ?

– On a travaillé ensemble sur ce projet depuis le tout début. J'en sais autant que toi.

– Merci... C'est vraiment pas de chance... Ce jour-ci...

– J'espère que ta mère ira mieux. On t'attendra tous avec le champagne si le réveil marche sans accroc.

Natael eut un petit rire aigu.

– On a passé des mois à vérifier et tout revérifier. S'il y a un problème aujourd'hui, il ne sera jamais prêt. Ah, et le prof sera là aussi. Il voulait voir le réveil, même si je suis sûre qu'il a déjà oublié ce qu'il fera dans le labo.

Livédia se changea en vitesse, et s'excusa auprès de Zeff, lui demandant de s'occuper des enfants aujourd'hui. Quand elle fut sortie, Natael l'attendait.

– Tu es encore là ?

– Je voulais juste te dire au revoir, fit Natael.

Il la prit dans ses bras, au grand étonnement de Livédia, et il ajouta à voix basse :

– Adieu, Livédia...

Étonnée, Livédia voulait lui parler, mais Natael s'éloignait déjà à grand pas. Livédia haussa les épaules. Sans doute la mauvaise santé de sa mère l'avait mis à cran. Elle partit vers le laboratoire, sans voir le sourire malfaisant de Natael quand ce dernier se retourna pour la voir partir, riant intérieurement de sa crédulité.

 
***
 

C'était la première fois que Livédia dirigeait à elle seule l'équipe scientifique entière, d'autant qu'elle était clairement l'une des plus jeunes présentes. Que ce soit pour la mise en route du processeur de Diox-BOT n'était pas sans la stresser quelque peu, surtout en ayant devant elle la silhouette magnifique mais ô combien menaçante du robot en face d'elle.
Allez, reprends-toi, ma fille, se dit Livédia à elle-même. Tu l'as quasiment à moitié conçu, ce tas de ferraille.
Elle se secoua la tête pour reprendre ses esprits, et laissa son expérience prendre le dessus, de telle sorte qu'elle ne pensait plus à rien.

– Fréquence des ondes neuronales ?

– Normale, madame.

– Moniteur de vérification du code inter ?

– Branché et paré, madame.

– Activité du cortex ?

– 1.5, comme prévu, madame.

– Bien.

Livédia regarda la prise rouge et épaisse branchée à l'énorme ordinateur qui contenait les ondes neuronales fusionnées prévues pour Diox-BOT. Maintenant, le prochain et seul geste à faire serait de brancher cette prise au cerveau électronique du robot. Ainsi, il cesserait d'être le robot automatisé sans intelligence qu'il était jusqu'à alors, mais l'intelligence artificielle la plus élaborée du monde, avec des pensées, des sentiments et des envies proches de l'être humain. Et tout cela, bien sûr, avec assez d'armes et de puissance d'attaque pour devenir l’équivalent d'une centaine de bombes nucléaires. Mais lié et obéissant aux humains, bien entendu.

- Madame ?

Livédia se rendit compte que les autres scientifiques attendaient son ordre pour le branchement. Mais elle hésita, se demandant si elle n'allait pas commettre la plus grosse erreur de l'humanité. Mais les ondes avaient été conçues et vérifiées. Elles n'avaient pas changé depuis que Livédia et tous les autres avaient ajouté un peu de leur esprit pour parfaire le code source. Tout cela était sans danger. Diox-BOT ne pourrait que leur être totalement obéissant malgré toute son autonomie et son intelligence. Pourtant...

– Vérifions le code encore une fois, demanda-t-elle.

L'équipe se mit au travail sans aucun commentaire. Une demi-heure plus tard, leur rapport était sans appel.

– Tout est contrôlé et positif, madame. Le code source est tel que nous l'avons créé, sans aucune erreur.

Livédia n'hésita pas plus longtemps.

– Effectuez le branchement.

L'un des scientifiques brancha la prise rouge à l'arrière de la tête de Diox-BOT. Aussitôt, ses yeux verts brillèrent plus que la normale. Livédia suivait sur le moniteur la courbe des ondes neuronales qui se transféraient en Diox-BOT. Elle était stable et continue. Tout se passait bien. Elle soupira de soulagement. Diox-BOT se mit à bouger. Il regarda autour de lui, dévisagea chaque scientifique, puis son propre corps. Il fit bouger ses bras, fit rentrer et sortir les pointes de ses anneaux dorés encastrés dessus. Il prenait conscience de son environnement, et de lui-même. Livédia s'approcha avec prudence.

– Diox-BOT ?

Le mécha Arceus humanoïde la regarda. Livédia savait qu'il utilisait ses capteurs mémoriels intégrés pour l'identifier.

– Livédia Crust, fit-il de sa voix en échos. Race : humaine. Sexe : féminin. Fonction : ingénieuse en biomécanique. L’une de mes concepteurs.

– Oui, c'est moi. Comment te sens-tu ?

– Vivant. Incroyablement vivant. Mais je ne le suis pas, n'est-ce pas ? Ce n'est qu'une illusion. Je suis une machine.

La question surprit et perturba Livédia.

– Eh bien, c'est une question de point de vue. Certains considèrent que tout être qui peut penser par soi-même est vivant, qu'il soit fait de chair et de sang ou d'acier et de circuit. Le corps humain n'est qu'une machine élaborée, aussi.

Livédia se sentit ridicule à pérorer philosophie avec ce robot devant tout le monde, mais elle comprenait la détresse de Diox-BOT. S'éveiller ainsi à la raison, et découvrir qu'on était qu'une machine crée par des êtres moins intelligents que soi. Elle voulait l'aider, le rassurer. Après tout, Diox-BOT était un peu comme son enfant.

– Tu n'es pas seul, Diox-BOT, continua Livédia. Regarde.

Elle montra la silhouette robotique du mécha de Darkrai, encore couché sur la table d'opération et en sommeil.

– C'est ton petit frère. Bientôt, nous le réveillerons comme toi, et nous lui intégrerons le même code source.

– Mon petit frère... répéta Diox-BOT.

Livédia sourit. Soudainement, les yeux verts luisant de Diox-BOT passèrent au doré. Ça, ce n'était pas normal.

– Que se passe-t-il ?

– Madame... la courbe du code...

 Les scientifiques, montrèrent, ébahis et apeurés, le tracé de la courbe sur l'ordinateur. Jusqu'alors droite et calme, elle semblait maintenant jouer aux montagnes russes, de plus en plus vite. C'était impossible ! Les ondes cérébrales s'étaient transformées d'elles-mêmes, modifiant ce faisant le code source. Livédia ne se l'expliquait pas, mais elle savait la conséquence. L'esprit de Diox-BOT leur était désormais inconnu.

Alors qu'elle s'apprêtait à ordonner de le débrancher en vitesse, elle sentit une vive douleur à sa poitrine, et un froid se rependre dans tous son corps. Elle regarda, surprise, la pique dorée d'un des anneaux de Diox-BOT dépasser de son torse, tandis que tous les scientifiques hurlaient de terreur et d'effroi. Diox-BOT retira sa pointe du corps de Livédia pour aller s'en prendre aux autres. Livédia tomba à genoux, à peine consciente du ravage qui était en train de se dérouler. Le robot massacrait inlassablement tout le monde, usant de ses membres à la force inqualifiable, de ses doigts pointus rétractables, de ses attaques de Pokémon intégrées. Les alarmes sonnaient, les cris des victimes résonnaient, de même que les glapissements et sanglots des mourants. Il y eut plusieurs explosions, une partie du mur fut détruite. Et Diox-BOT, animé de sa rage froide et méthodique, continuait à tuer.

Livédia porta ses mains à sa blessure, qui se couvrirent immédiatement de son sang qui coulait à flot. Elle n'était pas diplômée de médecine, mais elle savait qu'elle était fichue. La pointe avait transpercé un de ses poumons. Pourtant, dans le peu de conscience qui lui restait, elle se rebellait contre son sort. Non, elle ne voulait pas mourir. Elle ne devait pas ! Elle avait des enfants qui comptaient sur elle. Un fils qui deviendrait le sauveur de l'univers. Un mari aimant qui avait besoin d'elle. Consciente de l'inutilité de son geste, elle se mit à ramper, regardant de droite à gauche pour trouver quoi que ce soit pour échapper à son destin. Elle ne vit que des cadavres, des flammes, des débris, et Diox-BOT, ses yeux dorés brillant d'une lueur meurtrière.

Elle ne sentait même plus la douleur à sa poitrine. Des tâches sombres vinrent troubler sa vision, et elle décida de s'abandonner à son sort, de s'allonger et d'attendre la mort. Pourquoi continuer à lutter et à souffrir, de toute façon ? Elle ferma les yeux, et se surprit à apprécier la paix qui la gagnait peu à peu. Mais le visage de ses enfants et de Zeff dans son esprit la força à rouvrir les yeux. Alors, elle vit le mécha Darkrai devant elle, qui était tombé de sa table dans le carnage. Ses yeux bleu brillant qui reflétaient les flammes la regardait sans la voir, mais insufflant comme une invitation à Livédia.

Sachant ce qu'elle devait faire, Livédia se remit à ramper, faisant fi des protestations de son corps à l'agonie. Quand elle fut sur lui, elle tâtonna pour appuyer sur le bouton d'ouverture de son crâne, puis quand il fut ouvert, elle fouilla dans les entrelacs de fils du système central pour trouver ce qu'elle cherchait. Ils avaient installé sur Diox-Bot et sur lui une prise de capteurs à ondes cérébrales, pour pouvoir transférer les ondes des cerveaux humains pour la personnalité fusionnée, et celles des Pokémon pour la connaissance de leurs attaques. Livédia ne savait pas si ça allait marcher, si même quels en seraient les résultats, mais c'était sa seule chance d'échapper à l'oubli.

Quand elle referma sa main sur la prise ornée d'une ventouse et d'une électrode à son bout, Livédia se la plaqua contre le front, puis actionna le bouton de transfert. Elle attendit tout le temps qu'elle put, puis en un dernier geste, elle décolla la ventouse de la prise de son front et la remit à l'intérieur du robot. Elle se sentit alors chavirer, tout son corps se détendant. Elle glissa jusqu'au sol, face au visage robotique du robot. Sa dernière vision fut celle ses yeux bleu clair, comme de la glace. Puis le noir, infini et éternel.

 
***

 
Diox-BOT s'éveillait à l'existence, et au plaisir de tuer. De tuer ces êtres méprisables, qui l'avaient créé pour compenser leurs propres faiblesses. Il sentait la puissance infinie qu'ils avaient insufflée en lui, et plus il l'utilisait, plus il en raffolait. Alors même que tout le monde avait péri dans cette salle, il continua à détruire et à mutiler les corps.

Quand il fut calmé, il alla vers la silhouette noire du robot Darkrai ; la seule chose dans ce laboratoire qui n'avait subi aucun dommage. Une des scientifiques gisait morte à côté de lui. Cette Livédia Crust. Diox-BOT remarqua que la boite crânienne du robot était ouverte. Peut-être cette humaine avant tenté de détruire son petit frère pour ne pas que Diox-BOT ne l'ait ? Futile. Il avait dans son cerveau électronique toute la connaissance de sa propre création et de ses composants. Même si le robot Darkrai avait été en pièces, Diox-BOT aurait pu le réparer.

Il referma le crâne de son frère et pressa le bouton d'activation du système. Le robot Darkrai s'éveilla, se mit en position assise, et regarda autour de lui. Son regard se posa un moment sur le cadavre de l'humaine à côté de lui. Diox-BOT fut perplexe. Ces misérables humains n'avaient encore insufflé aucune personnalité à son frère, alors pourquoi semblait-il si désorienté. Finalement, au bout d'un moment, il dit d'une voix caverneuse et vide :

– Bonjour, je suis le méchadroïde à l'image de Darkrai pour servir la Team Rocket. Quels sont mes ordres ?

Diox-BOT lui prit le bras pour le remettre debout. Il soupira et dit :

– Ne t'inquiète pas, mon frère. Tu ne resteras pas vide bien longtemps, et tu ne serviras personne d'autre que moi. Viens avec moi.

Sachant que le programme de base du méchas impliquait qu'il obéisse à tout ordre qu'il entendrait, il détruisit le mur extérieur du laboratoire, et s'éleva dans les cieux à grande vitesse. Le méchas de Darkrai coula un dernier regard au cadavre de Livédia Crust, puis suivit son frère dans les cieux.

 
***
 

Hegan Tender garda son masque d'officier détaché devant le spectacle qui s'offrait à lui. Mais intérieurement, tout son être, chaque partie de son corps hurlait à la mort. Il essaya d'avoir une vue d'ensemble de ce qu'il restait du laboratoire, mais son regard restait inévitablement attiré par Livédia, un trou dans la poitrine, et ses yeux bleus vitreux qui semblaient se moquer de lui par leur atonie.

– Que...

Conscient que sa voix tremblait, Tender prit une grande inspiration et se reprit.

– Comment une telle chose a-t-elle pu arriver ? demanda-t-il à son second, le colonel Trutos.

– Nous l'ignorons, monsieur. Toutes les caméras ont été détruites, mais vu qu'il manque ici les robots sur lesquels ces gens travaillaient, l'explication n'est pas difficile à imaginer. Cette chose a fait tout ça...

– Merci bien, colonel, j'étais arrivé à cette conclusion seul !

Trutos garda le silence. Tender serra les poings et dit :

– Mes excuses, colonel. Rien de tout ça n'est de votre faute.

– Vous n'avez pas à vous excuser, général.

– Je voulais juste savoir... pourquoi le robot a-t-il fait ça ? Qu'est-ce qui a cloché ?

– Giratina m’emporte si je savais quelle horreur ces intellos ont fabriqué ici, répondit Trutos. Tous ceux qui auraient pu le savoir se trouvent dans cette pièce, et ils sont morts. Natael Grivux était absent aujourd'hui, à cause de sa mère, mais quand on lui a appris ce qu'il c'était passé... Il est tombé dans une violente dépression, et n'arrive plus à prononcer un seul mot. Je ne pense pas qu'il pourra nous aider dans l'immédiat.

– Merci colonel.

Il s'arracha à la contemplation du désastre et ajouta avant de partir :

– Occupez-vous des corps. Qu'on ne me dérange pas pour le reste de la journée, pour rien, même si c'est le Boss. Compris ?

– Oui, général.

Tender se dépêcha de quitter les lieux, et alla s'enfermer à double clé dans le gymnase de la base. Là, il laissa libre court à ses sentiments, et pendant près de deux heures, tous ceux qui passèrent à proximité s'empressèrent de filer sous les hurlements et les bruits de ravage qui provenait de l'intérieur. Quand le général sortit enfin, le soir, le gymnase paraissait avoir été le terrain d'un combat de meutes de Pokémon.

 
***
 

Dans les appartements du général, Zeff ressentait plus ou moins la même chose. Il était perdu, ne savait plus quoi faire. Plus rien n'avait de sens maintenant. Il se contentait de tourner au centre de l'appartement, sans s'arrêter, sans réfléchir à rien, pour se couper de toute douleur. Apeurée de le voir dans cet état, la petite Siena lui demanda d'une voix fluette :

– Où maman ?

Zeff s'arrêta de tourner en rond pour dévisager sa filleule.

– Elle n'est plus là, marmonna Zeff.

– Veux maman !

N'y tenant plus, Zeff serra le poing et l'envoya à la figure de la petite fille. Les jumeaux, qui se disputaient une peluche de Pikachu à terre, se mirent à pleurer d'un coup. Siena, plus surprise qu'ayant mal, se retint.

– Elle est morte, espèce d'idiote ! s'exclama Zeff. MORTE ! Elle ne reviendra pas !

Ne supportant plus les hurlements des bébés, Zeff s'empressa de sortir de la pièce et de fermer la porte derrière lui. Là, il s'assit et se mit à pleurer jusqu'à qu'il n'est plus de larme à verser. Puis il fit le point sur sa situation. Livédia morte, il était hors de question qu'il reste ici. Il ne voulait pas de Tender comme père, et il ne supporterait pas de vivre avec les enfants de Livédia à côté de lui. Il devait procéder dans l'ordre. Il rentrerait d'abord dans sa patrie, Mandad, où il vengerait le meurtre de ses parents des mains de la Garde Noire. Se faisant, il mourrait, ou il réussirait et deviendrait fort. Et quand ça serait fait, il reviendrait ici, et se chargerait de venger la mort de Livédia, qui qu'en soit le responsable. Puis il tiendrait la promesse qu'il lui avait faite, de veiller sur ses enfants. Il n'y avait plus que ça qui le rattachait à la raison, qui donnait un sens à son existence. Zeff s'enfuit de la base sans personne pour l'arrêter. Tender n'était pas encore rentré, et avec le drame de ce matin, personne ne se souciait de l'enfant qui traversait la cour.

 
***
 

Ailleurs aussi, quelqu'un éprouvait du chagrin et de la colère. Elohius était en train de discuter avec son disciple et ami, Suffirv, quand il sentit la place qu'avait Livédia dans son esprit disparaître totalement. La compagne de son cœur et de son âme, la seule humaine avec qui il ne s'était jamais lié, avait quitté ce monde. Sentant que quelque chose n'allait pas, Suffirv demanda, hésitant :

– Maître ?

– Pardonne-moi mon ami, mais il serait mieux que tu sortes un moment du Refuge. Et place quelques couches de protection en plus, au cas où.

Le Mélénis ne posa pas de question et fit ce que son maître lui dit. Quand il fut parti et que le Refuge fut renforcé, El laissa exploser sa rage. Comme Tender avait transformé le gymnase en champ de bataille, Elohius fit d'une bonne partie Refuge une terre brûlée et stérile en quelques minutes.

– Pourquoi ? Pourquoi ? POURQUOI ?! hurla Elohius en direction des cieux. Qui est responsable de ça ! Est-ce toi mon frère ?! Si c'est le cas, je te ferai payer, tu m'entends ! Je te détruirai au-delà de tout ce que...

– Cesse ces hurlements. Ils sont indignes de ce que tu es.

La voix qui venait de s'exprimer semblait provenir de chaque côté, et du ciel à la fois. Comme si la planète venait de s'adresser à lui. El connaissait cette voix, bien qu'il ne l'ait plus entendue depuis des lustres.

– Père...

Une porte dans l'air fut créée, donnant sur une dimension faite de vide et de lumière. Arceus, le Créateur, le père de toute chose, le premier être vivant à avoir foulé cet univers, en sortit. Radieux, resplendissant, comme toujours, ses poils blanc nacré auréolés d'une lueur divine, ses anneaux dorés brillants comme le soleil.

– Qui, Père ? demanda désespérément Elohius. Qui a tué mon aimée ?

– Pas ton frère. Personne n'en est responsable, si ce n'est la bêtise humaine. De tout âge, c'est elle qui a envoyé le plus d'humains dans l'autre monde.

Arceus créa une autre porte dans l'air et montra une vision à son fils. Celle de Diox-BOT qui assassinait méthodiquement tous les scientifiques Rocket du laboratoire.

– Pourquoi avez-vous laissé cela arriver ?! Vous êtes Dieu ! Vous connaissiez son destin à l'avance, comme celui de tous les humains et de tous les Pokémon normaux ! Alors pourquoi ne m'avez-vous pas...

– Tu es devenu bien arrogant, si tu penses que parce que tu t'es épris d'une simple humaine, je devrais intervenir dans ce monde pour la protéger. Dieu ne protège personne. Il laisse le destin agir.

– Alors j'agirais moi-même, riposta Elohius. Je traquerai cette horreur mécanique et je la ferai payer. Je...

– Serais-tu devenu aussi égocentrique que ton frère ? Ta mission est de combattre l'Endless par tous les moyens.

– Non. Ça l'était autrefois, mais je ne suis plus l’Élu de la Lumière.

– A-t-on besoin d'être un Élu pour combattre le Néant ? Tu penses que ton fils y arrivera seul ? Tu devras tout faire pour que lorsqu'il fera face au Grand Effaceur, il soit prêt. Je crois qu'il est bon de te le préciser aussi : dès l'instant où ton fils est venu au monde, l’Élu des Ténèbres a fait de même.

– Asmoth a eu un enfant ?!

– Comme il se doit. Un démi-Mélénis, comme les tiens. Un Élu ne peut exister sans l'autre. Dès à présent, c'est à celui qui détruira l'Endless en premier. J'ose espérer que vos progénitures seront plus compétentes que vous deux à ce sujet.

El sentit la colère monter. Il comprenait un peu pourquoi son frère ne pouvait pas digérer leur Père.

– Et bien sûr, vous assisterez à tout ça sans intervenir, dans votre bienveillante neutralité, laissant le destin décider de tout ?

– Ton insolence est puérile. Tu sais que la Lumière ou les Ténèbres, ça m'est égal. Si tu veux l'emporter sur Asmoth, eh bien soit ! Motive-toi assez, toi et ton fils ; ça ne vous rendra que plus forts face à l'Endless.

– Vous vous fichez du sort de ce monde, du moment qu'il continue à exister, murmura El, méprisant. Vous savez ce qu'il se passera si le monde est plongé dans les Ténèbres ?

– Ce serait aussi absurde qu'un monde plongé dans la Lumière, répondit Arceus. Il n'y a que l'équilibre de bon. Hélas, face à l'Endless, ça ne pourra être. S'il est vaincu, ça sera soit l'un, soit l'autre. Mais il vaut mieux ça que le Néant total et éternel, tu ne penses pas ?

 
***
 

– Vous avez perdu la tête ! s'exclama le commandant Penan. Pourquoi diable ça serait à moi de prendre ces gamins ?!

Tender avait amené Siena et les jumeaux jusqu'à l'espèce de cabane miteuse qui servait de maison à Penan, près du terrain d’entraînement. Le général tenait sa fille par la main et les jumeaux batifolaient dans une poussette double.

– Parce qu'il s'est avéré que c'était la meilleure solution, répondit Tender, déjà lassé par l'argumentaire qu'il aurait à faire.

– Meilleure solution, mes fesses ! Ce sont vos gosses, non ? C'est à leur père de s'en occuper, s'ils n'ont plus leur mère !

– Celle-là est de moi, dit Tender en désignant Siena. Les jumeaux ne le sont pas.

Comme le Boss avait autorisé Tender à mettre Penan dans le secret, le général lui révéla tout. Le commandant fut proprement stupéfait un instant.

– Alors le père des jumeaux...

– Vous l'avez peut-être déjà vu. Un type aux cheveux bleu foncé. Livédia le présentait à tout le monde comme un ami d'enfance qui soutenait la Team Rocket.

– Eh bien pourquoi vous n'envoyez pas les jumeaux à leur père ? demanda Penan. Vous, vous gardez votre gamine, et tout le monde est content.

– Non. Les jumeaux devront servir la Team Rocket ; c'était la base du contrat entre le Boss et cet Elohius. Et Siena ne doit pas être séparé d'eux ; tout le monde doit croire qu'ils sont des triplés ayant le même père pour que les ennemis d'Elohius ne s'en prennent jamais à eux.

– Dans ce cas, pourquoi ne les gardez-vous pas ?

Tender s'appuya contre le rebord d'un meuble.

– Regardez-moi. Vous me pensez capable d'élever quatre enfants en même temps, dont deux bébés qui ne sont pas de moi et qui plus tard auront des pouvoirs que je ne comprendrai jamais ?!

– Oh, et moi je le suis, sans doute, rétorqua Penan.

– Vous avez entraîné beaucoup de Rockets, dont certains n'avaient même pas dix ans. Vous êtes le meilleur officier instructeur de la base, et le Boss veut que ces enfants deviennent les plus grands fervents de la Team Rocket. En outre, vous êtes le parrain de Livédia, et un vieil ami de son père...

– Ouais, son père, parlons-en. Pourquoi Karus ne se chargerait-il pas de ces gamins ? Ce sont ses petits-enfants !

– Parce qu'ils doivent grandir parmi la Team Rocket. De plus, le Généralissime Karus a pour ainsi dire disparu. On ne sait pas où il est. Et sa femme est trop affligée par la perte de Livédia pour prendre en charge ces trois enfants. Le Boss et l'Agent 006 sont tombés d'accord, il faut que ce soit vous.

Penan se pencha pour regarder Siena dans les yeux. La fillette lui rendit son regard sans ciller. Le commandant soupira et se leva.

– Si je le fais, ce n'est pas pour le Boss, ni pour vous. C'est pour Livédia...

Tender hocha la tête. Il ne comprenait que trop bien.

– Vous ne devrez pas révéler la vérité aux enfants, ordonna Tender. Ce sont des triplés, et leur père est inconnu au bataillon. C'est clair ?

– Ouais. Et le petit blondinet qu'a recueilli Livédia ? Zeff, c'est ça ? Qu'est-ce qu'il devient ?

Tender se rembrunit encore plus.

– Il est parti.

– Et vous ne le recherchez pas ?

– Il restait ici uniquement pour Livédia. Je n'ai aucun droit de le retenir. Je dois y aller. Bonne chance.

Il se retourna pour partir, mais se rendit compte que Siena ne lui avait pas lâché la main, et n'avait apparemment pas l'intention de le faire. Avec des gestes lourds, le général se détacha de la petite main.

– Papa ?

Tender ne répondit pas à sa fille. Il s'en retourna rapidement, mais Penan eut quand même la vision des larmes sur les joues du général. Quand la porte se fut refermée derrière lui, Siena resta longtemps à la fixer, sans rien dire ni bouger. Pendant plusieurs jours, elle fixa la porte close, avec un regard presque accusateur.

 
***

 
Livédia souffrait comme jamais elle n'avait souffert. Dans cette armure mécanique à l'image de Darkrai, elle se sentait déchirée. Elle savait ne pas être à sa place. Contrôler ces lourds membres métalliques était une épreuve de chaque moment. Voir le monde en rouge, avec des symboles et des chiffres qui défilaient sans arrêt sur son champ de vision, manquait de la rendre folle. Tout son corps la démangeait, mais se gratter n'y faisait rien, et aurait attiré l'attention de Diox-BOT. Ne pouvant pas respirer, elle sentait quand même le besoin d'air de son ancien corps de chair et de sang, et la sensation d'étouffer ne la quittait plus jamais.

Elle était prisonnière de cette carcasse noire et froide, et elle aurait tant aimé se broyer son crâne métallique et effrayant pour écraser tous ses circuits et disparaître dans le noir paisible de l'oubli. Mais elle ne l'avait pas fait. Car elle devait continuer d'exister. Pour ses enfants. Diox-BOT l'avait amené dans ce qui semblait être une ancienne usine désaffectée. Là, il avait commencé à bidouiller dans ce qui restait de matériel pour fabriquer un appareil capable de créer les ondes qu'il comptait implanter dans le corps de son « frère ». Livédia savait que s’il faisait ça, son propre esprit se retrouverait bloqué sous celui artificiel qu'aura créé Diox-BOT. Peut-être même serait-il effacé. Livédia n'en savait rien. Mais elle ne pouvait rien faire. Si elle tentait de s'enfuir ou de se battre, Diox-BOT la maîtriserait sans problème. Elle avait même peine à marcher dans ce corps. Ça viendrait sûrement avec l'habitude, Livédia l'espérait.

– Prends patience, mon frère, disait Diox-BOT. Je vais te terminer, puis nous écraserons toute cette vermine d'êtres humains qui a voulu faire de nous leurs esclaves. Le monde entier nous appartiendra, et nous créeront une nouvelle race à notre image ! Nous serons une famille !

– Quel beau projet, répondit une voix dans le noir.

Diox-BOT cessa ses manipulations et se tourna vers où provenait la voix. Livédia aussi. Elle connaissait cette voix. Elle l'avait souvent entendu. Mais c'était impossible... Et pourtant non. Natael Grivux, son meilleur ami, émergea de l'ombre avec un sourire amusé et satisfait. Livédia aurait voulu lui hurler de fuir, que Diox-BOT allait le mettre en pièce. Peut-être pourrait-elle retenir Diox-BOT le temps que Natael déguerpisse. Mais ce qui l'étonnait, c'était l'absence totale de peur sur le visage de son ami. Il avait une expression que Livédia ne lui avait jamais vue.

– Natael Grivux, dit Diox-BOT. Scientifique de la Team Rocket. Tu n'étais pas là lors de mon réveil, et donc, tu es le seul survivant de ces humains qui m'ont créé et qui ont eu la prétention de me contrôler. Je ne sais pas pourquoi tu es ici, mais tu me facilites la tâche. Prépare-toi à rejoindre tes compagnons, humain.

Diox-BOT leva un de ses bras avec ses anneaux dorés, mais Natael ne fit pas un seul geste pour se défendre ou s'enfuir. Il se contenta de continuer à sourire.

– Humain, tu dis ? Je suis bien plus que ça. Quant à toi, agenouille-toi devant ton créateur.

Livédia fut aussi surprise que Diox-BOT. Ce dernier lâcha un rayon doré sur Natael. Ce dernier leva négligemment une main, et le rayon disparut.

– Tu pensais que j'avais doté ma création du pouvoir de me dominer ? demanda le scientifique. Ciel, je pensais pourtant t'avoir doté de capacités intellectuelles dépassant largement la moyenne.

Natael sera le poing, et aussitôt, Diox-BOT se courba, les mains sur son torse, gémissant de douleur.

– Ressens ça, Diox-BOT, poursuivit Natael. Cela s'appelle de la souffrance. Une machine comme toi ne devrait pas pouvoir la ressentir, mais je me suis arrangé pour garder sur toi un petit pouvoir de contrôle... et de punition.

– Mais... qu'es-tu ? glapit Diox-BOT.

– Ce que je suis ? Mais je suis Dieu, tout simplement.

Natael fit retomber sa main, et la douleur sembla cesser dans le corps de Diox-BOT.

– Je suis aussi celui qui t'a pensé, qui a manipulé tout le monde pour te concevoir, qui a modifié le code source de tes ondes cérébrales pour supprimer l'allégeance envers la Team Rocket. Je suis ton créateur, et toi, tu me dois obéissance, et tu vas répondre à mes vœux. Sinon, je te détruirai, et je me créerai une création plus docile.

Livédia serra ses poings si fort que ses articulations en grincèrent. Elle ne comprenait pas trop ce qu'il se passait, si ce n'était une chose. Une simple phrase qui résonnait dans son esprit et qui enflammait chacun de ses circuits. Natael était un traître. Son ami, celui avec qui elle avait travaillé toutes ces années, celui avec qui elle avait plaisanté, celui qui avait compati à ses malheurs et partagé ses joies... c'était lui le responsable de sa mort et de celle de tous les autres. Il avait pris le contrôle de Diox-BOT pour lui seul ! Si elle ne craignait pas de finir paralysée de douleur comme Diox-BOT, elle se serait précipitée sur lui et l'aurait démembré à mains nues. À sa grande surprise, Diox-BOT s'agenouilla devant Natael.

– Oui, créateur, dit-il humblement. Je vous remercie de m'avoir donné la vie. Que dois-je faire pour vous ?

– C'est très simple. Fais ce que tu as prévu. Créé-toi une famille, d'autres méchas comme toi. Je te fournirai le Sombracier nécessaire. Vous allez détruire tous les êtres vivants, humains comme Pokémon, pour régner sur ce monde. Ce plan me convient tout à fait. Je te laisserai faire et commander ta petite troupe la plupart du temps. Il y aura cependant certaines choses que vous devrez faire pour moi.

– Quoi donc, créateur ?

– Sois patient, le temps n'est pas encore venu, sourit Natael. Sers-moi bien, et tu deviendras l'entité la plus puissante de ce monde qui régnera sans partage sur lui.

Natael fit mine de partir, mais Diox-BOT l'arrêta.

– Créateur ! S'il vous plait, dites-moi ce que vous êtes... Qui vous êtes.

Natael se retourna, tout sourire, et Livédia put voir ses yeux d'ordinaires bruns scintiller d'une lueur d'or en fusion.

– Je te l'ai dit, je suis un dieu. Mais même les dieux ont un nom. Natael Grivux fut un nom bien utile, et il le sera encore un moment, mais ce n'est pas le mien. Ce n'est qu'un nom d'emprunt auprès des humains, comme j’en ai eu bien d’autres par le passé…

Natael écarta les bras, faisant trembler l'air de la sombre aura qui semblait s'échapper de son corps. Il n'était plus devenu qu'une ombre qui avalait le peu de lumière de ce lieu, et seuls ses yeux dorés rayonnaient dans ce noir profond.

– Je suis Asmoth, et je commande aux ténèbres.