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One-Shot - C'est toujours aussi sacré de Lord Kyuusei



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Informations

» Auteur : Lord Kyuusei - Voir le profil
» Créé le 04/10/2024 à 10:50
» Dernière mise à jour le 11/10/2024 à 22:39

» Mots-clés :   Famille   One-shot   Présence de poké-humains   Slice of life   Suspense

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Chapitre unique.
« Trois jours… Trois jours… Trois petits jours… » répétais-je dans ma tête, inlassablement.

Je me repassai le même disque en boucle, comme un enregistrement rayé, incapable de penser à autre chose. D’ordinaire, mon anniversaire n’est pas une date si importante : je sors avec deux trois amis, nous allons siroter un cocktail, ils m’offrent parfois quelques bricoles d’adulte responsable et l’année entrante presse le pas pour chasser la précédente. Mes vingt-huit ans auraient dû s’achever exactement de la même manière, et je me projetais déjà dans l’année suivante, mais cette fois… Cette fois, il y a une toute petite, une minuscule, que dis-je : une macroscopique différence. Cette fois…

« SEVY VIENT A LA MAISON ! JE SUIS COMPLETEMENT SURREXCITE !! »

Je criai cette phrase en prenant la pose, les pattes écartées montrant le vide, la tête dirigée vers le plafond, comme si je recherchai tout l’écho disponible afin que ces mots ne s’éteignent jamais. En baissant la tête, je remarquai mon petit miroir d’appoint, au-dessus de mon bureau, et observai un instant ma silhouette brune, pelucheuse, désordonnée. Des poils hirsutes venaient briser l’harmonie générale de mon pelage, me donnant un air délabré. Certes, je venais de rentrer du bureau et, certes, la journée interminable, la circulation hoquetante et l’heure bien avancée expliquaient cet air patibulaire, mais tout de même…

« Je ne peux pas accueillir l’accueillir comme ça, ce n’est pas possible. Je dois absolument me faire toiletter ce week-end ou bien je serai le pire hôte du monde entier ! »

Le reflet de ma chambre attira également mon attention, dans mon dos, et en balayant la pièce d’un regard circulaire, je lâchai un soupir. A mon image, finalement… Il faut vraiment que je fasse quelque chose et que j’ordonne cet appartement avant son arrivée.
D’une patte, j’agrippai mon téléphone et surveillai mes notifications. Une petite pastille rouge sur l’icône de ma messagerie m’indiquait que j’avais raté quelque chose, et, en l’ouvrant, je souris en découvrant que ma chère sœur avait changé sa photo de profil.
Dessus, on pouvait l’y voir, orientée vers la caméra, au milieu d’un champ de fleurs. Il n’y a probablement rien de plus cliché pour une Phyllali, et le cadre si champêtre acheva de me faire décrocher un petit rictus moqueur, mais après tout, ça lui allait si bien.
Ses longues oreilles en forme de feuille, fines et délicates comme un trait de stylo-plume, avaient l’air d’être portées par un vent immuable. Son sourire sincère pouvait faire éclore n’importe quel bouton de fleur, ses grands yeux verts maculés d’éphélides étaient pétillants de vie, et sa peau beige avait l’air d’avoir été taillée dans l’écorce d’un bouleau d’Himalaya. Avant même de découvrir ses nouveaux messages, j’écrivis sobrement une première phrase sans aucun rapport :

« omg ta nouvelle photo de profil !!!! t’es trop choupie à l’aide jpp je meurs »

… Ou quelque chose du genre. Après quoi, je pris connaissance de la raison de cette sonnerie : elle m’avait partagé des captures d’écran et des commentaires d’un jeu auquel elle jouait et qui lui plaisait beaucoup, afin de me partager sa progression et ses découvertes. J’adore quand elle me raconte ses aventures. J’ai l’impression de les vivre avec elle, et elle a sa façon si premier degré de me les décrire qui me fait beaucoup rigoler. Elle m’avait transmit ces images à peine quelques heures après m’avoir annoncé son arrivée surprise : elle paraissait si calme à l’idée de me revoir, contrairement à moi qui ne savais plus où donner de la tête.

C’était essentiellement par message qu’on discutait, tous les deux. Nos vies respectives nous avaient emmené dans des directions très différentes, et nous n’avions pas beaucoup d’occasions de nous voir. S’il fallait une raison supplémentaire pour justifier mon enthousiasme démesuré, mes inquiétudes capillo-centrées, et pourquoi je souhaitais que ma décharge d’appartement fasse meilleure figure… Un rapide coup d’œil à l’horloge m'indiqua vingt heures, et je décidai de m’y mettre dès ce soir. Le reste de ma semaine ne m’accorderait guère davantage de temps avant son arrivée et celle des autres invités usuels, de toutes façons. Pour gagner du temps ce soir, j’avais songé à commander un burger chez Froussar’Diner. Un jeu de mots Pokémon pour un nom de chaîne de burgers, c’était drôle, et ça me suffisait pour commander chez eux, voilà tout.

« Bravo pour avoir vaincu le boss !! t’es trop forte voilà gg y’a aucun ennemi qui te résiste » ajoutai-je à ma première phrase, avant de changer d’application.

Je sélectionnai celle qui me permettrait de commander mon repas pour ce soir, fis mon choix habituel, avant d’en choisir une dernière, une appli de diffusion en direct. J’appuyai sur un vidéaste au hasard dans ma liste d’abonnements, enclenchai le mode haut-parleur, et commençai à ranger deux trois bricoles en écoutant passivement le flux C’était un format vidéo de culture générale, pendant laquelle l’animateur retransmettait à son tchat une émission similaire à la TV, afin d’y jouer en direct et d’y réagir.

< ••• >
« Voici l’avant-dernière question avant le prochain palier : quelle personnalité avait gagné le sondage de la ‘personnalité préférée des Hoenniens’ en 2023 ? » questionna Jean-Roche.

« Est-ce :
a) Jean-Jacques Goldmangriff xxxxxxxb) Chétiflorent Pagnyc) Thomassko Pesquet xxxxxxxxxxxxxxd) Colhomard Sy ? »
« Je pense que c’est la réponse a), M. Goldmangriff. »


L’animateur mit l’émission en pause.

« Attendez je crois que c’est ça non ? Non attendez, c’est trop, il a même pas réfléchi il a enchaîné quinze questions depuis le début du stream et on est en live depuis genre vingt minutes je vais péter mon crâne » partagea-t-il avec ses auditeurs, avant de remettre la vidéo en route. Sa réaction était sans équivoque :

« ET OUI MESDAMES ET MESSIEURS C’EST LA BONNE REPONSE J’Y CROIS PAS C’EST INOUI C’EST DU JAMAIS VU JE VAIS MANGER MON MICRO LES BOYS JE SUIS CHOKBAR DE BZ IL A TELLEMENT DEAD CA MON POULAIN LEZGO »

A peine quelques minutes plongé dans la diffusion, les bras chargés de cartons pliés et de vêtements froissés, que je pouffai déjà de rire. J’aimais bien ce créateur, je le trouvais très drôle avec ses interjections alambiquées, un peu absurdes, vraiment décalées. Et ces noms de scène ridicules… J’avais souvent besoin de quelque chose en fond sonore, d’un peu divertissant sans être complètement absorbant, pour être plus productif sur certaines activités un peu ennuyeuses. En réalité, n’importe quelle petite distraction permettant de réaliser ces tâches en mode automatique suffisait. J’étais plus efficace quand j’étais déconcentré.

< ••• >
Une heure s’était écoulée, et j’achevai la dernière bouchée de mon burger tandis que, du coin de l’œil, je surveillai la conversation que je partageai avec ma sœur. Les petits symboles en bas de l’écran indiquaient qu’elle avait vu mes réponses, mais son statut qu’elle était hors-ligne. J’enviai beaucoup son rapport à la déconnexion, et comment elle gérait sa relation avec les autres : tandis qu’il me fallait souvent tout interrompre pour poursuivre n’importe quelle discussion qui s’offrait à moi, elle, elle se contentait de répondre quand elle en avait envie, lorsqu’elle saurait quoi dire, sans se soucier du reste. D’aucuns pourraient penser que c’est bizarre, que ce n’est pas très respectueux de se laisser sur un simple « vu » et, pour être honnête, j’avais tout autant de mal à comprendre avant. Mais avec le temps, je me suis surpris à jalouser cet état d’esprit. Ce n’est pas grave ! J’aurai bien un jour ou l’autre son petit cœur en réaction sur mes messages, héhéhé.

Il était temps de continuer ce premier round de ménage de printemps ! Mes poils morts épars n’allaient pas s’éliminer tout seuls, après tout. Je vérifiai la charge que j’avais déposée dans un coin, et, satisfait d’avoir retiré tous les obstacles du plancher, j’utilisai ma capacité Détection pour augmenter ma concentration et repérer davantage d’endroits qui nécessiteraient un nettoyage plus conséquent. Equipé de mon Majaspirateur et sa Carapuce à O intégrée, il était impossible pour moi d’oublier le moindre poil, la moindre tâche désormais ! Cet endroit allait briller plus fort que n’importe quel joyau en plein soleil !

L’église de mon quartier sonna dix coups, et le soleil avait complètement décliné à l’horizon, derrière les autres résidences. Il était bien tard, désormais, et je n’avais nettoyé qu’une seule pièce… Mi-satisfait d’avoir progressé, mi-anxieux de ne pouvoir tout achever avant samedi, je bondis dans mon lit et me préparai pour une courte nuit de sommeil. Juste avant d’éteindre mon téléphone, il émis soudain un petit son de carillon caractéristique, si caractéristique, reconnaissable entre mille : Sévy m’avait finalement octroyé son petit cœur ! Il était vert, et s’il était vert, c’était que mes réponses avaient particulièrement résonné dans sa tête. Elle était en train d’écrire, sans doute pour me partager sa joie sur le fait que je sois fier d’elle au sujet de ses performances dans son jeu. Il n’en fallait pas plus pour me garantir une nuit paisible, et mes yeux épuisés s’éteignirent avant de tout lire, en même temps que l’appareil.

< ••• >
Les deux jours suivants passèrent en un éclair. Mon employeur avait vraiment trouvé, comme par hasard, l’équivalent de plusieurs semaines de travail à abattre en quelques jours, pile pendant ma semaine d’anniversaire ! Quel guigne !! J’avais quitté le bureau beaucoup trop tard à mon goût, et cette maudite cuisine ne brillera jamais à temps. Je choisi de ne plus y penser, restant dans mon déni à croire que je trouverai une solution magique : je savais que Sévy adorerait accompagner la création du repas de ce soir, donc il fallait que ce soit fait. C’est tout. Je réfléchis ensuite à quand il me fallait accueillir Pierre et Elisa, mes autres invités ; lorsque je remarquai l’heure et me fit la réflexion que ce rendez-vous chez la toiletteuse Coiff’Arel prenait décidément beaucoup trop de temps.

« Veuillez cesser de Gigoter comme cela, enfin, M. Kévin ! Depuis le temps, j’aurai imaginé que vous vous seriez lassé de cette capacité, à force de ne pas rester en place comme cela ! Je n’ai jamais eu autant de mal à m’occuper d’un Evoli, et je suis dans le milieu depuis vingt ans ! » me reprocha la Manternel en reculant d’un pas, d’une voix écrasante, aiguisant ses bras.

« Pardonnez-moi, c’est juste que je suis très pressé, et… » commençai-je, avant de me faire interrompre.

« Vous aurez beau vous justifier comme bon vous semble, ça ne change rien au chantier que je vois sous mes yeux ! Si je coupe un seul de vos poils de travers, vous serez définitivement défiguré, je perdrai mon emploi, ma famille sera à la rue et je devrai utiliser mes talents de découpe pour une toute autre activité… »

Elle rigolait. Elle rigolait, n’est-ce pas ? Evidemment qu’elle rigolait. Enfin, évidemment, je dis ça mais elle ne souriait pas. Elle n’esquissait même pas l’ombre d’un rictus. Mais venant d’un salon aussi réputé dans la ville, c’était forcément du sarcasme ou bien elle était équipée d’un redoutable humour pince-sans-rire, hein… ?

« T-très bien madame. », hoquetai-je à voix basse, nerveusement. « Je serai aussi statique qu’un Simularbre, et muet comme un Tutankafer ! »

Le rendez-vous s’acheva sans plus d’histoires, et tandis que je regardai derrière moi en passant la double porte, l’hôtesse me salua de loin, en secouant sa mandibule, avec un sourire très professionnel. Elle s’était moquée de moi, c’était évident, mais elle si douée que les gens préféraient plutôt se taire, et laisser l’extravagante mais talentueuse propriétaire du salon s’occuper d’eux sans rien dire. La brise sévère qui soufflait dehors secoua mon pelage, éliminant les dernières touffes mortes récalcitrantes, et je sentis que tout était uniforme, taillé au millimètre près. La recommandation de mes voisins sur cet établissement était justifiée, mais ils auraient pu me prévenir sur… sur… eh bien, le reste ! Bon, au moins, ça me fera une histoire rigolote à raconter ce soir.

Au détour de la ruelle qui menait au salon que je quittai d’un pas pressé se tenait l’avenue principale, qui découpait la ville d’Est en Ouest, et que je devrai remonter presque intégralement à pied pour aller à la gare et accueillir ma sœur, qui devrait arriver bientôt. En principe, le tramway automatique de la ville aurait fait son office, mais il fallait évidemment qu’il tombe en panne aujourd’hui ! D’ailleurs, je ne savais même pas pourquoi, en fait. En passant à proximité de l’arrêt devant moi, dont le poinçon sur la carte de l’abri scintillait tout à l’ouest de celle-ci pour indiquer l’arrêt où j’étais, je remarquai le panneau numérique qui signalait d’ordinaire les horaires. D’ordinaire, puisque au lieu des deux prochains indicateurs de passage se tenait un texte qui défilait de droite à gauche :

« SUITE AUX CONDITIONS METEO EXCEPTIONNELLES, LA CIRCULATION SUR LA LIGNE B DU TRAMWAY WAGOMINE&CO EST INTERROMPUE. PRENEZ GARDE AUX INTEMPERIES. PLUS D’INFORMATIONS SUR WWW.METEO.WAGOMINEANDCO.POKE »

Les conditions météo ? Mais pourtant, aujourd’hui le temps était plutôt…

… Plutôt…

… Clair… ?

< ••• >
Il m’aura fallu bien quelques secondes pour comprendre ce qu’il se passait autour de moi. Les passants couraient dans toutes les directions, cherchant à s’abriter du vent qui, réflexion faite, soufflait anormalement fort. En levant les yeux au ciel, noir comme chaque nuit d’hiver, je me surpris à penser qu’il avait l’air plus proche que d’habitude, comme s’il était sur le point de tomber. Anxieux, je recommençai à marcher en accélérant la cadence pour gagner plus de temps, quitte à attendre davantage dans la gare sans rien faire si j’arrivai trop tôt.

Mais l’éclair qui traversa le ciel sans crier gare et s’écrasa sur le poteau électrique à quelques mètres de moi me tétanisa sur le champ.
Un hurlement terrible, brûlant mes cordes vocales et balayant les obstacles devant moi, me décrocha la mâchoire alors que je sursautai de peur. L’attaque Mégaphone qui s’échappa involontairement de ma gorge accompagna le tonnerre terrible qui grondait au-dessus de ma tête, tandis que je m’écroulai sur le sol, les clapotis naissant de la pluie tâchant mon pelage, complètement paralysé.

L’éclair. Les Rapasdepic agressifs. Les Etouraptors apeurés. Les cris de désespoir qui accompagnaient des tessons d’œufs tombant de l’arbre. Les Météores. L'Ouragan. Le deuxième éclair. La douleur. La paralysie. La sensation du courant électrique, telle une vague sonique, qui parcourait mon corps. La sensation de perdre connaissance.

Ce vieux souvenir de mon enfance, que je confondais parfois pour un vieux rêve qui n’avait jamais existé, revint me hanter immédiatement. Je ne pus bouger davantage. J’ordonnai pourtant à mes pattes de se mouvoir, de bondir, de me mettre à l’abri dès que possible ; à ma tête de regarder devant moi, et non le sol maculé de fragments ferreux et d’ondes diluviennes ; à mon cœur de se calmer et mon âme de raison garder : rien n’y faisait. J’étais plongé dans le clair-obscur que j’avais moi-même provoqué en détruisant les lumières environnantes. J’étais misérable, à genoux, les yeux révulsés, grands ouverts sans réellement voir ; mon cœur était sur le point d’exploser à force de battre avec tant de force, tandis que le démon imaginaire qui personnifiait l’orage se tenait là, au-dessus de moi, déversant ses grondements moqueurs sur mon petit corps noirci par son épais manteau aussi duveteux que menaçant.

Chaque coup de tonnerre hoquetait dans mes oreilles, à cause des battements de mon cœur qui se confondaient en coups de tambour. Chaque éclair déchirait le ciel, comme des coups d’épée, avant de se résorber immédiatement, punissant la moindre particule de lumière qui apparaissait. Chaque frappe céleste faisait trembler mon corps, et lorsqu’il résonnait dans mes os, il se transformait en rire. Un rire qui me traversait de long en large et accentuait mes spasmes de terreur.

Je n’allais jamais réussir à rejoindre cette gare. J’allais m’évanouir ici, terrifié par cet orage, dans cette ville gigantesque où le monde courrait pour protéger sa petite tête, et j’étais sur le point de passer la nuit sur ce sol humidifié par la pluie et par mes sanglots. Mon cœur aurait raison de moi, et tétanisé par les forces de la nature, j’allais sombrer sur ce trottoir et me livrer à l’inconnu.
Je n’allais jamais rejoindre Sévy.

< ••• >
… Sévy.

Aussi soudainement que l’orage était apparu pour m’infliger son courroux, un autre son me libéra de son étau invisible. Un son caractéristique, si caractéristique, reconnaissable entre mille… Un petit carillon. Deux petits carillons. A peine perceptibles à cause du chaos ambiant, ils avaient retenti l’un après l’autre, faibles, près du sol, et accompagnaient une légère lueur abîmée par la pluie. Mon téléphone était tombé par terre en accompagnant ma chute, et une notification avait réussi à me déloger de ma torpeur. Une troisième petite notification, jumelle aux deux autres, attira définitivement mon regard vers l’appareil.

« Coucou Kévy ! Je suis arrivée à la gare, mais le temps est terrible non ? »

« J’espère que tu as pris un parapluie, je ne voudrais pas arriver trempée chez toi ! »

« Je sais que tu n’aimes pas trop l’orage, alors n’hésite pas à m’appeler si ça peut te rassurer ! »

Voilà les trois messages qui étaient écrit en dessous de ce petit nom familier, aux côtés d’un émoji en forme d’arc-en-ciel.
Il me suffisait juste d’allonger le bras pour appuyer sur cette petite icône de téléphone, et je pourrai entendre sa voix. Mais n’est-ce pas un peu ridicule ? Ce n’est qu’un orage… « Tout ce que tu as à faire, Kévin, c’est te relever et avancer. Un peu de courage ne te tuera pas, pas plus que cette catastrophe, hein ? » me marmonnai-je, à peine convaincu par mes propres paroles.

Et c’est pour cela que, en conséquence de mes pauvres encouragements, je réfugiai mon téléphone sous mon corps arqué en appelant ma grande sœur à l’aide. Un éclair de lucidité se mêla aux autres qui zigzaguaient dans le ciel, et je choisi d’affronter cette peur irrationnelle avec quelqu’un d’autre. Je ne savais pas combien de temps s'était écoulé depuis que j'errai là, par terre, mais si Sévy était arrivée, c'est que c'en était beaucoup trop.

« Allô, Kévy ? Kévy ? Tu es en route ? » entendai-je grésiller depuis le petit haut-parleur.

Je tentai de répondre, mais ma voix était tout aussi brisée que moi. Je fus incapable d’émettre le moindre son. Sa voix me réchauffait, mais j’étais encore loin d’être tiré d’affaire.

« Kévy, quelque chose ne va pas ? Est-ce que tu es bien là ? J’espère que c’est pas encore un bug, ce téléphone aura ma peau. Vraiment il est temps que je le change je te jure ! » ajouta-t-elle, avec un faux ton de reproche.

Si un rire pouvait sortir, il serait sorti. C’était drôle, comme phrase, ça aurait dû me faire rire ! Même ça… je suis tout simplement incapable de rire. Cette pensée acheva d’assombrir mon visage, et j’eus soudainement peur qu’appeler à l’aide n’aurait finalement servi à rien.

« Kévy. Est-ce que c’est l’orage ? C’est ça qui t’empêche de me parler ? Si c’est bien ça qui te terrifie, n’aies pas peur ! Tu n’as rien à craindre. Tu es plus fort et courageux que gros nuage moche ! Il aura beau gronder encore, et encore, tu as suffisamment de force pour l’ignorer ! Tu sais quoi ? Tout ce que tu as à faire, c’est suivre ma voix, Kévy. Ma voix. Concentre-toi là-dessus, d’accord ? »

Sur le coup, je ne comprenais pas trop en quoi sa voix allait m’aider davantage, puisque l’appeler n’avait rien changé. Mais il n’aura fallu que quelques secondes supplémentaires pour que ses paroles se transforment en petit chant. Diffus, camouflé par l’orage, un chuchotement à peine perceptible par le haut-parleur maculé de pluie… Mais un chant.

Je fus incapable d’en comprendre le texte, ni même d’en déterminer exactement le rythme, mais le son de sa voix qui s’élevant péniblement de mon téléphone, si caractéristique, si forte, si haute quand elle chante, commença à me galvaniser. Chaque note libéra un muscle différent, chaque mot restaura davantage mes forces, chaque seconde m’aida à écoper le tonnerre plus facilement. Et, au bout d’une petite minute, à rassembler mon courage et me concentrer sur cette mélodie, je fus prêt, droit sur mes pattes, le regard en avant. Prêt à affronter n’importe quoi. Prêt à défier cette imposante marée de nuages. Prêt à affronter cette grande peur pour retrouver ma grande sœur.

L’utilisation de capacités était hautement contrôlé et légiféré au sein de la ville. Quelques exceptions étaient accordées pour certaines fonctions publiques ou certains métiers, mais on attendait du civil moyen une retenue exemplaire et pas de démonstrations. Mais au diable le protocole : j’allai probablement déjà avoir des ennuis pour avoir ruiné ce qu’il y avait devant moi avec mon attaque Mégaphone, quelques attaques supplémentaires ne me sortiraient pas du pétrin dans lequel j’avais sauté.

Je passai la voix de Sévy sur le plus grand haut-parleur, afin de l’entendre même lorsque j’aurai rangé le téléphone dans ma petite sacoche. Les griffes ancrées dans le sol, je me positionnai ensuite à quatre pattes pour concentrer cette énergie vitale nouvellement restaurée, afin de préparer une série de Vive-Attaque, et de gagner le plus de temps et de terrain possible. J’analysai d’avance ma trajectoire, ignorant l’orage qui avait décidément pris la mouche en me voyant me relever, les bourrasques qui bousculaient tout sur leur passage, et la pluie qui assombrissait l’avenue.

« Sévy… J’arrive ! » criai-je avec assurance, en relâchant toute cette force accumulée.

Je l’entendit dire quelque chose, mais aucune idée de ce que c’était. C’aurait pu être la suite du chant, tout comme c’aurait pu être un nouvel encouragement : le vent hurla désormais sur mon passage, plein d’orgueil de me voir arriver à toute allure, et fut bien décidé à m’arrêter. Les clapotis par milliers de la pluie se transformèrent en innombrables lances acérées qui déchiraient mon pelage complètement noir et inondé, tandis que le tonnerre me poursuivait avec acharnement. Je cherchai à peine à esquiver les nouveaux obstacles, tantôt les utilisant comme support pour accélérer, tantôt acceptant de m’entrechoquer avec eux, mais rien ne m’arrêtait. Les quelques passants que je devinais, téméraires ou complètement fous, qui n’avaient pas encore rejoint leurs foyers, détournèrent leur regard pour m’observer passer à toute vitesse, tandis que je m’alignai avec le centre des lignes de tram qui ne passeraient plus afin de me concentrer sur la course.

J’allai y arriver. J’allai y arriver. J’allai y arriver, j’allai la revoir ! Ma sœur, ma si chère sœur, j’allai y arriver, j’allai la revoir, j’allai la retrouver, j’allai la serrer dans mes bras ! Tout ce que j’avais à faire, c’était courir ! Courir, sans jamais m’arrêter, sans jamais me questionner, courir jusqu’à ne plus pouvoir, courir jusqu’à en perdre le souffle, courir jusqu’à la fin ! Ma vue fut complètement embrouillée par le crachin qui battait son plein, je ne distinguai qu’à peine les lumières de la ville qui clignotaient quand elles n’étaient pas cachées par les immenses gratte-ciel ; qu’à peine les planches de bois qui composaient les rails que je percutai à chaque bond ; qu’à peine les panneaux, les arbres, les lampadaires abîmés qui jonchaient les bords de chaque voie, ressemblant davantage à des coups de crayons qu’à de véritables objets.

Je courus sans penser à demain, pendant ce qu’il me sembla des heures, quand je l’aperçus enfin. Le grand bâtiment, à droite, juste après cet arrêt, avec ses lettres rouges si caractéristiques.

La gare.

J’achevai ma dernière Vive-Attaque en plantant mes griffes dans le sol, déchirant les traverses de bois au passage, faisant grincer mes pattes sur plusieurs mètres jusqu’à ce qu’elles me fassent souffir, et rassembla mes dernières forces pour lancer une ultime attaque et achever mon dernier bond au centre du hall principal. La double porte automatique s’ouvrit à peine à temps pour laisser passer mon petit corps endolori, et me révéla que la station était faiblement allumée, presque déserte ; les rares voyageurs qui y résidaient, éparpillés tout autour de moi, observaient maintenant avec inquiétude mon corps abîmé et le décor lugubre de l’extérieur, alternativement. Un silence assourdissant, venant presque éclipser la fureur de l’orage dehors tandis que les portes se refermaient, avait accompagné mon entrée fracassante, alors que je m’écroulai sur le sol, vidé de toute énergie. Les quelques passants portèrent à nouveau leur attention vers la place en face du bâtiment, hypnotisés par le spectacle catastrophique qui se déchaînait dehors, lorsque le son de mon téléphone arriva comme un écho à mes oreilles. C’était comme si la voix venait de deux endroits différents, avec un léger décalage. Le chant s’estompa pour de bon, avant que je ne commence à entendre le son de petits pas feutrés. La période qui séparait deux chiquenaudes était très courte, comme si la personne courrait… Mais en même temps, ce que je percevais était faible, comme si la source de cette course n’était qu’un enfant, ou un petit jouet.

Elle aurait pu me dire que j’étais un idiot, un irresponsable, que j’allais m’attirer des ennuis. Elle aurait pu faire tout ça. Mais à la place, elle s’agenouilla près de moi, posa sa fine patte brune sur ma tête, et me caressa les cheveux avec affection.

« Bravo, Kévy. Je suis très fière de toi. Tu m’as retrouvée, tu as vu ça ? Je te l’avais dit que tu étais courageux ! »

Toute la peur de l’orage s’évapora en un instant, tandis que mon cœur se gonflait désormais d’une affection sororale, éliminant avec chaque battement les angoisses précédentes. Je me redressai avec difficulté, regardai ma grande sœur dans les yeux, lui adressai un sourire abîmé, avant de lâcher avec difficulté :

« Tu as fait tout le travail à ma place… ma chère sœur. Si je ne t’avais pas entendu… j’aurai sûrement piqué un roupillon tout là-bas. Et… tu aurais fêté mon anniversaire sans moi, l’ironie ! »

Elle laissa s’échapper un tout petit éclat de rire, comme un couvert qui teintait timidement sur du cristal, et m’enlaça dans ses bras. Une douce chaleur réconfortante m’enveloppa tandis que Sévy utilisait son attaque Zénith pour éclairer la gare et réchauffer mon petit corps frigorifié.

« Tu sais… Normalement, on a pas le droit d’utiliser des capacités comme ça sans autorisation dans l’enceinte de la ville… » murmurai-je, sans aucune conviction, après les dégâts que j’eus moi-même causé plus tôt.

« Oh, tu sais, je viens en ville une fois toutes les mille lunes, si c’est pour accueillir mon rocambolesque petit frère, ça ne me dérange pas d’attirer un tout petit peu l’attention. Même si, d’après ce que j’ai entendu depuis mon téléphone en t’appelant, ce n’est certainement pas quelques degrés supplémentaires impromptus dans la gare qui vont vraiment attirer l’attention des gens du coin ! » se moqua-t-elle, tout en séchant mon pelage.

Pendant que nous rigolions de ma propre bêtise, l’orage avait jeté l’éponge sur ma petite personne, et s’éloignait lentement. Lorsqu’il fut suffisamment loin, j’invitai ma sœur à travers la ville, observant avec inquiétude tous les dégâts qu’elle avait subi ces dernières minutes. Je choisis d’emprunter quelques ruelles moins fréquentées et plus petites pour me faire discret, intimidé par l’immense avenue qui, je le jurerai, était en train de m’accuser. Je conduisis ma sœur jusqu’à la porte de mon appartement. Les autres invités n’avaient rien dit sur ma messagerie, donc j’assumai qu’ils allaient tout de même arriver, juste un peu plus tard. Cette idée ne me dérangeait pas ; un peu de calme ne me ferait vraiment pas de mal, et cela m’octroierait alors quelques minutes privilégiées avec cette chère Sévy.

< ••• >
Elle m’emboîta le pas alors qu’elle rentrait dans ma demeure, et balaya du regard l’ensemble des petites pièces qui la composaient. Elle apprécia l’ordre général établit, aussi expéditif fu t-il mis en place les jours précédents ; mais me reprocha avec amusement la terrible vaisselle dans l’évier et le démoniaque sachet de burger sur le comptoir, à mon plus grand désarroi. Nous passâmes la demi-heure suivante à papoter de tout et de rien, dans une petite bulle isolée, entre frère et sœur. Elle me demanda régulièrement si j’avais récupéré, sans insister plus que de raison, simplement pour s’assurer que j’allais bien, et c’était agréable. C’était la première fois que je la voyais depuis longtemps, et elle avait évidemment beaucoup changé, mais en même temps, c’est comme si l’on avait repris le cours des choses là où on les avait laissées, il y a quelques années. C’était un sentiment assez touchant de la retrouver et de la voir évoluer dans un endroit familier, comme mon chez-moi.

Elle se baladait à travers les pièces pendant que nous échangions actualités et souvenirs, pendant que je m’affairais en cuisine, à ranger le désordre et préparer quelques ustensiles ; quand soudain, elle laissa s’échapper un petit cri de surprise depuis la salle de bain. J’écarquillais les yeux en comprenant immédiatement de quoi elle allait parler. Je n’eus pas le temps de commencer à m’expliquer qu’elle fit irruption dans le salon, avec un air mélangeant surprise et enthousiasme :

« DEUX ? DEUX BROSSES A DENTS ? KEVY, TU AS QUELQU’UN DANS TA VIE ? ET TU COMPTAIS M’EN PARLER QUAND, AU JUSTE ??? J’EN REVIENS PAS QUE TU M’AIES RIEN DIT OMG !!! »

« Je peux tout t’expliquer Sévy, attends !!! C’est tout récent, elle n’est venue qu’une fois ici et elle est restée une seule nuit et je ne sais pas encore si c’est sérieux et, et, et... », tentai-je de balbutier.

C'était vrai ! Je ne l'avais rencontrée qu'il n'y a deux ou trois semaines, nous avions gentiment accroché, elle avait passé la nuit ici une fois et...

L'irritant double gong grave de la sonnette de mon appartement retentit soudain. La vieille alarme éclaira mon visage : mes autres amis arrivaient, et ils allaient me sauver la vie ! J’esquivai promptement la question en allant ouvrir à mes invités, tandis que ma chère sœur s’était décidée à rentabiliser le court laps de temps restant en me posant toutes les questions du monde sur cette nouvelle personne. Elle allait sans aucun doute savoir tout ce qu’il y avait à savoir, en temps et en heure, parce que je lui disais tout ; mais pour l’instant, c’était juste le début d’un petit quelque chose. Elle prendrait son mal en patience le temps que je développe ça de mon côté, voilà tout ! Sévy, a toujours eu ces deux facettes opposées : cet aspect protecteur, enveloppant, qui soutient et qui aime, comme un câlin qui ne s’arrête jamais ; et cet autre côté malicieux, facétieux, drôle, curieux et taquin. Et elle pouvait sauter d'un état à l'autre en un clignement d'yeux !

La soirée fut merveilleuse et se prolongea jusqu’à ce que le clocher n’eut plus envie de résonner. Sévy m’avait offert tout un tas de petits objets qu’elle avait confectionné elle-même : des marque-pages pour m’encourager à lire, quelques petites peluches en crochet, une boule à thé tressée avec diverses branchettes et lianes… Elle m’aida aussi à préparer un curry d’exception, qui fit l’unanimité.
Le lendemain, nous passions la journée ensemble : nous vagabondions en dehors de la ville, dans les quelques coins de verdure que l’orage avait épargné ; nous passions du temps dans mon appartement à jouer, discuter, à chanter et à dormir aussi.

J’avais bien l’intention de profiter de chaque seconde, avant qu’elle ne reparte, incertain de notre prochaine rencontre.
J’avais bien l’intention de construire des souvenirs, afin de m’en rappeler, encore et encore.
J’avais bien l’intention d’oublier mes routines et de faire de cet anniversaire le plus mémorable de tous, parce que ma sœur était là pour m’accompagner.
J’avais bien l’intention de célébrer ce jour comme le meilleur, en compagnie de la meilleure !

Parce que tu es la meilleure, Sévy.