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Conte de sorcières de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 13/09/2024 à 16:31
» Dernière mise à jour le 13/09/2024 à 16:31

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

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Chapitre 9 – Le pétunia laisse éclater sa colère
Des jours entiers avaient passé depuis l’escapade nocturne de Lily. Des jours durant lesquels elle n’avait pas revu Morgana, comme l’avait ordonné Rose. L’adolescente avait finalement avoué à sa mère ce qui s’était passé dans les bois ce fameux jour. Alors qu’elle lui racontait, Lily avait vu le visage de Rose se tordre d’épouvante.

La mère protectrice avait donc également demandé à sa fille de pas trop s’approcher de la Forêt de Lumirinth. Elle le lui avait demandé… mais pas interdit. Sans doute Rose se rendait-elle compte qu’elle était trop stricte, trop sévère envers sa fille unique. Ce qui se ressentait dans l’humeur de la jeune fille.

Elle se sentait comme un oiseau en cage qui aurait oublié comment chanter. Sans le moindre grain de mystère pour pimenter son existence, le jeune lys dépérissait. La délicate rose ne comprenait pas ce désir d’aventure. Mais elle craignait de comprendre un peu trop bien le lien qui unissait sa Lily à cette…

Sorcière.

Le mot se répandait comme un poison dans les chaumières de Corrifey, un murmure suintant sur les murs, une rumeur dégoulinant des bouches toxiques. Cette atmosphère viciée étouffait Lily. Elle était la seule à avoir essayé de voir au-delà des apparences, à avoir appris à connaître Morgana. Elle n’avait pas découvert une sorcière, mais bien une femme intelligente, drôle et sympathique.

— Ma chérie, est-ce que tu pourrais livrer ces pétunias à Mrs Lovebird, s’il te plaît ?

Allongée sur le canapé du salon, Lily sursauta, surprise par la demande impromptue de sa mère. Mais la requête ne lui déplaisait pas, au contraire. Elle adorait Mrs Lovebird. C’était la libraire du petit village, une dame d’un certain âge avec qui la jeune fille s’entendait bien, et pour cause : elles partageaient le même amour inconditionnel de la lecture. Animée d’une énergie nouvelle, Lily se redressa d’un bond.

— Pas de problème !

Elle sauta du canapé et récupéra le bouquet violacé que tenait sa mère. Après avoir salué Rose d’un vague geste de la main, Lily disparut derrière le battant sombre de la porte d’entrée. Un sourire triste aux lèvres, sa mère la regarda s’éloigner. Les choses redeviendraient-elles un jour comme avant ?

Rose jeta un œil par la fenêtre : une fine pluie d’automne commençait à consteller le sentier qui parcourait le village. Elle se précipita alors vers le vestibule, et s’empara d’un capuchon vieux rose, avant d’ouvrir en trombe la porte.

— Lily ! Il pleut ! Prends ton man…

Mais la jeune impétueuse tournait déjà à l’angle du chemin, sautillant dans les flaques d’eau naissantes comme une fillette. Rose afficha cette fois-ci un sourire franc, attendrie par tant d’insouciance. Elle poussa un soupir et referma la porte d’entrée, tandis que la pluie se faisait plus drue.

De son côté, Lily profitait de ce moment de liberté, aussi pluvieux soit-il. Elle s’efforçait cependant de protéger le bouquet de l’averse qui s’intensifiait à chaque seconde, par égard pour sa cliente. Heureusement, la librairie de Mrs Lovebird, Les contes de Corrifey, n’était qu’à quelques minutes de marche de la maison de Lily.

Lorsque la jeune fille fit tinter la clochette de la boutique à la façade vert olive, elle était trempée jusqu’aux os. Sous son chapeau vert émeraude à plumes noires, les yeux clairs de Mrs Lovebird s’écarquillèrent. Elle s’extirpa aussitôt du comptoir, soulevant sa robe à volants de ses mains. Mais ses mains délaissèrent vite sa robe pour délester Lily du bouquet, qu’elle posa avec précipitation sur le comptoir.

— Oh mon dieu Arceus, Lily, tu es trempée ! Ne bouge pas, je t’apporte une couverture !

La libraire retourna aussitôt derrière le comptoir, avec tout l’empressement que pouvait se permettre une dame distinguée. Avant que le rideau de satin violet qui menait à l'arrière-boutique ne l’avale, la jeune imprudente lui adressa un sourire chaleureux, qui contrastait avec les frissons qui agitaient son corps transi de froid.

La glaciale minute que Lily passa ainsi, figée et dégoulinante, lui donna une bonne leçon. Elle aurait dû écouter sa mère, tout compte fait. Oui, elle l’avait bien entendue, lorsque celle-ci lui avait conseillé de prendre son manteau. Elle l’avait délibérément ignorée, car elle en avait assez de devoir l’écouter, encore et toujours. Mais parfois, cela revenait à aller à l’encontre du bon sens.

Un profond soulagement parcourut Lily lorsque Mrs Lovebird revint, les bras chargés d’une pile de couvertures. Lorsque l’élégante libraire recouvrit ses épaules de la chaude étoffe, il lui sembla que c’était le soleil lui-même qui embrassait son corps. Elle se laissa retomber avec bonheur sur le moelleux fauteuil installé devant le comptoir.

— M-merci, Mrs Lovebird, bredouilla-t-elle, embarrassée.

— C’est bien normal, voyons, balaya la libraire d’un geste de main étudié. Mais enfin, quelle idée de sortir si peu couverte, sous une pluie battante ! Tu aurais pu me livrer ces fleurs un peu plus tard ! la houspilla-t-elle gentiment.

Puis elle se saisit du bouquet de pétunias et entreprit de disposer les fleurs dans le vase qui trônait sur le comptoir de bois sombre.

Lily esquissa un sourire gêné.

— Il pleuvait à peine quand je suis sortie, se défendit-elle.

Un éclat de rire modulé s’éleva alors dans l’air.

— Haha, je te reconnais bien là, ma chère Lily ! Une insouciance à toute épreuve. Mais c’est aussi ce qui fait ton charme. Les gens trop sérieux sont bien souvent dénués de fantaisie, décréta-t-elle en ajustant les pétunias dans le vase d’un geste expert. Enfin, je te remercie d’avoir bravé une telle averse pour m’apporter ce ravissant bouquet. Il n’est même pas si abîmé. Au contraire, les gouttes de pluie lui donnent une touche romantique. Qu’en penses-tu ?

Un peu réchauffée, Lily observa les pétunias violets, constellés de taches de pluie irisées. Elle les avait protégés du mieux qu’elle avait pu sous son gilet, et ses efforts n’avaient pas été vains. Les pétales, loin d’être abîmés, resplendissaient sous les perles de pluie, qui brillaient comme des diamants sur l’indigo.

— Je suis d’accord avec vous, acquiesça Lily.

— Ne bouge pas, je vais te faire un thé.

— Oh, je… C’est très gentil mais… Je ne voudrais pas vous importuner davantage, j’ai déjà abusé de votre hospitalité… (Elle baissa les yeux vers l’énorme flaque sous ses pieds). En plus, j’ai inondé votre vestibule… bafouilla la jeune fille avec déférence, rouge de honte.

— Ne dis pas de sottises. Entre amies, c’est bien normal de s’entraider.

Puis elle s’en fut de nouveau, gracieuse comme un paon dans sa robe verte à dentelles noires.

Malgré son état pitoyable, Lily se surprit à sourire d’un air béat. En réalité, elle avait plus d’amis qu’elle ne l’aurait cru. Elle savourait sa chance, lovée sur son fauteuil, lorsque quelques minutes plus tard, Mrs Lovebird lui plaça une tasse de thé fumant dans la main. La jeune fille la remercia chaudement, puis le silence perdura jusqu’à ce que la clochette de la librairie retentisse.

Deux femmes pénétrèrent alors dans la boutique. L’une était aussi ronde et petite que l’autre était longiligne et grande. Mais elles arboraient le même teint rouge et la même peau brunâtre, signes évidents d’une vie marquée par le travail physique.

Elles jetèrent un regard dégoûté à Lily, ainsi qu’à l’impressionnante flaque d’eau que l’adolescente avait laissé sur son passage. Elles se mirent à chuchoter, la mine déformée par un rictus méprisant. De ces messes basses, Lily attrapa quelques charmants mots à la volée, tels que « saltimbanque débraillée » et « gamine irresponsable ».

Il avait déjà cessé de pleuvoir ; l’averse avait été aussi intense que soudaine, et apparemment elle était la seule étourdie du village à avoir osé braver les éléments plutôt que d’attendre sagement l’accalmie. Rester sage, ce n’était décidément pas son fort. La jeune fille se recroquevilla sur son fauteuil, mortifiée. Mais les deux clientes se désintéressèrent bien vite d’elle pour s’adresser à Mrs Lovebird.

— B’jour, Mrs Lovebird ! commença la plus petite. Z’auriez un livre d’histoires d’horreur pour moi ? J’aimerions faire peur à mon gamin, l’est pas très obéissant… J’pense qu’une bonne frousse pourrait lui r’mettre la caboche en place !

À ces mots, un rire gras éclata dans sa gorge. La libraire lui adressa un sourire radieux.

— Mais bien sûr, Mrs Hanger, je vais regarder ce que j’ai. Un conseil, cependant : veillez à tenir le livre dans le bon sens lorsque vous lui lirez l’histoire, ajouta-t-elle, pince-sans-rire. On ne sait jamais ! Sinon votre fils risque plus la crise de rire que la crise d’angoisse.

Et elle disparut dans l’arrière-boutique d’un frottement de dentelle. De son côté, Lily se retenait de toutes ses forces pour ne pas pouffer de rire. Mrs Hanger, n’ayant même pas eu le temps de répondre à cette provocation éhontée, exprima plutôt sa frustration auprès de sa comparse.

— Mais quelle garce ! vociféra-t-elle. Z’avez vu ça, comment elle nous traite ? C’est vraiment une…

— Une sorcière, compléta l’autre. Encore une !

— Moi j’vous le dis, il faudrait faire un bon feu de joie dans c’te village, avec Lovebird et l'alchimiste de pacotille au milieu ! décréta Mrs Hanger avec véhémence.

Ces paroles coupèrent toute envie de rire à Lily. L’image de Morgana et Mrs Lovebird attachées sur un bûcher au beau milieu de la grand-place apparut dans son esprit. Un frisson d’effroi parcourut alors son échine.

— Vous croyez pas si bien dire, confirma la femme à la longue silhouette d’une voix grave.

Elle se pencha alors vers son amie et baissa la voix, si bien que Lily dut tendre l’oreille pour entendre ce qu’elle raconta ensuite, le cœur au bord des lèvres.

— Hier soir, mon fils est allé jouer dans la forêt, malgré qu’j’lui ai interdit, expliqua-t-elle. Eh bah, j’peux vous dire que c’qu’il a vu l’a achevé de plus y r’tourner. Il s’baladait autour d’la chaumière de cette Morgana, et là…

— Et là quoi ? s’enquit Mrs Hanger, avide d’en savoir plus.

— Et là, y m’a dit qu’il avait vu un monstre par la fenêtre ! Il a détalé aussi sec, et quand il est rev’nu à la maison, j’l’avais jamais vu aussi pétochard. L’avait peur de son ombre, c’t’enfant ! Vous vous rendez compte ? Un monstre, par Arceus ! J’sais pas quel genre de maléfices elle pratique, la donzelle, mais elle est dangereuse !

— Mais quelle horreur ! Et dire qu’on la laisse entrer chez nous ! Qui sait si elle essaie pas d’nous empoisonner depuis le début ? s’épouvanta Mrs Hanger. Y faut faire que’que chose !

— C’est déjà fait, qu’est-ce qu’vous croyez ? J’allais pas la laisser s’en tirer comme ça. Alors j’avions fait le chemin en charrette jusqu’à Chister juste pour prév’nir l’inquisition. Y sont p’têtre déjà en route pour l’arrêter. Une bonne chose de faite ! Dommage que j’puisse pas la voir brûler d’mes propres yeux, tiens, conclut la femme avec un sourire carnassier.

Lily se leva de son siège à la vitesse de l’éclair. Abandonnant la couverture à son sort, elle se précipita dehors. La clochette de la librairie résonna jusque dans son cœur.

Elle courait à en perdre haleine.

Elle devait la prévenir. Il le fallait.

Elle pressa le pas. Elle sentait les pierres du sentier s’enfoncer dans les semelles de ses souliers malmenés. Elle s’engouffra sans hésiter dans les fourrés et fonça vers le halo de lumière situé au cœur des bois. Elle allait si vite qu’elle trébucha sur une pierre acérée. La jeune fille s’étala de tout son long sur le chemin poussiéreux. Lily se releva avec courage, grimaçant de douleur : son genou s’était égratigné dans la chute.

Pendant une fraction de seconde, tout son corps se figea. Cette course à travers bois pour prévenir Morgana, cette chute, son genou égratigné… Elle avait le sentiment d’avoir déjà vécu tout cela. Dans les moindres détails. Elle secoua la tête. Elle n’avait pas de temps à perdre.

Courir.

Ne pas réfléchir.

Le jeune lys reprit sa course effrénée, malgré les branches crochues des arbres qui se dressaient sur son chemin, abîmant ses pétales et entravant sa course. À bout de souffle, Lily avait l’impression que son cœur allait exploser.

Il… fallait… qu’elle… la… prévienne…

Juste au moment où elle arrivait au bout de ses forces, la maisonnette inondée de soleil perça à travers les feuillages. L’adolescente s’effondra à genoux, ce qui lui arracha un cri de douleur. Lorsqu’elle releva la tête, un éclair argenté l’aveugla. Deux hommes engoncés dans leurs armures se trouvaient à la porte du cottage.

L’inquisition.

Une longue chevelure pastel se découpait derrière leurs silhouettes.

Elle arrivait trop tard.

Comme dans son rêve.

Elle se souvenait maintenant.

Sous ses yeux, les hommes en armure s’emparèrent chacun d’un bras de Morgana.

Les bras de l’alchimiste lui semblèrent fins. Très fins. Trop fins.

Un sentiment de terreur paralysa chaque muscle du corps de Lily. Clouée au sol par cette vision d’horreur, elle contemplait avec une fascination morbide la scène qui s’offrait à elle.

Le corps de Morgana était enfoui sous sa chevelure, comme une avalanche recouvre une montagne. Sa peau désormais grisâtre se fondait dans le bleu, sa robe à volants se mélangeait au rose vaporeux. Le blanc de ses yeux s’était teinté de noir, ses iris s’étaient éclaircis comme un ciel nuageux, arborant une inquiétante couleur azur.

Un immense chapeau trônait sur sa tête, du même bleu layette que ses cheveux. Une excroissance émergeait de la pointe, où une sphère rose surmontait une autre sphère, bleue cette fois-ci, semblable à une terrifiante main à trois doigts. Hormis ce détail, le couvre-chef ressemblait à s’y méprendre à…

Un chapeau de sorcière.

Les larmes montèrent aux yeux de Lily.

Pire encore qu’une sorcière, son amie ne ressemblait même plus à un être humain.

La jeune ingénue comprit alors.

Le monstre, c’était Morgana.

Pourtant, le visage de la jeune femme exprimait un mélange de terreur et de tristesse. Elle tenta de se débattre, en vain. Elle ne cessait de clamer son innocence. Soudain, elle aperçut sa protégée. Son effrayant regard aux globes d’encre rivé sur elle, des larmes se mirent à perler dans ses yeux.

— Lily ! Tu sais que je ne suis pas une sorcière ! Dis-leur ! Je t’en supplie…

Lily tendit le bras vers elle, à sa la fois si proche et si loin. Elle voulut parler, défendre Morgana… Mais elle ne parvint pas à émettre le moindre son. Elle porta les mains à sa gorge, comme asphyxiée. De leur côté, les inquisiteurs commençaient à entraîner leur prisonnière avec eux, le visage fermé comme de la pierre. Lorsqu’ils passèrent à côté de Lily, tremblant comme une feuille, effondrée au sol, ils ne lui jetèrent pas un regard.

Mais celui que Morgana lui adressa, empli de détresse et de ressentiment, la hanterait pour toujours.