Les choses s'amélioreront un jour
Chapitre 7 : Les choses s’amélioreront un jour
Laura, Krys et Silver étaient encore en train de se battre contre un Boss quand une alarme (que Krys n’avait pas installée, merci Motisma.) les avertit qu’il était l’heure du tour de surveillance de Laura. Silver réussit tant bien que mal à les pousser à y aller (Allez, vous avez déjà rien fichu de toute l’après-midi ! Vous pouvez faire vos tours de garde ensemble si vous vous ennuyez tellement !) et décida de les accompagner, car, selon ses mots, « ils n’avaient pas terminé de lui expliquer comment battre le boss sur lequel il était coincé depuis tout à l’heure ».
Quand ils arrivèrent, s’installèrent le plus confortablement possible dans la pièce longue et étroite. Des trois personnes présentes, Krys fut le seul à faire vraiment le travail demandé. Laura et Silver s’étaient juste assis sur le sol derrière le bureau, et Laura faisait des commentaires pendant que Silver jouait sur sa Switch.
(- Je t’ai dit que tu devais utiliser des attaques de type Eau contre ce boss, Silver !
- Mais les attaques de type Plante sont beaucoup plus stylées ! S’ils ne voulaient pas qu’on les utilise à chaque fois, ils avaient qu’à ne pas les faire aussi stylées !)
Il se faisait tard, mais les deux Pokémon étaient encore réveillés, et discutaient avec enthousiasme. Il se demandait de quoi ils parlaient. Il se demandait si ça avait de l’importance de vouloir savoir de quoi ils parlaient, sachant qu’il était en train d’imaginer quelque chose qui était probablement impossible.
(Il se demanda si c’était égoïste qu’il y apporte de l’importance, car, qu’il soit capable de les comprendre ou pas, ça ne devrait pas changer la manière dont ils les traitait – juste parce qu’il ne les comprenait pas cela ne voulait pas dire qu’ils ne méritaient pas d’être traités avec autant de respect que s’il les comprenait.)
(Il se dit que de toute façon, peut importait ce qu’il pouvait bien penser sur ce sujet, car rien qu’en étant là il était complice d’une organisation qui les enfermait et maltraitait.)
L’absol avait l’air plus heureux que quand il venait d’arriver. Ce n’était pas étonnant : d’après Laura, il avait fait une crise de panique quand il était arrivé la première fois. Le contact avec la vieille Némélios lui avait définitivement fait du bien. Ils étaient beaucoup plus proches que ce à quoi Krys se serait attendu, après si peu de temps passé ensemble. C’était une bonne chose, la Némélios avait besoin de compagnie, et l’Absol était beaucoup trop jeune pour être capable de supporter la vie en captivité tout seul.
Il rajusta d’une main le haut de son uniforme. (Peu importe ce qu’il mettait, il n’avait jamais l’impression que ça lui allait, et il se sentait inconfortable.)
Il avait le casque qui lui permettait d’entendre ce qu’il se passait à l’intérieur de la cage sur les oreilles et était perdu dans ses pensées, aussi il n’entendit pas Laura s’approcher de lui, et sursauta violemment quand elle se mit à parler. Elle était légèrement penchée en avant, une main posée sur la table, et l’autre sur sa hanche, et regardait l’intérieur de la cage.
- Dis, de quoi ils parlent, tu penses ?
- Alors là… aucune idée.
Silver leva les yeux de son jeu pendant quelques secondes juste le temps de faire un commentaire :
- Pourquoi est-ce que ça vous intéresse de savoir ce que deux Pokémon font ? Ce sont des Pokémon.
Krys répondit, du tac au tac :
- Juste parce que ce sont des Pokémon, ça ne veut pas dire que tu dois les mépriser, Silver. Ils méritent du respect, eux aussi.
Silver lui lança un regard exaspéré avant de retourner à son jeu, et Krys se demanda ce qu’il avait bien pu dire de bizarre. Il savait que la plupart des autres humains avaient tendance à se voir suppérieurs aux Pokémon, mais c’était bien la première fois qu’il voyait une attitude aussi désintéressée que celle de Silver chez un enfant. Il avait la même attitude que Giovanni sur le sujet… Oh, il était bête. Silver avait dû apprendre tout ce qu’il savait sur les Pokémon de Giovanni et de l’attitude qu’il voyait chez les sbires de la Team Rocket. Pas étonnant qu’il ait tendance à voler et espionner les gens si personne ne lui avait jamais dit que ce n’était pas bien. Les membres de la Team Rocket, même s’ils étaient loin du stéréotype du méchant qui n’a pas d’autre motivation que l’argent (c’était Giovanni, ça), avaient tendance à mettre leur empathie et leurs valeurs de côté quand ils travaillaient. Être là pour d’autres sbires de la Team Rocket ? Aucun problème. Hésiter à obéïr à un ordre ? Très mauvaise idée, et provoque en général la réaction « Non mais t’es malade ? Tu veux finir dans un cimetière ? » chez un autre sbire qui passerait dans le coin.
Il lança un regard désespéré à Laura. Elle ne lui fit qu’une grimaçe. Elle n’avait pas la moindre idée de comment s’y prendre, elle non plus. Génial.
Silver continua à jouer sur sa Switch pendant quelques secondes, mais il paraissait distrait, et son regard n’arrêtait pas de remonter vers la vitre toutes les deux secondes. Finalement, il poussa un soupir, rangea sa console dans sa housse, et s’approcha de la fenêtre.
- Donc, qu’est-ce qu’ils fichent ?
- Ils parlent, répondit intelligemment Laura
- Oui, merci, je vois bien.
Les regards de Laura et Krys se croisèrent. Krys haussa les épaules. Lui non plus n’avait aucune idée de pourquoi Silver avait soudainement décidé de venir avec eux.
- Vous êtes pas discrets, vous savez ?
Silver était en train de les regarder depuis l’endroit où il était adossé. Ils n’avaient pas l’habitude d’avoir quelqu’un à côté d’eux qui leur prêtait attention. Ils étaient plus habitués à se faire ignorer. Ils auraient dû se souvenir que Silver était connu pour espionner les gens, et était perspicace et attentif. Silver poussa un soupir.
- Je vois pas ce que vous leur trouvez, mais, si vous pensez qu’on doit les respecter, c’est que vous devez avoir une raison. Donc je viens regarder avec vous.
C’était… surprenamment mature pour quelqu’un de son âge qui aurait été élevé dans cet environnement, Laura songea. Cela dit, ils étaient les premiers adultes qui s’inquiétaient pour lui et prenaient le temps de l’écouter. Les premiers qui se rendaient compte que quelque chose n’allait vraiment pas dans la manière dont Giovanni le traitait. Mais… ils ne pouvaient pas être les premiers, n’est-ce pas ? Ce n’était pas possible. D’autres personnes s’en étaient probablement rendues comptes, et avaient délibérément décidé de ne rien faire, juste parce que le gamin pouvait être insupportable. C’était… terrifiant, et horrible de se rendre compte de ça, parce que maintenant, Laura cherchait désespérément, parce que est-ce qu’elle avait fait exprès d’ignorer tous les signes parce qu’elle ne voulait pas voir ? Non. Non, elle n’avait pas fait exprès, elle ne savait vraiment pas. (Continue de te dire ça.) Tais-toi. (Tu ne peux même pas le nier.) Tais-toi.
Elle avait la nausée. Est-ce qu’elle avait fait exprès d’ignorer les signes ? Elle n’arrivait pas à respirer.
Elle sentit une main sur son épaule. Quand elle leva les yeux, elle vit que Krys la regardait avec inquiétude. Ses lèvres bougeaient, mais elle n’arrivait pas à entendre ce qu’il disait.
Il prit une inspiration exagérée. Oh.
Elle le suivit, et lentement, sa respiration revint à la normale. Silver la regardait bizarrement. Puis, il s’approcha, lentement, et lui demanda cette question.
- Est-ce que tu vas bien ?
Non, elle avait envie de crier. Mais c’était Silver, un enfant de huit ans, et elle ne pouvait pas se mettre à lui crier dessus comme ça. Oui, elle aurait peut-être dû dire, mais… il était évident pour n’importe qui qui pouvait la voir, ou même l’entendre, que ça n’était pas le cas, et elle n’allait pas renforcer les mauvaises habitudes que son père aurait pu donner à Silver, et celles dont elle avait eu du mal à se débarrasser elle-même.
- Non, je ne vais pas très bien. J’ai pensé à quelque chose qui m’a rendue triste.
- Oh. Lui répondit Silver.
Il la regarda, puis dirigea son regard vers le sol. Il jouait avec le bord de son pull, en le tordant entre ses mains. De la nervosité ?
- Est-ce que c’est de ma faute ?
C’était… Comment est-ce qu’il avait pu sauter immédiatement à une conclusion comme ça ? Qu’est-ce que son père lui avait sorti comme excuses pour justifier sa négligence ? Pourquoi est-ce qu’il penserait un truc pareil ?
- Quoi ? Non ! Non, ce n’est pas de ta faute, Silver. Je me suis juste perdue dans mes pensées, et je me suis rappelé des mauvais souvenirs, c’est tout.
Il resta silencieux un moment, le regard perdu vers le sol, une expression pensive sur le visage. Puis, il se releva pour se diriger vers son sac, et revint avec une barre chocolatée dans sa main. Il la lui tendit, et l’invita à la prendre.
- Je comprends. Dès fois aussi je pense à des trucs tristes. Tiens, prends ça, peut-être que ça aidera.
Elle prit lentement la barre de chocholat avec des yeux ronds. Puis, elle l’ouvrit avec les dents et mordit dedans sans demander son reste. Elle ne parut se souvenir de remercier Silver qu’une fois qu’elle eut la bouche pleine. Elle aimait beaucoup tout ce qui était sucré, chocolat y compris. Ce n’était peut-être pas la meilleure méthode de gérer son anxiété ou de remonter son moral, mais si ça pouvait servir de distraction convenable, elle n’allait pas s’en priver. Silver la regardait de manière hésitante. Okay. Elle pouvait faire ça. Elle en était capable.
Elle prit une grande inspiration, et sécha ses larmes.
Silver s’assit en tailleurs sur la table devant la fenêtre pour mieux écouter.
- Donc, tu vois, cette Némélios est là depuis très longtemps…
Il ouvrit grand les yeux et se pencha en avant inconsciemment.
*************
Laura parla pendant un moment, et Silver l’écouta avec attention, pendant que Krys continuait de surveiller les deux Pokémon en écoutant la conversation d’une oreille et en intervenant de temps à autres pour rajouter ou corriger des détails, et répondre aux questions que Silver avait concernant les Pokémon. Ils commencèrent à partir dans de longues digressions et la conversation prit beaucoup plus de temps que prévu avant de s’arrêter.
Silver tourna la tête pour regarder les deux Pokémon dans la cage, et en ce moment, il avait l’air aussi fatigué qu’eux, une expression qu’il n’aurait jamais dû avoir sur le visage à son âge. Quelque chose proche du désespoir, quelque chose proche de la résignation.
- C’est pas juste. (Il ramena ses genoux contre son torse) C’est pas juste. Ils se sont rencontrés il y a quelques jours à peine ! (Il fit un grand mouvement de son bras dans la direction des deux Pokémon) Pourquoi est-ce qu’ils sont déjà proches ? (Il avait des larmes au coin des yeux) Pourquoi est-ce qu’ils s’aiment comme ça ? (Sa voix se brisa sur la dernière syllabe et se finit en murmure) Est-ce que c’est normal pour un parent d’aimer son enfant comme ça ?
Laura voulait lui répondre, mais elle était comme paralysée. Elle avait une boule dans la gorge et elle n’arrivait pas à parler. Elle dut s’appuyer sur la table pour ne pas tomber. Elle entendit Krys murmurer qu’il avait envie d’aller dire deux mots à Giovanni. Elle hocha la tête lentement, en rajustant sa prise sur la table. Sa propre version d’« aller dire deux mots à Giovanni » incluait d’aller le frapper de toutes ses forces et probablement rajouter un coup de pied à l’entrejambe pour faire bonne mesure, mais le sentiment était là.
Elle tremblait toujours, mais elle lâcha la table. Immédiatement, Krys sortit de la chaise à roulettes et la poussa vers Laura, qui se laissa tomber dessus en poussant un long soupir tremblant. (C’était trop familier, le désespoir dans son regard, qui disait s’il-te-plaît dis-moi « non » car je ne peux pas supporter que la réponse soit « oui »., la panique, la voix, les paroles. Elle avait besoin de prendre une minute pour se calmer, ou peut-être plus. C’était difficile parce que c’était comme elle.
Elle lança un regard à Krys, lui demandant silencieusement de parler à sa place. Elle ne s’en sentait pas capable, et elle aurait du mal à expliquer comment de vrais parents se comportaient, étant donné qu’elle n’avait eu qu’un point de vue extérieur par rapport à d’autres relations entre enfants et parents. Même avec Krys, sur qui connaissait le plus de choses par rapport à ses relations familiales, elle restait un point de vue extérieur et ne savait jamais vraiment ce qui faisait que ces relations marchaient. Elle n’avait eu qu’un exemple personnel de toutes les choses qu’un parent (ses parents) ne devait pas faire, et comment cela pouvait impacter la vie de cet enfant (elle) plus tard.
Krys se déplaça pour se mettre en face de Silver, en serrant brièvement l’épaule de Laura quand il passa devant elle, pour la rassurer, pour la réconforter, pour mettre dans ce geste tout ce qu’il ne pouvait pas traduire en mots, et tout ce qui aurait pris trop de temps à expliquer. (Compte sur moi. Je serai là. Prends tout le temps dont tu as besoin.)
- Silver. Les parents sont censés être là pour leurs enfants. Ils sont censés s’occuper d’eux, leur apprendre des choses, les préparer à leur vie d’adulte, leur raconter des histoires le soir et les réconforter quand ils en ont besoin. Ils ne sont pas toujours parfaits, personne ne l’est, et il peut leur arriver de s’énerver contre leur enfant, mais il y a une différence entre gronder un enfant parce qu’il a fait une bêtise, –ce qui peut arriver– et lui crier très fort dessus, ou pendant très longtemps, le rabaisser, le menacer, l’insulter, ou le frapper, ou ne jamais être présent dans sa vie, ce qui est mal, blessant et dangereux pour l’enfant. Permets-moi d’être direct un moment, mais, si ton père a déjà fait une ou plusieurs de ces choses, même si ça n’a été qu’une fois, il a été abusif envers toi.
(Sa voix ne s’élevait jamais trop fort, il ne criait pas, mais elle était dure et sèche d’une manière qui ne collait pas du tout au Krys que Laura connaissait. Elle ne l’avait presque jamais entendu être aussi furieux.
… Mis à part quand elle lui avait raconté ce qu’elle avait vécu quand elle était petite.)
Silver regardait Krys droit dans les yeux, mais ses yeux gris ne paraissaient pas le voir vraiment, comme perdus dans le vide, loin, très loin de cet endroit.
- Oh. (il n’y avait aucune émotion derrière ce mot, et le voir si immobile, à tel point qu’on aurait pu croire voir une statue de cire si ce n’était pour son torse qui s’élevait presque imperceptiblement quand il respirait, mettait Laura très mal à l’aise. Silver n’arrêtait jamais de bouger, toujours à courir d’un bout à l’autre d’une pièce, ou à tourner sur une chaise, ou à marcher avec entrain…)
...Oh.
(Et cette fois les larmes commencèrent à couler au coin de ses yeux, et tout son corps commença à trembler, et il éclata en sanglots qui faisaient tressauter ses épaules alors qu’il se recroquevillait en remontant ses genoux contre lui.)
Laura se releva, et, sur ses jambes tremblantes, s’approcha lentement de l’enfant. Quand elle fut à quelques pas de lui, elle s’arrêta, et Silver releva son visage couvert de larmes vers elle. Lentement, elle s’agenouilla devant lui.
- Est-ce que je peux te faire un câlin ?
Silver la regarda pendant un moment, comme s’il n’arrivait pas comprendre pourquoi elle lui demandait ça. Puis, il hocha lentement la tête, et se releva sur ses jambes, titubant légèrement avant de se stabiliser. Laura se releva elle aussi, et ouvrit les bras. Silver s’accrocha à elle de toutes ses forces, comme si elle risquait de disparaître s’il la lâchait. Laura referma ses bras et se mit à passer ses mains sur son dos. Elle lui murmura les mots qu’elle aurait tant voulu entendre des années auparavant. Les mots qui, si elle les avait entendus, lui aurait probablement permis de supporter toutes ces années de solitude. Lui auraient permis de ne pas finir bien trop tôt devant la fenêtre de sa chambre, à prendre un pas vers la liberté sans aucun plan B ni aucun moyen de survivre dehors toute seule, à un âge bien trop jeune. (Mais elle savait que si elle se retrouvait de nouveau dans cette position maintenant, elle prendrait de nouveau ce pas, et le reprendrait des milliers de fois, encore et encore et encore, car dans aucune situation n’aurait-elle été capable de se laisser revivre cette torture.)
(C’était la pire erreur de sa vie. C’était la plus grande réussite de sa vie. C’était faire ce pas et se libérer et vivre.)
- Inspire. Expire. Même si tout ne va pas bien maintenant, je serai là pour t’accompagner à chaque pas que tu fais jusqu’à ce que tout aille bien de nouveau. (Sa voix se brisa et elle se râcla la gorge)
(Tu ne seras plus jamais seule, Laura.)
(Si tes parents ne sont pas là pour toi, je serai ton parent Laura.)
(Si un jour tu dois partir de cette maison, il y aura toujours une place chez moi pour toi, Laura.)
Je ne t’abandonnerai jamais, Laura
- Je ne t’abandonnerai jamais Silver. Tu peux pleurer autant que tu en as besoin. Je serai toujours là, et je resterai là.
Les sanglots secouèrent ses épaules, et il resta accroché à elle jusqu’à ce qu’ils se calment. Il laissa sa main dans celle de Laura longtemps après avoir arrêté de pleurer.
*************Silver ne savait pas quoi penser. Il n’était même pas sûr de comprendre ou d’être capable de mettre des mots sur ce qu’il ressentait. La seule chose dont il était sûr, c’était qu’il ne se sentait pas bien. Un poids pesait sur ses épaules, une fatigue qui n’était pas seulement physique, mais aussi émotionnelle. Il était retourné dans sa chambre après que les tours de garde de Laura et Krys. Il avait hésité pendant quelques secondes à prendre un des livres qui étaient sur l’étagère pour le lire, mais il avait rapidement rejeté cette idée. Il était vidé. Il avait envie de s’écrouler sur son lit, alors ce fut exactement ce qu’il fit. Il s’endormit comme une souche très peu de temps après s’être allongé sur le matelas, encore vêtu de ses vêtements, en espérant qu’il se sentirait mieux le lendemain.
Le lendemain, il ne se sentait toujours pas bien. Il était physiquement moins fatigué, c’était vrai, mais il n’arrivait pourtant pas à trouver la motivation de se lever. Cela dit, il fallait bien qu’il le fasse. Il se força à se mettre debout, et se plaça devant le miroir. Oh. Il avait dormi tout habillé. Il jeta un regard fatigué à l’armoire. Est-ce qu’il allait se changer ? Il… ne voulait pas se changer. Son regard revint sur le miroir, et il regarda la personne qui se tenait devant lui. C’était un garçon avec des yeux argentés, les mêmes que ceux de son père. Il ne ressentit rien à voir le reflet dans le miroir. C’était lui. Son regard paraissait perdu dans le vide. Il savait qu’il se sentirait mieux dans quelques heures, mais, pour l’instant… (Tu peux pleurer autant que tu en as besoin.) Pour l’instant il pouvait se permettre d’aller mal.
Laura avait dit qu’elle ne le laisserait pas tomber, même s’il ne se sentait pas bien. Même si cela se voyait qu’il n’allait pas bien. Même si ça lui paraissait improbable que quelq’un lui dise quelque chose comme ça, et carrément impossible que ce soit honnête. Personne ne voudrait de lui s’il n’était pas parfait. À part Laura et Krys, apparemment.
Quel duo étrange. Ils disaient des choses qui allaient à l’encontre de tout ce que son père lui avait toujours dit. Ils disaient… qu’il avait le droit d’être triste. D’avoir peur. De pleurer. Et… ça lui paraissait trop beau pour être vrai. Il avait du mal à y croire. Il prit une grande inspiration, la retint un moment, puis la relâcha.
Il jeta de nouveau un regard à son armoire. Est-ce qu’il allait vraiment rester avec les vêtements de la journée précédente ? Il jeta un regard vers la salle de bain. Est-ce qu’il… Est-ce qu’il avait pris une douche, hier ? Il enleva son gilet et grimaça à l’odeur. La douche paraissait être une bonne idée, finalement.
Après s’être habillé avec des vêtements propres, et avoir mis sa tenue d’hier dans la machine à laver de la salle de bain rattachée à sa chambre, il se coiffa, et ramena ses cheveux en une queue-de-cheval haute. Il se sentait toujours aussi fatigué, mais se voir avec des vêtements propres, et, coiffé, pour une fois, ramena un petit sourire prétentieux sur ses lèvres, et une étincelle de fierté s’alluma dans son cœur. Et, ce n’était pas grand-chose, cette étincelle, mais… C’était quelque chose. Il passa la main sur ses vêtements pour les redresser (propre ne voulait pas dire défroissé, et le fer-à-repasser était trop lourd pour lui).
Il commença à marcher dans les couloirs. Il avait l’intention de retrouver Laura et Krys à la cafétéria pour le petit-déjeuner, mais, inconsciemment ses jambes le guidèrent jusqu’à la porte de la base. Celle qu’il n’était pas censé franchir. Celle qui le séparait du dehors. Sa main se leva toute, s’arrêtant à quelques centimètres de la poignée.
Il… avait envie de sortir. Il avait envie de sortir et de voir le monde, l’herbe, les arbres, les maison, les immeubles, le béton et les lumières qui s’allumaient dans la ville la nuit comme un million d’étoiles.
Sa main était sur la poignée. Il ne se souvenait pas de l’avoir posée là.
Il avait envie de partir. De voyager, comme tous les dresseurs dans les romans qui étaient dans sa bibliothèque. De voir des paysages dont il ne connaissait que les photos et les descriptions dans les livres. Mais… partir signifiait laisser son père derrière lui, et… Il avait peur. Il n’était pas sûr de croire Laura et Krys quand ils disaient que son père le maltraitait, enfin, c’était un peu exagéré, quand même ! Mais… peut-être qu’il n’était pas une si bonne personne que ça. Peut-être qu’ils avaient un peu raison. Peut-être qu’il était… un moins bon parent que la moyenne.
Il n’avait pas envie de laisser son père derrière lui. Il n’avait pas envie de partir et de ne plus jamais le revoir, de perdre quelqu’un avec qui il avait passé de bons moments, avant… avant.
Avec difficulté, il se détourna de la porte. Avec un peu de chance Krys et Laura étaient encore à la cafétéria, et il pourrait avoir un bol de techniquement-du-café-mais-principalement-du-lait.
Il posa une main sur son cœur, et le sentit battre sous sa peau. Il était vivant. Il était là.
Qu’est-ce que faisait Laura, déjà, quand elle avait besoin de se calmer ?
Inspire. Expire. Il avait des amis maintenant. Des gens qui ne le laisseraient pas tomber. Des gens qui le traiteraient mieux que son père ne l’avait fait. Il… y avait droit. Il y avait droit. Il avait le droit d’être bien traité. Il avait le droit d’avoir besoin de voir son père. Il avait le droit de voir Laura et Krys. Il n’avait pas à être parfait, à le « mériter » pour y avoir droit.
Il arriva devant la table branlante. Laura était assise en tailleurs sur sa chaise, penchée en avant avec un tournevis dans sa main, travaillant sur cette oreillette avec laquelle il la voyait depuis plusieurs années déjà. Krys était assis plus correctement, en train de boire du thé au lait dans un bol, avec son thermos posé sur la table. Il leva la tête de son bol, le remarqua, et secoua Laura par l’épaule. Laura releva la tête, puis, quand elle le vit, elle se releva d’un bond en s’appuyant sur la table, et le salua de la main, tendant son bras haut au-dessus de sa tête, et l’agitant si vigoureusement que Silver eut un peu peur qu’elle se fasse mal au poignet. Il lui répondit par un petit « coucou », agitant timidement la main, d’un mouvement beaucoup moins ample et frénétique. Mais, comme essayant de compenser son salut réservé, un grand sourire naquit sur ses lèvres.
Il se laissa glisser sur le siège à côté de Laura, qui lui passa son bol. Il se sentait toujours fatigué et triste, mais les émotions s’étaient atténuées et… Il n’était pas seul. Il n’était plus seul.
Il n’allait pas bien, mais, pour la première fois depuis très longtemps, il était persuadé qu’un jour, dans le futur, les choses s’arrangeraient pour lui.
Inspire. Compte jusqu’à quatre. Expire.
Même si les choses paraissent difficiles et insurmontables en ce moment, elles s’arrangeront un jour. Et tu iras bien.
*************
Le sol tremble sous ses pattes. Elle lève la tête, et, dans les yeux de Léon, elle voit son propre regard désespéré renvoyé vers elle comme dans un miroir. Alexis et Léon se prennent la main et ne se lâchent pas. De petits morceaux de plâtre tombent, et, quand elle lève les yeux, les lézardes parcourent le plafond. Le sol n’arrête pas de trembler. Léon la regarde, et lui fait un petit sourire, les larmes au coin des yeux.
- Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Pars devant, on ne sera pas loin derrière. Il lui dit, alors qu’entre les mains du tremblement de terre, le bâtiment devient aussi fragile que du verre,
alors que le plafond tombe sur leur tête et que toutes les sorties se bloquent,
alors qu’il embrasse Alexis
alors qu’il la serre dans ses bras
et la gratte une dernière fois sous le menton
et lui dit qu’il l’aime
et la rappelle dans sa Pokéball
et la jette par la fenêtre.
(- Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Pars devant, on ne sera pas loin derrière. il lui ment alors que le monde se brise en mille morceaux)
La Pokéball atterrit sur les pavés, et se casse, la libérant dans la ville, et elle se met à courir sans s’arrêter, fuyant le désastre.
( Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger. Ne t’inquiète pas, tout va s’arranger.)
Oui, c’est ça.
M e n t e u r
Émelie se réveille.
Et
elle
pleure.
*************
Yuro se réveilla au son des sanglots étouffés d’Émelie. Il ouvrit discrètement un œil pour voir ce qu’il se passait. Elle tremblait, et s’était écartée de lui pour que le mouvement ne le réveille pas. Elle pleurait et faisait de son mieux pour ne pas faire de bruit. Elle avait l’air de ne vraiment pas aller bien, et Yuro se demanda comment on était censé faire pour consoler quelqu’un qui venait de revivre une mauvaise expérience. Il n’avait jamais appris comment aider des gens en détresse émotionnelle, et était loin d’être qualifié pour ce genre de choses. Et si, en intervenant, il ne faisait qu’aggraver les choses ? (C’était tout ce qu’il était capable de faire, empirer les situations.)
Pas maintenant. Pas maintenant. Et de préférence, pas plus tard non plus.
Il la regarda encore pendant quelques secondes, cherchant la meilleure façon de commencer la discussion.
- Hé… il commença avec hésitation, est-ce que tu vas bien ?
Au moment où il termina sa phrase, Yuro eut envie de se taper la tête contre le mur. Stupide. Il était stupide. Évidemment, qu’elle n’allait pas bien, ça se voyait !
Émelie renifla et le regarda. Elle ne tenta pas de cacher qu’elle avait mal, cette fois.
- J’ai… J’ai fait un cauchemar. De… De… cette journée. Quand… (Elle prit une inspiration brusque avant de recommencer à parler, pour se donner du courage.) Quand mon dresseur est mort.
Yuro était comme figé. Elle… Elle ne lui avait pas raconté ça. Son… dresseur. Léon ? Léon était mort. Il tenta d’imaginer ce qu’il aurait ressenti si quelqu’un dont il était très proche, quelqu’un comme Émelie, mourait… Ça aurait fait mal. Ça l’aurait déchiré. Et, il ne connaissait pas Émelie depuis aussi longtemps. Émelie connaissait Léon depuis qu’elle était sortie de l’œuf. Ils avait grandi ensemble. Ç’aurait été comme s’il avait perdu sa sœur.
(Sa sœur qui était restée derrière, sa sœur qu’il ne reverrait sans doute jamais, sa sœur pour qui il n’était pas capable de revenir parce qu’il ne voulait pas revoir sa mère, sa sœur qui serait de toute façon mieux avec ses parents qu’avec lui, sa sœur qui méritait un meilleur frère que lui, parce qu’il n’était pas un bon frère, il n’était pas un bon frère, il-)
Il avait des choses plus importantes à faire que de penser à ça.
(Et puis ce n’était pas comme s’il pouvait la kidnapper. Elle était heureuse là-bas. (Il n’était pas heureux là-bas) Elle serait heureuse sans lui. Quelques années et elle l’aurait oublié. Elle méritait mieux que lui de toute façon.)
Ce n’était pas le moment.
…
Émelie. Émelie avait besoin de réconfort. Concentre-toi, Yuro. Qu’est-ce qu’il était censé faire ? Lentement, il s’approcha d’elle, et s’allongea en face d’elle.
- Est-ce que tu veux en parler ?
Émelie le regardait avec une expression désespérée, les larmes aux yeux. Elle secoua la tête. Un « non » en langage corporel d’humain. Elle n’avait même pas l’air de remarquer qu’elle l’utilisait, de temps en temps. Elle baissa la tête contre ses pattes avant, et, dans cette position, elle avait l’air petite, et… fragile, si fragile. Yuro s’approcha et se plaça à côté d’elle, presque flanc contre flanc, mais sans la toucher directement. Ils restèrent quelques minutes comme ça, l’un à côté de l’autre, sans dire un mot. Elles parurent durer une éternité, le temps s’étirant comme un élastique tendu au maximum, et, comme un élastique, il claqua violemment en revenant à sa forme initiale, alors qu’Émelie se mit à pleurer, pleurer, pleurer.
- Il me manque tellement ! Je croyais que j’allais mieux, Yuro, mais il suffit d’un cauchemar et j’ai l’impression d’avoir perdu tout le progrès que j’avais fait pour aller mieux. (Puis, elle s’arrêta brusquement, se rappelant à l’ordre.) Désolée, Yuro. Je ne devrais pas te faire tout porter comme ça, ce n’est pas ton rôle. Tu es trop jeune, ce n’est pas à toi de me réconforter.
C’était donc pour ça qu’elle refusait de parler de ses problèmes à Yuro. Elle n’avait pas envie de se servir de lui comme d’un… « Psy ». Parce qu’il était jeune. C’était compréhensible, et Yuro appréciait qu’elle s’inquiète pour lui et pense à son bien être, mais…
- Tu n’as pas à prétendre d’aller bien quand tu ne vas pas bien, Émelie. Ce n’est pas bon pour toi. Il y a une différence en me racontant toute ta vie et tous tes problèmes, et t’autoriser à pleurer devant moi, Émelie. Il y a une différence entre me refiler dans tous les détails tous les évènements traumatisants de ta vie, et te permettre d’aller mal. Tu te souviens tout ce que tu m’as dit ? Il faudrait peut-être que tu appliques tes propres conseils à toi-même. Je peux supporter de te voir triste. Je peux t’aider !
- Ce n’est pas ton rôle de m’aider, Yuro.
- Je veux t’aider, Émelie. Comme toi tu m’as aidé.
Elle poussa un long soupir, et il y avait quelque chose comme de la fierté dans son regard. Elle s’apprêtait à parler, quand Yuro reprit la parole.
- Écoute. Je comprends que tu ne veuilles pas me poser tout sur les épaules. Je sais que c’est pas mon rôle de porter tout tes problèmes, sachant que je ne suis pas un adulte. Mais, ce que je peux faire, c’est écouter ce qu’il s’est passé (Émelie s’apprêtait à le couper, mais il ne la laissa pas faire) -sans les détails, puisque tu as l’air d’insister que ce n’est pas mon rôle. Ou si tu ne veux vraiment pas m’en parler, parce qu’apparemment je suis trop « fragile » pour l’entendre, on peut parler de quelque chose d’autre, essayer de te distraire un peu.
La température de la pièce monta d’un coup, et, oh, il n’aurait pas dû, il avait encore tout fait rater, et maintenant elle était énervée, et elle allait lui crier dessus, et elle allait lui faire du mal, comme sa mère le faisait tout le temps, comme tout le monde le faisait tout le temps. Il avait été insolent, il n’aurait pas dû être insolent, il était désolé, il était désolé, il était désolé, pardon, pardon, pardon, s’il-te-plaît ne me crie pas dessus je suis désolé pardon s’il-te-plaît–
- Yuro ? Yuro ! Je suis désolée, tout va bien, je ne suis pas énervée. Respire, tout ira bien. Respire, Yuro. Tu te souviens ? Un, deux, trois, quatre…
Lentement, avec l’aide d’Émelie, il réussit à revenir à un rythme de respiration normal. Il avait encore fait ça. Elle avait raison, il était trop fragile pour ça. Qu’est-ce qu’il espérait accomplir ? Émelie le regarda un moment, les larmes aux yeux.
- Je sais que parfois j’ai besoin d’aide, Yuro. Quand je pourrai demander à quelqu’un, je le ferai. Je ne veux juste pas que ce quelqu’un soit toi, car tu es jeune et que je ne veux pas que tu finisses blessé, Yuro. Je m’inquiète pour toi. Je t’aime comme si tu étais mon fils, et c’est parce que je t’aime que je ne peux pas te mettre tout sur le dos. Ce n’est pas parce que tu es faible, car tu ne l’es pas. Même si tu étais la personne la plus forte émotionnellement que je connaissais, je ne le ferai pas. Et… J’ai peur que si je commençais à te donner un résumé de ce qu’il s’est passé, je ne pourrai plus arrêter de parler, et finirai par te décrire en détail toutes les émotions que j’ai ressenties, ce qui serait… très dur à entendre, pour n’importe qui.
(Elle prit une grande inspiration, pour se calmer, puis continua à parler.) Ce que je peux te dire, c’est que… J’ai perdu mon dresseur, qui était quelqu’un qui comptait énormément pour moi. Ça a été très dur au départ, mais je vais mieux maintenant. Mais, parfois, j’y repense, je fais un cauchemar, et la douleur revient. C’est difficile, mais j’ai l’habitude, et je peux m’en charger. Il y aura toujours des moment où j’y repenserai. Ce n’est pas de ta faute, et ce n’est pas à toi de m’aider. Mais, je vois que tu veux m’aider, et je n’arrivera sûrement jamais à te convaincre de ne pas m’aider, alors... Si je vais mal, rien que rester à côté de moi, être présent, ça m’aide beaucoup. D’accord ?
Yuro hocha la tête. Ce n’était pas ce qu’il voulait. Ça paraissait être beaucoup trop peu, être insuffisant, surtout comparé à comment Émelie était toujours là pour lui, mais, elle paraissait être déterminée à ne pas lui raconter. Être là pour elle ? Il pouvait faire ça. Il avait juste peur que ce ne soit pas suffisant, que ce ne soit pas assez. Mais, peut-être que… Il avait une idée.
- Hey, Émelie ? Est-ce que tu as entendu parler des légendes d’Hoenn ?
Elle lui lança un regard intéressé, avec une pointe d’amusement, et il commença à parler.
*************
« Il y a longtemps, très longtemps, au tout début de l’univers, Arceus décida de créer le monde. Mais, il n’avait pas envie de tout avoir à faire lui-même, donc il créa trois Pokémon pour le faire à sa place : Le Roi des terres, Groudon, l’Impératrice des mers, Kyogre, et le Maître des cieux, Rayquaza. Il les créa, leur demanda de faire le monde, et les laissa en plan pour faire seul lui sait quoi pendant ce temps. Le problème était que Kyogre et Groudon n’avaient pas la même idée de ce qu’ils considéraient être un beau monde, ah, et, aussi, ils se détestaient en général. Et, qu’est-ce qui arrive quand tu mets deux bébés qui se détestent ensemble et que tu leur donne des pouvoirs de dieux ? (Émelie ricana) Exactement ! Ils se foutent sur la tronche. (Yuro !) Ils se sont battus pendant très longtemps, et Arceus était trop occupé à créer les Pokémon et les êtres humains pour s’occuper d’eux. Rayquaza a d’abord essayé de les gronder verbalement, mais, dès qu’iel avait le dos tourné, ils recommençaient, et, pendant ce temps, les Pokémon et les humains souffraient, car les violents tremblements de terre et raz de marée détruisaient leurs villes, tuaient leur population, desséchaient ou noyaient leurs récoltes sous des pluies diluviennes ou un soleil de plomb.
Il faut savoir aussi qu’à l’époque, ces deux Pokémon avaient ce qu’on appelle une forme « primale » qui les rendait bien plus puissants. Rayquaza a dû compter sur les humains et leurs prières, ainsi que les pouvoirs d’une mystérieuse pierre, pour obtenir une forme capable de combattre celle des deux idiots. –Pourquoi tu me regardes comme ça, oui, tout le monde à Hoenn les appelle « les deux idiots »– Comme tout aîné•e de fratrie faisant un burnout à cause des deux idiots qui sont en train de détruire le monde et de crier dans son oreille juste à côté d’ellui et qui a en plus des tas de responsabilités qu’iel ne devrait pas avoir à son âge, iel leur cria très fort dessus. Beaucoup d’intimidation, pas un seul coup échangé, et probablement deux ou trois couches de bluff, et Kyogre et Groudon ont décidé de plonger dans un sommeil profond dans deux grottes scellées loin du regard des mortels pour ne plus avoir à se voir. Après ça, à chaque fois que les deux se réveillaient et recommençaient à essayer de se taper dessus – dans leurs formes modernes, et beaucoup moins puissantes que celles qu’ils avaient revêtues pour créer le monde – iel intervenait, et ils retournaient se cacher et bouder dans leur coin de monde. Voilà, j’ai terminé.
C’est une histoire qui est passée de génération en génération dans ma meute, car nos ancêtres viennent de Hoenn. Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Des choses à changer ? »
*************
Il avait raconté cette histoire principalement dans le but de distraire Émelie, mais, maintenant qu’il était à la fin, il se rendait compte qu’il attendait vraiment qu’Émelie lui donne son avis.
- Tu ne racontes pas du tout tes histoires de la même manière que moi. C’était… hum… court. (Elle lui fit un sourire qui ressemblait un peu à une grimace) Et aussi très sarcastique.
Il eut un pincement au cœur. Il savait que c’était son premier essai et qu’il aurait sûrement été mauvais, mais il avait espéré que ce serait au moins passable. Il était déçu par lui-même, alors qu’il savait que ce n’était pas grave, qu’il n’y avait pas d’enjeu, que même s’il échouait maintenant, il pourrait toujours réessayer et recommencer jusqu’à ce qu’il y arrive. Il savait que de toute façon, il avait improvisé quelque chose en à peine cinq minutes, et que ça avait eu l’effet attendu – distraire Émelie -. Mais les émotions n’étaient pas logiques et il était déçu.
- Hey ? Hey. Yuro. (Il leva les yeux vers Émelie, qui le regardait, inquiète. Sa silhouette était floue et brouillée. Quand avait-il commencé à pleurer ?) C’est normal de ne pas réussir parfaitement du premier coup. (Il savait.) Tu t’amélioreras avec le temps. (Il savait.) Tu peux devenir un meilleur conteur. Tu en es capable. (Il savait mais ce n’était pas aussi simple que ça.) Et je sais que ce n’est pas aussi simple que ça. C’est pour ça que je suis là, d’accord ?
(Parce qu’il serait toujours bizarre et incompétent et–)
(Non. Non, pas ça, plus maintenant.)
Il hocha la tête lentement, posa sa tête sur ses pattes avant, et poussa un long soupir.
- Je sais, mais c’est difficile. Je ne suis pas comme tout le monde. Ils savent tous comment faire pour tenir une conversation. Ils n’ont pas de problème pour chasser. Ils n’ont pas peur du sang. J’ai l’impression que, même avec tous leurs défauts, les gens autour de moi ont tous ce quelque chose qui les rend normaux, qui les rend parfaits. Je n’ai pas ce quelque chose. J’ai passé ma vie à faire semblant d’avoir ce quelque chose, mais ils savaient immédiatement que je faisais semblant, peu importe comment je faisais, peu importe qui j’imitais, peu importe à quel point je me changeais. Ça n’était jamais suffisant pour qu’ils arrêtent de me harceler.
Émelie le regarda pendant quelques secondes, et, d’une voix douce elle lui répondit :
- Yuro… Ce n’est pas de ta faute. Ce genre de personnes, ils t’auraient harcelé de toute façon. Ils auraient utilisé n’importe quel prétexte, et s’il n’y en avait pas, ils en auraient inventé un. Tu n’as pas à changer qui tu es pour quelqu’un d’autre. Sois toi-même.
- Ça fait tellement longtemps, Émelie, que je ne suis pas sûr de qui « moi-même » est. J’ai toujours fait semblant.
- Tu es Yuro. Tu aimes m’écouter raconter des histoires. Tu prétends que tu n’aimes pas faire des tours de cage pour faire de l’exercice, mais tu me rejoins à chaque fois que je le fais. Tu aimes me taquiner et me lancer des piques de temps en temps. Tu t’inquiètes beaucoup pour les gens que tu aimes, et tu veux les aider du mieux que tu peux. Tu es anxieux. Tu es gentil. Tu ne fais pas confiance facilement. Tu as beaucoup de sarcasme. Tu es en train d’apprendre à t’aimer. (Elle le poussa doucement du bout du museau) C’est un bon début, tu ne penses pas ? Tu n’as pas à tout savoir tout de suite, car c’est quelque chose qui prend du temps.
Elle avait raison. Bien sûr qu’elle avait raison. Il la poussa un peu du museau en retour. Ça allait être difficile, il le savait. Mais, maintenant, il avait quelqu’un avec lui, et il savait qu’il n’aurait pas à le faire tout seul.
*************
Krys suivait Laura et Silver dans les couloirs. Après le petit-déjeuner, il leur avait dit qu’il voulait leur montrer quelque chose, puis était parti en marchant aussi vite qu’il le pouvait sans se mettre à courir dans les couloirs. Laura l’avait suivi immédiatement, et Krys n’avait pas vraiment eu l’impression d’avoir d’autre choix que de les suivre, après un message envoyé à ses collègues pour qu’ils prennent ses créneaux. Il espérait qu’il ne finirait pas par avoir des problèmes à cause de la fâcheuse habitude qu’avait Silver de les distraire de leur travail. Silver avait probablement fait ce chemin des dizaines de fois auparavant, si on en croyait l’aisance avec laquelle il se déplaçait, prenant des couloirs et passages de moins en moins fréquentés, alors qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs de la base.
Ils durent se contorstionner pour traverser un couloir étroit traversé par des tuyaux transportant de l’eau bouillante, et, au moment où ils durent se déplacer presque à l’aveugle dans une salle remplie de serveurs plongée dans le noir le plus total, il considéra sérieusement à faire demi-tour, mais il était déjà arrivé jusque-là, et il n’était pas sûr de pouvoir retrouver son chemin par lui-même.
Il soupira longuement (pourquoi est-ce qu’il avait dû finir avec les deux personnes les plus impulsives qu’il connaissait ?), puis les suivit jusqu’à une petite porte sous laquelle de la lumière filtrait. De la lumière naturelle. Ça n’avait aucun sens. Depuis quand ? Il croyait connaître toutes les issues de la base en cas d’un incendie. On leur avait indiqué toutes les sorties de la base en cas d’incendie.
Avec une révérence, Silver ouvrit la vieille porte en grand. La lumière éblouit Krys un moment, et, quand ses yeux se furent habitués à la lumière, ils s’écarquillèrent de surprise. C’était une petite cour intérieure, avec de l’herbe, un arbre, de la boue -beaucoup de boue- et un vieux banc.
- Voilà, dit le jeune garçon. Ça, c’est là où je vais quand je me sens triste et que je n’ai pas envie d’aller me réfugier dans ma chambre. (Il se laissa tomber sur le banc. Il avait un petite sourire.) Je ne l’ai jamais montré à personne avant, mais vous deux êtes les seuls qui en ont quelque chose à faire de moi, et qui ont été gentils avec moi, donc je vous le montre. Je vais faire pousser des fleurs ici ! (Cette fois, sa voix était pleine de confiance, et il avait les poings remontés devant lui avec fierté et impatience.) C’est mon petit coin de dehors. C’est pas grand-chose, et on voit pas bien le ciel, mais c’est à moi. Et pas à vous, attention. Juste parce que maintenant vous en connaissez l’existence, allez pas planter vos propres fleurs ici.
Krys se mit à rire silencieusement, et Laura haussa un sourcil et les yeux à moitié fermés pour faire croire que ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Son grand sourire qu’elle n’arrivait pas à réprimer la trahissait. Krys aimait bien la voir heureuse, ça n’arrivait pas assez souvent. Ça faisait longtemps qu’ils avaient arrêté d’être heureux. Non, correction, ça faisait trop longtemps qu’ils n’avaient étés ni tristes, ni fatigués, ni désespérés.
Ça faisait trop longtemps qu’ils avaient arrêté d’essayer, arrêté d’espérer, car espérer ne menait à rien d’autre que la déception, et quand ils essayaient ils finissaient toujours par retomber, encore et encore et encore et encore. Et maintenant, ce n’était pas… facile, jamais facile. Mais, récemment, il s’était rendu compte que c’était. Plus facile. Plus facile de sourire. Depuis qu’il avait réussi à parler à ses parents, depuis qu’il pouvait être honnête avec eux, depuis qu’il n’avait plus à mentir constamment. Maintenant, quand il voyait des gens dire que les choses finissaient par s’arranger un jour sur internet, il commençait à y croire de nouveau.
Krys s’installa sur le banc, et, pendant que Silver se mettait à raconter tout ce qu’il avait appris sur les fleurs qu’il avait plantées devant Laura qui l’écoutait attentivement, il prit le temps de se laisser tomber sur le dossier, lever la tête vers le ciel en fermant les yeux, et prendre de grandes inspirations. Ça lui avait manqué. Il avait oublié à quel point ça lui avait manqué. Ça faisait trop longtemps qu’il n’était pas allé à l’extérieur de la base. Il passait presque sa vie à l’intérieur du bâtiment, maintenant. Laura et lui avaient déjà passé leurs pauses et soirées ensemble, à jouer à des jeux vidéos pour se distraire et s’empêcher de penser à des choses auxquelles ils ne voulaient pas penser. Il n’avait pas souvent eu l’occasion de relâcher tous ses muscles et de profiter du moment, mais maintenant il pouvait. Inspirer. Expirer. Sentir le vent dans ses cheveux. Oublier le monde, oublier son corps, tout oublier à part la sensation du banc derrière son dos, de l’air dans ses poumons, à part la conversation à côté de lui.
Il attrapa la Pokéball de Nox à sa ceinture et l’ouvrit. Nox en sortit dans un éclat de lumière, et, immédiatement, regarda de tous côtés, avant de se retourner vers Krys et de pencher la tête sur le côté avec confusion. Krys lui fit un sourire.
- C’est une petite cour perdue entre les immeubles, à côté de la base, lui expliqua-t-il.
Puis, il l’invita à le rejoindre, et elle sauta sur le banc à côté de lui, avant de poser sa tête sur ses genoux. Alors qu’il commença à passer lentement sa main dans la fourrure de Nox, elle se mit à ronronner. Il entendit des pas approcher, et, quand il rouvrit les yeux, il vit que Silver se tenait debout en face de lui. Son regard passait de Nox à Krys. Il ouvrit la bouche, parut réfléchir un moment, puis la referma. Puis, après quelques secondes, il lui demanda :
- C’est une Noctali ? Est-ce que je peux la caresser ?
- C’est pas à moi que tu devrais demander ça, Silver. (Pour appuyer son point, et juste au cas où ce n’était pas clair, Krys pointa à Nox.) Demande à Nox.
Silver s’accroupit devant le banc pour pouvoir être au même niveau que Nox. Nox ouvrit un œil pour le regarder.
- Salut ! Je m’appelle Silver. Je voulais savoir si je pouvais te caresser.
Il déjà beaucoup plus respectueux envers Nox qu’il ne l’avait été quand il avait parlé de l’Absol et la Némélios, mais Krys ne savait pas si c’était parce qu’il avait appris de ses erreurs ou juste parce que Nox était sa Noctali. Nox hocha la tête. Silver approcha doucement sa main, s’arrêtant à quelques millimètres avant de toucher la tête de Nox. Pendant quelques secondes, sa main resta suspendue dans l’air, puis, il commença lentement à gratter sa tête, puis à passer sa main sur son dos, puis à la gratter derrière l’oreille et sous le menton. Quand il retira sa main, des larmes brillaient au coin de ses yeux.
Dans un murmure si bas que Krys dut tendre l’oreille pour l’entendre, il murmura :
- Je veux un Pokémon, moi aussi.
Un sourire naquit sur les lèvres de Krys, et les mots étaient sortis de sa bouche avant qu’il n’ait pu y réfléchir à deux fois :
- Si tu promets que tu le respecteras et t’en occuperas bien, je veux bien t’aider.
Le sourire que Silver lui fit était éblouissant et plein de gratitude.