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Conte de sorcières de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 06/08/2024 à 11:16
» Dernière mise à jour le 09/08/2024 à 03:10

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

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Chapitre 8 – Le coquelicot rouge se souvient
Cette nuit-là, Morgana ne trouva pas le sommeil. Elle ne cessait de ressasser ce que la petite Lily lui avait raconté. Ce mauvais rêve qui avait tourmenté la pauvre adolescente empoisonnait désormais aussi l’esprit de la scientifique. Elle avait menti à sa protégée. Plusieurs hypothèses pouvaient expliquer la signification de ce songe. Une en particulier. Mais elle refusait d’y croire.

N’y tenant plus, Morgana se leva comme une furie de son lit et courut à son atelier. Si elle ne pouvait pas dormir, autant se consacrer à ses travaux, qui n’avançaient pas suffisamment vite à son goût. Elle alluma une bougie et contempla sa panoplie. Le verre poli des tubes à essai et des fioles rutilait. Il serait bientôt souillé par les couleurs criardes de mixtures infâmes et sans doute inefficaces.

La jeune femme soupira. C’était en ces moments-là qu’elle ressentait un découragement lancinant, qui la prenait au cœur et la saisissait d’une torpeur indicible. À quoi bon ? Son projet était insensé. Elle le savait. Et pourtant, chaque jour, elle s’échinait un peu plus à atteindre son but. Elle posa un regard anxieux sur sa chevelure : ce n’était que le début. Jusqu’où irait-elle au nom de la science ? Elle-même n’en était pas certaine.

Sans qu’elle ne s’en rende compte, ses doigts se mirent à parcourir sa verrerie d’alchimie. Elle se retrouva soudain à fouiller dans ses réserves d’ingrédients, et effectuer de savants mélanges. Elle soupira de plus belle. Elle ne pouvait pas s’arrêter d’expérimenter. Un feu dévorant de savoir brûlait en elle, irrépressible, inextinguible.

Peu importe à quel point elle essayait d’y échapper, l’alchimiste était toujours rattrapée par sa passion. Elle continua à mélanger, itérer, expérimenter… jusqu’au bout de la nuit. Plus la Lune s’affaissait, plus ses gestes devenaient gauches, et sa tête lourde. Ses yeux d’encre commencèrent à se fermer. Lorsque sa conscience se fondit dans le noir de la nuit, un éclat de bris de verre déchira le silence.


— Grand-mère, quand est-ce que Papa va revenir ?

La vieille femme afficha un air profondément triste.

— Bientôt, ma petite chérie. Bientôt, lui assura-t-elle.

Les grands yeux noirs de la petite Morgana se mirent à briller. Mais l’étincelle d’espoir fut bien vite étouffée : l’enfant n’était pas dupe. Elle voyait l’inquiétude luire dans le regard de son aînée.

Soudain, une femme fit irruption dans la pièce comme un ouragan. Vêtue d’une blouse blanche et d’une coiffe assortie posée sur un chignon défait, les mèches folles qui s’en échappaient encadraient un visage cerné. L’affolement lui collait à la peau, présent dans chacun de ses gestes.

— Je viens de recevoir un message ! s’écria-t-elle en agitant frénétiquement les bras, secouant dans tous les sens sa drôle de malle, capable de soigner les gens comme par magie. Maman, c’est Arthur, il…

Elle s’interrompit net en constatant la présence de Morgana. Les yeux exorbités, elle chercha ses mots, malgré la panique qui s’emparait un peu plus d’elle à chaque seconde.

— Il… Il a besoin de moi ! Je dois aller l’aider !

À ces mots, elle se précipita vers la porte d’entrée de la maisonnette, mais sa mère la retint par le bras.

— Vivian, ne sois pas stupide ! C’est beaucoup trop dangereux !

Sa fille se retourna et lui lança un regard empli de détermination… et d’amour. Son cœur se serrait un peu plus à chaque instant, déchiré entre les liens du sang et les liens du mariage. La peur battait dans ses tempes, mais l’amour brillait dans ses yeux. Elle se dégagea avec douceur mais fermeté de l’emprise de sa mère.

— Mon mari est en danger. Il a besoin de mon aide. Il a besoin de moi, répéta-t-elle. Je dois y aller.

Sa mère lâcha prise sans même s’en rendre compte. La détresse raidissait tout son corps ridé. La main qui tenait Vivian quelques secondes plus tôt resta suspendue dans le vide. La doctoresse claqua alors la porte, non sans un dernier regard ému à sa mère et sa fille. Son passé et son futur. Mais c’était pour le présent qu’elle allait se battre.

Lorsque le battant se referma, cadenas d’un carcan protecteur, le couvercle pesant du silence s’abattit sur les deux générations restantes, incomplètes sans le maillon qui les liait l’une à l’autre. Ce fut finalement la plus jeune qui brisa le sceau.

— Papa a des ennuis, hein ?

La plus âgée ne répondit pas. Ses yeux embués fixaient toujours le vide, là où se tenait sa fille quelques instants plus tôt. Puis elle émergea de sa transe. Son front se redressa, son corps se hérissa, et elle se précipita au-dehors, comme possédée. Morgana s’élança à sa poursuite.

Devant la chaumière, Vivian enfourchait une Galopa, sa malle accrochée à la selle. La vieille femme se cramponna au bras de sa fille et la supplia de ne pas partir. Mais rien n’y fit. Sa décision était prise. Des cristaux de larmes noyaient ses yeux lorsque Vivian s’éloigna au galop, incapable de regarder en arrière.

Au comble du désespoir, la grand-mère de Morgana s’effondra par terre et se mit à pleurer à chaudes larmes. L’enfant, elle, ne pleura pas. Elle comprenait sa maman. Elle aussi, elle serait partie aider Papa, si elle avait pu. Au même moment, une petite Ponyta vint se frotter à elle. Elles étaient amies depuis longtemps… depuis que la Galopa de sa maman avait donné naissance à cette adorable petite.

Elle aussi venait de voir sa mère partir au loin. Les deux amies partageaient la même douleur. La petite fille caressa la tête de la belle créature. Puis son regard glissa jusqu’à son dos : elle avait l'habitude de chevaucher Ponyta, même à cru. Morgana prit alors une décision.

Tout compte fait, elle aussi pouvait aider ses parents.

Sans plus réfléchir, elle se hissa avec aisance sur le dos de son amie, qui n’attendait que cela. La pouliche démarra au galop. Morgana n’avait pas besoin de savoir où aller. Ponyta aurait tout aussi bien pu retrouver la trace de sa mère dans le noir. Unies par un désir commun, elles galopèrent à travers champ, en parfaite harmonie.

Malgré l’exaltation de la chevauchée, les paroles de sa mère résonnaient dans la tête de la fillette comme un écho funeste : “il est en danger”. “Papa est en danger. Et si Maman va là-bas… alors elle sera aussi en danger.” Morgana déglutit. “Et donc… moi aussi.”

Elle ignorait tout de ce qu’elle allait découvrir. Elle n’avait qu’une vague idée de ce danger qui menaçait son père, et maintenant ses deux parents. Son père était un soldat. Un soldat parti en guerre. Morgana ne comprenait pas le poids de ces mots, mais elle en pressentait l’importance.

Elle avait eu beau interroger sa mère et sa grand-mère quant à leur signification, elles évitaient la question. Alors la petite ingénue s’était renseignée par elle-même. Elle avait regardé dans le dictionnaire. “Homme de troupe, militaire.” “Conflit armé entre deux nations.” Elle avait épluché les livres de grands trouvés dans la bibliothèque de Vivian.

Tout ce que la pauvre petite avait retenu, c’était que les gens souffraient, et se faisaient souffrir. Ils blessaient aussi les Pokémon. Et à la fin, d’innombrables êtres vivants perdaient la vie. Morgana était trop jeune pour appréhender la mort. Mais elle savait une chose : les morts ne revenaient pas. Les premières larmes lui montèrent aux yeux. Elle ne pouvait imaginer la vie sans ses parents.

Elle revint à la réalité lorsque Ponyta sauta par-dessus une racine noueuse. Les sabots de la pouliche éclaboussèrent l’herbe d’eau boueuse. L’air était lourd, empli d’électricité. Une odeur nouvelle envahit soudain les narines de l’enfant. Une odeur âcre et suffocante : celle de la poudre à canon. Les larmes se mélangèrent à la poussière. La vue de Morgana se brouilla. Elle se cramponna au cou de sa monture pour ne pas tomber lorsque celle-ci s’arrêta brusquement.

Ce que la jeune innocente vit en relevant la tête lui glaça le sang.

Au milieu d’une magnifique mer de coquelicots, le rouge des fleurs se mêlait au rouge du sang. Des amas de corps aux mille couleurs, tous éclaboussés de rouge. Les coquelicots tombent au sol. Les morts ensevelissent les fleurs déchues. Les vivants piétinent les défunts. Des sifflements de mort éclatent de toutes parts. Les cris s’envolent comme autant de pétales de liberté.

Certaines réalités ne peuvent être apprises dans les livres.

Morgana porta la main à sa bouche, prise d’un haut-le-cœur. Les larmes abondèrent de plus belle. Elle se serait sans doute effondrée si elle ne l’avait pas aperçu. Un ange blanc qui fendait l’océan vermeil, évitant les coups et les balles avec la grâce d’une fée.

Sa maman.

Morgana ne réfléchit pas. Elle mit pied à terre et s’élança à la poursuite de sa mère, longeant le champ de bataille vers cet espoir d’échappatoire… à double tranchant. Car sa mère s’enfonçait toujours plus profondément dans le champ de bataille, jusqu’à atteindre l’orée de la clairière. L’enfant la suivit du regard et repéra bientôt celui que sa mère cherchait : son papa.

Il gisait au sol, adossé contre un arbre. À sa vue, la petite fille arrêta aussitôt sa course, le souffle coupé par un hoquet d’horreur. Un trou béant, d’un pourpre violacé aussi beau que morbide, creusait son torse. Son visage se tordait de douleur. Pourtant, il sourit à l’arrivée de Vivian. C’était sans doute le plus beau sourire que Morgana verrait jamais.

Sa mère commença à ouvrir sa malle avec empressement, mais son père posa une main tendre sur son bras pour l’empêcher. Avec ses dernières forces, il approcha ses lèvres de celles de Vivian et y apposa un baiser d’adieu. Son corps meurtri retomba alors contre le tronc de l’arbre, et il sombra dans un profond sommeil.

Ce fut le premier déchirement.

Voir sa mère pleurer sur le corps sans vie de son père fit à Morgana l’effet d’un coup de poignard dans la poitrine. Comme si c’était à elle qu’on avait infligé la blessure fatale. Elle en reçut alors un autre. Une deuxième déflagration qui acheva de faire voler son minuscule cœur d’enfant en éclats.

Une balle.

Il avait suffi d’une balle.

La détonation résonnerait pour toujours dans ses oreilles.

Sa mère s’effondra à son tour. Elle retomba lourdement sur le cadavre de son père, sa blouse blanche, d’ordinaire toujours immaculée, désormais souillée d’une fangeuse flaque écarlate.

Quelque part dans l’esprit de la fillette, une lumière s’éteignit. L’éclat de ses yeux se ternit. Son corps plein de vie se figea. Un voile d’obscurité recouvrit son âme, et, enfin, sa conscience sombra dans les ténèbres libératrices.

Alors que le corps de Morgana la fillette s’affaissait en songe, le corps de Morgana l’adulte se redressa dans la réalité. Elle suffoquait et transpirait à grosses gouttes. Les larmes qui noyaient les yeux de la jeune femme la liaient pourtant encore à la fragile enfant, héroïne tragique de ce mauvais rêve.

Un cauchemar. C’était un cauchemar. Un fantôme du passé. Voilà des années qu’il n’était plus revenu la hanter. Un frisson d’effroi fit frémir ses épaules. Transie de terreur, elle enfouit la tête au creux de ses bras.

Ce fut alors qu’elle sentit l’humidité inonder la manche de sa chemise de nuit. Elle retira sa main du vêtement d’un geste vif, comme si elle s'était brûlée. Interloquée, l’alchimiste approcha sa main de la chandelle qui se consumait. Un liquide gris-bleu visqueux collait à sa peau. Morgana avait beau orienter sa main dans tous les sens, la substance ne bougea pas.

Saisie d’un sursaut de lucidité, la scientifique s’empara alors de sa chandelle et éclaira son plan de travail. Un chaos indescriptible régnait sur l’atelier. Plusieurs fioles s’étaient brisées, et leur contenu s’était répandu sur la table et au-delà, créant un camaïeu de couleurs aussi magnifique qu’inquiétant.

Morgana se leva d’un bond, prise de panique. Elle s’était endormie en pleine expérience ! Comment avait-elle pu laisser une telle chose arriver ? C’était une catastrophe pure et simple. Quelle expérience tentait-elle de faire avant de s’assoupir ? Quel genre de substance nocive ces mélanges impromptus avaient-ils bien pu produire ? Qu’adviendrait-il de sa main tachée de gris ? Avait-elle commis d’autres dégâts ? Étaient-ils irréparables ?

En proie à l’angoisse, la jeune femme se prit la tête dans les mains. Ses doigts rencontrèrent alors son bonnet de nuit. Dans un accès de rage, elle voulut s’en saisir et le jeter à l’autre bout de la pièce… Mais il refusa de bouger. Tout comme le liquide gris semblait glué à sa main, le bonnet de nuit resta fermement vissé sur son crâne. Plus elle tirait, plus le bonnet lui opposait résistance, la punissant par une vive douleur.

Comme si…

Comme s’il faisait partie d’elle.

Morgana se figea de terreur. C’était sans aucun doute l’expérience la plus ratée de toute sa carrière. Sa plus grossière erreur.

Et elle allait lui coûter cher.