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Conte de sorcières de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 15/07/2024 à 02:49
» Dernière mise à jour le 09/08/2024 à 03:04

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

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Chapitre 7 – La fleur de lune déploie ses pétales
Lily courait à en perdre haleine vers la forêt. Elle devait la prévenir. Il le fallait.

Elle pressa le pas. Elle sentait les pierres du sentier s’enfoncer dans les semelles de ses souliers malmenés. Elle s’engouffra sans hésiter dans les fourrés et fonça vers le halo de lumière situé au cœur des bois. Elle allait si vite qu’elle trébucha sur une pierre acérée. La jeune fille s’étala de tout son long sur le chemin poussiéreux. Lily se releva avec courage, grimaçant de douleur : son genou s’était égratigné dans la chute.

Le jeune lys reprit sa course effrénée, malgré les branches crochues des arbres qui se dressaient sur son chemin, abîmant ses pétales et entravant sa course. À bout de souffle, Lily avait l’impression que son cœur allait exploser.

Il… fallait… qu’elle… la… prévienne…

Juste au moment où elle arrivait au bout de ses forces, la maisonnette inondée de soleil perça à travers les feuillages. L’adolescente s’effondra à genoux, ce qui lui arracha un cri de douleur. Lorsqu’elle releva la tête, un éclair argenté l’aveugla. Deux hommes engoncés dans leurs armures se trouvaient à la porte du cottage. Une longue chevelure pastel se découpait derrière leurs silhouettes.

Elle arrivait trop tard.

Sous ses yeux, les hommes en armure s’emparèrent chacun d’un bras de Morgana. Les yeux noirs de la jeune femme exprimaient un mélange de terreur et de tristesse. Elle tenta de se débattre, en vain. Elle ne cessait de clamer son innocence. Soudain, elle aperçut sa protégée. Son regard d’encre rivé sur elle, des larmes se mirent à perler dans ses yeux.

— Lily ! Tu sais que je ne suis pas une sorcière ! Dis-leur ! Je t’en supplie…

La jeune fille aspira une immense bouffée d’air en s’éveillant, telle une rescapée de la noyade émergeant de l’eau. Elle sentit l’air emplir ses poumons avant de s’échapper par la fenêtre.

La fenêtre de sa chambre.

Un cauchemar. Ce n’était qu’un cauchemar. Pourtant, son cœur battait la chamade. L’image de Morgana, la suppliant de l’aider, était imprimée derrière ses paupières. Était-ce seulement un rêve…? Cela lui avait paru si réel ! Les pierres sous ses pieds, la poussière du chemin, son genou égratigné…

Une poussée d’adrénaline s’empara d’elle lorsqu’elle effleura de la main son genou sous sa jupe. Ses doigts ne rencontrèrent aucune plaie, ni même la moindre goutte de sang. L’adolescente soupira de soulagement. Ce n’était vraiment qu’un rêve, en fin de compte.

Mais, si ce n’était qu’un rêve, comment expliquer le malaise qui parcourait encore la moindre parcelle de son corps ? Lily frissonna et agrippa ses épaules pour se réchauffer. Elle portait encore ses vêtements de la journée, salis par ses mésaventures. Elle avait dû s’endormir après…

Après s’être demandé si, tout compte fait, Morgana n’était pas réellement une sorcière qui lui avait jeté un sort. Elle avait dû s’endormir à force de tourner et retourner dans son esprit les potentielles raisons de cet acte.

Ce rêve, aussi étrange soit-il, lui donnait une piste. Morgana voulait peut-être se rapprocher de Lily pour qu’elle l’aide ? L’alchimiste comptait-elle sur leur nouveau lien pour que Lily la défende face aux accusations de sorcellerie ? Ce mauvais rêve pouvait tout aussi bien être une énième machination de la sorcière pour l’amadouer.

Mais désormais, Lily voyait clair dans son jeu. Elle s’était servie d’elle. La colère se mit à couler dans ses veines. Comment avait-elle pu croire qu’une femme aussi impressionnante s’intéressait réellement à elle ? Désemparée, la jeune éplorée enfouit sa tête dans ses bras et se mit à pleurer.

L’étincelle de rage avait vite été éteinte par une vague dévastatrice : la tristesse. La jeune fille ne pouvait se mentir à elle-même : elle aimait Morgana. Elles ne se connaissaient que depuis peu, mais elles avaient partagé des moments plus forts et plus intenses que bien des amis. Lily repensa, encore une fois, aux événements de la journée.

L’alchimiste lui avait sauvé la vie ! Elle s’était mise en danger pour la protéger. Irait-elle aussi loin si elle n’était pas sincère ? Soudain, son raisonnement lui parut aussi ridicule que bancal. Les larmes coulèrent de plus belle. À médire ainsi Morgana, elle ne valait pas mieux que les autres villageois, qui cassaient du sucre sur le dos de la jeune femme, elle qui s’acharnait à guérir leurs maux.

L’adolescente secoua la tête. Elle refusait de croire que l’affection qu’elle portait à Morgana n’était pas réciproque. En réalité, il n’y avait qu’un seul moyen de s’en assurer. Elle ne pouvait pas se contenter de faire des conjectures, seule dans son lit, sans d’abord discuter avec la principale intéressée. Elle voulait connaître le fin mot de l’histoire.

Elle jeta un œil par la fenêtre : toujours la même obscurité bleutée. Les ténèbres perpétuelles de Corrifey l’empêchaient d’estimer l’heure qu’il était. Cherchant à tâtons dans le noir, Lily se saisit de la boîte d’allumettes posée sur sa table de chevet et en craqua une. La petite flamme illumina sa chambre. Lily descendit de son lit et se dirigea vers sa commode, où elle alluma une chandelle.

Lorsque la jeune fille leva la bougie au-dessus du meuble, l’horloge accrochée au mur lui révéla qu’il était une heure du matin. Malgré ses horaires de sommeil peu orthodoxes et son cauchemar, elle avait dormi assez longtemps pour se sentir reposée. Et il restait encore de nombreuses heures avant le réveil de sa mère…

Elle avisa sa fenêtre : elle savait très bien que ce qu’elle s’apprêtait à faire relevait de l’inconscience. L'adolescente n’avait jamais désobéi de façon aussi effrontée à sa mère. Mais elle n’était plus une petite fille modèle. Et puis, c’était l’occasion parfaite. Elle avait tout le temps du monde. Sa mère ne saurait jamais ce qu’elle avait fait.

Déterminée, Lily reposa la chandelle et ouvrit sa commode. Elle fouilla dedans et trouva bientôt ce qu’elle cherchait : un pantalon de toile beige. Le seul qu’elle possédait. Quand elle était plus jeune, elle détestait le porter, car il lui donnait l’impression d’être un garçon. En cet instant, elle songea à quel point cette idée était puérile.

Elle se débarrassa de ses vêtements sales et enfila le pantalon, ainsi qu’une chemise propre, puis elle défit ses nattes et noua à la va-vite ses cheveux en une queue-de-Ponyta. Lorsque Lily observa son reflet dans le miroir sur pied, la flammèche de la bougie lui révéla une silhouette androgyne à l’air débraillé. Pourtant, elle sourit. Elle se trouvait très bien comme ça.

Après avoir chaussé ses bottes, elle se redressa et souffla sur sa chandelle pour l’éteindre. Puis elle alla ouvrir la fenêtre et observa au-dehors. Comment descendre sans réveiller sa mère, et surtout, sans se tordre le cou ? Elle avisa son lit. Elle repensa à ses contes préférés, dans lesquels les personnages utilisaient des draps pour s’échapper par la fenêtre. Après tout, pourquoi pas ?

Lily sourit de plus belle : cette escapade nocturne était de plus en plus excitante ! Elle avait l’impression de faire partie de son propre conte de fées. Elle se dépêcha de défaire ses draps et de porter le tissu blanc à la fenêtre. Elle noua ensuite le drap à…

Quoi donc ? C’était bien la question. Ses yeux avaient beau virevolter tout autour de la fenêtre, elle dut se rendre à l’évidence : il n’y avait nulle part où accrocher le drap. Elle soupira. La vie n’était pas aussi simple que dans les contes. Retour à la case départ…

Elle reposa ses draps défaits sur le lit et retourna contempler la nuit d’encre, illuminée de taches de couleur. Sa maison, comme toutes celles du village, n’était pas très haute. Seuls quelques petits mètres la séparaient du sol terreux en contrebas. Le petit toit d’ardoise qui surplombait le salon était presque à portée de bras. Et si…

Sans réfléchir, Lily posa la main sur le rebord de la fenêtre… Puis la jambe… Elle s’élança au-dessus de la jardinière de fleurs rouges et, avant qu’elle se rende compte de ce qu’elle faisait, ses grosses bottes atterrirent sur le toit en-dessous. Ses pieds dérapèrent, une tuile se décrocha… Heureusement, Lily se rattrapa au dernier moment, agrippant le sommet du toit.

Les bras tendus, les pieds en équilibre précaire sur le bord du toit, Lily se trouvait dans une situation délicate. Envolée, la belle inconscience qui l’avait poussée à se défenestrer ! La jeune fille tremblait désormais comme une feuille. Elle fit alors l’erreur de regarder en bas, vers le sol, à la fois si proche et si loin…

Qu’est-ce qui lui avait pris ? Elle allait s’écraser par terre… Et même si elle n’en mourrait pas, elle se blesserait sans aucun doute. Le vacarme réveillerait sa mère, et elle se retrouverait alors dans une situation pire en tous points. L’angoisse se resserra autour de son cœur comme un étau. Elle serrait si fort le sommet du toit que ses jointures lui faisaient mal.

Pourtant, ses mains devinrent moites. Soudain, l’un de ses pieds glissa. Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’elle ne dégringole de son perchoir de fortune. Elle sentit ses doigts lâcher… Elle ferma les yeux et se prépara au choc de la chute.

Mais il n’arriva jamais.

Au contraire, elle se sentait légère comme une plume. Elle rouvrit les yeux, et peina à croire ce qu’elle vit. Elle flottait au-dessus du sol, soulevée par une force inconnue. Son corps irradiait d’une lumière violacée, qui s’éteignit lorsque le corps de Lily se posa délicatement sur la terre ferme. Indemne.

Par quel miracle ?

Elle regarda aux alentours, troublée. Puis elle les vit. Les yeux perçants qui illuminaient les ténèbres. Ils brillaient d’un éclat bleuté, qui s’évanouit aussitôt pour laisser place à un regard rouge sang. La créature sombre continua à la fixer durant d’éternelles secondes, avant de disparaître dans la nuit. Lily eut à peine le temps d’apercevoir l’éclat doré d’un anneau lumineux dans son sillage.

Cette rencontre provoqua une foule de questions qui se bousculèrent dans son esprit. S’agissait-il d’un Pokémon ? Si oui, lequel ? Et surtout… Pourquoi lui était-il venu en aide ? Elle secoua la tête. Si fascinante soit-elle, la question devrait rester en suspens. Elle n’avait pas une seconde à perdre. Elle remercia en pensée la créature, et formula le vœu silencieux de la revoir un jour.

Puis elle se mit à courir vers la forêt de Lumirinth. Encore une fois. Comme dans son rêve.

Qu’allait-elle dire à l’alchimiste ? Et surtout, qu’allait dire Morgana ? Serait-elle inquiète ? En colère ? Amusée ? Tout ça à la fois ? Impossible de le savoir. Cette femme demeurait un mystère pour l’adolescente.

Sa visite la réveillerait-elle ? Sans doute. Après tout, il était une heure du matin passée. Cependant, Lily n’avait aucun mal à l’imaginer travailler jusqu’à des heures indues. Son cerveau continua à multiplier les hypothèses et les possibilités tandis que ses pas la menaient jusqu’à la clairière de Morgana.

Lorsqu’elle l’aperçut, Lily en eut le souffle coupé. C’était la première fois qu’elle la voyait de nuit.
La maisonnette, baignée de lumière argentée, était la Lune qui illuminait la forêt étoilée. Son éclat était plus saisissant encore qu’en plein soleil. Les jeux d’ombres se mouvaient dans la pâle clarté, comme un kaléidoscope en noir et blanc.

Lily réalisa alors à quel point la Lune lui avait manqué.

Elle affectionnait l’astre lunaire depuis toujours. Auparavant, elle avait l’habitude de contempler le ciel étoilé avant de se coucher. Elle adressait alors ses prières à la divine Lune, qui gardait ses souhaits les plus secrets. Lorsque Lily levait la tête vers la Lune, elle éprouvait un sentiment de sérénité profonde.

Cette habitude lui avait été arrachée par Corrifey. Une fois de plus, le village féérique lui montrait son visage sombre. Pas de jour. Pas de nuit. Pas de Soleil. Pas de Lune. Une perpétuelle obscurité, qui figeait le village dans une bulle intemporelle.

Soudain rassérénée, Lily oublia tout sentiment d’urgence. Elle pénétra dans le cercle de lumière et s’accorda quelques délicieuses secondes pour baigner dans l’éclat lunaire. Les yeux fermés, les bras levés vers le ciel, elle ressentait dans tout son corps la douce fraîcheur des rayons argentés. Elle communia avec l’air du soir, sous le regard compatissant des fleurs de lune.

— Lily ?!

L’intéressée se figea. Elle rouvrit subitement les yeux. Une silhouette sombre se découpait dans la lumière aveuglante d’un foyer.

— Mais enfin, que fais-tu ici à une heure pareille ?

La voix claire de Morgana irradiait de colère.

Lily déglutit. Elle n’était plus certaine de son plan, tout à coup. Même dans la pénombre, elle distinguait l’étincelle ardente qui brillait dans les yeux d’encre de son aînée. Cette dernière lui empoigna le bras et l’attira à elle.

— Rentre vite, tu m’expliqueras tout ça à l’intérieur, lui intima l’alchimiste d’un ton dur.

La jeune fille obtempéra sans piper mot, la tête basse et les joues rougies. Morgana l’assit sur le canapé du salon. Celui-là même sur lequel elle s’était reposée bien des heures auparavant, au cours de cette très, très longue journée.

L’alchimiste la laissa là un court instant, le temps d’un aller-retour à son atelier, dans le solarium - ou, dans le cas présent, lunarium - situé au fond de la maisonnette. Puis elle revint se planter devant elle, vissée dans un fauteuil, le regard sévère.

— Bon, tu m’expliques ce que tu fais ici ? lâcha la jeune femme. Qu’est-ce qui t’a pris de faire le mur en pleine nuit, alors que tu m’avais promis de ne plus rien faire de dangereux ?

Lily se tordit les mains, tête baissée. Parmi toutes les possibilités qu’elle avait entrevues, c’était donc par la colère que son aînée avait réagi. Son histoire allait lui paraître si stupide… Elle ne savait pas par où commencer. Elle releva la tête et soutint le regard de Morgana. Elle était venue ici pour faire franc-jeu. Autant tout lui raconter. Depuis le début.

— Je… Je suis vraiment désolée, Morgana… Je vous assure que je n’aurais jamais fait une chose pareille sans une bonne raison… En fait, après votre départ… Je me suis encore disputée avec ma mère. Et le sujet de notre dispute, c’était, eh bien… vous.

La colère laissa place à la surprise sur le visage de son interlocutrice.

— Moi ? demanda-t-elle, un soupçon de tristesse dans la voix.

— Oui, confirma Lily avec embarras. Ma mère a bien compris, vu mon état, que nous n’avions pas juste pris le thé. Mais j’ai refusé de lui dire ce qui s’était passé. Elle s’est alors mis en tête que tout ça était de votre faute… Pourtant, je lui ai dit que non, que vous m’aviez sauvée ! Mais elle n’a rien voulu entendre.

— Oh… Je vois, répondit l’alchimiste avec un sourire triste, adoucie.

— Je n’ai pas cédé, reprit l’adolescente en ravalant sa salive. Elle m’a alors envoyée dans ma chambre et m’a interdit d’en ressortir tant que je ne lui aurai pas dit la vérité. Une fois dans ma chambre, je… J’ai réfléchi. Je ne comprenais pas pourquoi je n’arrêtais pas de me disputer avec ma mère : c’était pourtant si rare avant ! J’étais triste… Alors, j’ai… J’ai été injuste, admit-elle les larmes aux yeux.

— Injuste ? Injuste envers qui, ma chérie ?

Le ton n’était plus empreint de colère. Pire encore, entendre Morgana la désigner par ce surnom affectueux amplifia le sentiment de culpabilité de Lily.

— Vous… Je vous ai soupçonnée d’être une sorcière ! Et de m’avoir lancé un sort pour m’éloigner de ma mère ! Je suis tellement désolée ! Pardon, Morgana…

La jeune fille avait tout avoué d’un coup avant d’éclater en sanglots. Elle n’osait pas regarder l’alchimiste dans les yeux. Elle avait trop peur d’affronter sa réaction. Contre toute attente, Morgana posa sa main sur son bras avec douceur.

— Oh, Lily… Je ne t’en veux pas. Il faut croire que c’est une étape obligée, quand on me fréquente, déclara-t-elle, pince-sans-rire. Mais dis-moi, même si j’étais vraiment une sorcière, pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?

Un peu réconfortée par ces paroles, Lily sécha ses larmes et poursuivit son récit :

— Je me suis demandé la même chose… Puis j’ai fait un rêve. Un rêve très étrange. Il avait l’air si réel…

La scientifique se redressa d’un coup, intriguée.

— Un rêve ?

— Oui… Un rêve qui vous concernait.

Morgana tressaillit, mais elle reprit bien vite ses esprits. Elle s’enquit d’une voix douce :

— Tu veux bien me le raconter ?

L’adolescente hésita un instant. Le récit de ce rêve risquait d’inquiéter Morgana. Mais elle se souvint de sa décision : raconter la vérité, toute la vérité. Elle répondit donc avec appréhension :

— S-si vous voulez…

Elle lui raconta alors son étrange rêve dans les moindres détails : sa course dans la forêt, les hommes en armure, la mine terrifiée de Morgana… jusqu’à son appel à l’aide. Elle lui expliqua en quoi elle avait vu dans ce rêve une réponse à sa question. Elle se sentit à nouveau ridicule. Elle voyait une nouvelle fois à quel point son raisonnement était incongru.

L’alchimiste l’écouta religieusement sans l’interrompre, mais Lily voyait les émotions se succéder dans ses yeux. Lorsqu’elle acheva son histoire, son aînée affichait, comme elle le redoutait, un air soucieux. Mais il ne demeura qu’une seconde sur le visage ovale de la jeune femme, qui s’empressa d’offrir à sa protégée un sourire rassurant.

— Ce n’est qu’un rêve, Lily. Ce n’est pas la réalité.

— Pourtant, ça semblait si vrai ! Vous ne comprenez pas, je n’ai jamais fait de rêve comme ça, avant. D’habitude, tout est flou et incohérent… Là… J’avais l’impression très nette de vivre la scène.

— Peut-être. Mais cela reste tout de même un rêve, insista Morgana, catégorique.

— Mais… Vous ne pensez pas qu’il peut avoir une signification particulière ?

La scientifique secoua la tête.

— C’est possible, mais l’interprétation des rêves est très complexe, et même moi j’avoue ne pas m’y connaître suffisamment dans le domaine. Non, vraiment, Lily, je pense que tu ferais mieux de ne pas trop te tracasser avec ça. Comme je te l’ai déjà dit, je ne t’en veux pas de m’avoir soupçonnée d’être une sorcière.

Lily soupira de soulagement, mais hélas, Morgana n’en avait pas terminé.

— En revanche, je suis toujours fâchée par ton escapade nocturne. Tu as non seulement trahi la promesse que tu m’avais faite, mais tu as aussi désobéi à ta mère, déclara-t-elle avec fermeté, les sourcils froncés.

Le regard fuyant, la jeune fugueuse ne répondit rien. Elle savait que c’était l’entière vérité.

— Tu aurais pu te faire attaquer par des Pokémon sauvages ! Ou même…

— Ma mère m’a interdit de vous revoir, la coupa Lily d’un ton cassant.

L’alchimiste accusa le coup et se tut sur-le-champ.

— Oh… Vraiment…? demanda-t-elle, peinée.

— Oui. Vous comprenez maintenant, pourquoi j’ai désobéi à ma mère ? Parce qu’elle refuse de m’écouter. Quand je lui ai dit que je venais vous voir parce que vous, vous m’écoutiez, elle n’a pas apprécié. Mais c’est la vérité. Avec vous, Morgana, je peux me livrer sereinement. Elle, elle essaie juste de me contrôler. Je ne sais pas comment j’ai pu croire que nos disputes étaient de votre faute… En y repensant, je me rends compte que c’est elle qui se comporte bizarrement. Je ne l’ai jamais vue s’énerver autant, ni pleurer autant que ces derniers jours.

L’adolescente lâcha un lourd soupir.

— Je crois que ta mère s’inquiète beaucoup pour toi. Elle cherche à te protéger… Mais elle ne sait pas vraiment comment s’y prendre. Elle ne se rend pas encore compte que tu n’es plus une petite fille. Tu es une jeune fille presque adulte… Et, à l’évidence, un peu rebelle !

Morgana avait prononcé cette dernière phrase avec un amusement manifeste. Lily, elle, devint rouge pivoine. Tout à l’heure, avant de quitter sa chambre, elle avait presque exulté en constatant qu’elle n’était plus “une petite fille modèle”. Elle s’était alors sentie forte et indépendante. Mais maintenant, son aînée présentait plutôt cela comme une crise d’adolescence…

Lily sentit la honte et l’embarras poindre à nouveau dans son cœur. La sagesse de Morgana, opposée à la fougue de sa jeunesse, lui avait fait comprendre qu’elle n’était qu’une gamine inconsciente qui s’était senti pousser des ailes. Elle n’avait encore rien d’une adulte.

— Je n’aurais pas dû m’enfuir de la maison en pleine nuit, n’est-ce pas ? demanda-t-elle avec un nouveau soupir.

— Non, en effet, répondit Morgana, cependant incapable de dissimuler son sourire en coin. C’est déjà inespéré que tu sois arrivée jusqu’ici sans encombre, reprit-elle d’un ton plus grave.

Lily hocha la tête distraitement. Ses pensées se tournèrent alors vers la mystérieuse créature aux yeux rouges qui l’avait secourue. Devait-elle en parler à Morgana ? Sans doute. Mais, pour une raison qui lui échappait, elle décida de ne pas le faire. C’était un secret qu’elle souhaitait garder pour elle, du moins pour l’instant.

Après un court silence, Morgana brisa la glace :

— Tu devrais rentrer, Lily.

— Oui, vous avez raison, admit la plus jeune. Au moins, j’ai pu discuter avec vous, comme je le voulais. Je vous présente à nouveau mes excuses pour vous avoir accusée à tort… Je ne pense plus du tout que vous êtes une sorcière. Je sais que mes problèmes familiaux n’ont rien à voir avec vous. Quelque part… peut-être que je cherchais juste un responsable… Quelqu’un à blâmer.

— C’est une attitude tout à fait humaine, Lily. Et, en général, les gens s’en tiennent là. Toi, tu as eu le courage de te remettre en question et d’affronter tes démons. C’est admirable. La plupart des adultes n’en sont pas capables, tu sais.

La jeune fille lui adressa un regard empli de gratitude.

— Merci, Morgana, déclara-t-elle en se levant. Pour tout.

— Je t’en prie, ma chérie. Mais je t’en conjure, s’il te plaît… Ne refais plus jamais une telle folie.

Pour la première fois de la soirée, Lily sourit.

— Ne vous en faites pas. J’ai appris une bonne leçon ce soir. Au revoir, Morgana, souffla-t-elle avant de saisir la poignée de la porte d’entrée.

Elle hésita un instant, puis se retourna une ultime fois. Elle déclara alors dans un murmure plein de courage :

— Vous êtes une vraie amie.

Puis elle s’éclipsa dans la fraîcheur de la nuit, au moment où Morgana lui adressait un “au revoir” plein d’émotion. Lily avait vu l’émoi parcourir ses prunelles sombres. Ses propres yeux s’emplirent de minuscules larmes. Des larmes de joie. Elle s’était trouvée une véritable amie.

Ainsi, le jeune lys rentra chez lui le cœur léger. Lorsqu’il parvint devant sa maison, toujours auréolée des ténèbres tachetées, il ne s’inquiéta pas de savoir comment il rejoindrait sa fenêtre. Quelque part en lui-même, il savait que son ami au pelage sombre l’attendait dans la pénombre. Un ami dont les yeux rouges s’illuminèrent de bleu lorsqu’il le souleva de terre dans un halo violacé.

Lorsque Lily regagna sa chambre, elle adressa à son mystérieux compagnon un regard reconnaissant. Dans le silence, ses lèvres murmurèrent un sincère merci. La créature hocha la tête avant de disparaître dans les fourrés. L’adolescente s’effondra alors sur son lit, épuisée mais heureuse.

Aujourd’hui, elle s’était fait deux amis.