Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Conte de sorcières de MissDibule



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 20/06/2024 à 15:43
» Dernière mise à jour le 20/06/2024 à 15:43

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 6 – La rose sort ses épines
L’automne teint de doré, de rouge et d’orange la flore des forêts. Tel est le cycle des saisons. Mais ces belles couleurs ont un lourd prix : la mort, avant la renaissance. Les feuilles déchues tombent, les branches s’affaissent, la vie s’effondre au sol pour nourrir la terre, et lui permettre de refleurir au printemps. Le jeune lys qui cheminait à travers la Forêt de Lumirinth en cet instant ne faisait pas exception ; les épaules voûtées, la tête basse, Lily ruminait.

À ses côtés, une autre fleur rayonnait, fringante, comme si la nature n’avait pas d’emprise sur elle. Lily s’empêchait de la regarder, même si elle en avait envie. Elle ne savait pas très bien ce qu’elle éprouvait vis-à-vis de Morgana. De la colère ? De l’admiration ? De la curiosité ? Tout autre chose ? Ce qui était certain, c’est qu’elle n’avait pas vraiment envie de lui adresser la parole pour l’instant. Et pourtant, il le fallait bien, car elles approchaient dangereusement de Corrifey.

— Morgana… commença Lily avec réticence.

— Oui, ma chérie ? répondit l’intéressée avec un doux sourire.

La jeune fille déglutit. Cette marque nouvelle d’affection provoquait en elle des sentiments contraires.

— Vous… Vous n’allez pas raconter à ma mère ce qui s’est passé avec les braconniers… n’est-ce pas ? demanda-t-elle, pleine d'espoir.

L’alchimiste afficha une moue désolée.

— Il le faudrait bien, pourtant. En tant qu’adulte responsable, je ne peux quand même pas lui cacher ce qui est arrivé à sa fille…

— Mais ça ne ferait que l’inquiéter inutilement, puisque je vais bien ! Alors… pourriez-vous fermer les yeux, pour cette fois, s’il vous plaît…? Si elle l’apprenait, elle m’interdirait à jamais d’aller dans la forêt… Je ne pourrais plus vous voir, ni Aster…

L’alchimiste lui adressa un regard contrit. Lily prit une profonde inspiration et reprit.

— Aujourd’hui, vous m’avez confié votre secret, et je vous promets de le garder. Je vous confie maintenant le mien… Acceptez-vous de le garder à votre tour ? S’il vous plaît…

Morgana poussa un léger soupir avant d’esquisser un petit sourire.

— Difficile de te dire non quand tu fais ces yeux-là ! Bon, c’est d’accord. Cet après-midi sera notre secret à toutes les deux. Je vais juste lui dire que tu es passée me voir. Nous avons pris le thé, puis je t’ai raccompagnée chez toi.

Soulagée, Lily se détendit enfin. Son corps voûté et crispé se redressa, ses muscles se relâchèrent. Cependant, son aînée n’avait pas terminé :

— Mais tu dois me promettre de ne plus jamais te mettre en danger. Je te suis reconnaissante d’avoir voulu aider Aster, mais tu dois avant tout penser à ta propre sécurité. Est-ce que c’est bien compris ?

Penaude, Lily hocha la tête et poussa à son tour un soupir. Autant tout lui révéler, au point où elle en était.

— Merci, Morgana. Il faut que vous sachiez autre chose… Avant de venir en aide à Aster, je ne me promenais pas simplement dans les bois… Je… Je me suis enfuie de la maison après m’être disputée avec ma mère, alors… il se peut qu’elle soit en colère après moi quand elle nous recevra, la prévint-elle.

— Oh, je vois. Mais tu sais, je pense plutôt qu’elle sera soulagée et surtout, heureuse de te retrouver. Elle doit être morte d’inquiétude, à l’heure qu’il est, et imaginer le pire - elle n’aurait pas tort, d’ailleurs…

Lily n’avait pas vu les choses sous cet angle.

— Vous croyez ? Je pensais qu’elle serait toujours fâchée contre moi…

Morgana émit un petit rire.

— Oh non, ma chérie. Je suis sûre que ta mère te considère comme son plus grand trésor. Et même si votre dispute a dû la contrarier, la peur de te perdre est bien plus forte. Du moins, je pense. Je n’ai pas d’enfant, mais… C’est sans doute ce que je ressentirais à sa place.

Les paroles de son aînée laissèrent Lily songeuse. Dans son esprit aux mille idées, elle n’avait encore jamais imaginé, même dans ses plus folles divagations, la belle Morgana sous les traits d’une mère de famille. Elle semblait si jeune ! Cette réflexion, comme toujours, poussa sur les lèvres de l’adolescente une énième question.

— Quel âge avez-vous, Morgana ?

La concernée lui lança un regard amusé. Lily, elle, qui venait de se rendre compte de ses paroles, vira au cramoisi.

— Je suis désolée, c’était affreusement impoli de ma part ! s’excusa-t-elle.

Mais Morgana rit de plus belle.

— Allons, je te l’ai déjà dit, au diable l’étiquette, et vive la curiosité ! Pour répondre à ta question, j’ai trente-quatre ans. Si je ne me trompe pas, c’est exactement le double de ton âge, n’est-ce pas ?

La plus jeune hocha la tête, songeuse. Trente-quatre ans… Elle leva les yeux vers le visage de porcelaine de Morgana. Les yeux d’encre de cette dernière lui adressèrent un doux regard. Qu’avait bien pu traverser cette femme extraordinaire durant toutes ces années ? Aussitôt, une nouvelle vague de questions déferla en Lily. Elle souhaitait connaître la vie de l’énigmatique, l’insaisissable, la fascinante Morgana.

Mais ses lèvres restèrent scellées. L’alchimiste avait beau dire qu’elle célébrait la curiosité, la jeune fille savait discerner la frontière entre celle-ci et l’indiscrétion - même si elle ne la respectait pas toujours. Les questions s’évanouirent donc dans sa gorge alors qu’elles arrivaient à Corrifey. Dès qu’elles eurent traversé l’orée du village, l’adolescente sentit les regards interrogateurs - inquisiteurs ? - des villageois curieux se poser sur elles.

Gênée, elle rougit et fixa ses souliers recouverts de boue. Elle n’aurait pas cru une telle chose possible quelques secondes plus tôt, mais elle avait presque hâte de rentrer à la maison. Un sermon de sa mère ne pouvait pas être pire que les œillades méfiantes qu’on lui accordait à cet instant. Cependant, quand elle aperçut sa demeure à colombages, elle se remit à douter.

Lorsqu’elles arrivèrent devant la maison de Lily, celle-ci déglutit. Malgré les dires de Morgana, elle redoutait la réaction de sa mère. Le tintement de la sonnette résonna avec force dans son crâne. Des sueurs froides perlèrent son front. Elle songea soudain qu’elle avait bien besoin d’un bain. La porte d’entrée s’ouvrit brusquement et Lily sursauta. Le visage blême de Rose apparut. Il s’éclaira dès que son regard se posa sur la prunelle de ses yeux, qu’elle serra aussitôt dans ses bras.

— Lily ! Oh, merci mon dieu Arceus, tu vas bien !

Ainsi, Morgana avait raison. Sa mère était en effet morte d’inquiétude. Après une longue embrassade, Rose relâcha son enfant et se tourna vers la jeune femme qui l’accompagnait, demeurée droite comme un i, un sourire attendri aux lèvres.

— Merci infiniment de m’avoir ramené ma fille chérie, Miss Morgana. Comment l’avez-vous trouvée ?

Morgana laissa échapper un petit rire et répondit :

— À vrai dire, c’est elle qui est venue me trouver ! Nous avons sympathisé ce matin, alors je lui ai proposé de prendre le thé quand elle est passée me voir tout à l’heure. Si j’avais su que vous étiez à sa recherche, je l’aurais grondée et raccompagnée à la maison bien plus tôt ! ajouta-t-elle en fronçant les sourcils à l’adresse de Lily.

Le regard de la jeune femme était si perçant que l’adolescente en fut intimidée : elle n’était plus certaine que Morgana jouait la comédie. Rose soupira. Son expression affichait un savant mélange de contrariété, de soulagement… et de tristesse ? Elle essayait de le cacher, mais elle ne pouvait pas tromper sa propre fille : même si elle n’en comprenait pas la raison, Lily voyait l’étincelle de mélancolie dans l’océan de ses yeux.

Un océan dont les vagues se déversèrent ensuite sur le jeune lys, bientôt submergé par cet ouragan d’émotions. Sa mère l’observa sous toutes les coutures, de ses nattes défaites à ses souliers sales. De nouvelles expressions se succédèrent sur son visage. Le doute. La colère. Et enfin, la plus dévastatrice de toutes pour Lily. La déception.

— C’est très aimable à vous, déclara enfin Rose d’un ton froid. Je vous proposerais bien de rentrer pour prendre le thé en guise de remerciement, mais puisque vous l’avez déjà pris chez vous avec Lily…

La jeune alchimiste, nullement vexée par ce manque d’hospitalité, afficha au contraire un grand sourire.

— Oh oui, ne vous en faites pas ! Je ne vais pas vous déranger plus longtemps.

— Merci encore d’avoir raccompagné Lily à la maison. Passez une bonne soirée, Miss Morgana.

— Vous de même, Rose. Au revoir ! À bientôt, Lily !

L’alchimiste avait à peine fini de dire au revoir lorsque Rose attira sa fille à elle et ferma la porte avec force. Le menton dressé, l’œil sévère, les bras croisés, elle toisa Lily de toute sa hauteur. L’intéressée se ratatina sur elle-même, honteuse.

— Tu comptes m’expliquer ce qui s’est vraiment passé ? En général, lorsqu’on va prendre le thé chez quelqu'un, on ne termine pas dans cet état, assena-t-elle.

Lily demeura tête baissée, les yeux fermés, au bord des larmes. Elle ne pouvait pas lui dire. Elle ne pouvait pas. Avec courage, elle secoua la tête. Rose fronça les sourcils, ce qui fit apparaître de fines rides sur son front laiteux.

— Comment ça, non ? s’écria-t-elle avec colère. De toute façon, ce n’est pas difficile à deviner. Je parie que cette folle furieuse de Morgana t’a embarquée dans une aventure dangereuse !

Ces mots sortirent Lily de son mutisme.

— Non ! Pas du tout ! Au contraire, elle m’a sauvée…

La jeune fille regretta aussitôt ses paroles.

— Sauvée ? répéta Rose, adoucie devant la mine bouleversée de sa fille. Que s’est-il passé ? Est-ce que tu vas bien ?

Lily hocha la tête, en larmes. Rose l’enserra de ses bras et lui caressa les cheveux.

— Ma pauvre chérie… Que t’est-il arrivé…?

Elle prit sa fille par les épaules et plongea son regard dans le sien.

— Raconte-moi.

Bien que plus douce, sa voix n’en demeurait pas moins autoritaire. Lily secoua désespérément la tête.

— Ce n’est pas une folle furieuse…

C’étaient les seuls mots qu’elle avait réussi à extraire de sa gorge. Elle tenait à défendre Morgana. Et pourtant… Elle devait bien admettre qu’après ce qu’elle avait découvert plus tôt, ses paroles sonnaient faux. Rose s’en rendit compte.

— Ah oui ? Quels autres mots pour décrire une ermite aux cheveux peinturlurés, qui vit seule dans la forêt à faire on ne sait trop quoi ? (Lily déglutit à ces mots.) Qui retient chez elle les enfants des autres, et les raccompagne chez eux dans un état lamentable, sans donner plus d’explication ? cracha Rose avec véhémence.

— C’est moi qui lui ai fait promettre de ne rien dire !

— Ça m’est égal. Je t’interdis de la revoir. Ce n’est pas une personne fréquentable. Cette femme a visiblement une influence néfaste sur toi. Avant, tu n’aurais jamais cherché à me cacher la vérité.

Non !

Lily secoua la tête de plus belle, les larmes rutilant sur ses joues. C'était exactement ce qu’elle avait cherché à éviter !

— Quand tu seras disposée, tu me raconteras ce qui s’est passé, lâcha sa mère d’un ton sans réplique. D’ici là, tâche de prendre un bain…

Rose s’apprêtait à quitter le vestibule, mais sa fille la retint par le bras.

— Si… Si je te raconte ce qui s’est passé maintenant… Tu me laisseras la revoir…?

Les traits de Rose se durcirent. Ce n’était pas la réaction que Lily espérait.

— Hors de question.

— Mais elle m’a sauvé la vie ! protesta la jeune fille.

— Peu importe. Si tu n’étais pas allée la voir, rien de tout ça ne serait arrivé. Tu n’aurais jamais couru le moindre danger.

— Je suis allée la voir parce qu’elle, au moins, elle m’écoute ! hurla Lily, hors d’elle.

Un silence de mort suivit cette déclaration. Rose baissa la tête, sonnée, tandis que sa fille se tenait bien droite, prête à affronter les conséquences de ses paroles. Mais elle ne s’attendait pas à voir des larmes rouler sur la joue de sa mère. La tristesse qu’elle avait entraperçue tout à l’heure se déversa alors dans ce flot de larmes.

Rose pleura sans retenue, durant de longues secondes. Lily, démunie devant une telle détresse, ne sut quoi dire. Elle fit donc ce que sa mère avait fait pour elle dans la même situation, quelques minutes plus tôt : elle la prit dans ses bras. Les pleurs de sa mère redoublèrent d’intensité, accompagnés de cris déchirants.

La jeune fille sentit la culpabilité lui ronger les os. C’était elle qui avait mis sa mère dans cet état. Elle voulut dire quelque chose, n’importe quoi. Mais elle était comme paralysée. Avant qu’elle n’ait pu trouver les mots justes, les sanglots s’éteignirent soudain. Rose se dégagea alors avec force de l’emprise de sa fille et se rua vers la porte qui menait à sa serre personnelle.

Avant de disparaître derrière le battant, elle murmura d’une voix glaciale :

— Va dans ta chambre, Lily. Tu n’en ressortiras que lorsque tu seras prête à me raconter la vérité.

Tétanisée, honteuse et exténuée, Lily obéit et monta à l’étage. Elle fonça dans sa chambre et s’effondra sur le lit, en larmes. Comment en était-elle arrivée là ? Avant d’arriver à Corrifey, elle aurait pu compter les disputes avec sa mère sur les doigts d’une main. Désormais, le conflit lui semblait inévitable à chaque fois qu’elles se parlaient. Enfin, depuis que…

Depuis qu’elle avait rencontré Morgana.

Lily se redressa d’un coup sur son lit, le souffle coupé. Elle se rappela le jour de leur arrivée dans le village. Rose et elle s’entendaient alors encore à merveille. Le souvenir de leur belle complicité lui noua la gorge. Elle avait alors aperçu Morgana par la fenêtre, et…

« Et depuis ce jour, on n’arrête pas de se disputer ! » réalisa subitement Lily.

Une terrible supposition se forma alors dans son esprit. Et si… Et si Morgana était réellement une sorcière ? Et si elle avait ensorcelé Lily pour l’attirer à elle et la séparer de sa mère ?

« Mais dans quel but ? »

Lily frissonna. Elle avait peur de le découvrir.