Lever l'ancre
Une carte abîmée est abandonnée sur une chaise aux pieds tordus. On peut y déchiffrer :
« Carte d’employé du Lavandia Sea.
Équipe 11, Appareillage de gestion des stocks, équipe de Marius Kosmo. »
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Le bateau s’étendait devant ses yeux, immense et imprenable, comme une forteresse flottante. Il était amarré au quai, et de tous les autres navires du port, c’était sans doute le plus impressionnant. Ce n’était pas la première fois que Marius travaillerait sur un bateau, et ce ne serait sans doute pas non plus la dernière, mais ce serait sans doute la première et dernière fois qu’il ferait partie d’un projet d’une ampleur aussi inimaginable.
Le projet New Lavandia, d’un côté une ville souterraine gigantesque conçue pour abriter toute la population d’Hoenn en cas d’un désastre environnemental (merci Kyogre et Groudon), et, de l’autre, un navire immense qui était vaguement lié à la construction de la ville. Les chefs des différentes section du projet, Archibald, Poupe, et Voltère, ne laissaient aucun détail parvenir aux oreilles du public, donc les seules informations qui circulaient venaient de rumeurs et n’étaient pas très fiables. Aucun des ouvriers de New Lavandia ou des marins du Lavandia Sea ne disaient quoi que ce soit.
Il resta quelques secondes à contempler le bateau, ses lignes dures mais gracieuses, sa beauté et sa force. Ce serait sa nouvelle maison pour les années qui suivraient, et il n’aurait probablement plus l’occasion de le voir de l’extérieur pendant une longue période, et il se passera du temps avant qu’il ne puisse reposer les pieds sur la terre, alors il prit le temps de tout enregistrer, de la sensation des pavés fermes sous ses pieds à la légère brise à l’odeur de sel qui soufflait. Il prit une grande inspiration. Il était temps de partir.
Il se dirigea vers la passerelle menant au pont, sa valise derrière lui.
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Il venait de terminer de ranger ses affaires dans la cabine, mais il manquait la touche finale. Il fouilla tout au fond de la valise, et, après avoir cherché à tâtons, sa main tomba sur un petit paquet emballé avec soin dans un drap. C’était son fils qui le lui avait donné, en lui demanda de ne pas le défaire avant qu’il soit arrivé sur son lieu de travail. Il le déballa en prenant garde à ne pas le faire tomber. Quand il vit ce qu’il avait dans les mains, il poussa un petit soupir attendri. Évidemment. C’était Hippolyte qui lui avait offert le cadeau, à quoi est-ce qu’il s’attendait ?
Une petite figurine de Skitty très mignonne, habillée en uniforme de marin, offerte par son fils. Il la plaça sur l’étagère du placard, juste derrière la porte vitrée, bien en vue. Comme ça, à chaque fois qu’il tournerait la tête vers l’armoire, il la verrait.
Bon, il ne pouvait plus rester ici à faire le planton. Maintenant qu’il avait tout préparé, il était temps de commencer son travail. Appareillage de gestion des stocks, un travail auquel il était habitué, mais qui n’en restait pas moins pénible. Il hésita à mettre la figurine dans la poche de son uniforme, celle située sur son cœur, pour se donner du courage, mais décida finalement de ne pas le faire. La tête de la figurine aurait dépassé du haut de la poche,et ce serait probablement mal vu par ses supérieurs. Être étiqueté comme « le marin avec la figurine Skitty » dès le premier jour était probablement une mauvaise idée.
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Les autres marins qui appartenaient à son équipe le saluèrent quand il arriva. Ils avaient tous des cernes sous les yeux, et leurs sourires étaient fatigués. Cela venait probablement du travail épuisant, et des horaires de travail qui étaient difficiles à supporter. Marius avait été un peu surpris quand il avait vu de quelle heure à quelle heure il était censé travailler, mais, même si c’était lourd, ce n’était pas les horaires les plus épuisantes qu’il n’ait jamais faites.
….Réflexion faite, si, c’était probablement les pire. Mais il était fort, et il pouvait supporter la charge. Il ne s’appelait pas Marius Kosmo pour rien, après tout !
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Leur principale activité était de transporter des caisses lourdes jusqu’à la soute. Elles étaient fermées donc Marius ne pouvait pas voir ce qu’elles contenaient. Il les empila les unes sur les autres, jusqu’au soir, et, après avoir terminé, ses muscles étaient endoloris et il n’avait qu’une envie, dormir. Il s’apprêtait à faire ça quand son estomac lui rappela qu’il n’avait rien mangé depuis le midi, et, avec un soupir, il prit la direction de la cantine. Avec un peu de chance, elle ne serait pas complètement remplie et il trouverait une place assise.
Ce fut seulement quand il arriva à la cantine qu’il se rendit compte de quelque chose d’étrange.
Un silence pesant régnait dans la pièce, que seul le bruit que les couverts faisaient quand ils se cognaient l’un contre l’autre brisait. Les têtes étaient baissées, les regards fuyants, et personne ne parlait. Un frisson remonta le long du dos de Marius. Ce n’était pas normal.
Il resta figé, comme une statue de glace, pendant quelques secondes, puis, prit un plateau avant de se diriger vers une place vide, et commença à manger en silence. La nourriture avait probablement un goût, mais, tout ce qu’il arrivait à sentir, c’était le goût amer de sa propre salive.
Il regarda à droite, à gauche, puis, une fois qu’il fut sûr que personne ne le regardait, et en prenant garde à ne pas se pencher ni tourner la tête, il chuchota à son voisin, un marin qui avait travaillé avec lui plus tôt dans la journée et qui faisait partie de la même équipe que lui :
- Dis, est-ce que tu pourrais me dire ce qu’il se passe ici ?
La main du marin qui tenait la fourchette s’arrêta à mi-chemin, et le marin en lui-même lui jeta un coup d’œil, si rapide que Marcus aurait presque pu le manquer s’il ne faisait pas attention. Puis, le marin avala sa salive.
- C’est toi le nouveau de tout à l’heure ? Un conseil : Ne parle pas. Ne pose pas de questions, et garde la tête baissée. Ne cherche pas à savoir ce qu’il se passe ici, et, si tu le découvres par accident, fais comme si tu ne savais rien. Ne fais pas de vague et du garderas ton boulot.
Il fit une pause, puis, sur un ton encore plus bas, il continua :
- N’essaie pas de dire à qui que ce soit en dehors du Lavandia Sea ce qu’il se passe ici si tu veux garder ta vie.
Un nouveau frisson remonta le long de sa colonne vertébrale, mais, cette fois, il s’ancra dans ses os et refusa de partir.
Il baissa le regard sur ses mains. Elles tremblaient.
Quand il partit vers sa chambre après avoir mangé, il avait l’impression qu’on l’observait. Mais, quand il tourna le regard, il ne vit personne.
Il essaya de faire taire sa peur. Il était entré dans la gueule du Grahyèna et maintenant, il ne pouvait plus faire demi-tour, car qui sait ce qu’il se passerait s’il démissionnait maintenant.
Il devait être en pleine forme. Ils levaient l’ancre demain.
(Il n’arriva pas à s’endormir cette nuit, hanté par ses pensées qui revenaient sans cesse sur à quel point il était facile de se débarrasser de corps en pleine mer).