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Conte de sorcières de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 07/05/2024 à 15:03
» Dernière mise à jour le 07/05/2024 à 15:03

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

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Chapitre 5 – L’anémone fleurit à l’ombre
Un plafond de chaux craquelée. Ce fut la première vision de Lily lorsqu’elle se réveilla. Agressés par la blancheur vive, ses yeux se refermèrent aussitôt. Elle n’avait pas la moindre idée de l’endroit où elle se trouvait. Elle n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage : alors qu’elle essayait de se redresser, une voix s’éleva.

— Oh, Lily, tu es réveillée ! Quel soulagement…

Un parfum fleuri envahit soudain les narines de Lily. Ses yeux bruns, avant de rencontrer l’obscurité, capturèrent un éclair de douceur rose et bleu qui scella l’enchantement de cette embrassade protectrice. Déboussolée, la jeune fille resta les bras ballants durant une fraction de seconde, avant d’enlacer à son tour Morgana, les larmes aux yeux.

Les derniers événements lui revinrent en mémoire : la dispute avec sa mère, sa fuite dans les bois, la rencontre avec les braconniers… Sans Morgana, elle serait sans doute…

Ce fut à cet instant qu’elle comprit ce qui s’était passé. Elle enlaça la jeune femme plus fort, secouée par des sanglots saccadés. Sa gardienne lui tapota gentiment la tête et susurra :

— Tout va bien, ma chérie… Tu n’as plus rien à craindre, maintenant.

Touché par ces paroles, le jeune lys cessa bientôt de s’épancher, et l’embrassade prit fin. Tandis que Lily séchait ses larmes, sous le regard attendri de Morgana, elle prit connaissance de son environnement : comme elle s’en doutait, elle se trouvait dans le cottage de l’alchimiste. Soulagée, et surtout, vidée de ses forces, l’adolescente se laissa retomber sur ce qui s’avérait être le canapé bleu turquoise du salon.

Un délicieux sommeil tirait sur ses paupières. Ainsi allongée, elle sentait ses nattes blondes lui lécher le cou. Les jolies tresses avaient perdu de leur superbe. Les mèches folles qui s’en échappaient lui collaient au visage, imprégnées de sueur. Luttant contre l’appel du rêve, Lily se força à rouvrir les yeux, pour ne pas inquiéter Morgana. Sa curiosité naturelle reprit alors le dessus.

— Dites, Morgana…

— Oui ? s’enquit l’alchimiste, fébrile.

— Que s’est-il passé, après que… j’ai perdu connaissance ?

— Eh bien… Je t’ai rattrapée avant que tu ne tombes, pour que tu ne te blesses pas, puis je t’ai hissée sur Aster et je t’ai amenée ici. Tu vas bien ?

La jeune fille hocha timidement la tête.

— Je vais quand même t’examiner, au cas où.

Même si elle pouvait constater par elle-même qu’elle n’avait rien de cassé, Lily la laissa faire. Seul un léger mal de crâne entravait son esprit. Mais il y fourmillait des milliers de questions, comme toujours. Elle ne savait simplement pas laquelle poser en premier. Au vu de son état, elle avait plus de chances que jamais d’obtenir des réponses.

Tandis que la guérisseuse examinait son bras droit, elle tenta sa chance :

— Morgana… Comment avez-vous fait, tout à l’heure, pour invoquer ce pilier de flammes ? se décida-t-elle enfin. On aurait dit… de la magie.

La jeune scientifique lâcha un profond soupir.

— Je suppose que tu as entendu ce qu’ont dit les braconniers, tout à l’heure…

De quoi parlait-elle ? Le cerveau de Lily était trop embrumé. La scène avec les braconniers lui revenait seulement sous forme d’images floues et déformées. Le mur de flammes était sans conteste la plus vive.

— …Tu les as entendus me traiter de “sorcière” ?

Oh. Oui, ça. Comment avait-elle pu l’oublier ?

Elle acquiesça, impatiente d’entendre la suite.

— Tu sais, ce n’est pas un hasard si, tout à l’heure, j’ai choisi de te montrer l’ébullition de l’eau pour illustrer mon travail. Je voulais absolument te montrer le côté logique et terre à terre de l’alchimie. Sinon, tu aurais pu te méprendre… Et à ton tour me traiter de sorcière, comme eux, expliqua Morgana en soupirant.

Puis elle libéra le bras gauche de sa patiente, qu’elle avait examiné plus que de raison, absorbée par ce qu’elle racontait.

— Bon, il semblerait que tu ne sois pas blessée, annonça-t-elle avec un soulagement non dissimulé.

Lily se redressa pour de bon sur le canapé, cette fois, et ramena ses jambes contre elle. Bien plus captivée par le récit de Morgana que par son état physique, elle ne tarda pas à poser une nouvelle question emplie de curiosité.

— Vous voulez dire que… Ce que j’ai pris pour de la magie, ce n’était rien d’autre que le fruit de l’alchimie ? reprit Lily avec excitation.

— Oui, tout à fait. Laisse-moi te montrer.

La jeune fille regarda l’alchimiste se lever pour se diriger vers un comptoir de la cuisine. Elle révéla alors un vase jusque-là caché par sa silhouette, posé sur la table basse derrière elle. Un vase qui n’était pas là le matin même. Il contenait un magnifique bouquet d’anémones violettes, rouges, roses et blanches fraîchement cueillies.

“Quelles belles anémones ! Morgana a vraiment bon goût.” songea Lily.

Elle était heureuse d’avoir en commun avec Morgana l’amour des fleurs. Tout ce qui pouvait la rapprocher de cette femme si impressionnante la ravissait. La voilà qui revenait, dans toute sa splendeur. Elle tenait à la main un long bâton de chêne. Un sceptre. Celui qu’elle tenait lorsqu’elle les avait sauvées, Aster et elle. Il était orné d’une sphère translucide d’un orange fade. Une voix soufflait à Lily que ce petit élément était d’une importance capitale, malgré sa couleur terne. Morgana confirma bientôt son intuition.

— C’est grâce à ceci que j’ai invoqué le pilier de flammes qui a encerclé les braconniers, expliqua l’alchimiste.

Elle ne désignait pas le sceptre en lui-même, mais bien le globe de cristal vermeil incrusté au sommet du bâton.

— Cette sphère est l’une de mes inventions, poursuivit-elle. Mais elle n’est pas tout à fait au point…

Morgana soupira. Elle semblait découragée. Lily ne comprenait pas.

— Que voulez-vous dire ? Ces flammes étaient vraiment impressionnantes !

— Oh ça, pour être impressionnantes, elles l’étaient… Mais dis-moi, en cet instant, est-ce que cette sphère ne te semble pas un peu…

— Terne ? tenta la jeune fille, mal à l’aise.

C’était la réponse évidente, à n’en point douter. Mais Lily se sentait mal à l’idée de critiquer la création de cette femme si brillante qu’elle admirait tant.

— Terne, oui, exactement, acquiesça la scientifique. Elle est… éteinte. En fait, ce cristal renfermait les flammes de Whiskers, le petit Grillepattes que tu as rencontré ce matin. Plus précisément, il contenait un fragment de sa capacité Danse Flammes. Tu te souviens ? C’est ce que j’ai crié quand je suis arrivée pour vous sauver.

Sa jeune interlocutrice hocha la tête, fascinée. Elle buvait les paroles de son aînée. Et, bien que sa bouche ne reste muette de respect, son esprit fourmillait d’interrogations. Bientôt, le flot de pensées, tout aussi impossible à retenir que les vagues déferlantes de l’océan, se mua en flot de paroles.

— Le tout petit Whiskers est capable de produire de pareilles flammes ? s’exclama-t-elle.

Morgana secoua la tête.

— Non, bien sûr que non. Il est si frêle… Ce cristal enferme les flammes de Whiskers, et tout comme le ferait un Pokémon dressé, les libère lorsqu’on lui en donne l’ordre. Mais il amplifie également leur puissance. C’est sans doute le seul réel avantage de cet objet, soupira-t-elle. Je suppose que tu t’en doutes désormais, mais hélas, mes cristaux ont un gros défaut… Ils sont à usage unique.

Lily écarquilla les yeux. Voilà à quoi était due cette teinte orange si délavée !

— Finalement, c’est une invention qui porte très bien son nom… Je l’ai baptisée Crystalide. Au départ, la symbolique de la chrysalide faisait uniquement référence au fait que le cristal conserve la capacité en son sein, comme un cocon protecteur, pour être finalement libérée lorsqu’elle est utilisée. Mais… on peut pousser la métaphore encore plus loin, car, tout comme les plus fragiles des papillons, ma Crystalide est éphémère, et condamnée à s’éteindre aussitôt embrasée…

À ces mots, elle détacha le petit orbe de son piédestal de chêne et le présenta de sa main gantée à Lily. La jeune fille put alors l’observer de plus près : à l’intérieur du cristal, la couche vermeil qui recouvrait les parois de la sphère s’effritait par endroits, révélant des taches noires. Les morceaux calcinés coulaient sur les parois en de minuscules gouttes, qui s’amoncelaient en bas. Bientôt le cristal lui-même se mit à suinter, jusqu’à ce que le globe entier s’affaisse sur lui-même, fondu.

Cette vision provoqua en Lily un mélange de fascination et de terreur. Pourtant, malgré les traînées liquides bouillantes qui se déversaient sur sa main, Morgana semblait très calme, et pour cause : elle portait des gants, ceux-là mêmes qui avaient accueilli le corps brûlant de Whiskers quelques heures auparavant.

La sérénité incarnée, la jeune femme se leva avec douceur et jeta ses gants dans une bassine en bois remplie d’eau près de la cuisine. Le contact entre le tissu brûlant et le liquide glacé provoqua un jet de fumée. Cette réaction chimique fit sursauter Lily, à fleur de peau. Il lui faudrait du temps pour oublier cette sensation de mal-être qui lui collait au corps.

Elle secoua la tête pour chasser ses idées noires. Elle se concentra sur Morgana, et l’aura de mystère qui l’entourait. Une nouvelle question se forma alors dans son esprit. Une pensée d’une simplicité aberrante, mais pourtant bien plus profonde que toutes celles que lui avait jusque-là inspirées cette étonnante femme.

— Bon, eh bien, Lily, reprit cette dernière, puisque tu vas bien, tu vas pouvoir rentrer chez toi. Au vu des circonstances, je préfère te raccompagner. C’est la moindre des choses.

Sa protégée ne répondit pas tout de suite. Son regard se perdait dans le vague, là où personne ne pouvait l’atteindre. Elle était une princesse enfermée dans son palais mental. Cependant, ce n’était pas un prince qui pourrait la libérer… Mais bien des réponses à ses questions.

— Morgana ?

Tout comme son esprit, sa voix semblait venue d’ailleurs. Elle décontenança quelque peu la scientifique :

— O-oui ? Qu’y-a-t-il ?

— Pourquoi ?

Morgana la regarda sans comprendre. Elle sentait bien que cette interrogation n’avait rien à voir avec ce qu’elle venait de dire, mais elle ne savait pas à quoi sa jeune invitée faisait référence.

— De quoi parles-tu ? demanda-t-elle posément.

— Pourquoi faites-vous ça ?

L’expression de Lily était si complexe que Morgana ne sut comment l’interpréter.

— J’ai bien peur de ne pas comprendre ta question, ma chérie.

— Quel est votre but ? explicita l’adolescente. Pourquoi créer de telles inventions ? Que cherchez-vous à faire ?

L’alchimiste eut beau tenter de ne rien laisser paraître, Lily constata toute la portée de sa question lorsqu’elle vit les fossettes de ce doux visage ovale trembler. Morgana lui adressa malgré tout un sourire éclatant.

— Comme je te l’ai dit, nous autres, alchimistes, cherchons à mieux comprendre le monde.

— J’ai bien compris. Mais il ne s’agit que d’une ligne directrice. Entre découvrir la loi de l’ébullition de l’eau… et inventer une machine capable de reproduire les capacités Pokémon… Il y a tout un monde, justement, vous ne trouvez pas ? J’ai l’impression que vos inventions vont au-delà de ça, déclara Lily avec calme.

Son ton n’était ni accusateur, ni dégoûté. On n’y percevait que de l’intérêt : une curiosité pure et dévorante, qui toucha le cœur de scientifique de Morgana. Son sourire de façade se changea alors en un rire franc et léger qui lézarda les murs du palais mental de la princesse, bien désarçonnée.

— Haha ! Eh bien Lily, j’ai l’impression que tu es encore plus curieuse que je ne l’étais à ton âge ! Et c’est dire !

Lily se rembrunit.

— Je suis désolée. Vous pensez que c’est mal ? On me dit souvent que je pose trop de questions. Même mes instituteurs me le reprochaient… Parce qu’ils n’arrivaient pas à avancer dans leurs leçons… Mais ce n’est pas de ma faute si le monde est si fascinant…! se défendit-elle.

Suite à cette anecdote, le rire de Morgana s’intensifia, ce qui détendit quelque peu la jeune fille. Elle se surprit à sourire à son tour. Elle concéda que tout compte fait, c’était assez drôle.

— Ce sont eux qui ont tort ! décréta Morgana. Enfin, Lily, pensais-tu vraiment que j’allais condamner ta curiosité, alors même qu’elle est le fondement de la science ? Au contraire, je trouve vraiment belle la façon dont tu t’intéresses aux choses qui t’entourent.

— C’est parce qu’elles sont dignes d’intérêt. Vous êtes digne d’intérêt, Morgana. J’aimerais mieux vous comprendre… mieux vous connaître.

La jeune Lily retint son souffle. Son cœur tambourinait dans sa poitrine après un tel aveu.

— Voilà qui est adorable. Mais, comme je te l’ai déjà dit, l’objectif de mes travaux n’est pas le genre de sujet dont on doit discuter avec une jeune fille qui n’est même pas encore adulte.

Encore un refus. Il fallait s’y attendre. Mais Lily n’avait pas encore dit son dernier mot.

— Alors racontez-moi au moins ce qui est arrivé à vos cheveux ! S’il vous plaît…

Morgana poussa un léger soupir, mais le rictus qui déformait le coin de sa bouche trahissait son amusement. Elle laissa échapper un petit éclat de rire.

— Bon, bon d’accord… Mais uniquement parce que je sens que tu ne lâcheras pas l’affaire autrement. Mais après ça, je te raccompagne chez toi, ajouta-t-elle d’un ton ferme.

Lily bondit de joie à cette déclaration.

— Marché conclu ! Oh, merci, Morgana !

— Il n’y a pas de quoi, répondit cette dernière, de plus en plus amusée. Bon, commença-t-elle, tu ne sais que trop bien que je suis amie avec une Galopa du nom d’Aster.

— Difficile de l’oublier…

— En effet. Mais ce que tu ignores sans doute, ce sont les pouvoirs extraordinaires dont sont dotées ces belles créatures. Et bien que ce soit le cas de tous les Pokémon, ce n’est pas un hasard si les Ponyta et les Galopa de Galar sont particulièrement prisés des braconniers. C’est une espèce de Pokémon qui possède un incroyable don de guérison, notamment en ce qui concerne les empoisonnements. Leur pouvoir est un antipoison universel ! Quelle avancée ce serait pour la médecine que de réussir à en faire un médicament ! Au village, on a sûrement dû te dire qu’en plus d’être alchimiste, j’étais également guérisseuse.

Son interlocutrice hocha la tête. Elle restait murée dans un respectueux silence, de peur de rater une miette de ce récit croustillant.

— J’ai commencé ma carrière comme guérisseuse, reprit l'alchimiste. Je me suis ensuite orientée vers l’alchimie, mais mes connaissances en médecine me sont toujours très précieuses, surtout pour aider les habitants de Corrifey – même s’ils ne le méritent pas toujours, maugréa-t-elle. C’est pour cette raison que je me suis intéressée à cette espèce de Pokémon. C’est en allant à leur recherche que j’ai rencontré Aster. Nous sommes devenues de bonnes amies, et elle a accepté de me présenter à ses congénères. Après de longues semaines de patience, tous les Ponyta et Galopa de la forêt m’ont accordé leur confiance, et m’ont autorisée à les étudier.

Lily écoutait religieusement Morgana, recevant chaque mot avec une ardeur à chaque fois plus vive de recevoir le suivant. Elle ne voyait pas du tout où l’alchimiste voulait en venir, et cela rendait le récit d’autant plus palpitant.

— En observant ces Pokémon, j’ai fini par découvrir que leur pouvoir guérisseur résidait dans leur corne. Pour tenter de créer cet antipoison universel dont je rêvais, il m’aurait fallu un bout de corne de Ponyta ou de Galopa. Mais je ne pouvais pas décemment mutiler des Pokémon pour le bien de mes expériences… Cela va à l’encontre de tous mes principes, et cela aurait détruit la belle confiance qu’ils me portaient. J’ai donc renoncé à mes recherches, mais j’ai continué à venir les voir, car un véritable lien d’amitié s’était créé entre nous. Cela aurait pu s’arrêter là, mais… un jour, alors que je me trouvais avec eux, l’un de ces beaux équidés s’est fait attaquer par des braconniers. Oui, cette histoire doit te sembler affreusement familière. Malheureusement, cette petite Ponyta a eu moins de chance qu’Aster. Il n’y a pas eu de courageuse jeune fille pour venir prendre sa défense.

Lily rougit de plaisir à ce compliment.

— Je suis arrivée trop tard… La petite s’est si férocement défendue que les braconniers ont pris la fuite. Mais elle avait reçu plusieurs coups de couteau… Elle a perdu beaucoup de sang… J’ai tout fait pour essayer de la sauver… Mais elle a succombé à ses blessures, conclut-elle tristement. Comme je me suis sentie impuissante ! J’étais incapable de regarder ses congénères – sa famille ! – dans les yeux. J’avais failli… Mais eux, dans leur immense grandeur d’âme, m’ont au contraire remerciée d’avoir essayer de la sauver. Et, tu t’en doutes, pour me montrer leur gratitude…

— Ils vous ont laissé récupérer la corne de la Ponyta…? devina Lily d’une voix tremblante.

Morgana hocha la tête d’un air sombre.

— Lorsque je l’ai rapportée chez moi, je me sentais… illégitime. Comment pouvais-je envisager d’utiliser un fragment de ce bel être disparu, si pur et innocent, pour mes expériences humaines ? Au début, j’ai refusé d’y toucher. Mais… tout comme toi, je dispose d’une curiosité bien trop forte. Plus le temps passait, plus la douleur de l’incident se faisait lointaine. Jusqu’à ce que la soif de connaissance l’emporte. Alors, un jour… J’ai sauté le pas. J’ai concocté un prototype de mon antipoison miracle. Mais pour savoir s’il fonctionnait vraiment, je devais le tester.

Pour une fois, Lily n’osa pas poser la question qui la démangeait.

— Tu te demandes sûrement comment je l’ai testé…

La jeune fille acquiesça. C’était exactement ce qu’elle se demandait. Et elle avait peur de la réponse.

— Eh bien… J’ai cherché dans mon armoire à poisons une substance peu nocive. C’est à ce moment que j’ai découvert que je possédais surtout des poisons mortels, haha !

Mais la plaisanterie ne fit pas rire Lily. Elle commençait à voir où l’histoire de Morgana voulait l’emmener, et cela ne lui plaisait pas du tout.

— Le poison le moins dangereux que je possédais était un poison qui attaque la pilosité des mammifères, révéla l’alchimiste. Il détruit les pigments qui colorent les poils et les rend gris comme ceux d’un vieillard. Je pense que tu comprends ce qui s’est passé, maintenant. Ou du moins, en partie.

Non, Lily refusait de comprendre. Pourquoi faire une chose pareille ?

— J’ai ingéré le poison, annonça tout naturellement Morgana, puis mon prototype d’antipoison. Mais le prototype était loin d’être parfait… L’effet de la corne de Ponyta avait dû faiblir avec le temps. J’ai trop tardé à l’utiliser… Mes cheveux autrefois bruns se sont dépigmentés sous l’effet du poison, et sont devenus gris… Avant de reprendre aussitôt leurs couleurs. Enfin, non, pas leurs couleurs… Mais bien d’autres couleurs. Ce méli-mélo absurde de rose et de bleu qu’ils arborent désormais. Oh, oui, tu dois te demander pourquoi…

Non, Lily se demandait surtout comment Morgana avait pu s’infliger cela, et surtout comment elle pouvait prendre la chose tant à la légère. Ce qu’elle venait d’entendre l’avait secouée plus qu’elle ne voulait bien l’admettre. Mais la scientifique, happée par son récit, ne s’en aperçut pas et lui exposa ses idées avec un détachement stupéfiant.

— Eh bien, je pense qu’une réaction alchimique tout à fait fascinante a eu lieu entre le poison et mon prototype… Pourquoi, plutôt que de rendre à ma chevelure la teinte qu’elle avait avant la dépigmentation, l’antipoison lui a-t-il donné ces couleurs…? Ma théorie personnelle, c’est que mon remède a essayé de rendre à ma “crinière” ses couleurs, comme si j’étais moi-même une Ponyta. Je te l’accorde, ce n’est pas très réussi, car ce bleu et ce rose sont assez différents du turquoise et du violet des poils de crinière de Ponyta, mais peut-être le gris a-t-il interféré d’une quelconque manière ? Ou alors le brun s’est mélangé aux autres couleurs ? Non, je sais que ce n’est pas ça, les résultats que j’ai obtenus en analysant le spectre des couleurs ne correspondent pas. Roh, quelle énigme fascinante !

Fascinante, c’était jusqu’ici le mot qui venait le plus souvent à l’esprit de Lily pour décrire Morgana. Mais, en cette fin d’après-midi d’automne, alors que Morgana venait de lui confier l’un de ses nombreux secrets, cette fascination avait soudain revêtu une signification inattendue… et bien plus sombre.