Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Conte de sorcières de MissDibule



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 26/03/2024 à 00:07
» Dernière mise à jour le 27/03/2024 à 09:54

» Mots-clés :   Aventure   Conte   Famille   Galar   Médiéval

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 2 – La camomille se plaît au soleil
« Les alchimistes sont en quête de la connaissance des règles qui gouvernent la nature. »

Lily relut cette phrase avec attention. Morgana cherchait donc à mieux comprendre le monde. Une ambition démesurée aux yeux de la jeune fille. Elle s’apprêtait à poursuivre sa lecture quand une voix l’interpella.

— Lily, tu peux descendre, s’il te plaît ? J’ai besoin de toi pour une livraison !

Arrachée à sa lecture, l’adolescente soupira et ferma à contrecœur l’ouvrage. Elle descendit les marches de bois sombre en traînant les pieds. Sa mère l’attendait au bas de l’escalier, les bras chargés d’un énorme pot de fleurs de camomille.

— Ah te voilà ! s’exclama Rose. J’aimerais que tu livres ça. Voilà l’adresse. Je t’ai dessiné un plan du village au dos.

À ces mots, la mère de Lily lui tendit la camomille, que la jeune fille cala tant bien que mal sous un bras, tandis qu’elle prenait le papier griffonné de l’autre. Elle écarquilla les yeux lorsqu’elle vit le nom de la destinataire.

Morgana.

Bien sûr. Rien d’étonnant à cela. La jeune femme était non seulement une alchimiste, mais aussi la guérisseuse du village. Et la camomille était connue pour ses vertus médicinales.

— Ça va, ce n’est pas trop lourd ? s’inquiéta sa mère, l’arrachant à ses pensées.

— Hein ? Ah euh, non, ça ira ! J’ai déjà livré bien plus lourd !

— C’est vrai. Ma fille est grande et forte, maintenant !

Ses yeux bleus brillaient de fierté. Lily se contenta de sourire, à la fois gênée et heureuse. Alors que sa mère lui ouvrait la porte, le regard de Rose devint soudain plus sombre.

— Oh, et, ma chérie…

— Oui ? s’enquit Lily, surprise par son air grave.

— Fais attention quand tu seras là-bas. Cette Morgana m’a eu l’air un peu… originale, quand elle est passée à la boutique l’autre jour. J’ai entendu dire que c’était quelqu’un de bien, mais on ne sait jamais.

Lily fronça les sourcils. Originale ? Faisait-elle allusion à ses cheveux ? Sa mère jugeait-elle Morgana sur son apparence ? Une voix lui soufflait que oui. Elle espérait se tromper. Peut-être Morgana s’exprimait-elle d’une façon particulière qui avait retenu l’attention de sa mère.

Ou peut-être pas.

Lily n’avait qu’une hâte : le découvrir par elle-même.

— Je ferai bien attention, c’est promis, lui assura-t-elle.

— Alors à tout à l’heure, ma chérie.

Lorsque la porte se referma derrière elle, Lily sentit un vent de liberté caresser ses nattes blondes. Elle s’apprêtait à découvrir la vraie Morgana, loin des échos déformés des racontars. Déterminée, Lily s’engagea sur le sentier de terre. La pénombre caractéristique de Corrifey l’enveloppait de ses réconfortantes ombres. Les champignons illuminaient la voie.

Il pouvait être déroutant de ne pas savoir quelle heure il était, mais Lily adorait cet aspect du village. Il renforçait son impression d’intemporalité. Ici, le temps ne passait pas vraiment. Ou plutôt, il s’écoulait d’une façon différente.

Le temps de Corrifey ne coule pas comme un fleuve infini. C’est une cascade de gouttes, qui tombent les unes après les autres, et s’amoncellent pour former un paisible lac.

Lily se sentit minuscule lorsqu’elle traversa le pont de bois situé sous l’immense racine de l’arbre millénaire qui trônait au centre du village. Combien d’épreuves ce vieil arbre avait-il pu affronter ? À l’inverse, Lily n’était qu’une jeune pousse, une petite graine fraîchement plantée.

Elle songea à ce que l’avenir lui réservait. Une vie paisible, à vendre des fleurs avec sa mère et lire ses livres favoris au coin du feu, dans le bucolique village de Corrifey. Elle sourit à cette pensée, et huma l’odeur d’écorce. Cette vie-là lui convenait tout à fait.

Une légère douleur dans son bras droit la ramena à la réalité : son paquetage commençait à peser lourd. Elle vérifia le plan griffonné par sa mère et pressa le pas. Ses souliers vernis claquaient contre le bois ancien. Bientôt, elle atteignit la grand-place du village. Là, elle se retrouva au cœur du marché matinal, qui battait son plein.

Un mélange hétéroclite d’arômes et de bruits vinrent soudain titiller les sens de Lily. L’explosion de couleurs vives des étals éclaboussait les environs. Cette âme curieuse aurait voulu s’arrêter pour découvrir toutes ces merveilles, mais elle avait un devoir à accomplir. Elle passa donc son chemin, à regret, et continua à cheminer vers le nord, pour enfin parvenir jusqu’à l’orée du village.

C’était le moment qu’elle redoutait le plus. Elle allait quitter le village pour entrer dans la forêt de Lumirinth, peuplée de Pokémon sauvages. Durant sa vie, elle n’avait eu que peu de contacts avec ces créatures. On lui avait toujours dit qu’elles pouvaient être dangereuses. Elle avait lu tant d’histoires et de légendes relatant des catastrophes causées par des Pokémon qu’elle n’avait aucun mal à le croire.

Mais elle n’allait pas se laisser décourager pour autant. Le cœur battant, Lily inspira profondément et s’engouffra dans la noirceur de la forêt. Si Corrifey était plongée dans la pénombre, la forêt, elle, était plongée dans les ténèbres. Lily sentit des sueurs froides perler sur son front. Heureusement, ses fidèles champignons luminescents étaient toujours là pour éclairer son chemin.

Réconfortée par leur douce lumière verte, Lily se mit à avancer avec prudence. Soudain, elle sentit son bras frôler quelque chose. Une lumière rose vif jaillit soudain à ses côtés : un autre champignon venait de s’illuminer. Elle pouvait donc les allumer par un simple toucher ! Elle esquissa un sourire : son appréhension se transformait en amusement.

Elle poursuivit son chemin avec allégresse. Elle promenait ses doigts avec délice sur les dômes qui se coloraient, laissant sur son passage une traînée de lumières multicolores. Si elle croisa des Pokémon sauvages, elle ne les remarqua pas, tout occupée qu’elle était à batifoler. Lily parvint ainsi jusqu’à chez Morgana, sans même s’en rendre compte.

Lorsqu’elle aperçut enfin la demeure de l’alchimiste, elle en resta bouche bée.

Elle irradiait de lumière.

La maisonnette, inondée de soleil, illuminait les ténèbres de la forêt, tel un phare dans la nuit. Ombre et lumière se côtoyaient là, sans jamais se croiser. Lorsqu’elle pénétra dans le cercle lumineux, les rayons dorés caressèrent la peau de Lily. Elle se rendit compte à quel point cette douce chaleur lui avait manqué.

La maisonnette était semblable à toutes les habitations de Corrifey, du colombage sombre au lierre rampant, encore plus fourni que sur la façade de la maison de Lily. Mais le cœur de la demeure résidait dans son hôte. Lily l’aperçut dans son jardin, aux côtés d’une majestueuse Galopa. Sans un bruit, elle s’approcha.

Assise sur un tabouret de bois, Morgana appliquait une substance jaune citron sur l’encolure de la créature, en lui murmurant des mots rassurants. Les couleurs pastel de leurs chevelures superposées dissonaient, créant une cacophonie de teintes absurdes. Rose dragée, violet lilas, bleu layette, vert turquoise. Des couleurs criardes aux contrastes qui ne pouvaient s’accorder. Et pourtant, Lily discerna de l’harmonie dans cette rhapsodie.

Elle resta un long moment à les contempler, fascinée par cette belle complicité. Une fois le baume étalé, Morgana posa son front sur celui de la jument et lui chuchota de douces paroles. Lily retenait son souffle. Elle craignait de briser la beauté de cette scène par sa seule présence.

Au bout d’une éternité, Morgana se leva. Elle donna une ultime caresse à la Galopa, qui disparut entre les arbres. Puis, enfin, Morgana se retourna vers Lily. Cette dernière, fascinée par ce spectacle, fut prise sur le vif. Lorsque le regard d’encre de Morgana se posa sur elle, elle devint écarlate.

Avant que Lily ne puisse dire quoi que ce soit, Morgana se mit à rire. Un rire profond et mélodieux, comme une symphonie. Un rire qui décontenança Lily.

— Eh bien si je ne me trompe pas, c’est la deuxième fois que je te surprends en train de m’observer !

— Je… Je suis désolée, je ne voulais pas…

« Vous espionner » était la suite logique de sa phrase, mais Lily ne voulait pas vraiment admettre à haute voix qu’elle avait fait quelque chose d’aussi impoli.

Morgana secoua la tête, ses fines lèvres arquées en un petit sourire.

— Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave. En ce moment, tout le monde me dévisage. Et je dois dire qu’il y a de quoi… admit-elle, les yeux rivés sur sa chevelure.

Son sourire naissant s’évanouit, et elle soupira.

— J’espère que tu ne me prends pas pour un monstre.

Lily écarquilla les yeux.

— Bien sûr que non ! Vous savez, je… Je les trouve beaux, moi. Vos cheveux.

Lily se fit violence pour contenir toutes les questions qu’elle se posait à ce sujet.

Ce fut au tour de Morgana d’ouvrir de grands yeux étonnés.

— Tu es bien la première à me dire ça. Merci. Ça fait du bien d’être face à quelqu’un qui ne me regarde pas d’un air interrogateur, voire dégoûté.

Le sourire de Morgana revint alors illuminer son visage. Un sourire franc et chaleureux.

— Je vous en prie, c’était sincère, répondit Lily en lui rendant son sourire. Oh, mais quelle impolie je fais, je ne me suis même pas présentée ! Je suis Lily. Ravie de vous rencontrer.

À ces mots, la jeune fille empoigna sa jupe de tartan brune de sa main libre, plaça une jambe en arrière et s’inclina avec respect, dans une parfaite révérence. La surprise de Morgana parcourut à nouveau ses grandes prunelles sombres, et son rire envahit à nouveau l’atmosphère.

— Nul besoin d’être aussi formelle, voyons ! Je me moque bien de l’étiquette. Pas de révérence ici, affirma-t-elle avec force. Approche donc !

Intimidée, Lily s’exécuta.

— Je m’appelle Morgana, mais je suppose que tu le savais déjà. Oh, mais Lily, c’est moi qui suis bien impolie, à te faire attendre avec un tel fardeau dans les bras !

Il fallut une seconde à la jeune fille pour comprendre que Morgana parlait du pot de camomille qu’elle tenait encore, coincé sous le bras. L’espace d’un instant, elle l’avait complètement oublié, ainsi que la raison de sa venue ici.

— Ah oui, c’est vrai ! Tenez, voici la camomille que vous avez commandée à ma mère, dit-elle en lui tendant le pot de fleurs.

Morgana s’en saisit avec délicatesse.

— Merci d’avoir fait tout ce chemin pour me l’apporter.

— Ce n’était rien…

— Puis-je t’offrir une tasse de thé pour te remercier ? lui proposa Morgana.

— Oh, oui, merci, avec plaisir ! s’empressa d’accepter Lily.

La jeune livreuse brûlait d’impatience à l’idée d’apercevoir l’intérieur de la demeure de Morgana. La maison d’une alchimiste ! Toutes ses lectures des derniers jours lui revinrent en mémoire. Les alchimistes passaient leurs journées à faire des expériences, mélangeant liquides et ingrédients pour tenter de percer les secrets de la nature. La maison d’un alchimiste devait être un spectacle fascinant.

Lily suivit Morgana avec entrain à l’intérieur de la maisonnette. Elles furent accueillies par un charmant salon décoré d’une cheminée en pierre et de fauteuils aux motifs floraux. Un peu plus loin se cachait une petite cuisine aux couleurs chatoyantes. Mais le regard de Lily glissa aussitôt vers le fond de la pièce, qui s’ouvrait sur une immense pièce vitrée. Elle débordait de soleil et de plantes en tous genres.

« Mais pas de camomille, apparemment ! » songea Lily avec humour.

Au centre de la lumineuse pièce, devant les portes vitrées qui menaient au jardin, trônaient des meubles en bois recouverts de récipients en verre aux formes étranges. Des liquides de toutes les couleurs bouillonnaient à l’intérieur. Lily mourait d’envie de s’approcher pour contempler plus en détail chaque fiole, chaque goutte colorée qui suintait sur le verre.

La panoplie de Morgana l’alchimiste.

Lily la fixait avec tant d’intensité que son hôte s’en rendit compte.

— Je vois que mon atelier t’intéresse ! C’est là que je fais mes expériences, expliqua Morgana. Je suis alchimiste.

— Oui, c’est ce qu’on m’a dit. J’ai fait des recherches sur l’alchimie. Est-ce vrai que les alchimistes cherchent à percer les secrets de la nature ? demanda Lily.

Les yeux de Morgana brillèrent.

— Oui, tout à fait ! Notre vocation, à nous autres, alchimistes, est de découvrir les règles logiques qui gouvernent notre monde.

— Mais, en quoi est-ce que cela consiste, exactement ?

Lily avait du mal à comprendre cette idée, tant elle lui semblait ambitieuse.

Morgana sourit.

— Laisse-moi te donner un exemple.

Puis, sous le regard intrigué de Lily, elle se saisit de grosses moufles posées sur le plan de travail en bois clair de la cuisine et se dirigea vers la cheminée, où était suspendue une petite marmite noire remplie d’eau. La jeune fille la suivit, avide de comprendre. Morgana se pencha avec douceur vers l’âtre.

— Whiskers, j’aurais besoin de ton aide, s’il te plaît, dit-elle alors.

Lily la regarda d’un œil étonné. Mais elle s’abstint de tout commentaire et continua à observer. Quand soudain, elle le vit. Un long insecte au corps serpentin, d’un rouge vif éclatant, émergea de l’amas de bois, sous la marmite. Ses petits yeux jaunes, dans lesquels Lily lut tout d’abord de l’animosité, s’illuminèrent à la vue de Morgana.

Cette dernière présenta ses mains gantées au nouveau venu, qui s’empressa de sauter dessus. Il plongea son regard dans celui de l’alchimiste. Lily jurerait l’avoir vu sourire.

— Moi aussi je suis contente de te voir ! J’aimerais faire du thé pour ma nouvelle amie Lily et moi. J’aurais besoin de ton aide pour faire bouillir l’eau, s’il te plaît.

L’insecte rougeoyant hocha la tête et disparut de nouveau au milieu des bûches d’un bond agile. Une seconde plus tard, le bois s’embrasa, et l’eau commença à chauffer. Lily se demandait où est-ce que Morgana voulait en venir. Plusieurs secondes passèrent, puis des minutes entières jusqu’à ce qu’enfin, des bulles apparaissent à la surface de l’eau.

— Et voilà, l’eau pour le thé est prête ! s’enthousiasma Morgana.

N’y tenant plus, Lily intervint alors :

— C’est formidable, mais… Je croyais que vous alliez me donner un exemple de règle alchimique ?

— Tout à fait, et j’ai choisi comme exemple l’ébullition de l’eau, répondit Morgana d’un ton calme.

Ses yeux d’encre se déversèrent dans les prunelles brunes de Lily. Cette dernière lui rendit son regard, intriguée.

— L’ébullition de l’eau ? répéta-t-elle, sceptique.

— Que sais-tu de ce phénomène, Lily ?

— Eh bien… Je sais que l’eau bout lorsqu’on la chauffe pendant assez longtemps.

Elle se sentit stupide d’énoncer une vérité aussi évidente. Morgana attendait sûrement plus de précisions.

— Oh, mais il faut aussi que le feu soit suffisamment fort, sinon l’eau ne pourra pas bouillir, n’est-ce pas ?

Lily trouvait toujours sa réponse indigente, mais Morgana la regarda d’un air satisfait.

— Absolument. Tu as dit l’essentiel. Pour faire bouillir de l’eau, deux critères sont à prendre en compte : l’intensité du feu et la durée de chauffe. Et ces critères, ce sont les alchimistes qui les ont énoncés.

— Oh… fit simplement Lily.

Elle s’était imaginée des lois grandiloquentes quand elle avait lu « les règles qui gouvernent le monde ». Des règles liées aux astres, aux saisons… Elle ne pensait pas que cela pouvait aussi désigner des choses aussi triviales qu’une marmite d’eau bouillante. Et pourtant… Si l’on ignorait cette vérité élémentaire, difficile de faire bouillir de l’eau.

— On peut donc résumer la loi qui régit l’ébullition de l’eau ainsi : « L’eau liquide, lorsqu’elle est suffisamment chaude, se transforme en vapeur d’eau. ». En effet, si l’on n’éteint pas le feu et l’on continue à faire chauffer la marmite, l’eau va s’évaporer. C’est fascinant, n’est-ce pas ? Lorsque l’eau est exposée au feu, elle finit par disparaître, comme par magie.

Tandis qu’elle parlait, Morgana préparait le thé. Lorsqu’il fut prêt, elle le versa dans deux tasses de porcelaine posées sur la table de la cuisine, puis elles prirent toutes deux place à la table pour continuer leur conversation.

— Oui, mais l’eau n’a pas vraiment disparu, non ? intervint Lily tandis qu’elle s’asseyait. Elle se trouve toujours dans l’air, mais nous ne pouvons pas la voir, c’est bien ça ?

— Tout à fait. Tu es bien renseignée.

À ces mots, le cœur de Lily se gonfla de fierté.

— Pour terminer avec cet exemple, maintenant que nous avons établi la règle alchimique de l’ébullition de l’eau, nous pouvons déterminer la méthode pour parvenir à reproduire l’expérience. On peut la résumer ainsi : « Pour faire bouillir de l’eau, exposez-la à un feu intense durant plusieurs minutes. » conclut Morgana.

Lily hocha la tête. La démonstration de Morgana n’était pas très impressionnante, mais elle avait le mérite de présenter un phénomène facile à comprendre.

— J’ai choisi cet exemple pour sa simplicité, mais c’est vrai que ce n’est pas le plus spectaculaire, puisque n’importe qui peut faire bouillir de l’eau, ajouta Morgana dans un rire.

Elle porta sa tasse à ses lèvres sans pour autant boire : elle était trop absorbée par ce qu’elle expliquait.

— C’est une évidence, reprit-elle. Mais c’est justement parce que les alchimistes de l’ancien temps ont eu à cœur de conserver une trace écrite de leurs observations qu’il s’agit aujourd’hui d’une évidence pour tout le monde. Voilà le but des alchimistes : comprendre les transformations de la matière pour mieux la maîtriser.

Lily comprenait mieux les enjeux d’une telle profession. Ils lui semblaient toujours titanesques, mais le discours de Morgana lui avait rendu l’alchimie bien plus palpable.

— C’est une profession exigeante, qui demande de la patience et du dévouement, avoua Morgana en soupirant.

Lily laissa échapper un petit rire. Morgana la fixa d’un air interdit. Gênée, Lily s’empressa de s’expliquer, les joues rougissantes :

— Désolée, ce n’était pas du tout pour me moquer de vous ! C’est juste que je vous ai apporté de la camomille, et justement, en langage des fleurs, la camomille désigne le dévouement. J’ai ri de la coïncidence. Je trouve que ça vous correspond très bien.

Morgana retrouva aussitôt sa bonne humeur.

— Haha, eh bien, merci ! C’est vrai que je ne manque pas de cœur à l’ouvrage… Et ça me joue parfois des tours.

Cette dernière phrase plongea soudain la pièce dans un lourd silence, chargé d’électricité. Le visage de Morgana s’assombrit à nouveau, frappé d’un éclair de mélancolie. Dans ses yeux noirs s’agitait un terrible orage, qui semblait prêt à éclater en une pluie de larmes. Enfin, elle se laissa choir sur son fauteuil, comme foudroyée.

Lily résista à l’envie dévorante de lui demander ce qui n’allait pas. Gênée, elle se mit aussitôt à fixer ses gants de cuir. De longues secondes passèrent dans un silence assourdissant. Puis, incapable de se retenir plus longtemps, Lily céda à la curiosité.

— Est-ce que tout va bien ?

Morgana se redressa en sursaut, comme si elle venait seulement de se rappeler la présence de Lily.

— Oh, je… Oui, ne t’en fais pas, répondit l’alchimiste d’un ton peu convaincant. De quoi parlions-nous, déjà ?

— Eh bien… Vous disiez que votre enthousiasme pour votre travail vous jouait parfois des tours, lui rappela Lily.

— Ah oui. Bien sûr. Je parlais de… ça.

À ces mots, elle lui présenta une mèche de son immense chevelure pastel.

Lily sentit une pointe d’excitation poindre dans sa poitrine.

— Vous voulez dire… Vos cheveux…?

Morgana hocha la tête.

— Oui… Cette chevelure absurde est le résultat d’une expérience ratée.