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Une lumière dans les ténèbres de oska-nais



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» Auteur : oska-nais - Voir le profil
» Créé le 18/12/2023 à 18:22
» Dernière mise à jour le 28/12/2023 à 17:56

» Mots-clés :   Absence de combats   Drame   Famille   Johto   Organisation criminelle

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Les fantômes du passé
Chapitre 1 : Les fantômes du passé

Parce qu’on a toujours besoin de quelqu’un pour nous soutenir, surtout dans les moments les plus durs
« Yuro, debout ! Tout le monde est déjà levé, arrête un peu de paresser. Tu comptes dormir toute la journée ? »

C'était sa mère.
Il connaissait la suite. Il l'avait vécue des milliers de fois, cette journée. Éternelle répétition. Cycle impossible à briser.

Encore

Il entendit sa mère soupirer au loin.
Il ne voulait pas se lever. Il se recroquevilla, cachant son museau encore plus profondément sous ses touffes de poils, se forma en une petite boule plus compacte encore qu’auparavant.
Il ne voulait pas se lever.

Et encore

Elle commença à marcher de long en large, il entendait ses pas.
Elle compta jusqu'à dix.

Et encore

Ça y était. Bientôt, elle se dirigerait vers l'endroit où il dort, pour le secouer énergiquement et lui lécher le visage de sa lange râpeuse. Il ne voulait pas. Il était tellement fatigué.

Avec effort, il se releva. Soit il se levait, soit c’était sa mère qui viendrait le lever de force. Ses muscles encore gourds protestèrent violemment quand il commença à les mouvoir.

Il avança vers l'entrée de la tanière, et ses yeux émeraude, magnifiques, et pourtant ternes, si ternes, croisèrent ceux de sa mère, qui lui renvoyèrent un regard exaspéré. Elle en avait assez de devoir le traîner en dehors de son lit, il en était sûr.

Il s'assit à l'entrée de la grotte, avec les autres membres de sa petite famille, dans un rai de lumière qui lui fit plisser les yeux. Il détestait la lumière, si tôt le matin…


Il y avait là son père, Absol de stature imposante. Un rapide échange de regards, et Yuro sut immédiatement qu’il allait à coup sûr tenter de le faire venir chasser avec leur famille et les autres familles d’Absol vivant aux alentours. Depuis que sa petite sœur avait commencé à montrer un intérêt pour la chasse, il était moins insistant dans ses demandes, bien qu’il l’incitât encore régulièrement à les accompagner.

Était également présente sa petite sœur, un printemps à peine, la vivacité du torrent qui se déversait avec violence sur les rochers, la rapidité d'un Léopardus, et les yeux encore grands ouverts de curiosité infantile. Elle était très difficile à suivre, et toujours à fureter partout. De toute sa famille, c’était elle qui lui témoignait le plus d'affection. C’était la seule avec qui il se sentait en sécurité, la seule avec qui il savait qu’il pouvait être lui-même sans avoir l’impression qu’il était jugé de tout côtés.

Et bien évidemment, sa mère, l'oeil sévère, le regardait avec exaspération. Il voyait pourtant toujours de l’amour briller dans ses yeux quand elle les posait sur lui, mais il savait ce qu’elle pensait de lui. Elle pensait qu’il ne faisait rien, et se laissait soutenir par les autres. Elle pensait qu’il était paresseux, et ne faisait jamais aucun effort pour quoi ou qui que ce soit. Il savait qu’elle le pensait incompétent. Elle lui avait déjà dit en face ce qu’elle pensait de lui. Elle le pensait étrange. Anormal. Défectueux. Elle n’avait pas tort.

Il l'avait entendue en parler avec son père, alors qu'il essayait de s'endormir. Il aurait préféré ne jamais le savoir, mais les murs de la caverne résonnent. Et il aurait beau se boucher les oreilles, il ne pouvait pas effacer, il ne pouvait pas oublier ces mot qui résonnaient, encore et encore, entre les murs de son crâne.

Avant cet évènement, il n’avait jamais compris ce que les gens voulaient dire quand ils disaient que les mots laissaient des plaies béantes alors que les blessures physiques se refermaient.
Maintenant, il ne comprenait que trop bien.

Il était resté là, à somnoler un instant, quand il entendit la voix de sa mère l’appeler depuis l’extérieur de la grotte.

« Yuro, on va se promener dans les bois, avec ta sœur ! Surtout, tu ne bouges pas, hein ? »

Bien évidemment qu’il ne bougerait pas ! À quoi s’attendait-elle ? Où irait-il de toute façon, s’il s’en allait ?

« Tu es sûr que tu ne veux pas venir, fiston ? » Lui demanda père. « Un peu de chasse, ça te dérouillera les os comme rien d'autre ! »

Non, il ne voulait pas bouger. Il préférait rester dormir. Et puis, la vue du sang le faisait vomir. Il préférait ne pas savoir l’origine de ce qu’il mangeait.

« Tu ne veux pas revoir tes amis ? »

Yuro sentit son corps se figer. Il se mit à frissonner, bien qu’il n’aucun vent ne s’engouffrât dans l’entrée de la caverne menant sur l’extérieur.
Non, il ne voulait pas revoir les autres.

Il secoua vigoureusement la tête de droite à gauche, et recula de quelques pas tremblants.

Sa mère emmena son père à l'écart.

« Tu vois bien qu'il n'est pas normal. Inutile d'essayer de lui apprendre, ça ne donnerait rien. Tu vois bien, il est… il est… à part. »

Ce n’était pas la première fois qu’elle l’appelait ainsi dès qu’elle pensait qu’il ne pourrait pas l’entendre, et ce ne serait sans doute pas la dernière. Pourtant, pourquoi cela faisait-il toujours si mal ? Il aurait dû être habitué et désensibilisé, depuis le temps. Il n’avait pas été aussi surpris que la première fois à l’entente de ces mots, car il les avait déjà entendus maintes et maintes fois auparavant. Cela ne ferait jamais aussi mal que la première fois qu’il l’avait entendu, mots comme du poison s’infiltrant dans son cœur, alors même qu’il croyait que tous ses efforts pour faire comme les autres avaient porté leurs fruits. Et il n’en pouvait plus d’être anormal, anormal, anormal aux yeux de sa mère, et il avait essayé, encore et encore, mais il n’y arrivait pas. Peu importe ce qu’il faisait, cela paraissait toujours être une erreur, la mauvaise chose à faire pour ses parents, et, malgré tous ses efforts, les mots revenaient encore et toujours sur la langue de sa mère, tranchant et lacérant ce qu’il restait de lui, laissant à chaque fois un peu moins de lui vivant.


Après quelques mots échangés avec sa mère, son père obtempéra, et accepta de le laisser derrière.
Et il les vit partir, joyeux, sa petite sœur lâchant un rire cristallin en gambadant entre leurs deux parents. Une image d’une famille parfaite, heureuse et unie. Il sentit des larmes lui piquer les yeux, et se retint tant bien que mal de les laisser couler.


Il se leva, retournant se coucher sur son tapis de feuille. Il en avait assez vu pour aujourd’hui, et il n’avait pas envie d’être toujours là quand ses parents rentreraient.
Soudain, une explosion résonna près de son oreille. Il recula d'un coup, gémissant. Son oreille sifflait tellement qu’il se demanda un bref instant si son tympan avait été percé. Sans réfléchir, il détala loin du bruit, hors de la grotte, tandis que les gravats soulevés par l'explosion lui retombaient sur le museau.


*************
Elle ne savait vraiment pas pourquoi on avait appelé cette tâche une « traque ». Après tout, il s’agissait seulement de se rendre d’un point A à un point B, d’immobiliser puis endormir une proie et de communiquer sa position à un véhicule posté en retrait pour qu’on vienne les chercher. Il n’y avait en général qu’une recherche dans un périmètre restreint, quand un Pokémon ne se trouvait pas à l’endroit où on s’attendait à le trouver.

Laura était une sbire de la Team Rocket depuis longtemps déjà. Comme une grande partie des autres sbires, elle était envoyée de temps à autres pour remplir le rôle de “chasseuse”. Son rôle consistait à recevoir des commandes du boss, Giovanni, concernant un ou plusieurs Pokémon, qu'elle devait aller chercher pour les ramener à la base, morts ou vifs, dépendant du bon vouloir de l’acheteur. Cela permettait à Giovanni de gagner une somme rondelette d'argent à chaque commande passée, et cela était un des moyens des de financement de l'organisation. Une petite partie de cet argent lui revenait, suffisamment pour subvenir à ses besoins, et en général un peu plus. Malheureusement, même si c’était de l’argent qu’elle devait à Giovanni, ce n’était pas en argent qu’elle pourrait rembourser cette dette. Elle devait travailler pour lui, et elle devrait le faire jusqu’à sa mort.

Elle marchait dans la forêt, parfois sur des sentiers au tracé à peine discernable sous l’herbe qui les recouvrait presque intégralement, parfois en pleine nature, sur un tapis sec de feuilles mortes aux teintes rousses chaudes qui craquaient sous chacun de ses pas. Les odeurs de terre et de mousse emplissaient l’air et lui apportaient un mince réconfort à chaque inspiration qu’elle prenait. Elle détestait vraiment ce travail.
Inspire, droite, expire, gauche.
Elle n’avait pas le luxe de s’arrêter pour prendre une pause, mais se concentrer uniquement sur sa respiration, sur les odeurs de la forêt, sur les bruits de ses pas sur le sol, sur les cris des Roucoul et des Piafabec provenant des hautes branches situées loin au dessus de sa tête, sur les frémissements des buissons aux alentours, sur la fraicheur de l’air, permettait de la distraire, même pendant un bref instant, du train de ses pensées roulant à tout allure et tournant en rond comme une boucle infernale.

Elle jeta un coup d'oeil à son poignet. Le trajet avant d'arriver à l'endroit où avait été signalée sa proie du jour était indiqué en bleu sur la carte de son Pokématos, et autant dire que ce n'était pas la porte à côté. Elle s’arrêta pendant un instant le temps de réorienter sa carte, et, comme à chaque fois qu’elle se retrouvait trop longtemps à réfléchir, ses souvenirs, qui s’accrochaient à elle comme les fils d’une toile de Migalos à sa proie, et qui la suivaient comme son ombre, revinrent la hanter. Au moindre instant d’inattention, ils la rattrapaient.
Y repenser, c'était le meilleur moyen de culpabiliser. Toujours regarder devant soi. Ne pas se retourner.
Avec le temps, elle s'était planifiée une routine qui lui laissait le moins de temps libre. Le moins de moments pour penser au passé. Elle devait toujours faire quelque chose pour se distraire pendant ses pauses, même si ce n’était pas en rapport direct avec le travail. Ne jamais s’arrêter de bouger. Malheureusement, les longues périodes de traque comme celle-ci lui laissaient toujours le temps de penser, à un moment ou à un autre. Elle avait juste à vérifier de temps à autres sa position sur la carte, et, le reste du trajet n’était peuplé que par ses propres pensées. Se concentrer sur son environnement ne fonctionnait que pendant un temps, et, tôt ou tard, elle finissait toujours par céder.

Elle marchait, marchait, encore et encore, et son esprit commença à dériver.

Comment en suis-je arrivée là ?
La question déclencha un raz-de-marée dans son esprit.

Elle monta des digues contre la déferlante, mais, une par une, elles se s’abattirent face à la violence du torrent.

Les souvenirs commencèrent à s’infiltrer entre les planches de ses barricades mentales. Elle tenta en vain de boucher les espaces entre les planches avec ses mains, essayant de s’empêcher par sa volonté seule de se rappeler, mais ses souvenirs, aussi insaisissables et mortels que l’eau, lui glissaient entre les doigts.

Le niveau de l’eau, montait, montait, et elle se sentait couler.

Elle se voyait, petite, devant le regard attendri de ses parents. Tout avait bien commencé, pourtant…
Quand ? Quand cela avait-il commencé ? Neuf ans ? Dix ? Onze ? Elle ne savait même plus exactement.
Toujours était-il qu'à une certaine période de sa vie, quand elle était encore plutôt jeune, elle s'était prise d'une passion dévorante pour la réparation de machines, puis pour la programmation. Elle avait acquis des compétences et connaissances impressionnantes sur le sujet à une vitesse affolante, et très vite, ce passe-temps était devenu envahissant. Petite, elle ouvrait déjà tout appareil électronique qui lui tombait sous la main. Ça avait d'abord commencé doucement, avec l’appareil photo de ses parents, puis son premier Pokématos quand elle en avait eu un, puis son premier ordinateur portable, puis la télé du salon... Dans sa chambre, des ordinateurs, démontés, remontés, partout. Et puis, elle s'était amusée à changer la fonction première des appareils. Ses parents, très vieux jeu, voyaient ces activités d’un très mauvais œil, pensant qu’elle n’arriverait jamais à rien en suivant cette voie, mais tant qu’elle ne leur demandait pas, à eux, de lui acheter le matériel et qu’elle n’ignorait pas ses devoirs à faire pour l’école, ils la laissaient tranquille. Les machines qu’elle voulait, elle les obtenait principalement par l’intermédiaire d’autres membres de sa famille, à Noël, où à ses anniversaires.

C'était une boucle. Plus elle avait de matériel, plus elle s'améliorait, et plus elle s'améliorait, plus elle demandait du matériel, à chaque fois plus complexe dans son fonctionnement, même si c’étaient souvent de très anciens modèles dont personne ne voulait plus – Sérieusement, qui demandait encore un ordinateur portable à écran quand les premiers modèles disposant d’un holoécran étaient sortis sur le marché il y avait plus de dix ans ? –. C'était très vite devenu, plus qu'une passion, une spécialisation.
Puis tout avait dérapé.
C’était le premier Avril.
Elle avait treize ans et avait eu une idée stupide.
Elle avait piraté le site de la mairie de sa ville, et avait remplacé toutes les images par des photos de Skitty mignons sortant de sa collection personnelle.
Elle était naïve, jeune et inconsciente, et n’avait pas imaginé un seul instant que ce qu’elle venait de faire était illégal, ni que cela pouvait avoir des conséquences embêtantes à l’échelle de la ville.
Pour elle, ce n’était rien de plus qu’une petite plaisanterie anodine.
Elle n’avait pas pensé à couvrir ses traces.
Quelques jours plus tard, ses parents avaient reçu un appel de police.

Pour eux, ça avait été la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. Ils avaient toujours accordé une importance démesurée à leur « réputation », et prenaient soin de celle-ci comme si elle était leur enfant. Quand ils avaient appris que leur fille avait commis une action pouvant leur causer du tort, ils n’avaient pas hésité un seul instant. Ils avaient vu rouge. Ils étaient entrés dans sa chambre et avaient tout saccagé, sous ses yeux. Son téléphone, son ordinateur portable, qu’ils avaient cogné plusieurs fois contre le mur, même son vieil appareil photo portable qui était déjà dépassé depuis des lustres quand elle l’avait tenu pour la première fois en main. À chaque fois que le son d’un écran violemment fracassé contre un mur arrivait jusqu’à ses oreilles, elle avait l’impression que c’était son cœur que l’on brisait. Devant ses yeux, elle voyait tous ses espoirs, tous ses rêves, toute sa vie, partir en fumée.

Le jour d'après, elle avait fugué, sans aucun mot, aucun avertissement, seulement ses maigres économies et ses vêtements sur le dos. Bientôt, il y eut des descriptions et photos d’elle dans tous les journaux, des affiches collées aux murs de la ville. Elle était trop jeune pour travailler quelque part. Elle les foules et supermarchés comme la peste, et rasait les murs, sa casquette baissée sur son visage, de peur de se faire reconnaître. Elle n’allait que dans de petites boutiques, et, chaque fois qu’elle mettait la main à sa poche pour payer, elle s’alarmait de la vitesse à laquelle les billets disparaissaient. Elle était consciente que, même en se rationnant et en limitant les dépenses au strict nécessaire, elle ne tiendrait pas longtemps.

Alors, ayant échoué à Céladopole, elle décida, en désespoir de cause, de se tourner vers le casino. Oh, ce sera juste une fois, et puis je n’ai rien à perdre, se disait-elle, et elle commença à jouer. Mais, bientôt, elle n’eut plus d’argent pour acheter de jetons. Alors elle commença à en emprunter à crédit au casino.

C'était là, dans une pièce sombre et humide, mais pourtant totalement propre, sans le moindre mouton de poussière, idéale pour mettre mal-à-l'aise les personnes qu'on y emmenait, qu'elle le rencontra pour la première fois. Quand elle le vit, la première chose qui lui vint à l'esprit, ce fut :
Mais il ne pense qu'à lui, ma parole ! Il est totalement arrogant !
En effet, malgré son air de prédateur, il n'avait sur lui pas un grain de poussière, et il s'accordait très bien avec son environnement : Il était habillé tout en noir, et levait le menton comme si le monde entier était sa propriété, et que ses interlocuteurs lui étaient inférieurs.

Il avait le regard sévère, et la regardait de haut, comme si elle n'était rien. Il était bien coiffé, en tailleur noir, mais pourtant, il n'avait pas l'air du tout de quelqu'un de respectable. Plutôt le genre de type qui tremperait dans des affaires louches. Son apparence ne s’en approchait pas du tout, mais elle avait pourtant l’impression de voir un Sharpedo quand son regard se posait sur ses yeux souriants, mais froids comme la glace, sur son sourire, à peine trop étiré, juste suffisamment pour donner une impression de malaise sans qu’on en sache la provenance. En même temps, puisqu'il tenait un casino, il n'était évidemment pas un type qui n'avait rien à se reprocher. En fait, se
fit-elle la réflexion en le regardant, ce serait l'apparence qu'on pourrait donner à la mort quand elle viendrait nous prendre.

Il lui avait dit, d'un ton impérieux : « C’était donc toi, cette fillette qui n’arrêtait pas d’emprunter des jetons sur crédit ? J’ai bien peur que tu aies dépassé la date limite de remboursement. J’espère que tu as suffisamment d’argent pour payer ce que tu me dois, ainsi que la somme supplémentaire pour le retard. Alors, j’attends. Où est l’argent ? »

Elle détestait qu'on la prenne de haut. Elle lui a répondu : « Pourquoi est-ce que je devrais payer ? » d'un ton pas du tout impressionné.

Et là, il était descendu de son trône. Il s'était placé en face d'elle. Et là, sans prévenir, il l’avait agrippée par les cheveux, puis, d’un mouvement trop rapide pour le suivre des yeux, il l'avait plaquée par terre. Il l'avait immobilisée sur le ventre avec une violence telle qu’elle en avait eu le souffle coupé, et qu’elle avait ressenti le choc dans tous ses os. Il avait ensuite appuyé son pied sur son dos, et elle avait senti le talon de sa chaussure s’enfoncer dans son dos, avec une pression grandissante.
Toujours en lui tenant les cheveux, il s'était penché sur elle, et, de son haleine empestant le vin, il lui avait susurré à son oreille :
« Parce que tu n'es rien face à moi. Parce que je tiens ta vie entre mes mains. Tu n'es qu'un déchet, et tous les déchets de ton genre m'obéissent. »
Son Persian s'était approché. Il avait collé ses griffes contre sa gorge.
« Tu es à ma merci, et je crois que tu as des dettes à me payer. »
Il l'avait fouillée.
« Ah, tiens, comme c'est dommage… je constate que tu n'as rien pour moi, allez, quoi, seulement… cinquante pokédollards ? C'est dérisoire, comparé à ce que tu m'as emprunté. Et il me semble que tu es recherchée pour bien plus, alors... »

Et là, elle avait eu peur. Et là, elle avait tremblé, pendant qu'il l'écrasait par terre, de toute sa carrure. Et là, elle avait su qu'elle n'avait pas affaire qu'à un bandit de rien du tout.

« Cela dit, je pourrais tout aussi bien te tuer. Ou te torturer. Cela fait plusieurs jours déjà que je n’ai plus personne à torturer, et je commence à m’ennuyer. »

Et il éclata d'un rire lugubre.
Un sourire carnassier sur son visage.
Et elle trembla de tout son corps.
Panique. Une larme coula. Deux larmes.
Elle ne voulait pas mourir ! Pas si jeune !
Elle sentit un liquide chaud mouiller sa culotte.

L'homme, ravi de son petit effet, ménagea un temps de suspens en commençant à tourner autour d'elle comme un rapace autour de sa proie, les bras croisés derrière son dos, pendant lequel elle trembla, petite chose insignifiante comparée à lui. Il savourait sa victoire. Il savait qu'il avait gagné. Quoi qu’il puisse dire, elle ne pouvait pas refuser.

Il commença à parler à voix haute, l'air d'un orateur qui sait faire régner la terreur.

« Mais, comme je suis magnanime, je te laisse le choix. Tu mourras. Sauf si… »

Sauf si… ? Sauf si… ? Quoi ? Oh, pitié, faites que ce ne soit pas une condition humiliante ! Elle tremblait de tout son corps, en l'attente de la sentence.
Il se pencha sur elle, et son haleine alcoolisée manqua de la faire vomir. Elle se retint de justesse. Hors de question qu'en plus, elle se mette à respirer son propre vomi !

« Sauf si tu rejoins la Team Rocket. Ce sera considéré comme un travail. Tu recevras assez d'argent pour subvenir à tes besoins. Et les avis de recherches disparaîtront, pouf, comme s'ils n'avaient jamais existé. Malheureusement pour toi, tu en sais trop à présent. Si tu refuses, je ne pourrais pas te laisser partir autrement que les pieds devant. »
La Team Rocket ?! Cette organisation criminelle qui œuvrait dans l’ombre et dont on entendait parler de temps en temps aux informations, mais qu’on n’arrivait jamais à attraper ? C’était cet qui homme la dirigeait ?

« Je m'appelle Giovanni. Je gère ce casino, je suis champion de l'arène de Jadielle à mes temps perdus, mais, surtout, je suis le boss de la Team Rocket, et personne n'ose me chercher des noises. Tu n'aurais jamais dû mettre le pied dans ce casino. »

Il posa son pied sur son épaule, et commença à appuyer en faisant faire des petites rotations à sa cheville. La respiration de Laura se coupa un instant. La douleur affluait dans son corps, par vagues de feu plus violentes les unes que les autres, et pendant un instant terrifiant, elle ne put plus penser à rien, son esprit se brouilla sous la douleur, tandis que sa respiration se faisait de plus en plus rapide et que son cœur s’emballait. Puis, aussi brusquement que la douleur était arrivée, elle reflua. Laura réussit difficilement à lever la tête pour voir ce qu’il se passait. Giovanni avait enlevé son pied le temps de la laisser reprendre son souffle. Puis, il se pencha sur elle, lui releva la nuque, et, prise d’une panique primaire, elle se figea. Il approcha alors sa tête et lui susurra deux phrases à l’oreille. Deux phrases pleines de venin, ce genre de propositions qu’on ne pouvait refuser et dans lesquelles le choix n’était qu’illusion. Deux simples phrases qui allaient changer sa vie à tout jamais.

« Alors, que choisis tu ? Tic, tac. L’heure tourne, Laura. »


..
.

Laura secoua la tête. Ce n'était pas bien de remuer le passé, ou de s'en vouloir. Et elle n'avait pas eu le choix. Et elle n'était pas téméraire. Elle était lâche. Toujours là pour huer une personne avec les autres pour ne pas se faire huer dessus, dès que ça se compliquait pour elle, elle était la première à s'éclipser. D'ailleurs, elle ne pourra jamais se libérer du poids que faisait peser l'organisation sur ses épaules. Jusqu'à sa mort. Le credo de la Team Rocket était clair : On entre facilement dans la Team Rocket. On n'en sort que les pieds devant.
Au début, elle avait eu du mal à s'adapter.
Comme beaucoup d’autres sbires, elle n’avait jamais eu à torturer ou tuer qui que ce soit
– uniquement parce que le boss préférait faire tout cela lui-même – mais, comme tous les autres, elle laissait faire.
Elle souffrait, mais rien laissait paraître cela sur son visage. Peut-être s’était-elle endurcie. Peut-être était-elle devenue insensible. Elle ne savait pas. Elle ne voulait pas savoir. Elle savait que si elle y réfléchissait, si elle cherchait la réponse, elle se dégoûterait d'elle-même. Et c'était exactement ce genre de chose qui faisait toute la perversité du système de la Team Rocket. Les sbires se dégoûtaient tellement d’eux-mêmes que l’idée de partir ne leur traversait même plus l’esprit. Après tout, quel droit avaient-ils de vivre une vie normale après ce qu’ils avaient fait ? Ils ne méritaient rien de plus que cette vie de criminels, car c’était tout ce qu’ils étaient.

La vibration de son Pokématos à son poignet la ramena à la réalité. Elle secoua la tête pour chasser les nuages orageux de sombres pensées qui obscurcissaient son esprit. Il était temps de retourner au travail.

D'après le GPS, la cache de sa proie était toute proche. C'était maintenant qu'elle devait commencer à faire attention aux signes indicateurs de sa présence. Car, même si c'était bien sa tanière, elle pouvait ne pas y être. Partie à la chasse, ou simplement lassée de rester à l'intérieur. C'était tout à fait possible.

Celle-là. C'était celle-là, sa tanière, celle qu'indiquait le GPS. Elle mit sur son nez ses lunettes de vision infrarouge. Cela lui permettrait de savoir si la tanière était occupée ou pas, et si oui, par combien d’individus. Elle vit une silhouette rouge floue. Pour l’instant, elle ne pouvait pas savoir si c’était bien sa proie ou pas, mais au moins, il était seul. Il n’y avait plus qu’à le faire sortir et vérifier. Une chance. Elle n’était pas de taille à pouvoir gagner contre toute une famille d’Absols. Espérons juste qu'elle ne soit pas malade.

Elle regarda à droite, puis à gauche. Personne, mais il fallait toujours être prudent. Elle chercha à sa ceinture une grenade. C’était un modèle spécialement conçu pour faire plus de bruit que de dégâts. Elle produisait une explosion sonore, accompagnée d'une onde de choc faible, mais tout de même assez puissante pour apeurer celui qu'elle cherchait, et le faire sortir dare-dare. Elle activa la grenade, puis, les jambes fléchies, elle repéra l’entrée de la grotte, visa, et lança. La grenade décrivit un arc de cercle dans les airs, puis roula sur quelques mètres. L’explosion ne devrait pas tarder. Laura s’accroupit et se boucha immédiatement les oreilles. Elle n’avait pas vraiment envie d’avoir un sifflement dans les oreilles après l’explosion. Peu de temps après, elle entendit la détonation, et grimaça légèrement. Elle détestait vraiment le bruit des grenades.

Il ne manqua pas de tomber dans son piège. Il sortit en trombe de son repaire, paniqué. D'où elle était, cachée derrière un buisson, Laura pouvait très bien imaginer les pensées de sa proie. Il se disait sûrement quelque chose comme « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? C’est quoi ce bruit ? »

Elle pouvait voir sa panique dans ses grands yeux émeraude écarquillés.
Elle pouvait voir son désœuvrement dans les mouvements hasardeux de ses épaisses pattes.
Elle pouvait voir son agitation tandis qu'il essayait de déterminer l'origine de la menace, faisant se balancer sa mèche blanche sur le côté de son museau au rythme des mouvements de ce dernier.
Elle pouvait voir son poil d'une blancheur éclatante avec de magnifiques reflets rouges, ébouriffé par le souffle de l'explosion.
Elle pouvait voir son museau couvert de poils rouges humer l'air environnant, cherchant une odeur inhabituelle, ou ennemie.

À cet instant, elle comprit pourquoi la personne qui avait passé commande voulait un spécimen pareil.

Elle retira ses lunettes pour mieux observer la bête.
Ils étaient vraiment magnifiques, les Absol chromatiques.

Un grognement de l’Absol la sortit de sa contemplation.
Pendant qu’elle l’observait, il s'était déjà mis en position défensive, et fixait le buisson derrière lequel elle s’était cachée avec une agressivité feinte, le regard paniqué. Il avait dû sentir sa présence. Dès à présent, tout se jouerait en quelques secondes. Il lui restait peu de temps.

Yuro vit son adversaire bondir du buisson. C'était une de ces créatures bipèdes et roses, qui pleuraient pour un rien, et qui avaient eu besoin de ces sortes de boules bicolores pour étendre leur domination sur les autres espèces. Ils étaient intelligents, mais ne savaient pas se défendre.
Inoffensives, en somme. Il resta cependant sur ses gardes. Ce que ces créatures manquaient en force physique, ils le compensaient en dangereux outils. Et, de ce qu’il avait pu voir, cette créature-là était venue préparée. Si sa mémoire était bonne, ils s’appelaient eux-mêmes humains, il croyait ? Oui, ça devait être ça.

Mais quelque chose le dérangeait avec cette humaine là. Extérieurement, elle n'avait rien de menaçant. Une créature pataude, déséquilibrée, qui n'avait pas l'air d'avoir compris que la marche à quatre pattes était bien plus stable.

Il plissa le nez, et huma encore l'air. Non, c'était son odeur. Une odeur prédatrice. Comme une Vaututrice qui tournerait autour d'une charogne. Comme un Gueriaigle qui fondrait sur sa proie.

Elle commença à l'approcher.
Yuro l'observa encore.
Il se fit la réflexion qu’elle n'était pas si pataude que ça, et commença à reculer, doucement, toujours en positon défensive.

Soudain, elle sortit quelque chose de derrière son dos. C'était une sorte de long tube métallique, et, il lui semblait, creux au milieu. Il retroussa le museau, soudain beaucoup moins sûr de sa supériorité. C'était le genre d'objet qu'ils utilisaient pour tuer les Pokémon -et même les autres êtres humains- qui les gênaient, ou, en tout cas, ça y ressemblait. Un frisson glacé le parcourut de l’extrémité de sa queue jusqu’au bout de son museau, et il sentit ses muscles se raidir d’effroi. Même si un humain était faible quand il n’avait rien sur lui, avec ce genre de machine, il devenait redoutable. Yuro n'avait aucune chance, il le savait bien. On racontait que des machines comme ça crachaient des petites boules de métal, qui étaient travaillées pour percer tout, et qui vous traversaient de part en part le corps. Personne ne savait exactement ce que l'on ressentait, en s'en prenant une, parce qu'aucun Pokémon qui se faisait blesser par un de ces engins ne vivait assez longtemps pour le raconter.
Néanmoins, selon ce que racontaient ceux qui avaient assisté à ce genre d’exécutions en restant cachés, les cris que poussaient les mourants étaient déchirants, et permettaient de supposer sans trop s’avancer que la douleur qu’ils éprouvaient était intense.

En conclusion, elle cherchait à le tuer.
Il ne devait pas paniquer.
Il ne devait surtout pas paniquer.
Il devait rester calme pour pouvoir analyser la situation et choisir une direction où le terrain lui donnerait l’avantage, et où il pourrait la semer facilement...
Il paniquait. Il n’arrivait plus à penser, plus à bouger, plus à respirer.
Il allait mourir. Il allait mourir. Il allait mourir.
Du calme.
Inspire,
un, deux, trois, quatre.
Expire,
quatre, trois, deux, un.

Partir.
Partir, tout de suite.
Yuro ne sentit même pas les muscles de ses pattes commencer à se mouvoir sous lui. Un instant il était debout, figé comme une statue devant l’assaillante et son arme, l’instant d’après il courait à perdre haleine, ses griffes plongeant régulièrement dans le sol de terre humide, le son de sa propre respiration irrégulière couvrant tous les autres bruits de la vie de la forêt autour de lui.


Elle dégaina un objet accroché à sa ceinture. Comme elle le pensait, le Pokémon avait tout de suite reconnu dans cet objet une menace potentielle. C'était fou à quel point les rumeurs circulaient rapidement, parmi eux.

Elle fit semblant de viser. Mais, avec grand étonnement, l’Absol en face d'elle n'était pas paralysé par la peur, comme normalement tous les autres Pokémon jeunes et inexpérimentés l’étaient.
Loin de là. Il ne s'était pas fait prier pour partir en courant. Laura soupira. Parfois, les Pokémon étaient plus réactifs que la moyenne. Ou alors, ils remarquaient le bluff derrière son attitude. C'était rare, mais cela arrivait parfois. Et, si Laura n'avait aucune réticence à courir et faire du sport en forêt, cela devenait immédiatement moins agréable quand il fallait qu’elle pourchasse une proie lui ayant échappé.

Pourtant, elle avait fait attention, cette fois. Elle avait bien imité la pose, et rien dans l'expression de son visage n'aurait pu la trahir. Aucun Pokémon n'aurait pu deviner qu'elle ne tenait pas un pistolet dans sa main, mais une lampe torche… N’est-ce pas ?

Elle n’avait pas le temps d’y penser. Sa proie commençait déjà à s'éloigner. Elle n'avait pas vraiment l'air d'être habituée à courir. C'était étrange, quand on y pensait, un Absol qui ne courait pas, ce serait vraiment dommage qu’il soit blessé, elle n’avait pas vraiment pas envie que sa paye soit réduite. Elle s'élança à sa suite. Entraînée comme elle l’était, et profitant du calme que l’habitude et la répétition lui procuraient, elle sauta de rocher en rocher, de tronc d'arbre en tronc d'arbre, se mouvant rapidement dans ce terrain peu adapté à la course. L'Absol, lui, peu habitué à courir et effrayé, regardait sans cesse derrière lui, en trébuchant sur ces mêmes rochers qui lui servaient d'appuis, sur ces mêmes racines qu'elle enjambait sans même avoir besoin de leur jeter un regard. Elle le rattrapa facilement.

Yuro pantelant et en sueur, courait avec l’énergie du désespoir. Il courait plus vite qu’il n’avait jamais couru, perdait son souffle, ne sentait plus ses pattes qui bougeaient mécaniquement sous lui.
Et pourtant, cela ne semblait pas assez pour la distancer. Il entendait le bruit que faisaient les pattes de sa poursuivante derrière lui et elle se rapprochait.

Il entendit le bruit d’un pied glissant dans la terre humide.
Puis il n’entendit plus rien.
Il jeta un regard désespéré derrière lui. Elle était dans les airs. Elle était dans les airs. Elle avait sauté et elle allait atterrir sur lui et elle allait l’assommer et le capturer ou le tuer et il était fichu, et il était fichu et il était fichu et il allait mourir.
Il n’aurait qu’une tentative.

Il banda ses muscles. Il ne devait pas se manquer. Un peu trop tard, et il se faisait avoir. Un peu trop tôt, et il ne calculerait pas bien sa trajectoire.

Rassemblant toute l’énergie qui lui restait, il sauta. Il atterrit sur ses quatre pattes. Il n’avait pas glissé, c’était déjà ça. Il tenta de se relever, mais à peine eut-il fait trois pas qu’il tituba. Il ne pouvait plus continuer, il était épuisé. Il se retourna, espérant de toutes ses forces que l’humaine avait été prise au dépourvu et n’avait pas réussi à atterrir dans une bonne position. S’il avait correctement calculé son coup, alors elle se cognerait la tête contre le rocher et, dans le pire des cas, l’assommerait suffisamment longtemps pour qu’il aille chercher les autres Absol pour leur demander de l’aide.

Laura vit le sol se rapprocher à toute vitesse. Surprenant. Cet Absol était plus rusé que ce à quoi elle était habituée. Malheureusement pour lui, il n’était pas le seul à avoir plus d’un tour dans son sac.

Juste avant qu’elle atterrisse, elle tendit sa jambe en avant pour amortir la chute et empêcher sa tête de heurter le sol, mais, au moment où son pied entra en contact avec le sol, il se prit l’impact de plein fouet. Des élancements de douleur remontèrent le long de sa jambe, et elle grimaça. C’était mauvais signe, et elle aurait probablement du mal à marcher correctement pendant plusieurs jours, mais elle préférait ça à un traumatisme crânien.
Utilisant la force de l’impact, elle se propulsa en avant à l’aide de sa jambe endolorie, grinçant des dents. Elle pourrait se plaindre autant qu’elle voudrait, mais pas avant d’avoir accompli ce qu’elle était venue faire.

Pendant un bref instant, son regard croisa celui de l’Absol. Ses yeux étaient écarquillés. Par la surprise ou la terreur, elle n’aurait su dire. Peut-être par les deux à la fois.
Puis, elle le heurta à pleine vitesse, et ils tombèrent tous deux au sol, roulant au sol, l’un sur l’autre, l’autre sur l’un, chacun tentant d’attaquer les points faibles de l’autre.

En très peu de temps, il apparut clair, aussi bien pour l’un que pour l’autre, que l’Absol avait l’avantage. Il était certes beaucoup plus fatigué que Laura et pouvait à peine bouger, mais il était aussi plus massif qu’elle, et, Laura, qui aurait normalement pu compter sur sa petite taille et sa rapidité pour esquiver plus facilement, avait du mal à bouger aussi vite qu’elle aurait pu à cause de sa jambe, et le fait qu’ils s’échangent des coups au corps-à-corps n’arrangeait en rien la situation. Elle devait réfléchir vite, et réfléchir bien, si elle voulait parvenir à s’en sortir et à ramener l’Absol à la base. Elle jeta un regard scrutateur aux alentours, cherchant quelque chose, n’importe quoi, qui aurait pu lui servir. Son regard balaya le sol à sa droite et tomba sur un rocher. Aux bords arrondis et polis comme un galet, il n’avait pas une forme idéale pour sa main, étant un peu trop gros, mais Laura se pensait tout de même capable de le soulever. Il ferait l’affaire. L’Absol, au lieu de profiter de la situation pour fuir comme elle s’y attendait, était resté au dessus d’elle, soupçonnant probablement une ruse. Elle étendit le bras, et se saisit du rocher. Les yeux de l’Absol, qui comprenait enfin ses intentions s’écarquillèrent d’un coup, et, paniqué, il tenta de reculer, se prenant les pattes dans le terrain rocailleux. Malheureusement pour lui, il était trop tard. Laura n’aimait pas vraiment avoir à en arriver là, mais elle ne pouvait pas se permettre de rentrer bredouille. Qui savait ce que Giovanni lui ferait s’il la considérait comme incompétente.

D’un mouvement rapide du bras, elle heurta la tempe de l’Absol avec la pierre.

Yuro eut à peine le temps de voir un mouvement flou dans sa vision périphérique, avant d’entendre un bruit sourd.
Pendant un instant, il eut l’impression que le temps s’arrêtait.
Puis la douleur le heurta de plein fouet. Violente, il ne pouvait plus ressentir qu’elle. Il avait l’impression qu’il percevait le monde autour de lui au travers d’une couche d’eau. Vision troublée, sons distordus, mouvements retardés, sensations étouffées. Il ne sentait plus le sol sous ses pattes, et tenta de reculer, tandis que son esprit consumé par la douleur peinait à formuler des pensées cohérentes, et lui disait de fuir, de s’en aller, le plus vite possible.
Il entendait la voix de sa poursuivante, mais ils se perdaient quelque part avant de se transformer en mots, et le sifflement dans ses oreilles refusait obstinément de s’arrêter. Les bordures de sa vision étaient complètement obscurcies, et il ne voyait plus que des taches de couleur floues qui se fondaient les unes dans les autres et se séparaient sans logique apparente.
Il ne fit que quelques pas, le monde tournoyant atrocement autour de lui, trop lumineux, trop bruyant, puis soudainement, tout s’arrêta.
Il ne sentit pas l’impact quand son corps heurta le sol.


*************

Quand il ouvrit ses yeux, un mal de tête tenace brouillant ses pensées, il ne vit que du noir, ou qu’il porte son regard. La pièce était étroite, sombre, et l’humidité suintait des murs. Il frissonna. Il se releva lentement sur ses pattes, et fit quelques pas tremblants, jaugeant ses alentours. Par bien des aspects, l’endroit ressemblait à sa grotte. Et pourtant, à bien y regarder, les différences lui sautaient aux yeux, et à chaque détail qu’il remarquait, son cœur ratait un battement, et l’endroit lui paraissait plus tordu, plus cruel, une grotesque imitation de l’endroit qu’il appelait « chez lui ». La première chose qu’il remarqua fut , bien évidemment, l’absence de toute issue. Alors que la grotte avait une large entrée de laquelle partaient plein de petites galeries, cet endroit était clos, et, rien qu’à regarder la distance entre les murs, il sentait son souffle s’accélérer. Les murs, bien que sombres et humides comme la grotte, étaient faits d’une matière qui lui était inconnue, lisse et régulière, dépourvue de ces petites imperfections qui faisaient tout le charme de sa grotte, où il pouvait passer des heures à essayer de retracer l’histoire qu’elles racontaient. En comparaison, les murs de cet endroit inconnu paraissaient froids et impersonnels, lui renvoyaient un sentiment de malaise et faisaient monter en lui une angoisse sourde sur laquelle il n’arrivait pas à mettre des mots. Les parois paraissaient trop fonctionnelles, comme si toute la pièce avait été créée avec l’objectif de limiter au maximum le gaspillage des ressources. Comment était-il arrivé ici ? Pendant un instant, son cerveau refusa de lui donner une réponse.

Puis, des fragments d’images décousus lui revinrent lentement, l’un après l’autre. Patiemment, il attendit jusqu’à ce qu’il soit sûr que rien de plus ne lui reviendrait. Il avait un nombre conséquent de fragments de l’évènement, mais les images étaient incomplètes à partir du moment où ses parents étaient partis à la chasse avec sa petite sœur, pas si différentes des scènes se succédant sans aucun effet de cause à conséquence dans un rêve. Il n’avait pas assez d’éléments, pas assez d’informations sur comment un évènement menait à un autre, comment il était passé de l’intérieur de la grotte à être dehors en train de la fixer du regard, ni comment, depuis ce moment-ci, il en était arrivé à courir à en perdre haleine. Il savait bien qu’il avait dû être rattrapé et assommé à un moment, mais comment … ?

Il entendit quelqu’un respirer, de plus en plus vite, de plus en plus fort, proche, trop proche.
Ses yeux tombèrent sur son torse, qui se soulevait et se contractait incontrôlablement. Trop vite. Trop fort. Il lui fallut un moment pour faire le lien, et quelques minutes de plus pour formuler ses pensées sous forme de mots.
Oh, il réalisa
Oh, ça venait de moi.
Il ne se sentait plus respirer, il ne sentait plus le sol sous ses pattes, il ne sentait plus ses pattes, il ne sentait plus son corps, il ne sentait plus rien.
Il ne savait pas. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé avant qu’il s’évanouisse, il ne savait pas comment on l’avait transporté jusqu’ici, il ne savait même pas où ce « ici » était. Il ne savait pas, il ne savait pas, il ne savait pas, il-il-il-ilaurait dû savoir !

Alors qu’il savait déjà que ça ne servirait à rien, il regarda désespérément autour de lui, à la recherche d’une ouverture, une lumière, il ne savait pas, tout, n’importe quoi, qui pourrait lui indiquer qu’il avait une chance de s’échapper, de partir, partir partir partir il devait partir. Mais plus il regardait, plus il se rendait compte qu’il n’y avait rien.
Et ses sensations lui revinrent d’un seul coup, beaucoup trop intenses, violents frissons qui faisaient trembler tout son corps comme une feuille, et pourtant il avait toujours l’impression de ne pas être dans son corps.

Ça ne pouvait pas être réel. Ça ne pouvait pas être possible. Il était en train de rêver. Oui, c’était ça, il était en train de rêver, et bientôt, il se réveillerait, et sa mère viendrait le chercher et tout serait normal, il ne serait pas enfermé dans une pièce de quelques mètres carré, sans aucune lumière, et il pourrait revoir sa sœur et ses parents. Sa vision se brouilla, et il se rendit compte qu’à un moment où à un autre, il avait dû commencer à pleurer, mais il ne se souvenait pas quand. Ses pattes se mirent à trembler, et, lentement, il se laissa glisser au sol. Le froid glacial s’infiltra jusqu’à la mœlle de ses os, et il ce fut à ce moment précis qu’il se rendit compte qu’il ne rêvait pas.

Soudain, des bruits de pas résonnèrent dans la pièce, semblant venir de partout et nulle par à la fois, et il sentit la terreur s’emparer de ses membres et les figer sur place. Il n’était pas seul. Quelqu’un d’autre était là, dans cette pièce. Il savait, logiquement, qu’il devait partir, mais il tremblait comme une feuille, ses pattes ne voulaient pas bouger, les battements de son cœur étaient si violents et irréguliers qu’ils lui donnaient la nausée et il n’arrivait toujours pas à reprendre le contrôle de sa respiration.

*************
Laura releva brièvement les yeux de la petite machine en forme d’oreillette sur laquelle elle travaillait en entendant les bruits de pas, son regard se portant sur le fond de la pièce au travers de la vitre fumée. Au fond, une figure quadrupède s’avançait lentement vers le coin vers la gauche de la pièce. Elle avait dû volontairement faire du bruit en marchant, car normalement, elle se déplaçait aussi silencieusement qu’un fantôme dans la pièce. Laura se demanda ce qui avait bien pu la pousser à se mettre à marcher, et elle suivit son regard, vers le mur situé à sa gauche.
Oh, l’Absol s’était réveillé. Et il était en train de faire une crise de panique. Rien de nouveau, ils en faisaient tous au moins une quand ils se réveillaient dans une cage. Cela dit, elle devrait peut-être se lever pour aller l’aider à se calmer. Elle commença à se lever de son fauteuil, puis se ravisa. C’était probablement l’idée la plus stupide qu’elle ait jamais eue. C’était elle qui l’avait capturé, comment aurait-elle pu l’aider à se calmer ?
Il se serait évanoui au moment même ou elle aurait posé le pied dans la pièce.
Et puis, elle n’était pas vraiment douée pour calmer les crises de panique, c’était plutôt le domaine de Krys, ça. Et de l’autre Pokémon enfermé dans la pièce, apparemment.

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« Petit ? Petit, est-ce que tu m’entends ? Respire ! »