Nora & Ori
Sous la protection des étoiles, Ori retourna à Algatia. Le vieil homme qui lui avait loué le canot exprima son soulagement à grands coups de tapes dans le dos du jeune photographe, qui faillit s’effondrer sous les assauts amicaux. Il rentra ensuite à l'hôtel et résista à l'insupportable tentation que lui offrait son lit pour se jeter à genoux et fouiller son sac. Tout était intact, sauvé des flots par le revêtement imperméable. Ses mains se refermèrent enfin sur la Luxe Ball. Elle resta silencieuse, ignorant la chaleur qui l'enveloppait à nouveau. Ori rassembla son courage et l'ouvrit. Ébloui tout d'abord par le flash de lumière, il croisa ensuite le regard blessé de Nix. Le petit Évoli le jaugea en silence, tressaillit un instant en constatant le genou éraflé et l'épuisement de son Dresseur, puis reprit une expression froide.
— Nix, je…
Ori tenta de briser ce silence glacial, mais ne put se résoudre à aller plus loin. Il approcha sa main vers le petit Pokémon. Nix recula. Blessé, épuisé, Ori n'y tint plus.
— Nix, je te demande pardon. J'ai interrompu ton évolution, je t'ai enfermé dans ta Ball, je t'ai trimballé pendant des heures comme un vulgaire objet. Je n'ai aucune excuse, je ne sais pas ce qui m'est arrivé.
Nix continuait de le fixer.
— En fait, si, je sais ce qui s'est passé. Je me suis senti trahi.
Le regard de Nix se fit plus dur.
— On est partis ensemble à la recherche de toutes les Évolitions pour choisir la plus belle. Et toi, tu as décidé d'évoluer tout seul, sans me demander, sans même me laisser y assister. J'ai réagi de la pire manière, ça je ne le nie pas. Mais toi, tu n'es pas tout blanc non plus !
Une ombre d'hésitation effleura Nix. Il avait trouvé le Givrali magnifique et avait voulu évoluer immédiatement. Pourquoi ? Nix le savait, mais ne pouvait partager ses motivations avec son dresseur. Ori, encouragé par le trouble qu'il voyait chez son partenaire, reprit d'une voix douce.
— Écoute, j'aimerais juste que tu me fasses confiance encore un peu, juste le temps de trouver un Phyllali. On s’est promis de trouver toutes les Évolitions chromatiques et c’est la dernière ! Imagine qu'elle soit la plus incroyable de toutes ? La Grotte Tréfonds ne va pas disparaître, les Givrali non plus. Rien ne nous empêche d’y retourner plus tard.
Nix afficha une moue suspicieuse. Il semblait douter de la proposition de son dresseur. Ori reprit bientôt.
— Par contre… On ne va pas pouvoir s'occuper de ça tout de suite. Je sais que ce n'est pas un bon moment pour ça, mais j'ai une faveur à te demander. Lux a disparu.
Le choc se peignit sur le pelage blanc et Nix poussa un cri, le premier depuis la découverte du Givrali shiny, il y a si longtemps. Ori s'étonna de ce que ce simple cri, qu'il avait entendu si souvent, lui apparut si précieux à ce moment-là.
La secousse de l’atterrissage réveilla Ori. Parsemille, Unys. Voilà qu’ils rentraient enfin chez eux après plusieurs mois passés à l’étranger. Kanto et son incroyable Tauros vert. Sinnoh et les heures passées à patauger dans le Grand Marais pour apercevoir un Rapion rouge. Et, pour finir, Hoenn… Ori secoua la tête pour tenter de se défaire du mal-être qui se cramponnait à lui depuis l’épisode de la Grotte Tréfonds, la veille. Nix avait accepté de retourner dans sa Luxe Ball pour pouvoir rejoindre Nora au plus vite et la discussion n’était pas allée plus loin. Il avait, semblait-il, accepté la proposition d’Ori de repousser son évolution jusqu’à la rencontre avec le Phyllali. Malgré cela, le jeune photographe sentait que Nix lui en voulait encore. Et, s’il se montrait honnête envers lui-même, il sentait qu’il en voulait encore à Nix, lui aussi. Toutefois, la fatigue et le stress causé par la disparition de leur ami et la détresse de Nora (Ori l’avait appelée dès qu’il avait lu ses messages) les avaient poussés à mettre de côté leurs différends pour quelque temps. Après une courte nuit, ils avaient embarqué dans le ferry jusqu’à Nénucrique et de là, sauté dans le premier avion en direction d’Unys.
Après avoir récupéré ses bagages et être sorti du grand hall de l’aéroport, Ori put enfin sortir Nix de sa Ball. Alors que le soleil se couchait sur leur région natale, il leur restait encore quelques heures de bus avant d’atteindre Maillard. Nix, silencieux, ne monta pas une seule fois sur l’épaule d’Ori.
Un coup à la porte sortit brutalement Nora de son sommeil. Elle mit un moment avant de comprendre où elle se trouvait, pourquoi elle avait si mal à la tête et pourquoi ses yeux lui semblaient si secs. Puis, les souvenirs remontèrent à la surface : Lux. Lux avait disparu, il s’était enfui. Les coups à la porte redoublèrent.
— Nora, tu es là ? Tu vas bien ?
La voix inquiète d’Ori traversa le métal de la vieille porte rouillée. Nora se leva, non sans difficulté et alla l'ouvrir. Ori écarquilla les yeux malgré lui. C'était la première fois qu'il voyait son amie dans un tel état. Ses cheveux en bataille, son teint pâle, ses cernes et les traces sous ses yeux, tout en elle dénotait la panique absolue des dernières heures. Ori s’imagina un instant à sa place. Si Nix disparaissait, il réagirait de la même façon. Si Nix disparaissait… Ori sentait la présence du petit Évoli juste là, à ses côtés. Pourtant, en ce moment, il lui semblait si loin… Ori se reprit. Son amie avait besoin de lui.
— Nora, comment tu vas ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
— C'est ma faute Ori, c'est ma faute. J'aurais jamais dû lui parler comme ça. Tout ça à cause de ce fichu Tauros ! Non, non… C'est pas la faute du Tauros, c'est la mienne, ça fait des années que j'en veux à Lux parce qu'il est, parce qu'il est…
Elle n'arrivait pas à le dire.
— De quoi tu parles Nora ? Attends, respire un coup, asseyons-nous un peu.
Nora réalisa alors qu'elle avait laissé son ami sur le pas de la porte. Elle s'écarta et Ori rentra dans l'appartement. Ce qu'il vit ne le rassura pas beaucoup. Le sol était jonché de clichés gris et noir, dont certains maculés d’une tache de café. Il reconnut bientôt les Tauros de Paldea. Des bouteilles de bière vide, des débris de verre dans un coin et une poubelle débordant de mouchoirs vinrent renforcer cette ambiance oppressante.
Nora s'assit à ses côtés sur le vieux canapé et lui raconta tout. La chasse aux Tauros, la blessure, le brusque retour à Unys, la nuit blanche à écumer les photos tandis que Lux…
— Il avait sa patte dessus depuis le début, j’en suis sûre. Je me demande même s'il ne l'avait pas déjà compris quand on était encore là-bas à Paldea, face au troupeau. Il voulait éviter que je sois déçue. Mais, quand je l’ai appris, j’ai vu rouge. J’ai commencé à lui crier dessus. Je n’aurais jamais dû lui dire tout ça…
— Tu lui as crié dessus juste pour un shiny invisible ? s’étonna Ori.
— Juste ? Juste ? Tu te moques de moi Ori ? explosa Nora. Ça fait dix ans que je shasse les chromatiques et dix ans que je me tape des invisibles ! Vingt-sept ! Vingt-sept chromatiques en dix ans et le plus incroyable que j’ai trouvé ? Un Rondoudou dont les yeux passent du bleu au vert ! T’en a trouvé combien toi, pendant ce temps ? Un ! Ton fichu Pyroli !
— Deux si tu veux tout savoir ! rétorqua Ori, piqué par l’agressivité de Nora. Le deuxième, c'était hier justement, j’ai failli mourir pour le trouver et j’en ai pas fait toute une histoire !
Il regretta ses mots avant même d’avoir fini de les prononcer. Nix le fusillait du regard et Nora surpris l’échange muet.
— Ah oui ? On dirait que Nix n’est pas de ton avis. Ne me mens pas, tu as vu à quel point c’est insupportable de tomber sur un invisible après tous les efforts que représente une shasse.
Ori, désemparé par le regard de Nix, ne put supporter plus longtemps le ton acerbe de Nora.
— Tu penses que c’est vraiment si facile pour moi ? Toi, au moins, tu n’as pas à gérer la compétition ! Tu te rappelles du Mentali shiny qu’un type a trouvé avant moi ? Les chromatiques incroyables, on les voit de loin. De nos jours, tout le monde a un Motismart capable de prendre des photos, alors évidemment, c'est beaucoup plus facile. Ma photo du Tauros dans PokéSnap, c’est pour ça que t’es partie à Paldea, non ? Tu sais pourquoi je ne te l’ai pas montrée avant ? Parce que j’étais dégoûté que le ShinyDex accepte la photo qu’un gamin de douze ans avait prise dans le Parc Safari à côté de chez lui, trois fichues heures avant que je tombe sur mon Tauros sauvage ! PokéSnap a publié ma photo parce qu’elle était de plus belle qualité, c’est tout. Alors non, trouver que des shiny visibles, c’est pas plus facile…
Soufflée par la tirade de son ami, Nora resta interdite un moment. Elle finit par murmurer, d’un air défait :
— Tout ça depuis qu’on est entrés dans cette fichue cabane au fond des bois, qu’on a croisé cette vieille folle et qu’au lieu de prendre l’œuf de droite, j’ai pris celui de gauche.
— Parce que tu crois vraiment que si on avait échangé les œufs ou les pendentifs, on aurait inversé nos vies ? demanda Ori d’un ton las, épuisé lui aussi par leur dispute. Que tu es destinée à trouver des chromatiques invisibles depuis ce jour-là ?
— Et pourquoi pas ? Tu y as déjà réfléchi ? Cette histoire n’a aucun sens de toute façon. Pourquoi donner des objets aussi rares à des gamins qu’elle rencontrait pour la première fois ? Pourquoi nous laisser des œufs ? Pourquoi disparaître aussitôt ?
Ori resta silencieux. Ils s’étaient souvent posé ces questions lorsqu’ils étaient plus jeunes, puis ils avaient arrêté. À quoi bon ? Ils n’avaient plus jamais entendu parler de la vieille Muciole.
— Quand Lux était un Ponchiot, reprit Nora, je trouvais juste ça dommage qu’il soit un invisible, mais lorsqu’il a évolué, j’ai commencé à lui en vouloir. Je me disais que c’était stupide, qu’il n’y pouvait rien, que ça n’avait aucune importance dans notre amitié. Mais je me mentais. C’était important pour moi, ça me rongeait de l’intérieur à chaque fois que je le voyais. On aurait dit que sa poussière d’étoile me narguait quand je le caressais. Je m’en voulais de penser à ça, j’essayais de ne pas le lui faire ressentir… Mais Lux est plus intelligent que moi. Bien sûr qu’il avait compris…
Les yeux de Nora se mirent à briller, et Ori se rapprocha pour la prendre dans ses bras. Nix vint se coller à elle et la chaleur de ces deux êtres qui tentaient de la réconforter la fit éclater en sanglots. Les larmes de Nora firent s’évanouir la frustration, la jalousie, la colère. Ce n’était pas leur première dispute, ce ne serait pas la dernière. Ils étaient amis depuis si longtemps qu’ils ne se souvenaient même pas de leur rencontre.
Nora avait toujours été existé dans la vie d’Ori. Ori avait toujours eu une place dans la vie de Nora.
Malgré la distance que leurs shasses mettaient entre eux, ils étaient restés en contact, partageant leurs plus beaux clichés, leurs blessures, leurs joies, tout ce qui faisait scintiller leurs vies. Comme s’ils étaient encore à Amaillide, s’échappant de leurs chambres pour se retrouver dans le Bois du Serment, leurs appareils jetables dans les mains, émerveillés par la lumière qui filtrait à travers les frondaisons.
Quand le flot de ses émotions se tarit enfin et que Nora put parler à nouveau, elle demanda à Ori de rester dormir. Elle ne voulait pas être seule une nuit de plus. Ils se souhaitèrent bonne nuit et tandis qu’elle partait pour sa chambre, Ori, déterminé, lui fit une promesse.
— Nora, on va retrouver Lux.
Un faible sourire fut la seule réponse de son amie. Ori s’allongea sur le vieux canapé et Nix se roula en boule un peu plus loin.
Un parfum de café chaud et la lumière se répandant dans la pièce réveillèrent le jeune homme. Il profita un instant, les yeux entrouverts, de ce calme familier. Nora s’assit à ses côtés, lui tendit une tasse brûlante et ils restèrent quelques minutes silencieux, tandis que le breuvage les réchauffait de l’intérieur. Puis, Ori se décida à aborder la disparition de Lux. Nora frissonna et expliqua qu’elle avait déjà demandé à toutes ses connaissances, placardé des affiches sur tous les poteaux, publié une annonce sur quatre sites et trois forums dédiés aux Pokémon perdus.
— Et à Amaillide ? Tu as appelé tes parents ? Peut-être qu’il aurait décidé de rentrer là où il est né.
Le cri de Nix les surprit. Il secouait la tête, de droite à gauche.
— Oh, je n’avais pas vu que tu étais réveillé, s’étonna Ori. Pourquoi tu dis non ? Tu ne penses pas qu’il est allé si loin ? Tu crois qu’il est toujours dans les environs ?
Nix couina. Les deux Pokémon étaient liés, nés ensemble, compagnons de deux dresseurs unis par un fil qui avait traversé le temps et l’éloignement. Le petit Évoli sentait la présence du Ponchien, comme une chaleur rassurante dans un coin de son esprit.
Ori et Nora réfléchirent aux endroits proches. Maillard n’était pas si grande, bordée par la Forêt d’Empoigne d’un côté, la route menant à Ogoesse de l’autre. Aucun endroit ne semblait plus important qu’un autre. Une lumière s’alluma soudain dans les yeux d’Ori.
— Et si… Et si c’était en lien avec un des chromatiques que vous avez trouvés dans la région ?
Une ombre passa sur le visage de Nora.
— Peut-être qu’il s’est dit qu’il serait plus heureux avec un de ses semblables… Tu as raison, c’est une piste à explorer. Mais je ne me souviens plus trop quel shiny j’ai trouvé dans la région.
— Alors, regardons tes photos !
Mais bien sûr ! Chaque cliché était la trace d’une rencontre, et Nora se rua sur son “album brillant”, comme elle l’appelait. C’était un assemblage de pages colorées qu’elle avait bricolé plus jeune. La couverture mauve était recouverte de paillettes et elle avait toujours les doigts brillants après l’avoir feuilleté.
— Waouh, ça fait longtemps que je ne l’avais pas vu ! s’émerveilla Ori. C’est incroyable que tu l’aies gardé tout ce temps et que les pages ne se soient pas encore envolées.
— Elles s’envolent parfois, s’amusa Nora. Lux les rattrape et je les recolle toujours.
L’évocation de son partenaire défit le sourire naissant sur les lèvres de la jeune femme. Elle se mit à tourner les pages avec lenteur, se rappelant chaque shasse, chaque joie, chaque déception. L’album n’était pas rangé par ordre chronologique, mais par couleur de shiny. Ainsi l’Embrylex jaune côtoyait la photo de Lux évolué, tandis que le Ptitard bleu, son premier shiny, se trouvait quelques pages plus loin, près du Wimessir de Galar. L’agitation d’Ori la sortit de ses souvenirs. Elle le regarda, préoccupée.
— C’est… Enfin… ça faisait longtemps que je ne voyais pas tes photos comme ça, l’une à la suite des autres.
— Et tu réalises ce que ça fait de tomber sur des invisibles à chaque fois ?
Une pointe de sarcasme se glissa dans la voix de Nora, mais Ori sembla n’y prêter que peu d’attention.
— Non non, ce n'est pas ça. C’est eux. Ils sont… Ils sont…
Ori échouait à mettre en mots son trouble, un malaise qui le poursuivait depuis des années et qu’il n’avait jamais avoué ni à Nora ni à Nix. Il soupira, saisit son Motismart et fit défiler les applications jusqu’à son album photo. Il hésita puis, au lieu de chercher son “album brillant” personnel, rempli des photos envoyées au projet ShinyDex et aux différentes revues de photographies, il ouvrit le dossier contenant les photos d’origine. Celles qu’il n’avait jamais montrées. Sans recadrage, sans retouche, la sombre vérité tapie derrière son succès.
— Regarde. Ce sont les photos du Tauros vert de Kanto. Qu’est-ce que tu remarques ?
Nora prit le téléphone des mains de son ami et fit défiler les images. Le Tauros vert était toujours aussi magnifique, seul au milieu des grandes plaines, son corps marqué par les cicatrices de violents combats.
— Des cicatrices ? Je ne me souviens pas les avoir vues sur la photo de PokéSnap.
— Parce que je les ai enlevées, ou adoucies, en retouchant la photo. Un Pokémon blessé, ça ne plaît pas au public. Mais ce n’est pas la seule chose que tu devrais remarquer. Tu as rencontré un Tauros shiny toi aussi, comment était-il ?
— Comment il était ? Comment tu veux que je le sache, il était noyé dans un troupeau de dizaines de têtes, je ne l’ai même pas remarqué sur le moment et…
Nora s’interrompit. Un Tauros seul au milieu des grandes plaines. Une photo incroyable : parce que les Tauros vivaient toujours en troupeaux. Son Tauros était dans un troupeau. Le Tauros d’Ori était seul. Seul et blessé. Un doute glacial commença à s’insinuer en elle.
— Attends, ne me dis pas que… C’est juste une exception n’est-ce pas ? Les autres chromatiques…
Ori ne répondit pas, reprit son téléphone, chercha une autre photo. Un Lixy d’un jaune éclatant, couvert de morsures, qui observait, de loin, la meute où il était né. Le Nymphali de la Forêt de Lumirinth, harcelé par les griffes des Grimalin. Un Lovdisc esseulé, nageant loin de son banc, pourchassé par les Serpang.
— Je pensais… reprit Ori d’une voix éteinte, je pensais que tous les chromatiques étaient rejetés par leurs groupes, qu’ils étaient tous attaqués par les autres Pokémon. Parfois, je regardais la photo du Pyroli, jouant avec ses petits près de la lave, et je me disais “pas tous, pas tous”. Mais le shiny suivant était blessé, seul, rejeté, et je ne savais pas quoi faire. Je retouchais les blessures, je sélectionnais le cliché où la détresse était la moins apparente. Et je me demandais si c’était ma faute, si j'attirais les malheureux. Mais on dirait que la réponse est bien plus simple. Les invisibles sont les seuls chromatiques heureux.
Un long silence suivit cette déclaration d’Ori. Il se tourna vers Nix, et lut dans son regard que le petit Évoli avait toujours su cela. Était-ce la raison pour laquelle il voulait évoluer en invisible ?
Nora, interdite, retourna à son album et le feuilleta d’un œil nouveau. Ces fichus invisibles, incapables d’avoir une couleur incroyable, si proches des originaux, s’étalaient sous ses yeux. Jouant avec leurs petits, chassant en meute, nageant ensemble. Ils étaient tous pleins de vie, de joie, de couleur.
— Comment a-t-on fait pour ne pas réaliser ça plus tôt ? demanda Nora, incrédule. Toutes ces années à les pister, à les shasser, à les photographier. Tout ça, sans s'apercevoir de l’impact de leur couleur sur leur vie ? Pourquoi personne n’a jamais remarqué ça ? Les scientifiques ? Le projet ShinyDex ? Les dresseurs ?
— Peut-être parce que les dresseurs capturent les chromatiques visibles. Ils les sortent de leur environnement, leur offrent une vie différente. Ils ne sont plus sauvages, ils n’ont plus de meute à laquelle appartenir. Mais nous…
Ori fut interrompu par un cri de Nora. Elle s’était arrêtée sur la page rose d’un Ptiravi qui riait aux éclats.
— C’est là, Ori, c’est là ! On a trouvé ce Ptiravi dans la Forêt d’Empoigne, juste à côté d’ici. C’était il y a des années, Lux était encore un Ponchiot et il avait passé des heures à jouer avec ce Ptiravi. On retournait le voir de temps en temps à une époque et puis on a arrêté, nos voyages à l’étranger étaient devenus trop fréquents.
Nora tremblait. Une certitude venue du plus profond de son être le lui affirmait : Lux était retourné voir son vieil ami.