Chapitre 6 : Hystérie
Il ne m’a fallu qu’une seconde pour que je comprenne ce qui vient de se passer. Il ne m’a fallu qu'une seule autre seconde pour que mon esprit ne désigne un responsable.
Je ne peux qu’entendre un début de phrase dit d’un ton faussement désolé, que je n’ai pas la force d’accepter en faisant moi-même semblant.
« - Mlle Alba, je suis vraiment navrée de ce qu'il vient de se passer, je…»
Mais il ne peut pas achever sa phrase, car je lui décoche une droite qui le fait tomber lourdement au sol. J’entends un cri strident derrière moi, mais je l’ignore.
Ayden est toujours à terre, se tenant la joue avec une expression douloureuse, qui n’est pas de la comédie. Je ne le laisse pas se relever, et je me jette sur lui en hurlant :
« - La ferme ! Ne fais pas semblant ! Comment as-tu osé faire ça ?! Tu vas me le payer !? »
Et je continue à le frapper sans m'arrêter.
J’entends quelqu’un dire quelque chose comme : “Il faut l'arrêter !”. Et alors que je m’apprêtais à frapper Ayden une énième fois, je sens deux paires de bras me saisir, et me soulever en arrière.
Cela me fait sortir de ma torpeur, et je commence à me sangloter.
« - Lâchez-moi…Je dois l'aider..»
Je ne sais pas si c’est par pitié, mais les deux personnes qui me maintiennent, obtempèrent. Je me précipite auprès de mon Pokémon blessé. J’ose à peine le toucher, mais je m’y force. Je me remémore quelques cours de secourisme.
Ainsi, j’observe une très faible respiration, ainsi qu’un battement de cœur tout aussi faible. Je dois l’emmener au Centre Pokémon, de toute urgence. Je me lève d’un bond, et me dirige vers Ayden, qui a alors un mouvement de recul.
« - Rends-moi ma Pokéball. »
Mais il semble dans une sorte de transe, et ne réagit pas. Je lui arrache alors l’objet des mains, et retourne auprès de Pohm, toujours au sol. Je remarque alors ses yeux me fixer, quasiment clos.
« - Tu n’as pas à t’inquiéter, je vais t’emmener au Centre Pokémon, et ils vont te soigner. Tout va bien se passer. »
Ma voix tremble, tandis que j’essaye de le rassurer du mieux possible. Mais une voix froide vient trancher à travers.
« - Vous ne comptez pas quitter votre poste, j’espère ? »
Cette voix, je n’ai même pas besoin de me retourner dans sa direction pour la reconnaître. Je sais qu’elle vient de mon supérieur.
« - Mais…»
Alors que je tente de lui faire face, je sens dans mes premiers mots, que ma voix est tremblante. Je m’interromps, je secoue la tête, et prends une profonde inspiration. J’écrase les quelques larmes qui avaient coulé de mes yeux. Puis, je relève la tête, et regarde en arrière. Je regarde M.White droit dans les yeux, et lui rétorque dans un ton particulièrement froid.
« - Je dois l’y emmener. C’est un cas de force majeure.»
Il soutient mon regard, et n’a pas l’air de se laisser démonter ou intimider.
« - Il vous suffit de le faire revenir dans sa Pokéball, puis de l’emmener après le travail. Je ne vois pas où est le problème. Ce genre d’incident est commun en Combat Pokémon. Vous devriez le savoir. »
Est-ce qu’il se fout de ma gueule ? Ces mots me paraissent complètement incohérents. Je comprends alors qu’il est ce type de personne, qui ne voit les Pokémon que comme des armes ou de la chair à canon. Lui aussi mériterait un coup-de-poing pour lui remettre les idées en place. Mais à quoi bon ?
Je ne prends même pas la peine de lui répondre, car je sais qu’argumenter avec lui, me ferait perdre mon temps. Autour de moi, j’observe plusieurs types de réactions. Certains sont agacés. D’autres se moquent. Et d’autres, bien que plus rares, affichent une grimace qui traduit un certain dégoût ou une certaine peur.
Je tends la Pokéball vers Pohm, et le fait revenir à l’intérieur de cette dernière. Puis, je me relève, et me dirige vers l’unique sortie de cette pièce, sans me soucier du fait de bousculer quelqu'un ou non.
Au moment où je m’apprête à passer la porte, je me retourne en direction de mon supérieur, et le fixe d’un air mêlant défi et mépris, puis finit par lui dire :
« - Je me rends au Centre Pokémon, que ça vous plaise ou non. »
***
J’arrive en trombe dans le Centre Pokémon, qui est heureusement proche de mon lieu de travail. Malgré cela, je suis essoufflée.
Je suis rassurée de voir qu’il n’y a personne au comptoir d’accueil. Je me précipite dans sa direction sous les yeux de l’infirmière. Je ne la laisse même pas me saluer et je lui hurle.
« - Je vous en prie, vous devez le sauver. Il est très mal en point !
- Calmez-vous ! Expliquez-moi ce qu’il s’est passé ! »
Je lui raconte l’essentiel, c'est-à-dire ce dont je suis au courant. Mais à part la blessure de mon Pohm, et le fait que cela ait été causée par un combat Pokémon, je ne sais pas grand-chose. Je ne sais même pas contre quel Pokémon il s’est battu.
Malgré le peu d’informations dont je dispose, l’infirmière hoche la tête et écoute religieusement tout ce que je lui dis.
« - Bien, effectivement, cela m’a l’air très sérieux. Donnez-moi votre Pokéball, nous allons faire tout notre possible pour le soigner. »
Avec méfiance, je lui tends la Ball de mon précieux partenaire. Elle la saisit, et semble taper sur un clavier. Puis, derrière le comptoir, là où j’observe une double porte métallique, émerge un groupe de quatre Pokémon identiques que je ne connais pas. Ce sont des Pokémon bipèdes roses et beiges, ayant une forme humanoïde. Les quatre Pokémon poussent un petit chariot métallique. L’infirmière pose ma Pokéball sur ce même chariot. Puis le groupe de Pokémon assistants retourne en direction de la porte par laquelle il était arrivé juste avant.
L’infirmière commence à les suivre. Puis, finit par se retourner vers moi.
« - Vous pouvez aller vous asseoir là-bas. Je reviens vous voir dès que possible. »
Je titube maladroitement en direction du siège, et m’y assois, mécaniquement. Je n’ai plus qu’à attendre. J’observe une autre infirmière remplacer celle qui vient de partir. Étrangement, elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau.
***
« - Madame, est-ce que tout va bien ? »
Je sursaute, et je me rends compte que je me suis endormi.
« - Je…euh…oui. Excusez-moi, je suis fatiguée.
- Ce n’est rien. »
Je finis par me souvenir du lieu où je me trouve.
« - Comment va Pohm ? Est-ce que je peux le voir ?
- Nous avons stabilisé son état. Mais le pronostic vital est engagé. Les prochaines heures seront déterminantes.
- Est-ce que je peux le voir ?
- Je suis navrée. Pohm se trouve dans une aile spéciale du Centre Pokémon. Si son état s’améliore, il sera déplacé dans une chambre classique et vous pourrez lui rendre visite.
- Je comprends. »
Je me rassois bruyamment sur mon siège, et je regarde le sol.
« - Vous allez l’air d’avoir eu une dure journée. Voulez-vous en parler ? »
Je relève la tête en direction de l’infirmière, qui semble sincèrement vouloir m’écouter. Mais je n’ai pas la tête à ça. Et ce qui s’est passé ces derniers jours, m’a bien fait comprendre qu'une personne peut avoir l’air bienveillante, sans pour autant l’être réellement. Je ne suis pas naïve au point d’ignorer que ce genre de personne existe. Certains ont même un certain talent pour ça.
Je ne réponds pas à l’infirmière, qui traduit cela comme un refus.
« - Comme vous voudrez. Vous êtes épuisée… Vous devriez rentrer chez vous, pour vous reposer...
- Je n’ai pas besoin de me reposer, je préfère rester ici.
- Écoutez, il n’y a rien de plus que vous puissiez faire en restant ici. Je vous contacte dès que j'en sais un peu plus. »
Je me résigne.
« - Si vous le dites. »
***
J’ai écouté l’infirmière et je suis rentrée chez moi. Mais je ne me suis pas reposée.
J’ai allumé mon ordinateur, pour retrouver les données que je m’étais envoyées en début d’après-midi, avant…cet événement
Je n’étais pas sûre de ce que j’allais faire de ces données. Mais après que mon Pokémon ait été grièvement blessé, je refuse de les laisser sans tirer comme ça. D’autant plus, qu’en récupérant ce fichier, j’ai eu la désagréable surprise de constater un mail provenant directement des ressources humaines.
Il s'agit d'un courrier d’avertissement suite à mon absence et mon comportement, qui indique que j’aurais droit à une sanction ainsi qu’un entretien disciplinaire. En pièce jointe, il y a même une capture d’écran d’un soi-disant mail que j'aurais envoyé pour donner mon accord concernant l'utilisation de mon Pokémon. Mais je sais très bien que je n’ai rien envoyé. Il n’est pas bien difficile de deviner qui a envoyé ce mail à ma place. Mais je n’ai strictement aucune preuve de ce que j’avance.
N’ont-ils aucune honte ?
Je me contente d’archiver ce mail, et ouvre le fichier que je viens de récupérer.
Dans ce fichier, il y a l’ensemble les identités, des dates de contrats, des motifs de fin de contrat, et ce qui m’intéresse : les numéros de téléphone et les adresses mail.
Contacter ces personnes par texto alors que je ne les connais pas personnellement serait très impoli. Je vais plutôt envoyer un mail.
Tout d’abord, je copie-colle chacune des adresses mail pour créer un groupe d’envoi. Puis, je commence à rédiger mon mail. Mais, à part l’habituel “Bonjour” que j’utilise pour la plupart de mes mails, je bloque.
Je ne sais pas par où commencer. Et plus que cela, je me rends compte de ce que je suis en train de faire. Ce n’est plus qu’une simple idée. Ce que je m’apprête à faire, ne sera pas sans conséquence. J’ignore si cela aura des conséquences positives, mais il est certain que je risque d’avoir de sacrés ennuis.
Je suis prise d’une hésitation, et mes mains restent bloquées au-dessus du clavier, immobiles.
Est-ce que je vais trop loin ?
Mais tout me revient en mémoire.
Mon arrivée où l’on m’a laissé complètement seule, sans m'expliquer quoi que ce soit.
Ayden, qui a fait semblant de m’aider, pour que je baisse ma garde.
M. White, l’un de mes supérieurs, qui se contente de blâmer ou de rabaisser, quand on ne se soumet pas à lui.
La plupart des employés, qui manipulent ou se moquent.
Mon pauvre Pokémon qui s’est retrouvé embarqué dans tout ça.
Repenser à tout ça, me donne la force de continuer à rédiger mon mail.
Je me présente, et j’explique la situation dans laquelle je me trouve.
Puis, je poursuis en racontant chronologiquement les événements qui se sont produits ces quelques derniers jours.
Enfin, je clos mon récit, en expliquant que je souhaite recueillir des témoignages ou une quelconque preuve pour faire en sorte de faire bouger les choses.
Je termine avec une formule de politesse, et je signe.
Je prends une profonde inspiration. Je ravale ma salive, puis je clique sur “ Envoyer”
À l’exact même moment, mon Motismart, que j’avais posé à côté de mon ordinateur, se met à sonner. C’est un numéro masqué, mais je réponds immédiatement.
« - Allo ?
- Bonsoir, est-ce bien Mlle Alba à l’appareil ?
- Oui, c’est bien moi.
- Je suis l’infirmière Joëlle du Centre Pokémon de Volucité…»