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La plume fantôme de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 12/08/2023 à 00:51
» Dernière mise à jour le 19/08/2023 à 12:27

» Mots-clés :   Drame   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life   Unys

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Chapitre 6 – Plume Esprit
C’était comme si elle était morte une deuxième fois.

Anis aurait voulu ne plus jamais ressentir ce sentiment sombre. Ce désespoir qui la prenait aux tripes et aspirait toute son âme. La sensation de flotter dans l’espace comme un ectoplasme.

À quoi bon s’entraîner ?

À quoi bon écrire ?

La souffrance lui collait à la peau, quoi qu’elle fasse. Les seuls moments où elle ne souffrait pas, c’était lorsqu’elle lisait. Une fois de plus, la lecture lui offrait une délicieuse délivrance. Sans les livres, elle aurait sombré depuis bien longtemps, engloutie par un abîme de chagrin. Personne ne pouvait la consoler. Les livres lui permettaient d’anesthésier son esprit, mais la douleur revenait toujours lorsqu’elle tournait la dernière page.

Sa peine l’aurait sans doute rongée durant des siècles si Pieris n’était pas reparu. Anis n’aurait su dire quand c’était. Pour elle, les jours passaient et se ressemblaient tous, noyés dans la grisaille brumeuse de ses larmes. Lorsqu’il se présenta à leur hôtel pour les voir, elle ne comprit pas ce qu’elle ressentait.

De la joie, parce qu’elle revoyait enfin le visage de celui qui faisait battre son cœur un peu plus vite ?

De la colère, parce qu’il était parti alors qu’elle était en grande souffrance ?

De la tristesse, parce qu’elle savait que si elle avait compté pour lui, ne serait-ce qu’un peu, il ne l’aurait jamais abandonnée de la sorte ?

Tout cela à la fois ?

Ou juste…

Du vide ?

Un vide froid et pénétrant.

Oui, voilà ce qu’elle ressentait. Et c’était encore pire. Quand elle ne ressentait pas de la souffrance, elle ne ressentait rien. La chaleur des autres lui demeurait inaccessible, comme si elle était séparée d’eux par un voile invisible. Le voile de la mort, qui l’étreignait un peu plus chaque jour.

Aussi adressa-t-elle un regard absent à Pieris lorsqu’elle l’aperçut. Il se tenait assis sur l’un des canapés bleu marine de la salle d’attente de l’hôtel. Son regard bleu glacier s’éclaira lorsqu’il l’aperçut qui descendait les marches. L’étincelle de joie mourut bien vite dans ses yeux. Il se contenta alors de la fixer d’un air penaud.

Elle devait faire peine à voir. Elle s’en moquait. Elle se moquait de tout.

Goyah, qui descendait les marches à sa suite, posa une main réconfortante sur son épaule. Elle sentit à peine le contact, comme s’il venait d’une autre réalité que la sienne. Anis regarda son mentor sans le voir. Puis elle vint s’asseoir dans le canapé situé face à Pieris. Elle gardait la tête basse. Pas une fois elle ne croisa son regard.

Pieris baissa la tête également. Il avait perdu de sa superbe. Sa coiffure autrefois impeccable présentait désormais quelques mèches rebelles, qui pendaient lâchement sur ses tempes. Ses yeux étaient cernés.

Goyah prit place aux côtés de sa protégée et fixa Pieris d’un air sévère.

— Salut, tenta timidement Pieris.

Il se heurta à deux blocs de glace. Si Anis était glaciale malgré elle, Goyah l’était par choix.

— Bonjour, Pieris. Pourquoi as-tu demandé à nous voir ? demanda ce dernier, les bras croisés.

Décontenancé par l’attitude de Goyah, Pieris chercha un instant ses mots.

— Je… Je l’ai trouvé. Darkrai, je veux dire.

— Ravi pour toi.

Son intonation laissait supposer le contraire.

— Mais… Ça ne s’est pas très bien passé, avoua-t-il. Ça me fait mal de le dire, mais il est beaucoup trop fort pour moi. Mon équipe et moi… on s’est fait laminer.

Goyah resta silencieux. Son visage ne trahissait aucune émotion. Il attendait simplement la suite. Pieris se prit la tête dans les mains. Il avait compris que Goyah ne se laisserait pas attendrir aussi facilement.

— Écoutez… J’ai bien réfléchi. Je… Je suis désolé. Je n’aurais pas dû partir comme ça. J’étais obnubilé par Darkrai et… Je vous ai laissé tomber. Surtout toi, Anis…

La concernée évitait toujours son regard.

— Je me trouvais des excuses… Je me disais qu’après tout, on ne se connaissait pas si bien que ça… Et que donc, si je partais, je ne vous manquerais pas. Et puis aussi, que finalement…

Il déglutit.

— Je me moquais bien de ce qui pouvait vous arriver.

Goyah fronça les sourcils. Anis le sentait : il irradiait de colère. Elle ne sentait toujours rien. Juste un froid mordant qui dévorait son âme.

— …Mais je me mentais à moi-même, reprit-il aussitôt en observant le visage de Goyah. Je ne pensais pas un mot de tout ça. Mais vous comprenez, j’ai toujours été méfiant. Je… J’avais peur de m’attacher aux gens. Donc, je… je me suis éloigné de vous. J’ai foncé tête baissée dans une aventure stupide. Mais mon échec m’a fait réaliser ce qui est vraiment important.

Il marqua une pause pour reprendre son souffle. Le silence assourdissant bourdonnait dans les oreilles d’Anis.

— J’ai conscience d’avoir mal agi, reprit Pieris. C’est tout moi, ça. Je me fais des amis pour la première fois de ma vie, et je les abandonne quand ils ont besoin de moi…

Il laissa échapper un rire nerveux.

— Je suis… pathétique.

— Non, juste humain, soupira Goyah. Je mentirais si je disais que je ne t’en ai pas voulu. Surtout vis-à-vis d’Anis. Mais on fait tous des erreurs. Moi le premier…

Le regard lilas de Goyah se perdit soudain dans le vague.

— Dites, Goyah… fit Pieris.

— Oui ?

— J’y ai repensé… Vous étiez vraiment sérieux, quand vous parliez de former le prochain Conseil 4 d’Unys ?

— Oui. Tu en doutes encore ?

— Non. Je me demande juste… à quel point vous êtes fort. Il faut soi-même être un grand dresseur pour trouver des dresseurs dignes d’intégrer un Conseil 4.

— Qu’est-ce que tu attends de moi, exactement ? demanda Goyah, intrigué.

— J’aimerais vous combattre. Pour voir l’énigmatique Goyah à l’œuvre. Si vous êtes d’accord, bien sûr…

Goyah haussa les sourcils. Il ne s’attendait visiblement pas à ça. Anis s’attendait à ce qu’il refuse. Puis, après un soupir, il déclara :

— Très bien.

Pieris le remercia en souriant.

— Je ne suis pas sûr que tu me remercieras toujours après notre combat, affirma Goyah avec un léger sourire à son tour.

Une étincelle de vie brilla faiblement dans les yeux d’Anis. Son mentor se prenait au jeu. Elle allait enfin le voir combattre. Elle se leva avec difficulté de son siège pour les suivre. Son corps lui semblait lourd, encombrant. Chaque pas lui demandait un effort considérable.

Ils décidèrent de s’affronter devant l’hôtel, sur la jetée, à six Pokémon contre six. Anis s’effondra sur un banc de pierre pour les observer. Le combat commença, mais l’esprit d’Anis ne parvint pas à le suivre. Elle ne distinguait que des formes floues. Les voix qu’elle entendait se déformaient en un amas de sons confus. Elle voyait défiler sous ses yeux des enchaînements et des techniques impressionnantes que son cerveau ne parvenait pas à les analyser.

Au bout d’une éternité, Anis réussit à redonner un sens aux sons et aux images qui s’offraient à elle. Pour autant qu’elle pouvait en juger, les deux adversaires étaient très forts. Mais Goyah menait la danse.

Pieris envoya son Léopardus sur le terrain.

— J’ai rarement été mis en difficulté comme ça… déclara-t-il avec un sourire. Mais je n’abandonne jamais.

— Moi non plus, si tu veux tout savoir, répliqua Goyah.

Comme pour approuver ses dires, son Pyrax déploya ses ailes en signe de détermination. Anis comprit alors que l’affrontement final allait commencer. Les deux adversaires ordonnèrent en même temps à leur Pokémon :

— Léopardus, Bluff !

— Pyrax, Papillodanse !

Léopardus fut évidemment le plus rapide. Bluff était une capacité extrêmement rapide, quasiment impossible à éviter. De la même façon qu’il l’avait fait face au vigile du Casino, le félin violet claqua ses pattes avant l’une contre l’autre sous les yeux de Pyrax, qui recula, sonné.

Mais le papillon de feu se ressaisit bien vite, et se mit à onduler de façon élégante, laissant derrière lui des traînées de poudre scintillante. La danse mystique captiva Anis, qui la reconnut aussitôt : la Papillodanse. Goyah avait appris à Anis l’effet de cette redoutable capacité : elle exaltait l’esprit du lanceur, augmentant ainsi son attaque spéciale, sa défense spéciale et sa vitesse. Une capacité redoutable.

— Utilise Aéropique ! ordonna Pieris à son Léopardus, sans se laisser démonter.

— Bourdon ! répliqua Goyah.

Cette fois-ci, grâce à Papillodanse, Pyrax attaqua le premier. L’onde sonore verte frappa de plein fouet Léopardus, qui s’effondra au sol. Anis attendit, le cœur battant. Le léopard au pelage violet ne se releva pas.

K.O. en un coup.

Tout comme Pieris, Anis s’était autrefois demandée à quel point Goyah était fort. Elle avait maintenant sa réponse : Goyah était un dresseur d’une puissance incommensurable. Et il l’avait prise sous son aile. Elle, plutôt qu’une autre. Pour l’aider à révéler son potentiel de dresseuse.

Et elle, pourquoi avait-elle décidé de s’entraîner à ses côtés ?

Pourquoi avait-elle entrepris ce voyage ?

Pour devenir plus forte.

Oui, mais pas seulement.

Pour faire ses propres choix.

Pour continuer à vivre.

Ce que son amie n’avait pas pu faire.

Cette pensée éveilla Anis de sa transe. Oui, son amie était morte. C’était la triste réalité. Elle aurait pu la sauver… Cette pensée, plus que tout, l’obsédait. Elle se sentait coupable. Elle avait essayé de la sauver… Elle avait cherché à la voir. La porte ne s’est jamais ouverte pour elle. Et elle était morte.

Mais Anis, elle, avait la chance d’être en vie. Et elle pouvait vivre. Vivre pour elle. Continuer à se morfondre et se flageller ne résoudrait rien. Cela ne ramènerait pas son amie. Cela ne reviendrait qu’à gâcher cette vie qu’elle aurait dû chérir.

Anis comprit alors une chose essentielle.

Elle était heureuse d’être en vie.

Elle voulait vivre.

À cette pensée, elle sourit.

Un sourire presque imperceptible, mais bien réel.

***
Le lourd silence reprend de plus belle. Anis a fini de parler depuis de longues secondes, mais Brittany n’enchaîne pas. Les larmes d’Anis ont cessé de couler. Elle a l’impression de revivre ses souvenirs tandis qu’elle les raconte. Le même sourire que celui qu’elle a esquissé treize ans plus tôt se dessine au coin de ses lèvres.

— Je… Merci de nous avoir confié ces souvenirs, Anis, déclare finalement Brittany. J’imagine que cela a dû être difficile pour vous.

Sa voix semble empreinte de sincérité. Anis le ressent : ce n’est plus Brittany, l’idole, qui se tient en face d’elle, mais Brenda, la jeune fille sensible qui se cache sous le masque de la célébrité. Et l’histoire d’Anis a ému Brenda. Le regard d’Anis s’adoucit. Elle est touchée par cette compassion.

Elle hoche la tête. Brenda hoche la sienne en retour, compréhensive, avant d’endosser de nouveau le rôle de Brittany :

— Oui, c’est tout à fait compréhensible, approuve-t-elle. Nous allons donc marquer une courte pause de publicité. Surtout, ne zappez pas !

Mais son exhortation manque d’enthousiasme. Ce n’est pas pour déplaire à Anis. Elle préfère de loin Brenda à Brittany. Lorsque la régie annonce le début de la coupure publicité, la jeune présentatrice se lève aussitôt de son fauteuil, en marmonnant quelque chose à propos de son maquillage. Anis jurerait avoir vu une larme s’échapper de ses beaux yeux azurés.

Anis profite de cette pause pour reprendre son souffle, et accepte avec joie le verre d’eau qu’on lui propose. Son histoire touche bientôt à sa fin. Mais il lui reste encore quelques aventures à raconter. Ainsi, lorsque Brittany – non, il s’agit toujours de Brenda, elle le voit sur son visage, malgré la nouvelle couche de maquillage – revient s’asseoir et que l’émission reprend, Anis est prête. Prête à continuer son récit. Peut-être même plus que Brenda.

Même le maquillage ne peut camoufler les yeux rouges.

***
Portée par le vent, légère comme une plume, Anis inspira l’air frais de Sinnoh. Elle jeta un œil à sa Baudrive, qui lui adressa un regard joyeux, pour lui signifier qu’elle n’était pas fatiguée. Rassurée, Anis reporta son attention sur l’horizon : elle guettait la majestueuse silhouette d’un château. Lorsque Goyah lui avait parlé d’un Château de Combat – ou plutôt, d’un « Castel » de Combat, comme il s’appelait – Anis avait imaginé un magnifique château, comme dans les contes de fées.

Et elle était ravie de voir que la vision qui s’offrait à elle était à la hauteur de ses espérances. Le Castel de Combat correspondait en tous points à l’image idyllique du château médiéval, de son toit d’ardoise verte à ses immenses tours de pierre. Anis s’attendait presque à voir une princesse éplorée surgir de l’une des fenêtres. Elle songea que ce n’était pas si éloigné de la réalité, finalement.

D’après Goyah, ce château abritait bel et bien une princesse. C’était elle, la raison de leur venue au Castel de Combat. C’était apparemment un prodige du combat Pokémon. Mais elle disposait également de puissants pouvoirs psychiques… qu’elle ne maîtrisait pas. Elle faisait donc combattre son majordome à sa place, et observait le déroulement des matchs du haut de son trône. Goyah avait été intrigué par cette description singulière. Et lorsque Goyah entendait parler d’une dresseuse qui sortait de l’ordinaire, il devait absolument la rencontrer.

Anis embrassa une dernière fois du regard la Zone de Combat de Sinnoh, semblable à un parc d’attractions coloré, avant d’atterrir aux pieds du Castel de Combat, suivie par Goyah. Anis eut un pincement au cœur en songeant que Pieris n’était pas là. Après avoir passé plusieurs jours avec eux, il avait décidé de rentrer en Unys pour s’entraîner, visiblement ébranlé par sa défaite face à Goyah. Mais il démontrait désormais le plus grand respect envers le mentor d’Anis, et s’était juré de le vaincre un jour. Et il avait également promis de donner des nouvelles. Anis espérait qu’il tiendrait parole.

— Allez viens, Anis ! s’exclama Goyah, interrompant le fil de ses pensées. Allons rencontrer cette princesse prodige !

Anis hocha la tête, et ils franchirent l’immense porte du Castel de Combat ensemble. L’intérieur du château était aussi luxueux que le laissait présumer l’extérieur. Le décor respirait le faste, tout en dorures. Le tapis, les escaliers, et même le terrain de combat, tout était d’or. Les murs étincelaient, ornés de pierres précieuses. Au milieu de la pièce, derrière le terrain, de somptueux rideaux de satin pourpre masquaient les coulisses. Mais la pièce maîtresse du château reposait tout en haut : le trône rouge de la princesse.

Cette dernière se tenait assise dessus, l’air passablement ennuyé. Le combat qui s’achevait sous ses yeux ne l’avait pas impressionnée. Un dresseur vêtu d’une casquette rouge venait de triompher d’un homme élégant vêtu d’un costume à nœud papillon. Anis supposa que ce dernier était le fameux majordome de la princesse, celui qu’elle faisait combattre à sa place.

Un tintement de clochette résonna dans l’air. C’était la princesse qui l’avait fait sonner. Surplombant toute la scène d’un air supérieur, elle s’écria :

« Bien… Parsley ! Apportez des PCa. Immédiatement ! »

Le dénommé Parsley, celui qui était vêtu d’un costume, s’inclina respectueusement, montrant au monde entier ses cheveux gominés noirs et blonds. Puis il s’adressa au jeune homme qui venait de le vaincre :

« Bon travail, Louka. Une victoire obtenue non sans mal, hm ? Dame Percila m’a demandé de vous remettre ces PCa en récompense. »

Il tendit au jeune homme dénommé Louka des tickets en forme de couronne. Le dresseur le remercia avant de se diriger vers la sortie du Castel. Une fois qu’il fut parti, la princesse – Dame Percila – s’adressa à Goyah et Anis :

— De nouveaux challengers ? Il vous faudra patienter un peu, il y a beaucoup d’attente, précisa-t-elle en bâillant, l’air désintéressé.

Anis l’observa. Percila était une jeune fille un peu plus âgée qu’elle. Et beaucoup plus jolie. Elle avait en effet tout d’une princesse : les longs cheveux soyeux, d’un magnifique blond cendré, les grands yeux bleus étincelants, la robe rose de poupée… et l’attitude condescendante. La jalousie et le mépris étreignirent Anis en même temps. Elle tenta d’en faire abstraction, en vain.

Goyah, lui, ne se laissa pas décontenancer :

— Nous ne sommes pas des challengers, expliqua-t-il. Nous sommes venus pour vous rencontrer, Dame Percila.

Même de là où elle était, Anis vit l’étincelle d’intérêt jaillir dans le beau regard bleu de Percila. Les mots de Goyah avaient manifestement piqué sa curiosité.

— Ah, vraiment ? fit-elle, intriguée. Puis-je savoir en quel honneur, Monsieur…

— Goyah. J’arpente Sinnoh à la recherche de dresseurs d’exception. J’ai entendu parler de vous, et j’ai voulu vous rencontrer.

— Eh bien, je suis flattée. Vous avez mon attention, Monsieur Goyah. Laissez-moi vous offrir une tasse de thé, à vous et votre amie. Parsley !

Parsley leva la tête vers Percila, attendant les instructions.

— Veuillez préparer le thé pour ces personnes, ainsi que moi-même.

— Bien, Dame Percila, acquiesça Parsley en s’inclinant. Qu’en est-il des combats ?

— Nous prenons une pause. Je vous laisse en informer les challengers. Ce sera tout.

Elle se leva de son trône et fit signe à Goyah et Anis de la rejoindre. Puis elle disparut derrière une porte, cachée par un rideau de satin rouge situé derrière son siège. La grâce avec laquelle elle se déplaçait nourrit un peu plus la jalousie d’Anis. Celle-ci s’empressa d’ailleurs de suivre son mentor, qui grimpait les marches d’or, gênée par les regards noirs que leur lançaient les dresseurs alentour. Elle ne pouvait pas leur en vouloir. L’intervention de Goyah venait sérieusement de retarder leur chance d’affronter Parsley. Cette Percila ne manquait vraiment pas d’air.

Mais la mauvaise humeur d’Anis s’envola lorsqu’elle passa la porte, derrière le rideau satiné. Là, un somptueux salon s’offrait à elle. Comme dans la salle de combat, le pourpre et l’or se mélangeaient avec majesté. Les canapés de velours bordeaux semblaient plus doux qu’une caresse. Assise sur l’un d’eux, Percila complétait le tableau, grâce à sa prestance de reine. Anis en resta bouche bée.

— Je vous en prie, asseyez-vous, Monsieur Goyah, l’invita Percila. Et toi aussi…

— Anis.

— Enchantée, Anis, répondit Percila avec un sourire éclatant.

— De même, répondit Anis entre ses dents, qui n’en pensait pas un traître mot.

Anis et son mentor prirent place sur les moelleux canapés. Parsley arriva bientôt avec un plateau doré sur lequel trônaient une théière en porcelaine, ainsi que trois tasses assorties. Le majordome leur servit le thé, puis il alla se poster près de la porte, sous le regard interloqué d’Anis. Elle n’aurait jamais cru se faire servir le thé par un majordome un jour. Elle aurait volontiers ri de cette situation, qu’elle trouvait incongrue, mais elle avait le sentiment que cela n’aurait pas plu à Percila.

Cette dernière but une gorgée de son thé avant de s’adresser à Goyah :

— Bien, alors, racontez-moi, tout je suis tout ouïe. Qui êtes-vous ? Pourquoi recherchez-vous des « dresseurs d’exception », comme vous dites ?

— Oh, eh bien… Je suis un simple dresseur venu d’Unys… commença Goyah.

— Il est bien trop modeste, intervint soudain Anis, avec un aplomb qu’elle ne se connaissait pas. C’est lui-même un dresseur exceptionnel.

— Oh, vraiment ? s’étonna Percila d’un ton poli.

Anis était persuadée qu’elle ne la croyait pas. Tout comme Pieris, Percila sous-estimait son mentor. Et cela la mettait hors d’elle.

— Disons que j’ai de l’expérience, reprit Goyah, tout sourires. Mon objectif est de former le prochain Conseil 4 d’Unys, ma région natale.

— Voilà un vaste projet ! Est-ce la raison pour laquelle vous êtes venu me voir ? Car vous avez entendu parler de mes talents en combat Pokémon ?

Anis se retint de rire. Au moins, la modestie de Goyah compensait avec l’ego de leur interlocutrice.

— Oui. Mais j’ai aussi entendu dire que vous évitiez de combattre, car vous possédez des pouvoirs que vous ne maîtrisez pas. Est-ce bien vrai ? demanda Goyah de but en blanc.

Percila blêmit. Son sourire se déforma en un rictus déplaisant. Elle n’appréciait visiblement pas la tournure de la discussion. Elle se leva soudainement.

— Veuillez m’excuser un instant, déclara-t-elle avant de quitter précipitamment la pièce par la porte du fond.

À peine la porte fut-elle refermée qu’Anis entendit des cris de fureur et des bruits d’éclats parvenir de la pièce voisine. Ça alors ! La petite princesse capricieuse ne savait pas gérer sa colère, apparemment. Parsley se tourna vers eux.

— Ah, vous avez touché la corde sensible, Monsieur.

— Je vois ça, constata Goyah, amusé.

— Vous avez tout à fait raison.

— Elle se met souvent en colère comme ça ? demanda Anis.

— Oh oui, croyez-moi, assura Parsley. C’est la raison pour laquelle Dame Percila me fait combattre à sa place. Elle possède un caractère, disons… explosif. Chaque fois qu’elle perd un combat, elle se met dans une colère noire. Cette colère alimente ses pouvoirs psychiques, occasionnant des dégâts considérables.

Il soupira. Anis supposa qu’il avait fait les frais de ces colères : en tant que majordome de Percila, c’était à lui de réparer les dégâts.

— C’est pourquoi nous avons jugé préférable que je combatte en son nom, poursuivit-il. Mais si vous voulez mon avis… Dame Percila souffre de cette situation. Elle aime beaucoup les combats, et le fait de ne pas pouvoir défendre son titre elle-même la peine.

Anis se sentit soudain plus proche de la jeune fille. Elle comprenait très bien ce que Percila pouvait ressentir. Elle ressortait elle-même d’une période où elle avait été incapable de faire quoi que ce soit. Anis avait horreur de ce sentiment d’impuissance et de vulnérabilité. C’était ce que Percila devait ressentir lorsqu’elle assistait aux matchs de Parsley. Elle se cachait derrière un masque d’ennui, mais au fond, elle ne rêvait que d’une chose : combattre elle-même.

À cet instant, Percila reparut, les épaules tombantes. Elle se rassit tout en essayant de reprendre contenance, mais elle avait perdu de sa superbe. Elle ne savait pas comment poursuivre la conversation. Goyah lui épargna cette peine :

— Écoutez, Dame Percila. Votre majordome, Monsieur Parsley, nous a expliqué votre situation.

Percila jeta un regard noir à son majordome, qui continua de sourire comme si de rien n’était.

— Ce doit être difficile à vivre pour vous, commenta Goyah.

Percila ne répondit pas.

— Écoutez, enchaîna Goyah, c’est vrai que je recherche des dresseurs d’exception pour former le futur Conseil 4 de ma région. Mais mon objectif premier est avant tout d’aider les jeunes dresseurs chez qui j’entrevois un vrai potentiel. Leur transmettre mon expérience, pour les aider à avancer dans leur voie. Vous avez retenu mon attention, Dame Percila. J’ai vu ce potentiel en vous. Et je vois également que vous êtes confrontée à une difficulté de taille dans votre apprentissage de dresseuse. Si vous êtes d’accord, je pourrais vous aider à maîtriser vos pouvoirs, et à avancer dans votre carrière de dresseuse. Qu’en dites-vous ?

Un silence écrasant s’abattit sur le luxueux salon. Anis se raidit. La proposition de Goyah ne l’étonnait pas. Mais si Percila acceptait, elle deviendrait son apprentie, aux côtés d’Anis. Et Anis n’était pas sûre de vouloir une chose pareille.

Percila fronça les sourcils. Elle ne semblait pas ravie. Elle éclata d’un rire mauvais.

— Vous débarquez d’on ne sait où, j’ignore totalement qui vous êtes, et vous vous proposez de m’apprendre des choses, à moi, la princesse du Castel de Combat ? s’exclama-t-elle d’un ton rageur. Quelle arrogance ! Pour qui vous prenez-vous ? D’autant plus que je n’ai aucune preuve de votre talent de dresseur – si tant est que vous en ayez vraiment un. Vous pourriez très bien être un imposteur.

Anis bouillait de rage. Elle serra les poings. Comme elle rêvait de se jeter sur cette Percila ! Devenir l’apprentie de Goyah était un grand honneur, que Percila balayait d’un revers de main.

— Haha, c’est vrai, répondit Goyah en riant, imperturbable. Souhaitez-vous me mettre à l’épreuve pour que je puisse prouver ce que j’avance ?

Les yeux bleus de Percila brillèrent du même éclat que tout à l’heure. Sa colère se transformait en curiosité. Elle laissa échapper une petite expression moqueuse et snobinarde.

— Pourquoi pas ? Si vous réussissez à vaincre Parsley, je réfléchirai peut-être à votre proposition. Mais ça ne risque pas d’arriver, ricana-t-elle.

— Je relève le défi, déclara Goyah.

Percila le fixa d’un air perplexe. Anis la toisa d’un regard de défi. Elle avait hâte que Goyah écrase Parsley – elle regrettait que ce ne soit pas Percila elle-même – pour lui faire ravaler ses paroles. Elle suivit le petit groupe qui quittait le salon pour revenir sur le terrain de combat. Percila reprit place sur son trône, tandis qu’Anis se tenait debout à ses côtés, appuyée contre la rambarde, ce qui l’exaspérait.

Parsley et Goyah se dirigeaient vers le terrain. Le mentor d’Anis ne s’était pas départi de son sourire. Anis n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi enjoué. Quand il avait une idée en tête, il n’abandonnait jamais. Et il gardait toujours le sourire. À bien des égards, Goyah était un véritable modèle pour elle.

— Je superviserai ce combat, déclara Percila de sa voix haut perchée, siégeant sur son trône de princesse. Il se déroulera à trois Pokémon contre trois, sans objets tenus, selon les règles du Castel de Combat. Cela vous convient-il ? demanda-t-elle en toisant Goyah.

— Aucun problème, répondit-il en souriant.

Percila se rembrunit. Anis rit intérieurement. Plus Goyah souriait, plus Percila se renfrognait. C’était très satisfaisant à observer.

— Très bien, grogna Percila. Alors, que le match commence !

Le cœur d’Anis se mit à battre plus fort. Son mentor n’avait pas eu de temps de préparation. Mais elle ne devait pas s’inquiéter. Depuis qu’elle l’avait vu à l’œuvre face à Pieris, elle était convaincue que Goyah pouvait vaincre n’importe qui.

Les deux dresseurs envoyèrent leurs Pokémon sur le terrain. Un Pokémon oiseau au plumage gris qu’Anis avait déjà vu quelquefois lors de son voyage à Sinnoh surgit de la Poké Ball de Parsley. Quant à Goyah, il libéra de sa Poké Ball son Sorbouboul. Un Pokémon de type Glace. Il avait clairement l’avantage face au Pokémon Vol de Parsley. L’avait-il fait exprès ? Oui, forcément. D’une manière ou d’une autre, il avait réussi à lire dans le jeu de son adversaire. Elle en était persuadée. Anis jeta un regard en coin à Percila : comme elle s’y attendait, la jeune princesse semblait furieuse. Anis sourit, satisfaite.

Et le match commença. Goyah lança les hostilités :

— Sorbouboul ! Utilise Blizzard !

— Étouraptor ! Évite l’attaque et utilise Retour ! ordonna Parsley à son Pokémon.

La glace géante projeta un souffle glacé dévastateur sur l’oiseau. Étouraptor tenta de l’éviter comme le lui avait intimé son dresseur, mais le blizzard était trop puissant. L’oiseau fut balayé sur plusieurs mètres, avant de s’effondrer aux pieds de Parsley. Ce dernier se pencha vers son Pokémon.

— Relève-toi, Étouraptor ! Ce n’est pas encore fini !

— Je crains que si, le détrompa Goyah.

En effet, tout comme le Léopardus de Pieris, Étouraptor ne se releva pas.

K.O. en un coup.

Encore une fois.

Les Pokémon de Goyah étaient terrifiants.

Médusé, Parsley prit son Pokémon Vol dans ses bras, lui chuchota des paroles rassurantes et le rappela dans sa Poké Ball. Anis se tourna vers Percila. Elle était rouge de colère. Anis se demanda si elle n’allait pas exploser. Elle trouvait quant à elle la situation très drôle.

Parsley envoya ensuite son Démolosse. Malgré son désavantage de type, Sorbouboul se battit bravement. Mais les attaques feu du Pokémon Sombre finirent par avoir raison du cornet de glace. Goyah le félicita avant de le rappeler. Puis il envoya son second Pokémon au combat : son Frison. Le bison frémissait déjà d’impatience.

Anis sourit. Ce duel devrait être facile pour Goyah : Démolosse était déjà bien affaibli. Mais Parsley ne l’entendait pas de cette oreille :

— Démolosse ! Utilise Contre !

Anis se raidit. C’était une excellente stratégie : plus le lanceur était affaibli, plus la capacité Contre était puissante. Elle avait aussi l’avantage d’être type Combat, et donc super efficace sur le type Normal de Frison. Son cœur s’emballa. Mais Goyah, lui, sourit de plus belle tandis que le canidé noir se ruait sur son Pokémon.

Au dernier moment, Goyah ordonna calmement à son Frison :

— Séisme. Ne le laisse pas s’approcher.

À cet instant, Frison poussa un cri qui se répercuta dans toute la salle. Le sol trembla si fort qu’Anis le ressentit jusque dans sa chair, alors même qu’elle se tenait en hauteur. Démolosse perdit l’équilibre et s’effondra au sol. Anis savait déjà qu’il ne pourrait jamais se relever d’une telle attaque.

Il ne se releva pas.

Parsley rappela une nouvelle fois son Pokémon d’un air hébété. Il ne lui en restait plus qu’un.

Au même moment, Anis entendit Percila se lever brusquement de son trône pour disparaître derrière le rideau de satin. Anis devina qu’elle partait s’isoler pour piquer une nouvelle crise. Elle leva les yeux au ciel. La petite princesse avait beau être plus âgée qu’elle, Anis la trouvait très immature. Mais elle n’était pas stupide. Elle avait dû comprendre, elle aussi. Comprendre que Parsley n’avait pas la moindre chance de remporter ce combat.

Le dernier Pokémon du majordome était un Pokémon prénommé Pingoléon. Anis supposa qu’il était de type Eau. Elle avait raison, mais à moitié seulement. Elle apprit plus tard qu’il était également de type Acier… Un type faible face au Séisme dévastateur de Frison. Pingoléon succomba lui aussi en une seule attaque. Percila revint s’asseoir sur son trône au moment exact où le corps de Pingoléon se fracassa contre le sol.

Anis s’attendait à voir son visage de nouveau défiguré par la fureur, mais il n’en était rien. Elle se tenait simplement la tête basse. Son visage était impénétrable. Sur le terrain, Parsley rappela son ultime Pokémon dans sa Poké Ball.

— Ça alors… Je n’avais pas enduré une défaite aussi amère depuis fort longtemps, souffla Parsley, béat d’admiration. Vous êtes sans conteste un dresseur exceptionnel, M. Goyah.

Ce dernier éclata de rire.

— Ah, vous allez me faire rougir ! Vous vous êtes bien défendu.

Parsley secoua la tête. Il s’apprêtait à dire quelque chose, mais il n’en eut pas l’occasion.

Une voix claire et profonde, venue des hauteurs, résonna dans tout le Castel :

— J’accepte.

Tous les regards se tournèrent alors vers celle qui avait parlé.

Percila, la princesse du Castel de Combat, fixait Goyah d’un regard nouveau.

Un regard empli de respect et d’admiration.

***
— Et donc, à compter de ce jour, Percila est devenue l’apprentie de M. Goyah, au même titre que vous ? demande Brittany.

La présentatrice a profité du long récit d’Anis pour reconstituer son masque d’idole. Anis le voit bien : Brenda a disparu. Brittany est de retour, et ses questions aussi.

— Oui. Ce match qui opposait Maître Goyah à Parsley lui a ouvert les yeux : elle a compris qu’il n’y avait pas de meilleur dresseur au monde, même si elle ne l’admettra sans doute jamais. N’est-ce pas, Cila ? demande Anis avec un clin d’œil, en se tournant vers la caméra pour la première fois de l’émission.

Cela l’amuse beaucoup de penser à sa meilleure amie, assise devant son poste de télévision, en train de l’écouter raconter le début chaotique de leur amitié.

— Aujourd’hui, Percila est l’une de vos plus proches amies. Comment est-ce arrivé ? s’enquiert Brittany en papillonnant des cils. De ce que vous nous avez raconté, vous ne vous entendiez pas très bien, en tout cas au début.

— Oui, c’est vrai. Mais je m’étais trompée sur son compte. Derrière la façade qu’elle s’était créée, celle de la princesse capricieuse, il y avait une jeune fille au cœur d’or. Nous avons appris à nous connaître, et elle savait très bien écouter. Je lui ai raconté toutes les aventures que vous venez d’entendre. Percila est rapidement devenue ma meilleure amie. C’était d’ailleurs ma première vraie amie depuis…

Elle ne finit pas sa phrase. Des relents de chagrin se font sentir dans l’air. Après un silence pesant, Brittany change de sujet :

— Et donc, qu’avez-vous fait après « l’épisode Percila » ?

— Nous sommes revenues à Unys avec Maître Goyah. J’avais maintenant onze ans. Cela faisait un an que j’avais commencé mon voyage. Comme vous avez pu l’entendre, j’ai vécu des aventures extraordinaires pendant cette année. Des aventures qui ont forgé mon existence. Je pense maintenant que vous comprenez un peu mieux les choix de vie qui m’ont amenée à devenir ce que je suis aujourd’hui : Conseil 4 et écrivaine.

Le public est suspendu à ses lèvres. Le silence lui-même l’implore de poursuivre. Elle prend une profonde inspiration.

— Mais il me reste encore un chapitre à vous raconter. Lorsque mes deux rêves sont devenus réalité.