Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

Nous marchons sans échanger un mot depuis plus d'une heure. Altar a complètement disparu de notre champ de vision, et les dunes de sable s'étendent désormais à perte de vue sans nous donner le moindre repère pour nous orienter.

La chaleur est à peine soutenable. Les gouttes de sueur produites par l'effort s'évaporent presque aussitôt, et j'ai le sentiment de me dessécher à chaque fois que je mets un pied devant l'autre.

– Attends une minute... souffle Lucille derrière moi.

Mon amie sort sa gourde de son sac et prend une petite gorgée avant de la reboucher. Nous n'avons pas pris le temps de nous réapprovisionner correctement pour la traversée du désert, et nos maigres ressources risquent de s'épuiser très vite si nous n'y prêtons pas la plus grande attention.

Elle entreprend alors de retirer son haut pour rester en brassière, et me lance un regard sévère lorsque je hausse un sourcil interrogateur.

– Quoi ? fait-elle sèchement. C'est plus que tu ne peux le supporter ?

Je détourne les yeux sans faire de commentaires. Lucille a un caractère bien trempé, et j'ai bien compris qu'il était inutile de lui parler dans ces moments-là.

Je reprends tranquillement la route en espérant que l'orage passe, mais elle revient presque aussitôt à la charge avec toute la délicatesse qui la caractérise.

– Tu comptais me parler un jour de cette Team Fusion ? demande-t-elle en contenant à peine sa colère. Ou il faut là aussi que je te fasse aveuglément confiance ?

Je laisse échapper un léger soupir en ralentissant le pas malgré moi. La bévue de mon cher frère me retombe évidemment dessus, et je ne sais pas comment je vais pouvoir me sortir de ce bourbier.

– Il vaut mieux que tu ne saches rien à ce sujet... je réponds d'un air sombre. Pour ta sécu...

– Ne te fous pas de moi avec tes conneries de sécurité ! me coupe-t-elle en laissant éclater sa fureur. Tu n'es pas mon père, Thomas Gray, et je n'ai certainement pas besoin d'un mâle à l'ego surdimensionné qui pense devoir me protéger de tout le monde !

Elle me foudroie à nouveau du regard en attendant ma réaction, mais je me force à rester stoïque pour ne pas entrer dans son jeu.

Mon attitude l'exaspère tellement qu'elle finit par m'expédier une gifle que je bloque à quelques centimètres de ma joue.

– Toujours pas... je murmure en plissant les yeux. Il faut vraiment que tu apprennes à canaliser ta...

Un éclair de défi traverse ses yeux émeraude. Elle tire profit de notre position improbable et tourne rapidement sur elle-même, entraînant mon bras tendu vers l'extérieur et me faisant perdre l'équilibre.

Avant même de pouvoir réaliser ce qui se passe, je me retrouve étendu sur le dos, son bras enroulé autour du mien.

– Je sais très bien me canaliser... siffle-t-elle avec fougue. Mais toi, il semblerait que tu aies encore deux ou trois choses à apprendre.

J'essaie machinalement de me dégager, mais sa prise est bien trop ferme pour que je puisse effectuer le moindre mouvement.

– Qui est la Team Fusion ? demande-t-elle froidement. Tu ferais mieux de me répondre, si tu ne veux pas que je te fasse bouffer du sable.

Évidemment, aucun de mes partenaires ne vient à ma rescousse. Ces salauds doivent bien se fendre la poire, depuis leur Pokéball.

J'ai toutefois la présence d'esprit de ne pas sourire. Lucille semble très sérieuse sur ce coup, et je ne pourrai pas continuer de faire l'autruche indéfiniment.

– C'est le nom de l'organisation criminelle qui gouverne la région depuis plus de dix ans... je souffle en plongeant mon regard dans le sien.

Mon amie plisse les yeux avec méfiance.

– Celle pour qui travaille Steve Erzat ?

Je hoche doucement la tête en la voyant réfléchir à toute vitesse.

– Je sais déjà que les autorités sont corrompues... dit-elle en fronçant les sourcils. Et je me doute bien ce pourri a un réseau qui s'étend partout en Arkephyr. Alors pourquoi me cacher son nom ?

– Tu pourrais commencer par me lâcher et...

– POURQUOI ?

Je crispe la mâchoire en m'efforçant de conserver mon calme. Lucille est peut-être une experte en arts martiaux, mais ma patience a des limites qu'elle pourrait bientôt atteindre.

– Parce que la plupart des personnes qui ont eu connaissance de la vérité à ce sujet ne sont plus là pour en témoigner... je murmure d'un air sombre. Steve n'est qu'un pion parmi tant d'autres. Le vrai danger vient de beaucoup plus haut.

– Steve Erzat n'est pas le chef de la Team Fusion ?

– Non.

– Tu sais de qui il s'agit ?

Je détourne malgré moi les yeux, ne pouvant soutenir plus longtemps son regard inquisiteur – le même que sa foutue génitrice.

Ma réponse silencieuse semble confirmer son intuition, et c'est sans surprise qu'elle finit par poser la question que je redoute depuis notre première rencontre.

– Qui est le chef de la Team Fusion, Thomas ?

Sa voix tremble légèrement. Lucille est une fille intelligente, et elle vient sans doute de comprendre de quoi il en retourne. Aucune autre raison n'aurait pu me pousser à lui cacher cette information.

– Qui ?

Sa voix se brise, et ses yeux embués de larmes me donnent envie de disparaître sous le sable et de ne plus jamais refaire surface.

Mais l'heure est à la vérité.

– Marianne Laurens... je souffle d'une voix à peine audible. Ta mère est la chef de la Team Fusion.

Un lourd silence s'installe dans l'immensité du désert. La prise de mon amie s'est relâchée, mais je n'ose pas bouger d'un pouce. J'ai comme l'impression que le monde s'écroulera à la seconde où l'un de nous fera le moindre geste.

Une ombre passe alors dans le regard de Lucille.

– Ce n'était pas un hasard... gronde-t-elle en resserrant à nouveau sa prise autour de mon bras. Notre rencontre... Toute l'aide que tu m'as apportée depuis le début...

Endurer son courroux en silence est la seule chose que je puisse faire. Le poids de la culpabilité qui m'assaille en cet instant me défend de justifier mes actes.

– Tu t'es servi de moi... crache-t-elle avec un mépris non dissimulé. Tu t'es servi de moi depuis le premier jour. Et tout ça pour quoi ?

Une lueur assassine anime ses yeux lorsqu'elle devine mes intentions.

– Tu veux retrouver ma mère pour la tuer.

Je soutiens son regard sans nier l'évidence. Marianne est un poison pour ce monde. Elle a détruit de nombreuses vies sans ciller, et je ferai ce qui doit être fait pour la retrouver et mettre une bonne fois pour toutes un terme à son règne de l'ombre.

– Je ne te laisserai pas faire... murmure-t-elle en exerçant une pression insoutenable sur mon bras. Je te jure que je vais...

Lucille s'interrompt brusquement tandis qu'une aura bleutée enveloppe son corps tout entier. Elle me relâche alors malgré elle et s'élève doucement dans les airs avant d'être repoussée en arrière.

Mon Ectoplasma se matérialise au même moment à mes côtés tandis que je me redresse avec difficulté. Il fait apparaître un orbe ténébreux devant lui et adresse un sourire goguenard à ma protégée.

– Ça suffit... j'ordonne avec amertume en me massant le bras. Laisse-la tranquille.

Lucille secoue la tête et m'observe avec une haine si profonde que je préfère détourner une fois de plus mes yeux sombres.

– Je ne veux plus jamais te revoir... murmure-t-elle d'une voix brisée. Jamais, Thomas.

Mon amie fait volte-face avant de s'éloigner d'un pas mesuré. Elle ne tarde cependant pas à accélérer et se met finalement à courir pour mettre le plus de distance possible entre nous.

Je me laisse alors tomber à genoux et la regarde disparaître au loin.

– Je ne suis qu'un sombre connard... je lâche avec dégoût.

– Ecto.

Je lance un regard mauvais à mon Pokémon Spectre avant de le rappeler dans sa Pokéball.

Je ne sais pas ce qui m'a pris de lui révéler la vérité sur sa mère. J'ai attendu pendant dix longues années l'opportunité de me venger de Marianne, et voilà que je gâche toutes mes chances pour...

Pour quoi, au juste ? Me racheter une conscience après tout le mal que j'ai causé autour de moi ?

Je finis par me relever en songeant qu'il est inutile de m'apitoyer plus longtemps sur mon sort. Lucille m'a bien fait comprendre qu'elle ne voulait plus jamais me revoir, mais ce n'est pas pour autant que je vais arrêter de la suivre discrètement.

Elle est la seule à pouvoir me conduire jusqu'à Marianne.

– J'ai besoin de toi... je souffle en libérant mon Dracaufeu de sa Pokéball.

Mon ami pose un regard lourd de reproches sur moi, mais je fais mine de l'ignorer et lui donne ses instructions dans le langage des signes que nous avons développé au fil des années.

Il affiche toujours une moue réprobatrice lorsqu'il prend son envol pour surveiller ma protégée depuis les cieux.

Lucille n'est pas consciente de son pouvoir. Il est d'ailleurs possible qu'elle ne l'ait pas hérité de sa mère, mais cette dernière voudra très certainement s'en assurer. Et c'est à ce moment précis que je devrai me tenir prêt à frapper.

Je marche une heure supplémentaire et commence à regretter de ne pas être monté sur le dos de mon dragon. Mon amie n'étant plus à mes côtés pour mener à bien son voyage initiatique, je ne suis plus tenu de m'imposer ces contraintes ridicules. Cela dit...

Cette traversée du Désert de Doranthe fera office de pénitence.

Un rugissement sourd retentit au loin, et je lève machinalement la tête vers le sud où se déchaîne une violente tempête de sable. La silhouette de Dracaufeu se dessine rapidement et grossit à vue d'œil, mais je ne distingue aucune trace de Lucille.

– Qu'est-ce qui se passe ? je demande en joignant le geste à la parole.

Mon Pokémon ne perd pas une seconde et s'abaisse immédiatement pour me faire signe de monter. Je grimpe sur son dos sans me faire prier et m'accroche fermement à son encolure tandis qu'il s'élève dans les airs pour se diriger droit sur la tempête.

Je sors rapidement un tee-shirt de mon sac et l'enroule autour de ma tête à la manière d'un turban pour me protéger du sable qui s'immisce partout dans mon corps – ou presque. J'espère seulement que Lucille aura eu la présence d'esprit d'en faire autant.

Les conditions de vol sont épouvantables. Dracaufeu souffre du phénomène mais ne montre néanmoins aucun signe de faiblesse. C'est d'ailleurs pour cette raison que je ne comprends pas pourquoi il n'a pas ramené ma protégée en lieu sûr quand il en avait l'occasion.

Sauf qu'il n'en a jamais eu l'occasion.

– Par tous les dieux...

Un immense golem apparaît au cœur de la tempête de sable, et je réalise avec horreur que cette dernière n'a rien d'un phénomène naturel.

La créature est entièrement constituées de roches grises et brunes, avec deux blocs de pierre massifs en guise d'épaules. L'un de ses énormes bras est replié devant lui, et je distingue alors les contours d'une silhouette humaine à l'intérieur.

– Pose-moi au sol ! je crie inutilement en talonnant ma monture.

Dracaufeu amorce aussitôt une descente en piqué. Je contracte alors mes mollets pour me maintenir en selle et décroche une deuxième Pokéball de ma ceinture.

– Vrille et enchaîne avec Coud'Krâne ! je hurle en lançant la capsule devant moi, tandis que mon partenaire redresse sa trajectoire pour me permettre de descendre.

Je bondis avec souplesse sur le sable et effectue une roulade pour amortir la chute. Tortank apparaît dans la foulée et fait tournoyer sa carapace à toute vitesse avant de percuter le golem de toutes ses forces.

Ce dernier est déstabilisé par cette attaque directe et laisse s'échapper le corps de mon amie qui décrit un arc dans les airs avant de retomber mollement sur le sol.

Je fais signe à Dracaufeu d'aller la récupérer pour l'entraîner à l'écart de la zone de combat, et mon Pokémon Eau attend qu'il se soit exécuté pour surgir hors de sa carapace avec une expression féroce.

– À nous deux, Regirock...

Le gros tas de cailloux tourne sa lourde tête ornée de pierres jaunes, et je distingue dans ses yeux la même folie meurtrière qui animait le regard de Massko.

Ce Pokémon légendaire ne se trouve pas là par hasard. Il semble avoir été missionné pour neutraliser Lucille et l'emmener je-ne-sais-où.

– J'aurais peut-être dû te suivre de loin... je grommelle tandis qu'il pousse un grondement sourd. Mais je vais prendre beaucoup plus de plaisir à te botter le cul.

Regirock fait surgir d'énormes rochers du sol et les fait léviter un instant... avant de les propulser dans ma direction.

Tortank réagit au quart de tour et les pulvérise sans effort avec ses puissants jets d'eau.

– Utilise ton Tour Rapide ! je commande en me tenant prêt à découvrir mon visage.

Mon Pokémon obtempère aussitôt et réintègre sa carapace avant de tournoyer sur lui-même à une vitesse ahurissante. Il commence alors à décrire une trajectoire en spirale de plus en plus ample et parvient à repousser la Tempête de Sable du Regirock.

Ce dernier pousse un nouveau rugissement terrifiant. Il semble hors de contrôle et s'obstine à concentrer toute son attention sur moi.

– Exuviation... je murmure avec un sourire mauvais.

Tortank dévoile sa tête pour me lancer un regard interrogateur tandis que notre adversaire prépare de nouveaux rochers à projeter dans ma direction. Je lui adresse un clin d'œil complice avant de me débarrasser de mon sac et de mon turban improvisé pour avoir une meilleure liberté dans mes mouvements.

Le Pokémon légendaire passe à l'attaque d'un seul coup. Il expédie un premier projectile avec une précision chirurgicale, mais je le vois venir de loin et roule habilement sur le côté pour l'esquiver. Je me relève en hâte et fais de même avec le second, mais le troisième arrive trop vite pour que je puisse l'éviter à temps.

Cette erreur de calcul risque de me coûter très cher.

– Massko !

Une lueur verte apparaît furtivement devant moi et réduit le rocher en miettes. Mon cœur tambourine furieusement dans ma poitrine, et je pousse un soupir de soulagement en remarquant la présence du Pokémon Plante de Lucille.

– Il faut vraiment être un crétin pour affronter un Pokémon légendaire en un contre un... lâche mon amie en s'appuyant sur Dracaufeu pour rester debout.

Un nouveau sourire – sincère, cette fois-ci – s'épanouit sur mes lèvres.

– Sans doute mon ego de mâle... je réplique en reportant mon attention sur Tortank. Hydrocanon, pleine puissance.

Mon Pokémon a gagné suffisamment de temps pour mener à bien son Exuviation. Il a pu ainsi booster sa vitesse et ses attributs offensifs en fragilisant momentanément sa carapace. Mais dans la mesure où cet idiot de Regirock ne se soucie pas de lui, il peut bien se permettre de réduire sa défense à néant et tout miser sur son attaque.

Tortank déploie ainsi ses deux puissants canon et expédie sur son adversaire un Hydrocanon dévastateur qui le repousse sur plusieurs dizaines de mètres dans une explosion assourdissante.

– On dégage... je lance d'un ton sans réplique en me tournant vers Dracaufeu.

– Tu ne le captures pas ? demande Lucille en conservant une certaine froideur dans sa voix.

Je rappelle en hâte ma tortue – qui s'est empressée de retourner dans sa carapace en voyant Lucille, puis ramasse mon sac à dos d'un geste nonchalant.

– Je n'peux pas... je réponds d'un air faussement détaché. Il appartient déjà à ta mère. Comme presque tous les autres.

Je m'approche cette fois-ci de mon Dracaufeu et me hisse sur son dos en ignorant délibérément mon amie.

Cette dernière me foudroie du regard.

– Je veux que tu me promettes que tu ne toucheras pas un seul de ses cheveux tant que nous n'aurons pas tenté toutes les autres solutions... me dit-elle avec un visage grave. Je veux que tu me racontes tout ce que tu sais sur elle et sur ses motivations. Je veux que tu me racontes toute ton histoire sans omettre le moindre détail.

Je la dévisage longuement en songeant à toute la souffrance que j'ai pu lui causer. Et pourtant, Lucille se tient encore à mes côtés, toujours droite malgré une blessure à la cheville, et déterminée à trouver un compromis pour poursuivre notre aventure ensemble.

– Je te le jure sur ma vie... je déclare avec le plus grand sérieux.

Une vie que j'aurais perdue sans l'intervention salvatrice de Massko. Une vie que je lui dois désormais.

– Et je veux aussi que tu me laisses monter devant... ajoute-t-elle avec plus de légèreté en rappelant son Pokémon Plante. C'est moi qui conduis.