¿Un trabajo soñado?
Francisco n’avait jamais vraiment apprécié sa profession. A vrai dire, il avait été de ces enfants qu’on rangeait dans la case « sans avenir » et à qui on imposait presque un métier. Ça ne l’avait pas vraiment gêné à l’époque. Passer toute la journée à transporter des gens dans les airs ne devait pas être si terrible, n’est-ce pas ? Quittant sa famille très tôt dans des circonstances loin d’être enviables, il débuta sa carrière. En fait, il aurait préféré tous les autres métiers à celui-ci.
Au début, ça allait. Il faisait partie d’une entreprise de transport aérien et, en tant que jeune nouvelle recrue, on était indulgent avec lui. Il avait très vite appris les bases en observant ses ainés et très bientôt, on lui avait confié ses premiers clients.
C’est là qu’il eut comme un déclic.
A chaque nouveau client, le mal-être qu’il ressentait au fond de lui ne cessait de croître. Il y avait bien sûr les clients aimables, qui ne manquaient de le saluer et de le remercier, mais la plupart était… corrompus. Pas un bonjour. Pas un au revoir. Ça, c’était la norme pour lui. Non, le pire qui pouvait lui arriver, c’est qu’on ne le respecte tout simplement pas. Insultes. Violences parfois. Les chauffeurs étaient tout simplement pris pour de vulgaires moyens de se déplacer, et n’étaient en rien traités en tant qu’humains.
Il s’était dit qu’il fallait un temps d’adaptation, qu’il allait finir par se trouver à sa place. Après tout, ses collègues ne se plaignaient pas, eux. Alors peut-être toute cette haine était-elle dirigée contre son entreprise ? C’est dans cette optique qu’il finit par quitter son employeur pour se mettre à son compte. Mais, comme on pouvait s’y attendre, les hommes n’allaient pas changer de comportement parce qu’il était seul, bien au contraire.
Ces irrespects perduraient, peut-être même encore pire qu’à ces débuts. Mais il devait se résilier et accepter la situation par peur de perdre ses clients…
Au bout d’un moment, il en eut assez.
C’était un jour pluvieux sur la région de Paldea, ce qui n’empêcha pas Francisco de voler de droite à gauche toute la journée pour ne rien changer. Un jeune Dresseur impudent, une gentille mamie dont le Trousselin venait le titiller en faisant s’entrechoquer ses clés dans un bruit suraigu (un très mauvais moment), une mère et son jeune fils partis faire des courses en ville pour un pique-nique annulé… Il connaissait désormais la vie palpitante de toutes ces personnes.
Tout dérapa quand un homme ventripotent - un certain Sukizo - passa la porte de sa cabine. Un simple regard sur sa cravate à motifs Gourmelet en disait long sur ses goûts, qu’on pouvait supposer… douteux. Un volumineux Mastouffe le suivait comme son ombre et ne tarda pas à répandre une odeur de chien mouillé dans tout l’habitacle.
Réprimant une grimace de dégoût, Fransisco ordonna à ses Tapatoès de prendre leur envol. Ils battirent des ailes et poussèrent quelques cris d’effort avant de réussir à soulever la lourde cabine. Concentré sur ses manœuvres, le chauffeur de taxi ne sentit pas le Mastouffe approcher. Aussi, lorsqu’il colla sa grosse truffe humide sur son genou, il tressaillit et faillit lâcher les manettes de commande.
— Pourriez-vous dire à votre Pokémon d’arrêter de me déconcentrer ? Un peu plus et on se retrouvait dans le décor.
— T’as un problème avec mon Pokémon, l’avorton ? éructa l’homme grassouillet en levant son double menton. Insulte encore Mastouffe et je peux te dire que ta petite boite devra mettre la clé sous la porte dès demain après que j’en aurais parlé avec mon ami président des transports de la région !
Comme pour enfoncer davantage le couteau, l’énorme Pokémon Magnanime s’ébroua, envoyant un mélange de boue et d’eau de pluie çà et là dans la cabine.
La rage bouillait dans les veines de Francisco. En fin de journée, il avait toujours ses émotions à fleur de peau mais ce jour-là était différent. Il entendait presque une voix dans sa tête lui disant que c’était le moment d’agir, ici et maintenant. Son esprit galopait à toute allure, tel un Arcanin courant à travers champs. Son plan prenait peu à peu forme.
— Sachez que vous avez affaire au propriétaire de la chaine de restaurant « Ramen tes Baguettes ». Je possède plusieurs succursales à travers la région et, sans vouloir me vanter, vous pouvez être sûr que… continuait le client sans s’apercevoir que son interlocuteur ne l’écoutait plus depuis un moment.
Le jeune chauffeur redressa la tête, les coins de sa bouche se relevant en un rictus mauvais et une étincelle démoniaque dans le regard. La solution, il l’avait ! Seulement, avant de mettre son plan à exécution, il se devait de régler un petit détail…
Julien battait tranquillement des ailes quelques mètres devant le taxi de son Dresseur, profitant des quelques rayons de soleil qui filtraient à travers les nuages orageux. Une pluie fine tombait tout autour de lui. Loin de le gêner, les gouttelettes glissaient simplement sur son corps d’acier avant de tomber plus bas, dans les nuages coiffant le Cratère de Paldea. Il jetait de temps à autre un regard en arrière, s’assurant que son Dresseur le suivait toujours ou n’avait pas eu de problème. Après tout, même s’il était quelque fois un peu rude, il était du devoir de Corvaillus de protéger son Dresseur.
Justement, un coup d’œil au taxi volant lui fit remarquer que Francisco agitait sa main, lui faisant signe d’approcher. Docile, Julien opéra rapidement un demi-tour afin de se diriger vers celui qui l’appelait.
Voyant avancer le Pokémon Corbeau dans leur direction, Sukizo se tut. Ses yeux s’agrandirent d’effroi et il saisit vivement le siège conducteur devant lui.
— Faites quelque chose enfin ! Il va nous attaquer ! hurla-t-il dans l’oreille du chauffeur.
Ce dernier ne cillait pas, et d’une voix calme, comme si ce genre de chose était monnaie courante dans son métier, il déclara :
— Ce doit être votre Mastouffe qui l’a attiré. Pour votre sécurité et la sienne, je vous enjoins donc de rappeler votre Pokémon dans sa Ball.
Complétement paniqué, le Dresseur de Mastouffe se redressa et tenta de retrouver ladite Ball. Il se contorsionnait dans tous les sens et plus il remuait, plus son visage adipeux prenait une teinte cramoisie. Le spectacle était pitoyable, et Francisco riait intérieurement. Mais ridiculiser cet homme n’était rien en comparaison du sort qu’il lui réservait réellement.
Après un long combat, le client réussit à extirper une minuscule Luxe Ball de sa poche arrière. Dans un ultime effort, il l’agrandit et fit rentrer son Pokémon à l’intérieur, qui avait commencé à aboyer bruyamment en direction du Corvaillus à présent à trois mètres à peine de la cabine.
Julien ne savait pas pourquoi son Dresseur lui avait demandé d’approcher mais cela importait peu. Une fois à sa hauteur, le chauffeur lui glissa d’attaquer Lame d’Air sur le taxi. Julien était perplexe mais il avait une confiance sans faille envers celui qui l’avait laissé poursuivre son activité malgré les contraintes que cette région imposait. En effet, bien qu’il n’ait aucun rival dans le ciel de Galar, à Paldea il avait des ennemis pour le moins… inattendus : les Forgelina. Bien qu’elles aient une apparence mignonne et inoffensive, ces dernières se servaient en réalité de leur marteau pour lancer des rochers sur les Corvaillus en plein vol. Pouvant mettre en danger la clientèle, lesdits Pokémon Corbeau avaient par conséquent été définitivement bannis des services de taxi de la région.
Julien était originaire de Galar, où ses compétences de transporteur de taxi volant n’étaient plus à prouver. Malheureusement, son Dresseur (un chauffeur) avait été muté à Paldea où, apprenant l’interdiction des Corvaillus de servir de transport, il avait relâché le désormais inemployable Julien. Il avait erré un temps, volant de long en large dans la région, désillusionné, avant de se faire capturer par Francisco. Son nouveau Dresseur lui avait alors assigner un rôle inespéré, celui d’éclaireur et de garde du corps. Julien pouvait ainsi rester dans ce domaine qui lui tenait tant à cœur, celui des taxis volants, sans mettre en danger qui que ce soit. Et c’est tout ce qu’il désirait.
Il connaissait les accès de colère de Francisco. Il savait qu’il n’était pas toujours honnête, qu’il faisait parfois des choses à la limite de la légalité et qu’il mentait comme il respirait, mais quelle importance ? C’était celui qui lui avait offert une chance de vivre son rêve, et il ferait tout ce qu’il lui demanderait.
Tout. Même l’attaquer.
C’est en ayant tout cela à l’esprit qu’il s’éloigna en quelques battements d’ailes du taxi. Arrivé à une distance respectable, il s’arrêta et se mit à voler sur place, dans l’attente d’un quelconque signal de la part de son Dresseur. Il leva les yeux vers les Tapatoès. Ils l’observaient sans un bruit, visiblement soucieux et hésitants. Ils sentaient que quelque chose allait se passer et resserrèrent leur prise sur les barres horizontales en conséquence. Ils n’avaient jamais vraiment fait confiance à ce grand Pokémon menaçant au corps d’acier.
Julien reporta son attention sur Francisco, se promettant de ne pas viser trop haut pour ne pas toucher les Pokémon Perroquet. Son Dresseur était dos à lui, face à son client au visage complétement défait. Soudain, il pivota vers Corvaillus et posa sur lui un regard impérieux.
C’était le signal.
Les ailes de Julien s’illuminèrent d’une clarté éblouissante. Il les rabattit brusquement en avant afin de créer plusieurs lames d’air qui vinrent frapper en plein dans la cabine du taxi. Les Tapatoès poussèrent des cris de consternation mais s’accrochèrent de toute leur force, parvenant tous à ne pas lâcher les barres.
Enfin tous sauf un, le plus gros, au plumage blanc. Il voletait à quelques mètres au-dessus de ses congénères, complétement paniqué. Ce contrepoids manquant, venant s’ajouter aux dégâts occasionnés par la puissante attaque Lame d’Air, et le taxi penchait dangereusement du côté droit.
A l’intérieur de la cabine, c’était une tout autre histoire. Sukizo, projeté violemment du côté droit de l’habitacle lors de l’impact, avait désormais les deux jambes pendues dans le vide. Plus bas, le brouillard du Cratère de Paldea semblait s’élever en volutes pour le saisir et l’emporter à tout jamais dans ses mystérieux confins. Il agrippait le siège avec toute la force dont il était pourvu, le visage écarlate.
Juste derrière lui se trouvait Francisco, qui tenait son client par le col. Étant préparé à l’attaque, il s’était bien accroché et avait accusé le coup sans mal. Un sourire carnassier éclairant son visage, il prit la parole d’une voix forte et confiante :
— Vous savez, ce taxi possède des portes coulissantes mais je les laisse la plupart du temps ouvertes car les clients aiment profiter de la vue… Sauf qu’eux pensent à s’attacher d’habitude. Mais j’imagine que vous être trop digne pour ça…
— Écoutez, remontez-moi et je vous donnerai de l’argent ! hoqueta Sukizo, son corps penché en avant de plus en plus proche du point de non-retour. Je dirais du bien de vous… Je vous le promets ! Je vous en supplie, REMONTEZ-MOI !
— Vous ne pouvez pas comprendre, misérable ! rugit soudainement le chauffeur, avant de se ressaisir tout aussi vite, son sourire de retour. Je pense que vous ne manquerez à personne.
Et il ouvrit grand la main, lâchant son lourd client qui disparut aussitôt dans les nuages du Cratère.
— J’aimais pas tes nouilles de toute façon.
***
Et c’est ainsi qu’avait commencé une longue série de « disparitions inexpliquées » dans la région de Paldea. Francisco avait enfin trouvé une façon de se venger de toute cette ingratitude qu’il avait refoulée au fond de lui. Et il y prenait un malin plaisir.
Très vite, il dut mettre au point de nombreuses techniques pour ne pas se faire attraper. Il commença par cacher son visage pour éviter d’être facilement reconnu. Par chance, il était doté de traits assez banals, pouvant facilement se fondre dans la masse. Mais un détail aurait facilement pu le faire repérer : ses yeux grenade, héritages le plus visible de cette famille dont il aurait tant aimé oublier l’existence. Il détestait se regarder dans la glace à cause de ce regard vermillon qui lui rappelait son passé. Enfin, c’était la raison qu’il avait invoquée.
Après avoir adopté des lunettes de soleil aux verres teintés, il recouvra ses cheveux bruns d’un casque un peu plus gros que le précédent, dissimulant ses traits encore davantage.
La question du physique résolue, il se procura plusieurs nouveaux Pokémon dont un Zoroark qu’il commanda à une certaine organisation. C’était le Pokémon idéal pour ses funèbres manigances. Francisco lui demandait de prendre l’apparence de ses victimes tombées dans le Cratère à l’atterrissage et de disparaitre ensuite parmi la foule. De ce fait, plusieurs témoins voyaient le client descendre du taxi et les soupçons ne pouvaient plus se porter sur le chauffeur. Le Pokémon Polymorfox pouvait aussi créer des illusions en modifiant le paysage, ce qui était un atout indéniable pour mettre en scène différentes situations à son avantage. Certaines fois, ça lui était même arrivé de faire porter le chapeau à quelqu’un d’autre, quelqu’un qui lui aurait également manqué de respect, pour ainsi faire d’une pierre deux coups.
Mais la pièce maitresse de sa mascarade restait Julien, dont l’imparable attaque Lame d’Air gagnait en précision et en intensité chaque jour. Il s’entrainait énormément pour aider son Dresseur à mener à bien ses plans, même s’il avait conscience que ces derniers étaient peu reluisants…
Ses crimes pouvaient être longuement fomentés ou accomplis dans le feu de l’action, rien ne l’arrêtait, et surtout pas son imagination, qui fourmillait d’idées de de concepts afin d’accomplir dûment sa vengeance. Il vivait enfin pleinement sa vie, même si l’activité qui lui avait enfin redonné goût en elle était pour le moins funeste.
Cela faisait déjà un an et demi, et le chauffeur de taxi volant avait plus de trente disparitions (pour ne pas dire meurtres) à son actif. Bien entendu, aucun corps n’avait été retrouvé, le Cratère étant interdit d’accès.
Mais au fur et à mesure, ses cibles étaient de plus en plus… injustifiées. Cet autre chauffeur qui avait éraflé la carrosserie de son taxi ? Disparu. Le serveur gauche qui lui avait renversé son jus de Baies Remu/Nanana (un subtil mélange) dessus ? Disparu. La coiffeuse qui avait raté sa coupe de cheveux ? Disparue elle aussi.
Mais après tout, c’était de leur faute, non ?
Pour son dernier agissement en date, il s’avouait s’être un peu laissé aller… Il n’avait pas vraiment pris de précotions particulières, étant peut-être trop confiant en son infaillible procédé. Disons que la tête de ce domestique était si innocente, si inoffensive, qu’elle avait complétement endormi sa vigilance. En un claquement de doigt, ce M. Perez, un concurrent cette fois, n’était déjà plus de ce monde.
Quelques jours après ce dernier événement, et loin de se douter que cette petite négligence aurait de telles répercussions, il posa son taxi volant devant un petit étang à l’entrée de Plato Real. Il évitait toujours de se poser en ville, ou du moins au milieu des habitations, par mesure de sécurité, voulant le moins de témoins possible au cas où il déciderait de passer à l’action.
Mais ce matin-là, le soleil brillait dans un ciel sans nuages. Francisco était de bonne humeur et avait le sentiment qu’il n’y aurait aucune disparition à déclarer dans le journal du lendemain. Il dépoussiérait tranquillement les manettes de commandes tandis que son Chinchidou faisait de même avec les sièges arrière quand une silhouette s’approcha. Son client passa la porte avant de la refermer en la faisant coulisser derrière lui.
— Porto Marinada, annonça-t-il.
Un peu pris de court par le caractère direct de cette apparition et de ces paroles, Francisco se ressaisit et fit revenir Chinchidou avant de demander aux Tapatoès de s’envoler. Une fois haut dans le ciel, il entendit derrière lui d’un ton sans détour :
— Je sais que c’est toi.