Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Minuit de Suroh



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Suroh - Voir le profil
» Créé le 05/08/2023 à 21:59
» Dernière mise à jour le 05/08/2023 à 23:28

» Mots-clés :   Kalos   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre 3 : 21h – Le bal.
21h
Alors que la salle tout entière se levait pour se diriger vers la suite des festivités, Éléonore considérait la situation avec le recul nécessaire à l’exercice de son métier. Cette soirée, ce faste, n’étaient que de la poudre aux yeux – un luxe criant destiné aux journalistes, à montrer la puissance réunie d’Alola et de Kalos.

L’annonce faite il y a plusieurs semaines de la signature du traité de coopération internationale contre les organisations mafieuses et criminelles avait suscité une peur panique dans ces milieux fragilisés par la soudaine implosion de la Team Flare. L’enjeu de la soirée était donc titanesque.

Si la soirée se tenait jusqu’à son terme, le traité de coopération serait signé à minuit devant une foule de journalistes impatients de relayer l’information dans tous les pays du monde.

Les moyens que le traité s’apprêtait à débloquer permettraient aux F.P.I. et aux diverses organisations gouvernementales de se doter en Pokémon, en matériel et en personnels dans des proportions qui n’avaient jusque-là jamais été atteintes.

Une communication privilégiée entre les services de renseignements d’Alola et de Kalos allait également permettre de lutter plus efficacement contre ces bandes organisées qui, régulièrement, surgissaient et terrorisaient les populations.

Le plus terrible pour eux, pensa Éléonore avec un sourire carnassier, était que cette soirée allait constituer un précédent. La diplomate avait d’ores et déjà sollicité ses collègues, et envoyé des requêtes sur tous les continents : Unys, Sinnoh, Hoenn…

Toutes les nations du monde, constatant qu’un même fléau sévissait sur leurs territoires respectifs, avaient décidé de passer à la vitesse supérieure, et de lutter ensemble contre le crime organisé. Elle pensait par exemple aux F.P.I., les Forces de Police Internationales, dont le budget était dérisoire compte tenu de la mission qui leur avait été assignée. Mais tout allait changer dans quelques heures. Une nouvelle ère se levait.

Ses pensées la menaient à la porte de la salle de bal, qu’elle franchit pour découvrir une salle décorée avec tant de grâce, de goût et de volupté qu’elle en perdit le fil de ses pensées, se permettant quelques instants d’émerveillement devant la beauté de culture qui l’avait accueillie en tant que diplomate.

Les invités entraient dans une salle spécialement aménagée pour eux. Les murs, les colonnades et le sol avaient été gravés de mille scènes de fêtes et de ballets. Les fils d’or utilisés pour créer cette mosaïque d’histoires aux reflets chatoyants rutilaient dans la salle magnifique. Des lustres au feu dansant illuminaient une immense et radieuse peinture qui s’étendait sur toute la longueur du plafond de la salle.

Chaque détail, le moindre recoin, avait été embelli d’une façon ou d’une autre par le savoir-faire des meilleurs artistes de Kalos.

Sa fille sur ses pas, Éléonore se rapprocha avec le reste des convives de l’homme à qui la demeure appartenait. Homme influent, mais avare, il avait surpris les milieux politiques en proposant d’accueillir dans sa prestigieuse demeure l’événement de ce soir. Plus encore, il s’était engagé à financer de sa poche toutes les dépenses nécessaires à la bonne tenue de la soirée.

Sécurité, repas – issu d’une culture locale, s’il vous plaît –, petit personnel, etc. Éléonore avait appris qu’il avait lui-même décoré certaines pièces de sa demeure, et que cette fête avait été l’occasion pour lui de détruire certains murs pour agrandir certaines pièces, pour que le Palais, à la fois moderne et ancien, constitue l’épiphanie de l’art de Kalos. Serrant la main de sa fille, Éléonore écouta avec attention son discours :

— Mes amis ! Vous venez tous d’horizons différents, et je suis heureux de constater que vous profitez tous de cette soirée, comme il se doit !

Des acclamations le poussèrent à continuer sa tirade :

— Sachez qu’il est très important pour moi que cette soirée se tienne dignement ! Vous savez tous, qu’il y a un mois environ…

La tension monta dans la pièce. Il y a un mois, la Team Flare avait tenté de commettre un crime auquel on s’efforçait de ne plus penser. Les invités, pour la première fois de la soirée, furent parcourus de frissons.

— Il y a un mois, j’ai bien cru que j’avais perdu mon Couafaimé ! continua-t-il.

Éléonore regarda avec délice la masse des invités être d’abord consternée, puis hilare devant cet homme au sens des priorités si particulier. Aussi vite que les rires avaient disparu, les voilà qui reprenaient, comme la houle qui se retire pour revenir, toujours plus forte.

— Ça a été comme un drame pour moi ! J’ai bien cru que je ne le reverrais jamais. J’ai tout imaginé, tout ! J’ai pensé qu’on me l’avait volé ! Qu’on avait cherché à emmener mon Couafachéri malgré lui ! Malgré moi ! C’était abominable, atroce, je ne saurais vous le décrire. Alors, lorsque deux jeunes dresseurs – que je ne remercierai jamais assez – ont tout mis en œuvre pour le retrouver, et ont réussi ! Oh là là… Pardonnez mon émotion, d’y penser, j’en ai de nouveau les larmes aux yeux…

Éléonore avait toujours apprécié cet homme. Il n’était pas le plus sympathique, ni même le plus intelligent, mais son amour pour son Couafarel était admirable. Sentant la gêne du public devant son discours par trop sentimental, elle laissa échapper un rire cristallin – et tout le monde, à sa suite, fit de même. Encouragé, l’ami de Couafarel termina son discours :

— Merci, mes amis, merci de me soutenir… Je disais… Lorsqu’ils ont sauvé mon Couafadoré, j’ai appris deux choses. D’abord, que l’amitié entre deux personnes était la plus belle chose qui soit, et c’est pourquoi je suis heureux que l’amitié entre Kalos et Alola puisse être célébrée ce soir ! Ensuite, j’ai appris que les organisations criminelles devaient être punies – vous imaginez s’ils m’avaient vraiment volé mon Couafacouettes ? Ma vie n’aurait plus eu de sens ! Alors dansez, braves gens, dansez, profitez de la soirée, mais gardez de l’énergie pour le moment le plus intéressant. La signature de l’accord ! Ce sera un moment émouvant, et je suis heureux qu’il ait lieu dans cette maison !

Des applaudissements saluèrent la fin de la tirade, vite remplacée par la puissante mélodie d’un orchestre symphonique. Quelques couples se formèrent, et entamèrent des pas de danse.

D’autres suivirent, et la salle fut bientôt remplie de ces danses joyeuses qui rythment les plus belles des soirées. La diplomate, sachant que l’on attendait d’elle de donner l’exemple, avait commencé à danser avec sa fille. Tous les autres couples se mouvaient autour d’elles dans une harmonie ineffable.

Mais pour Éléonore, le but de la soirée n’était pas de s’amuser. Les enjeux politiques étaient trop grands. Après avoir accordé quelques danses à sa fille, elle la laissa s’occuper seule, et redevint la femme de pouvoir que tout le monde voyait en elle.

Son regard parcourut la salle, reconnaissant la plupart des visages, adressant à chacun les hommages et le respect qui leur était dû. Aussi digne et attentive que le protecteur de son île, Tokorico, elle scrutait les visages jusqu’à trouver la femme qu’elle cherchait. Malva. L’autre figure politique de la soirée.

Il fallait qu’elles aient une discussion. Traversant la marée des corps dansants comme le gardien de son île fendrait les flots, elle se dirigea droit vers Malva. Surprise, la membre du Conseil 4 n’eut pas le temps de réagir que, déjà, la diplomate était devenue sa nouvelle partenaire.

Un nouvel air se levait dans la salle de bal. Entraînant mais menaçant, il porta les pas de Malva et de la diplomate, dont les messes basses avaient cette teneur :

— Malva, je n’irai pas par quatre chemins. Pourquoi acceptez-vous de signer un accord qui décrète l’arrêt de mort définitif de l’organisation dont vous avez fait partie ?

Un rictus de mépris se forma sur le visage de Malva :

— Éléonore, que savez-vous de ce que j’ai vécu ces dernières années ? Si Dianthéa a choisi de me laisser ma place au Conseil 4, c’est qu’elle me fait confiance. Pourquoi remuez-vous le couteau dans la plaie ?

— Précisément, rebondit Éléonore, Dianthéa m’a affirmé que vous étiez digne de confiance, mais sans me donner les preuves d’une telle affirmation. Vous connaissez mon côté pragmatique. Vous savez aussi que des rescapés de la Team Flare se sont organisés pour perturber la signature de ce soir. Or, vous en faites partie. Dans ces conditions, comment m’assurer de votre fidélité à la cause de Dianthéa ?

— Vous ne savez rien de moi, répéta Malva après un moment de silence.

Quelques pas de danse suivirent le début de cet échange au cours duquel la danse était devenue plus endiablée. Leurs pas virevoltaient, tandis que leurs regards s’envoyaient des éclairs de feu.

C’était comme un combat entre les années d’expérience de la diplomate et les événements terribles que Malva avait vécus récemment. Alors que la diplomate resserrait sa prise autour du bassin de Malva, et prenait l’avantage dans cette danse frénétique, Malva avoua :

— Dianthéa s’est accordée avec le tribunal. Vous n’êtes pas sans savoir que le Maître de la Ligue a un pouvoir de grâce. C’est ce que Dianthéa a fait pour moi : elle m’a graciée. Contrairement aux autres membres de la Team Flare, moi, j’ai pu garder ma vie d’avant…

— Vous ne m’apprenez rien, constata Éléonore. Je ne serais pas à mon poste si je ne connaissais pas l’étendue des pouvoirs des divers représentants de la Ligue de ce pays. Je vous demande à quel prix elle vous a graciée.

Soudainement, ce fut Malva qui prit le contrôle de la danse. Tel un tourbillon de flammes, elle entraîna la diplomate avec elle dans une partie isolée de la pièce.

— Vous voulez savoir ? Vous voulez vraiment savoir ? J’ai dû dénoncer tous mes anciens camarades. J’ai dû témoigner contre Lysandre. J’ai dû apporter les preuves qui ont fait tomber presque tous les membres de la Team Flare. Le juge m’a contraint à témoigner contre chacun d’entre eux – mon témoignage était anonyme mais, eux, ils savaient tous qui les envoyait pour le reste de leur vie en prison. Voilà ce que j’ai fait ! J’ai détruit la vie de tous ceux qui m’étaient chers, voilà quel a été le prix de Dianthéa.

La diplomate digéra les informations en silence. Quelques pas de danse, puis :

— Nous avons tous connu des moments injustes…

— Vous osez comparer votre train de diplomate à ce qu’on m’a contrainte à faire ?

Malva éructait presque. Mais la réponse de la diplomate frappa comme la Fatal-Foudre :

— Jeune fille, vous ne connaissez rien de moi. Je comprends maintenant que vous êtes là malgré vous. Dans ces conditions, permettez-moi d’être franche : comment être sûre que vous ne nous trahirez pas ? Je serai encore plus directe. Comment puis-je être certaine que ce n’est pas vous qui mettrez en danger la signature de l’accord ? Depuis tout à l’heure, je vous vois me fuir, le plan de table – que vous avez en partie choisi –, nous a placées bien loin l’une de l’autre. Pourquoi ?

— Car je savais que vous me poseriez des questions… Ne vous inquiétez pas. La seule chose que j’apprends en ce moment, c’est à me regarder dans la glace. J’ai assez trahi dans ma vie. Comme me l’a dit Dianthéa, ce que je veux maintenant, c’est que le temps passe, et qu’on me laisse tranquille. Cette soirée est aussi l’occasion de laver les crimes que j’ai pu commettre.

Éléonore ouvrit la bouche pour lui répondre, mais la musique s’arrêta. Les invités changèrent de partenaire, et la diplomate sut que les possibilités de discuter sérieusement avec Malva étaient désormais nulles.

La jeune fille croyait-elle sincèrement à ce qu’elle lui avait dit ? Était-elle vraiment sur le chemin de la rédemption ? La diplomate avait senti que Malva s’était forcée à prononcer ces paroles – qui reflétaient probablement les discours que Dianthéa lui avait tenus.

La diplomate avait une vision plus claire des ambitions de Malva. De tous les représentants du Conseil 4 qu’elle avait vus se succéder, cette jeune fille était celle au parcours de vie le plus singulier. La diplomate pouvait-elle lui faire confiance ? En politique, on ne fait confiance à personne, même si l’on adresse des sourires à tout le monde.

Mais elle fut rassurée de penser que Malva n’avait aucun intérêt à saboter l’événement qui allait se tenir dans les heures à venir. Cette jeune fille bouillonnait d’énergie et de ressentiment, mais elle n’était pas idiote. Une nouvelle trahison serait comme un arrêt de mort pour elle – elle ne prendrait pas un tel risque.

Une telle conclusion fit cependant passer un frisson dans l’échine de la diplomate. Si la trahison ne pouvait pas venir de Malva, alors d’où viendrait-elle ? Certainement pas de l’idiot dont on l’avait informée qu’il avait été littéralement pris la main dans le sac à essayer de faire passer une arme dans l’enceinte du Palais.

Si d’anciens membres de la Team Flare avaient réussi à échapper à toutes les forces de police, c’est qu’ils étaient astucieux, discrets, intelligents. Celui qui avait été capturé ne pouvait pas être la principale menace. Mais alors, si ni lui, ni Malva, n’était à l’origine de la menace qui pesait sur la soirée…

Qui avait les moyens de troubler une telle fête ?

Quelques notes jouées par l’orchestre imitèrent le son mélodieux d’une cloche. Il était vingt-deux heures. Une nouvelle porte s’ouvrit, qui menait à une salle de théâtre, où l’avant-dernier acte de la soirée allait se jouer.

Une pièce de théâtre sur la communion universelle entre les Pokémon et les hommes allait se tenir. Le flot des invités se dirigea vers le lieu de la représentation, tandis qu’une dizaine de serveurs et certains de leurs chefs entraient dans la salle du bal, pour la nettoyer et la ranger.

Avant que les grandes portes ne se ferment définitivement et que son attention ne soit accaparée par la pièce, Éléonore eut le temps d’apercevoir l’élégante toque blanche de l’un des chefs de cuisine qui organisait les opérations.

L’heure du crime approchait.