Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

Altar fourmille de monde. La foule nous a submergés dès lors que nous avons pris congé du champion pour rejoindre le cœur de la ville.

La cité fortifiée n'a rien à envier au Repaire. Elle jouit d'une activité florissante qu'elle doit principalement au tourisme et à sa proximité avec la capitale. Tout au long de l'année, les gens se bousculent pour participer aux festivals, goûter aux spécialités locales ou partir en expédition dans le Désert de Doranthe.

– J'ai été géniale ! s'enthousiasme Lucille en donnant un morceau de biscuit à Poussifeu, qui ne quitte plus son épaule. Reconnais que tu as été impressionné par mon talent.

Mon amie a certes remporté son badge haut la main, mais elle ne risque pas d'être étouffée par sa modestie.

– Le combat a duré cinq minutes et quatorze secondes... je réponds en affichant une moue faussement déçue. Tu m'avais pourtant assuré que ça prendrait moins de cinq minutes. Ce n'est pas l'idée que je me fais de quelqu'un de génial.

Lucille se renfrogne avant de gonfler ses joues pour adopter une mine boudeuse.

– Je suis sûre que tu n'as même pas chronométré le match... dit-elle en me lançant un regard mauvais. Et ça ne change rien au fait que je l'ai éclaté. Tu pourrais au moins faire semblant d'être content pour moi.

J'esquisse un sourire en coin avant de lever les yeux au ciel. Mon amie a besoin de flatter son ego, et je peux tout à fait comprendre ce qu'elle ressent en cet instant.

Notre arrivée à Altar marque un nouveau départ pour son voyage initiatique. Les règles en vigueur sont désormais celles de la Ligue Pokémon, et l'influence de la Team Fusion n'est pas suffisamment étendue pour corrompre les prochains champions d'arène.

– Tu me demandes d'éprouver une émotion positive ? je lâche d'un air presque outré. Tu sais bien que c'est au-dessus de mes forces.

Ma protégée me donne un coup de coude dans les côtes avant de s'approcher d'un étal qui dégage une forte odeur d'épices.

Thierry nous a conseillés de prendre la route sans tarder, mais Lucille a décidé de ne pas l'écouter. Même s'il est bien plus facile de parcourir le désert la nuit, elle ne souhaite pas brûler les étapes de son voyage pour se soustraire à un potentiel danger.

Sa résolution est admirable, mais je ne suis pas sûr qu'elle tiendrait le même discours si elle savait quelle menace plane au-dessus de nos têtes.

Car mon amie ignore tout de la Team Fusion. Je ne sais pas du tout comment je pourrais amener le sujet sans m'attirer ses foudres pour l'avoir manipulée, alors je retarde l'échéance en songeant – sans y croire vraiment – que l'occasion de le faire se présentera bientôt.

– On peut manger ici ? me supplie-t-elle en me lançant un regard globuleux. Dis oui, dis oui, dis oui !

Je laisse échapper un léger soupir en sortant quelques pièces de ma poche pour commander deux tacos, dont un végétarien pour Lucille.

– Merchi... soupire-t-elle de contentement sans se soucier une seconde de parler la bouche pleine. Ch'est vraiment trop bon.

Je ne peux m'empêcher de sourire en la regardant manger de la sorte. Son insouciance me donne du baume au cœur et fait sensiblement retomber la pression de ces derniers jours.

Nous ne tardons pas à repérer une table de pique-nique et nous y installons pour terminer notre repas. Les sacs à dos commencent à peser sur nos épaules, et toutes les excuses sont bonnes pour nous en délester quelques minutes.

Le smartphone de Lucille se met alors à vibrer devant elle.

– Ton père ? je demande entre deux bouchées.

Elle s'essuie rapidement la main avec sa serviette et saisit son appareil en fronçant légèrement les sourcils. La surprise laisse progressivement place à l'incompréhension la plus totale lorsqu'elle tourne l'écran vers moi pour que je puisse lire le nom qui s'y affiche.

"Le Maître." Avec la photo de mon frère, en gros plan, qui lui adresse un clin d'œil complètement ringard.

– Ce n'est pas moi qui l'ai ajouté... se défend-elle inutilement en croisant mon regard. J'accepte, tu crois ?

Je lui réponds par un haussement d'épaules. Je ne sais pas pourquoi ce crétin a tenu à rester en contact avec mon amie, mais j'imagine que le fait d'avoir un allié sur qui compter ne peut pas nous faire de tort.

– Bon... soupire-t-elle en plaçant son index au-dessus de l'icône vert. J'me lance.

Lucille active la communication, et le visage de Michael apparaît alors sur un fond de salle de bain.

– Yo, Lulu ! s'exclame-t-il en agitant sa main. La forme ?

Ma protégée ouvre des yeux ronds. Elle semble trop stupéfaite pour pouvoir répondre, et son regard est rivé sur l'arrière plan de la vidéo.

– Tu es... sous la douche ? bredouille-t-elle avec incrédulité.

Je préfère m'abstenir de jeter un coup d'œil à l'écran. Mon bref séjour au Repaire m'a largement suffi, et je crois que je peux tenir dix années supplémentaires sans revoir mon frère.

– Dans mon sauna... rectifie-t-il d'un ton détaché. Mon smartphone est waterproof, si c'est ça qui t'inquiète.

Lucille se contente de cligner des yeux en conservant une expression neutre. Cette conversation est surréaliste.

– Mon frère est avec toi ? s'enquiert-il avec intérêt.

Je secoue vivement la tête pour dissuader mon amie de me refiler son appareil, mais cette dernière est bien trop contente de pouvoir enfin s'en débarrasser. Elle tourne l'écran du smartphone vers moi et tire la langue d'un air provocateur.

Je lui lance un regard noir avant de reporter mon attention sur le Maître.

– Salut... je grommelle avec mauvaise humeur.

Michael me lance un sourire radieux.

– Et voilà le plus beau ! s'exclame-t-il en disparaissant à moitié derrière un nuage de vapeur. Tu m'as tellement manqué depuis... ce matin.

Ce garçon est insupportable. Il m'arrive de penser qu'il a été échangé avec un autre à la maternité. Ce serait l'explication la plus plausible pour justifier notre absence de points communs.

– Qu'est-ce que tu veux ? je soupire d'un air blasé.

Le sourire de mon frère s'élargit. Il était déjà pénible lorsque nous parcourions la région ensemble, mais je n'imaginais pas que ça puisse empirer avec l'âge.

– J'ai eu Thierry au téléphone... dit-il sur le ton de la conversation. Il était heureux de m'apprendre que j'ai perdu deux-cent-mille Pokédollars par ta faute.

Lucille lève un sourcil interrogateur auquel je réponds par un haussement d'épaules. Elle se demande sans doute ce que nous nous sommes racontés le soir où nous avons longuement discuté – et bu, mais il n'a jamais été question d'argent entre nous.

– Figure-toi que nous avons fait un petit pari tous les deux... explique-t-il en rapprochant sa grosse tête de l'objectif. Il était persuadé que tu serais incapable de rester sagement dans ta cellule pendant le combat de notre chère Lulu. Je lui ai dit que c'était peu probable, car tu es un homme sage et réfléchi...

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. La Ligue Pokémon est menacée de dissolution, avec certains centres vétustes et des boutiques à l'abandon, et cet abruti n'a rien d'autre à faire que de miser son argent sur des conneries.

Mais le plus surprenant reste quand même l'implication du champion d'Altar dans ces jeux d'argent.

– Il a commencé par miser cent-mille sur le fait que tu crochèterais la serrure pour t'évader, avant de proposer le double pour prédire que tu ferais carrément sauter la porte.

Voilà pourquoi Thierry n'a pas montré le moindre signe de surprise en remarquant ma présence à l'issue du combat d'arène. Cet homme ne paie pas de mine, mais il cache très bien son jeu.

– Il faudrait vraiment que tu arrêtes de faire exploser des trucs... soupire Michael avec une moue réprobatrice. Ça va finir par se voir.

Je lui tends mon plus beau majeur et fais pivoter le smartphone vers sa propriétaire pour couper court à la conversation. Le seul domaine dans lequel mon frère est passé maître, c'est l'art de faire perdre du temps aux autres.

Lucille me foudroie du regard et s'apprête à mettre un terme à la conversation quand le Serpent décide alors de lâcher une bombe.

– Erzat est arrivé à Altar... annonce-t-il d'un ton plus sérieux. Mes agents l'ont envoyé sur une fausse piste, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne se rende compte de la supercherie. Vous devez partir sur-le-champ.

Mon amie me lance un regard implorant. Nous pensions tous deux avoir un répit avant que ce fumier de Steve Erzat ne parvienne à nous retrouver, mais la Team Fusion semble disposer elle aussi de nombreuses ressources.

– Cette ville est la destination logique après Vulcanor... je gronde en considérant rapidement nos options. C'est un cheminement classique pour les dresseurs.

Nous pourrions quitter la ville et décider de faire les arènes suivantes dans le désordre, mais cela romprait à coup sûr le charme du voyage initiatique en nous obligeant à utiliser des moyens de transport pour couvrir les longues distances.

– Je suis fatiguée de fuir... lâche ma protégée dans un murmure avant de repousser son smartphone dans ma direction. Je ne sais pas comment tu as fait, pendant tout ce temps.

Une ombre passe sur mon visage tandis que j'envisage une solution plus radicale. Steve est une pourriture de la pire espèce et ne cessera jamais de nous traquer à travers la région.

– Je devrais le tuer... je siffle en crispant la mâchoire.

Je suis déjà recherché pour un attentat qui a causé la mort de trente-six personnes. Un connard de plus ou de moins ne changera pas grand-chose aux charges retenues contre moi.

– Pas aujourd'hui... répond la voix de mon frère avec un calme froid. Nous devons nous assurer que la Team Fusion tombe avec lui.

Lucille fronce les sourcils sans comprendre, et le silence gênant qui s'ensuit indique que Michael vient de comprendre son erreur.

– Qui est la Team Fusion ? demande-t-elle en plongeant son regard désemparé dans le mien. De quoi est-ce qu'il parle, Thomas ?

Merde. Je commence à regretter de ne pas être resté plus longtemps au Repaire, ne serait-ce que pour éloigner nos ennemis du secteur. Ce temps nous aurait permis de poursuivre notre entraînement et de réfléchir plus sereinement à la suite.

Mais l'heure n'est pas aux regrets.

– Plus tard... je souffle en coupant la communication avant de rendre à mon amie son smartphone. On décolle.

Je fourre une dernière bouchée de tacos dans ma bouche en songeant que ce sera probablement la dernière chose que je mangerai avant Lunapolis, puis me dirige tranquillement vers la sortie de la cité afin de ne pas éveiller les soupçons.

Je lance un regard par-dessus mon épaule et fais signe à Lucille d'en faire autant. Cette dernière semble furieuse et hésite un instant à me suivre, mais elle finit par régler son pas sur le mien en conservant malgré tout une certaine distance de sécurité.

Steve Erzat et ses sbires recherchent deux personnes en fuite. Il ne s'attardera sans doute pas sur des individus isolés.

– Une tempête de sable fait rage non loin de la ville... m'informe alors un garde en me bloquant le passage. Nous avons pour ordre de ne laisser sortir personne.

Je lève doucement les mains en signe d'apaisement, en m'assurant que mon index gauche soit plus tendu que mes autres doigts.

– Vous allez faire une exception pour nous... je souffle avec douceur en le fixant dans les yeux. Vous allez nous laisser passer moi et mon amie, et vous n'en garderez aucun souvenir.

Le garde cligne plusieurs fois des yeux d'un air hébété.

– Il y a un problème ? demande mon amie avec une moue inquiète.

– Aucun... je réplique en pinçant les lèvres. Le monsieur ici présent allait justement libérer le chemin.

Le défenseur de la porte semble toujours désorienté. Il nous dévisage l'un et l'autre avec une certaine souffrance, comme s'il menait une lutte interne, puis consent malgré lui à s'écarter de notre passage pour nous permettre de quitter la cité fortifiée.

J'attrape alors la main de Lucille et l'entraîne lentement mais sûrement à l'extérieur, vers une liberté toute relative où de nouveaux dangers mortels nous guettent.

Derrière nous, mon fidèle Ectoplasma maintient son Hypnose jusqu'à ce que nous disparaissions complètement derrière les dunes du Désert de Doranthe.