Pokémon : L'étoile d'Arkephyr de Arkephyr

Lucille blêmit à la vue du champion. Elle étouffe alors un hoquet avant de répandre élégamment le contenu de son estomac à travers la grille.

– Excusez-la... je lâche avec une moue gênée en réprimant mon envie d'éclater de rire. Elle n'a pas bien vécu le Téléport.

Mon frère est un sacré roublard. Qui d'autre imaginerait un système aussi tordu pour rejoindre Altar en sécurité ?

Car c'est bien de cela dont il s'agit. Ces geôles font office de point de contrôle et permettent aux dresseurs clandestins de rejoindre discrètement la ville avant de reprendre leur voyage.

– Il n'y a pas de mal... répond le champion en lançant un regard maussade à ses mocassins recouverts de vomi.

Ce Thierry est quand même un drôle de gugus. Son look un peu vieillot et son attitude mollassonne peuvent prêter à sourire, mais mon expérience me pousse à rester sur mes gardes.

Ne faut-il pas se méfier de l'eau qui dort ?

– Je suppose que vous allez gentiment nous libérer... je murmure en plissant les yeux.

J'imagine que Michael l'a prévenu de notre arrivée. Ce crétin nous a garanti que les quatre prochains champions étaient acquis à sa cause, alors je ne vois aucune raison de rester plus longtemps dans cette cellule qui commence à sentir mauvais.

– Votre amie peut sortir... acquiesce-t-il en sortant de sa poche un vieux trousseau de clés en métal. Veuillez reculer, s'il vous plaît.

Je hausse un sourcil en dévisageant notre interlocuteur. Pense-t-il vraiment que je vais laisser Lucille se rendre je-ne-sais-où en restant sagement dans ce trou à rat ?

– Vous serez autorisé à la rejoindre si elle sort victorieuse de notre affrontement... ajoute-t-il d'un ton détaché en notant mon refus d'obtempérer.

Ce gars peut toujours courir. J'ai assisté à tous les combats d'arène de mon amie depuis le début de son aventure, et il est hors de question que je manque celui-ci.

Lucille aura besoin de mon soutien pour appréhender son match et réintégrer pleinement la compétition.

– Laisse... souffle-t-elle en posant sa main sur son bras. Ça ne prendra pas plus de cinq minutes.

Ma protégée affiche une détermination farouche. Ses yeux brillent d'une lueur nouvelle qu'elle n'avait pas avant notre séjour au Repaire, et je la crois sur parole quand elle me dit que ce combat sera vite expédié.

Je laisse échapper un léger soupir et consens à reculer de quelques pas pour laisser le champion déverrouiller la cellule. Il entrouvre alors la porte sans m'accorder la moindre attention et attend patiemment que Lucille quitte la prison pour la refermer derrière elle.

Mon amie m'adresse un sourire confiant avant de lui emboîter le pas pour rejoindre l'arène de combat.

– Cette situation est surréaliste... je lâche avec un rire amer après qu'ils soient tous deux sortis de mon champ de vision. Tortank ?

Je décroche l'une des mes Pokéball et libère mon Pokémon aquatique – ou plutôt devrais-je dire sa carapace.

– On n'est que tous les deux... je grommelle avec mauvaise humeur. Arrête de faire ton fragile.

Son anthropophobie est vraiment exaspérante. Et ça ne s'est pas arrangé depuis que je voyage aux côtés de Lucille.

Tortank sort timidement la tête de sa carapace et observe les alentours plusieurs fois avant de libérer ses puissantes pattes pour se redresser.

– J'aimerais que tu détruises cette grille... je soupire en désignant les barreaux rouillés. Tu crois que tu peux le faire ?

Bien sûr qu'il peut le faire. Mais je ne dois surtout pas le brusquer, sous peine de le voir disparaître à nouveau dans sa foutue coquille.

Mon Pokémon observe longuement la cellule avant de se décider. Il dégaine alors ses deux canons et propulse un jet d'eau d'une puissance inouïe qui dégonde la grille dans un bruit sourd, arrachant au passage un bon morceau du mur sur lequel elle était fixée.

– Trop aimable... je commente observant le résultat d'un air perplexe. Reviens donc dans ta Pokéball.

Tortank me lance un sourire débile dont lui seul a le secret en regagnant sa capsule. J'aime tous mes Pokémon de manière égale, mais ce gros bêta pourrait bien être le plus attachant de l'équipe.

Dommage que je sois le seul à en profiter.

Je raccroche la Pokéball à ma ceinture et me dirige d'un pas vif vers les escaliers pour regagner le niveau supérieur, en songeant avec ironie que cela fait plus de deux jours que nous parcourons des souterrains sans avoir vu la lumière du jour.

Le hall du château est vide, mais je ne tarde pas à entendre des bruits en provenance de l'extérieur. Je rabats alors la capuche de mon sweat sur ma tête et quitte enfin le bâtiment pour arriver sur une immense cour à ciel ouvert où se trouve l'arène de combat.

Curieusement – et pour mon plus grand soulagement, il ne semble pas y avoir de spectateurs dans l'enceinte du domaine. Lucille remarque très vite ma présence et me lance un sourire à peine perceptible avant de reporter son attention sur le match.

Son petit Gobou affronte un imposant Sablaireau. Mon amie bénéficie de l'avantage du type, mais l'adversaire semble plus costaud et plus expérimenté.

Cependant, la tablette de chocolat qu'elle tient dans sa main pourrait bien faire pencher la balance en sa faveur.

– Tu sais ce qu'il te reste à faire si tu veux pouvoir te goinfrer ! lui crie-t-elle en agitant le précieux sésame au-dessus de sa tête.

Son Pokémon se tourne vers elle avec des étoiles plein les yeux. Le champion profite alors de ce moment d'inattention pour lancer l'offensive.

– Utilise Dard-Venin... commande-t-il de sa voix monotone.

Le Sablaireau se roule en boule et se met à tournoyer sur lui-même en expédiant sur Gobou une volée d'aiguillons empoisonnés.

– Abri ! contre Lucille avec confiance.

– Enchaîne avec Roulade.

Thierry observe les deux combattants avec la plus grande attention. Je ne sais pas s'il a remarqué ma présence derrière lui, mais mon évasion est sans aucun doute le dernier de ses soucis.

Le petit amphibien se protège avec brio de l'attaque Dard-Venin, mais il reste sans défense face à la puissante charge du blaireau qui l'envoie valser quelques mètres plus loin.

Roulade est une attaque sur le long terme qui gagne en efficacité tant qu'elle n'est pas stoppée. Lucille aurait déjà pu trouver un moyen de la contrer, mais elle laisse son Gobou l'encaisser pas moins de trois fois sans rien dire.

Elle a forcément une idée derrière la tête.

– Tente un Ultrason... gémit-elle en se rongeant un ongle.

Je la connais trop bien pour me laisser leurrer par son petit numéro. Elle affiche un manque de confiance pour faire croire à son adversaire qu'il a le dessus et le forcer à prendre des risques.

Sablaireau est contraint de s'arrêter en pleine course et plaque ses pattes griffues contre ses oreilles pour atténuer les effets de l'attaque sonore. Gobou pourrait choisir ce moment pour contre-attaquer, mais il se tourne vers sa maîtresse et se lèche les babines en fixant la tablette de chocolat.

Ses Pokémon sont aussi gratinés que les miens.

– Va le chercher au contact et utilise Combo-Griffe... ordonne le champion avec une étincelle d'avidité dans le regard.

Cet idiot s'est laissé prendre au piège.

Son partenaire hoche la tête d'un air déterminé et s'élance toutes griffes dehors sur son adversaire pour lui asséner le coup de grâce, mais Gobou se retourne au dernier moment pour lui expédier un Pistolet à O d'une puissance étonnante.

Sablaireau est éjecté du terrain et heurte violemment le mur de l'enceinte avant de s'écrouler au sol.

– Tu as utilisé le talent Torrent de ton Pokémon... comprend Thierry en hochant doucement la tête. Quand il est affaibli, ses capacités aquatiques sont augmentées.

Lucille se contente de sourire. Trois minutes se sont écoulées depuis le début du combat, et il ne lui en reste plus que deux si elle souhaite honorer son engagement.

Le champion rappelle son Sablaireau et décroche une nouvelle capsule de sa ceinture pour envoyer son deuxième – et dernier ? – Pokémon. Mon amie décide quant à elle de rappeler son petit partenaire à ses côtés et retire en hâte l'emballage de la tablette avant de lui remettre le sacro-saint chocolat.

Un Laggron apparaît alors au centre de l'arène. Ce Pokémon est l'évolution de Flobio, qui est lui-même l'évolution de Gobou. Son apparence est toujours celle d'un amphibien, mais son corps bleu cobalt est beaucoup plus imposant que celui de ses pré-évolutions.

C'est un adversaire qu'il ne faut pas prendre à la légère.

– À toi, Massko ! s'exclame Lucille avec énergie.

Le Pokémon Plante a participé à tous les combats d'arène disputés jusque-là par mon amie. Je ne compte bien évidemment pas celui de Vulcanor, puisque le champion a été vaincu par son propre pistolet – un point que le règlement de la Ligue n'avait sûrement pas prévu.

Je ne vois pas comment Massko pourrait perdre ce duel. Le gecko a un double avantage contre le type Eau/Sol de son adversaire, et une seule attaque bien portée suffirait à le mettre hors combat.

Il faudrait un miracle pour que le champion l'emporte.

– Laser Glace... murmure-t-il calmement.

C'est un choix judicieux. Le type Glace est particulièrement efficace contre les Pokémon Plante, mais cela implique de pouvoir les atteindre.

– Esquive, mon grand...

Massko acquiesce et bondit dans les airs avec une agilité surprenante. Il échappe au rayon de glace sans la moindre difficulté et retombe sur ses appuis avec souplesse.

Mais Laggron en a profité pour disparaître sous terre.

Le gecko semble désorienté et tourne plusieurs fois sur lui-même avant de croiser le regard de sa dresseuse. Cette dernière lui souffle quelques mots que je ne parviens pas à entendre, et il ferme alors les yeux avec une expression plus sereine.

– Maintenant, Laggron ! ordonne Thierry. Tunnel !

Le Pokémon du champion surgit du sol derrière Massko. Il semble sur le point de l'atteindre lorsque ce dernier bondit in extremis sur le côté.

– Lame-Feuille... souffle Lucille avec un sourire conquérant.

Laggron est à bout portant et ne peut rien faire pour éviter l'attaque de son adversaire. Il la reçoit de plein fouet et finit par mordre la poussière à son tour.

– Comment ? lâche le champion en fronçant légèrement les sourcils. Laggron et moi avons répété cet enchaînement des dizaines de fois. Comment ton Massko a-t-il pu l'éviter ?

Mon amie félicite son partenaire avant de le rappeler dans sa Pokéball.

– Grâce à la capacité Détection... répond-elle avec un haussement d'épaules. Il l'apprend naturellement en tant qu'Arcko. C'est moins les compétences de Laggron que votre manque de connaissances qui vous ont fait défaut sur ce combat.

J'écarquille les yeux d'un air stupéfait. Cette petite peste a eu l'audace de critiquer ouvertement un champion d'arène avec un aplomb incroyable.

Thierry se surprend à rire – un rire discret et assez fade, n'exagérons rien – et rappelle à son tour son Pokémon.

– C'est mérité... concède-t-il en s'avançant vers le centre de l'arène. Laisse-moi te féliciter pour ta victoire, et pour l'évolution de ton Gobou.

Lucille se tourne brusquement vers son Pokémon aquatique et recule d'un pas en voyant que ce dernier a changé d'apparence.

– Flobio ? lance-t-il d'un ton interrogateur en voyant la surprise de sa dresseuse.

Le bouge a pris du poids. Un rond orange est apparu sur son ventre rebondi, la crête sur sa tête est devenue bleue foncée, et il arbore désormais une nageoire derrière chacun de ses membres inférieurs.

Et de la tablette de chocolat, il ne reste évidemment plus rien.

– Vous lui avez donné combien de tonnes de cochonneries pour qu'il évolue en Laggron ? demande mon amie en observant son Pokémon d'un air perplexe.

– Le mien n'est pas glouton... répond sérieusement le champion, qui ne semble pas connaître le second degré.

Thierry fouille sa poche à la recherche du Badge Dune, qu'il remet à Lucille d'un geste solennel.

– Voici la preuve de ta victoire... déclare-t-il avant de se tourner vers moi le plus naturellement du monde.

Je me raidis en me rappelant que je ne suis pas censé me trouver ici. Le champion doit bien se douter qu'il ne reste plus grand-chose de sa prison, mais son visage n'affiche aucune forme de contrariété.

Bordel, ce mec est-il donc dépourvu de toute émotion ?

– La route sera plus dangereuse à partir de maintenant... ajoute-t-il sur le ton de la conversation comme si de rien n'était. Ne quittez plus les sentiers jusqu'à Lunapolis.

Je plisse les yeux en me demandant où il veut en venir. Sa mise en garde n'est certainement pas anodine, et je ne serais pas étonné d'apprendre qu'il consacre son temps libre à collecter des informations pour le compte du Repaire.

La région n'a plus beaucoup de secrets pour moi. Nous allons devoir traverser le Désert de Doranthe pour rejoindre la Forêt d'Obscurance qui nous sépare de Lunapolis – la capitale d'Arkephyr. Ces deux endroits, pour peu que l'on s'éloigne des sentiers principaux, sont bien plus dangereux encore que les abords de Vulcanor.

Le Désert de Doranthe doit autant sa réputation à son sable aux couleurs de l'or qu'à ses violentes tempêtes de sables qui peuvent survenir à tout moment. De vieilles légendes laissent entendre qu'un Pokémon légendaire y aurait élu domicile avant même l'avènement de l'humanité, et qu'il serait à l'origine de ces phénomènes troublants.

Quant à la Forêt d'Obscurance...

C'est là-bas que s'est installée Marianne, la mère de Lucille et la tête pensante de la Team Fusion.