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La plume fantôme de MissDibule



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Informations

» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 30/07/2023 à 04:45
» Dernière mise à jour le 19/08/2023 à 09:46

» Mots-clés :   Drame   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life   Unys

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Chapitre 3 – Plume Force
— Alors, c’est comme ça que votre grande carrière de dresseuse a commencé ? demande Brittany avec admiration.

— Oui, même si ce n'étaient que les premiers balbutiements ! déclare Anis dans un rire.

— Vous doutiez-vous que vous feriez un jour partie de ce Conseil 4 que Maître Goyah essayait de former ?

— Bien sûr que non. Je n’étais même pas certaine de vouloir devenir dresseuse, alors membre du Conseil 4… C’était inenvisageable pour la petite fille que j’étais.

— Mais pensez-vous que Maître Goyah aurait pu l’envisager, lui ? insiste Brittany. Peut-être est-ce la raison pour laquelle il vous a prise sous son aile. Parce qu’il a remarqué votre potentiel.

Stupéfaite, Anis plonge son regard violet dans les yeux bleus de la présentatrice. Brittany peut se montrer d’une perspicacité redoutable, quand elle veut.

— C’est très probable, en effet. Mais je demande tout de même comment il aurait pu déceler le moindre talent chez moi à cette époque ! Je n’étais qu’une enfant fragile.

— Ah, on peut toujours compter sur M. Goyah pour dénicher des dresseurs d’exception ! s’exclame Brittany.

Anis sourit. C’est vrai.

— Et donc, reprend Brittany, vous avez finalement pris goût à la vie de dresseuse en vous entraînant avec Goyah ?

— Oui, acquiesce Anis. Nous nous sommes d’abord entraînés à Arpentières pendant quelque temps. J’ai appris à mieux connaître ma petite Funécire, mais également les bases du combat Pokémon. Je crois bien qu’à cette époque, je ne connaissais même pas ma table des types ! avoue-t-elle dans un rire.

— Ah oui, quand même ! Vous aviez un long chemin à parcourir.

— Oui, mais j’avais soif d’apprendre. Je posais sans cesse des questions à Maître Goyah, qui était toujours ravi de me répondre. C’était un mentor formidable, toujours enjoué et très pédagogue. C’est grâce à lui qu’est née ma passion pour le dressage. Alors, après quelques semaines d’entraînement, j’ai dit à Maître Goyah que je voulais vraiment devenir dresseuse. Il était ravi. Il m’a proposé de le suivre dans ses pérégrinations à travers Unys, ce que j’ai accepté. J’ai donc dit au revoir à mes parents, et j’ai commencé mon voyage, aux côtés de mon mentor.

— Est-ce durant ce voyage que vous avez attrapé les autres membres de votre équipe Pokémon ? la questionne Brittany.

— Oui. Comme vous le savez, j’étais déjà fascinée par les Pokémon Spectre. J’avais décidé de ne capturer que des Pokémon de ce type. Je souhaitais faire honneur à ces Pokémon craints et mal-aimés. Mais je souhaitais aussi en apprendre plus sur eux. J’ai confié ce souhait à Maître Goyah, et il m’a emmenée dans les lieux sombres et antiques dont raffolent les spectres. C’est ainsi que j’ai rencontré deux nouveaux compagnons. Au Château Enfoui, j’ai attrapé une Tutafeh, ce Pokémon si particulier qui se souvient de sa vie humaine. Et dans la Tour Dragospire, j’ai capturé un Gringolem, un Pokémon façonné par une ancienne civilisation, qu’il était censé servir. Deux Pokémon extrêmement fascinants.

— En effet, approuve Brittany. Vous étiez fascinée par les Pokémon, c’est évident. Mais aviez-vous déjà compris que vous vouliez devenir plus qu’une simple dresseuse ; une dresseuse d’exception ?

— Pas exactement. Je n’avais toujours pas abandonné l’idée de devenir écrivaine. Alors… après plusieurs mois d’hésitation, j’ai enfin retenté l’expérience. J’ai réessayé d’écrire une histoire. Et j’ai choisi comme sujet… ma rencontre avec Funécire et Maître Goyah.

— Cela n’a pas dû être évident à traiter ! Un événement aussi traumatisant… compatit la présentatrice.

— Oui, avec le recul, c’était probablement le sujet le plus difficile que j’aurais pu choisir, approuve Anis. Mais je n’aurais pas pu trouver plus formateur, affirme-t-elle. Laissez-moi vous raconter.

***
« Je m’avance vers le gouffre. J’ai très peur. Mais en même temps, je suis excitée, car ça ne me déplairait pas d’en finir. Ce serait bien, de ne plus rien ressentir. Ne plus avoir peur, ne plus être triste… C’est tout ce dont je rêve à cet instant. Alors je m’avance encore. Le gouffre va m’avaler, quand soudain quelqu’un crie, et je me fige. Alors que ses bras m’entourent pour me tirer en arrière, je m’évanouis. »

La petite Anis s’arrêta un instant pour relire ce qu’elle avait écrit. Elle ne savait pas vraiment quoi en penser. D’un côté, elle se sentait plutôt satisfaite, mais d’un autre côté, elle sentait bien que ses auteurs favoris n’écrivaient pas ainsi. Mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle faisait bien, et surtout, de ce qu’elle faisait moins bien. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle faisait, point. Bon sang, qu’il était difficile d’écrire ! Mais malgré tout, elle était heureuse de pouvoir enfin s’essayer à cet exercice.

Elle continua à gratter le papier jusqu’à ce que son histoire soit achevée. Elle jeta un œil à son réveil : il indiquait vingt-deux heures vingt-quatre. Elle sourit. Auparavant, sa mère l’aurait déjà envoyée au lit depuis une bonne demi-heure. Mais elle ne vivait plus sous son toit. Désormais, Anis décidait seule de l’heure à laquelle elle se couchait. Et plus le temps passait, plus cette heure devenait tardive. Tout comme ses amis les spectres, Anis préférait les ténèbres de la nuit.

Heureuse d’avoir terminé son histoire, qu’elle comptait faire lire à son mentor dès le lendemain, Anis se leva de son bureau et ouvrit la fenêtre pour humer l’air du soir. Une agréable odeur de pin lui emplit aussitôt les narines. Le centre Pokémon de Maillard était idéalement placé, juste en face de la Forêt d’Empoigne. Elle était absolument ravie de cette escale. La ville abritait une arène avec à sa tête un tout nouveau Champion qu’elle ne tarderait pas à défier. Mais surtout, Maillard était une ville d’artistes, connue pour ses tendances avant-gardistes. Peut-être était-ce l’aura artistique de cette ville si particulière et de ses entrepôts reconvertis qui avait réveillé en elle la flamme de l’écriture ?

Peut-être. Ou bien, petit à petit, la blessure en elle commençait à guérir. Elle s’autorisait enfin à rêver. À être heureuse. Oui, pour la première fois depuis longtemps, ce soir-là, Anis s’endormit le sourire aux lèvres, sa plume porte-bonheur serrée contre son cœur.

Le lendemain, elle se réveilla de bonne humeur, impatiente de faire lire sa toute première histoire à son mentor. Mais sa réaction ne fut pas à la hauteur de ses espérances, lorsqu’elle lui présenta son récit à la table du petit-déjeuner :

— C’est une bonne histoire. Enfin, je crois. Tu sais, ma petite Anis, j’y connais pas grand-chose en écriture, avoua-t-il l’air gêné. Mon rayon à moi, c’est les combats Pokémon.

Anis était déçue. Comment allait-elle pouvoir progresser en écriture sans mentor pour la guider ?

— Peut-être puis-je vous aider, intervint soudain une voix derrière eux.

Surprise, Anis se retourna. Un homme élégant aux cheveux bruns et bouclés s’approchait de leur table. Goyah se tourna vers lui, et un large sourire se dessina sur son visage.

— Steven ! Comment vas-tu, depuis le temps ?

Puis, sous le regard médusé d’Anis, les deux hommes s’étreignirent. Seule Anis semblait perdue. Goyah s’en rendit compte et s’empressa de faire les présentations :

— Anis, je te présente mon ami Steven Queen. C’est le nouveau Champion d’arène de cette ville. Steven, voici Anis, mon apprentie. Je lui apprends l’art du combat Pokémon. Elle comptait venir te défier à l’arène, d’ailleurs.

Anis écarquilla les yeux. Non, ce n’était pas possible…

— Steven… Queen ? répéta-t-elle, incrédule. LE Steven Queen ? L’auteur de « L’attrapeur de rêves » ? Et de « La ligne rouge » ? Et de…

— Haha, oui c’est bien moi, confirma l’homme en souriant. Ça c’est du Goyah tout craché, il ne mentionne que le dresseur, en oubliant l’artiste. Il occupe pourtant une place très importante en moi !

— M. Queen, je… J’ai lu tous vos romans, je… Je suis admirative de votre travail. J’aspire à devenir comme vous.

Elle était satisfaite d’avoir trouvé une formulation plus élégante que « Je suis votre plus grande fan ! Vous êtes mon modèle ! ». Elle tenait à faire bonne impression auprès de son idole. Elle n’en revenait pas qu’il se tienne devant elle, en chair et en os. Qui aurait cru que le nouveau Champion d’arène de Maillard serait l’un des plus grands auteurs de best-sellers d’Unys ?

— Je te remercie, cela me va droit au cœur. Alors comme ça, tu cherches toi aussi à devenir écrivaine ? Et ce que tu as là, c’est ta première histoire ? Je peux t’aider, si tu veux. Laisse-moi jeter un coup d’œil.

Tétanisée, Anis parvint à peine à glisser les feuilles de papier vers Steven. Deux sentiments contradictoires lui déchirèrent alors le cœur. Bien sûr, elle était ravie de recevoir les précieux conseils de l’un de ses auteurs favoris. C’était une chance inespérée. Mais d’un autre côté, elle avait honte de faire lire à cet auteur de génie un écrit aussi pitoyable. Sa belle confiance en elle s’était envolée : elle était persuadée que son histoire était mal écrite. Mais quoi de mieux que les conseils d’un professionnel vétéran pour progresser ? Il lui faudrait simplement accepter la critique avec humilité.

Elle contempla avec appréhension le visage concentré de Steven tandis qu’il lisait son texte. Son expression était impénétrable, d’une impressionnante impassibilité. Ce qui angoissait d’autant plus la pauvre Anis, incapable de décrypter le moindre signe dans ces yeux verts.

— Hmm, fit-il finalement, après avoir achevé sa lecture. Sans surprise, c’est assez maladroit.

Aïe. Au moins, cela avait le mérite d’être honnête.

— Comme tous les premiers textes du monde, précisa-t-il pour la réconforter. Mais je dois reconnaître que tu possèdes un bon vocabulaire, ajouta-t-il. Surtout pour quelqu’un de ton âge.

Anis releva les yeux, un peu plus confiante :

— Ah oui ?

— Tout à fait. Tu sembles connaître plus de mots que beaucoup d’adultes de mon âge. Tu lis beaucoup, ça se voit. Non, le problème majeur de ton texte ne vient pas du vocabulaire, mais de la narration.

— Je vois, répondit Anis, qui en réalité ne voyait pas du tout ce qu’il voulait dire. M. Queen… Accepteriez-vous de m’expliquer en détail les forces et les faiblesses de mon récit, s’il vous plaît ? J’aimerais beaucoup m’améliorer.

Steven la regarda alors comme s’il la voyait pour la première fois.

— Mais avec plaisir. Savoir se remettre en question est une qualité rare, Anis. Ne perds jamais cette force.

Anis planta ses yeux violets dans son regard vert et hocha la tête avec détermination. Steven sourit. Ils passèrent ensuite un long moment à décortiquer la toute première histoire d’Anis. Steven mettait un point d’honneur à soulever aussi bien les points négatifs que les points positifs. Quant à Goyah, il observait la scène tel un spectateur assis devant son match, sirotant son café et souriant d’un air satisfait.

— Dis-moi, Anis, j’ai une question sur ton texte, déclara soudain Steven. Pardonne-moi si elle est indiscrète…

— Allez-y.

— Cette histoire… Ce n’est pas une fiction, n’est-ce pas ? C’est quelque chose qui t’est vraiment arrivé.

Anis ouvrit les yeux ronds. Comment avait-il deviné ?

— Tu te demandes sûrement comment je l’ai deviné. Eh bien, c’est lié au problème de narration dont je te parlais. L’héroïne de cette histoire, ce n’est pas un personnage que tu as créé, c’est… toi-même.

— Oui, mais en quoi est-ce un problème ? demanda-t-elle sans comprendre.

Steven ne répondit pas tout de suite. Il cherchait les mots justes.

— Ce n’en est pas un… Si tu écris une autobiographie. Or, ici, il me semble que ton but était de raconter une histoire, sous la forme d’une nouvelle. Ai-je raison jusqu’ici ?

— Oui, acquiesça Anis, qui ne comprenait toujours pas où il voulait en venir.

— Eh bien, dans ce cas-là, le fait que ton personnage et toi ne soyez qu’une seule et même personne dessert ton récit. Car tu te concentres sur ce que tu as vécu, et tu te contentes d’essayer de le décrire. Mais écrire, ce n’est pas ça. Ce n’est pas juste décrire ce qu’on souhaite raconter ; c’est le raconter pour de vrai.

Anis n’était pas certaine de bien saisir ce qu’il essayait de lui expliquer. Steven dut s’en rendre compte, car il poursuivit :

— Prenons ce passage-là, par exemple : « Le gouffre va m’avaler, quand soudain quelqu’un crie, et je me fige. Alors que ses bras m’entourent pour me tirer en arrière, je m’évanouis. ». Ici, tu racontes quelque chose d’extrêmement fort. Je ne doute pas du fait que ça a dû être traumatisant à vivre. Et à écrire, ça a également dû être éprouvant. Je me trompe ?

Anis secoua la tête. Non, il ne se trompait pas. Écrire ces lignes avait réveillé une douleur sourde, comme une plaie que l’on rouvre.

Elle commençait à comprendre.

— Comme le souvenir est douloureux, tu l’expédies immédiatement, pour t’en débarrasser : tu racontes tout très vite, sans laisser au lecteur le temps de digérer ou même de comprendre ce qu’il se passe. Tu ne prends pas le temps de poser tes mots, pour qu’on se visualise la scène, et qu’on vive ce moment fort avec les personnages. Et c’est dommage, parce que c’est ça, la beauté de l’écriture. Jouer avec les mots. Faire ressentir des choses au lecteur.

Steven marqua une pause, probablement pour laisser à Anis le temps de réfléchir à ce qu’il disait. Puis il reprit :

— Maintenant, revenons à ce que je disais plus tôt. Imaginons que ce n’est pas toi, le personnage principal de ce récit, mais un personnage que tu as créé, appelons-la Sina. Désormais, tout ce que tu écris, ce sont des choses qui arrivent à Sina, et pas à toi. Tu peux t’amuser à imaginer à quoi elle ressemble, quels sont ses rêves, ses peurs… D’un coup, ça devient beaucoup plus facile de raconter des événements difficiles, car ce n’est pas toi qui les vis… C’est Sina. Dissocier le personnage de l’auteur permet de rendre l’écriture plus facile, car ce n’est pas de toi qu’il s’agit. Il s’agit de Sina. Et Sina n’existe pas. Tu comprends ?

Anis demeura un instant silencieuse. Elle mentirait si elle disait qu’elle avait tout compris. Mais les mots résonnaient avec force dans son esprit. Écrire, ce n’est pas juste décrire ce qu’on souhaite raconter ; c’est le raconter pour de vrai. Elle comprenait un peu mieux, en effet.

— Je vais avoir besoin d’un peu de temps pour assimiler tout ça… répondit-elle avec un sourire.

Steven lui rendit son sourire :

— Plus tu écriras, plus ces choses-là te paraîtront évidentes. Je suis certain que tu écriras des chefs-d’œuvre, un jour !

Anis s’empourpra. Qu’un si grand auteur lui fasse un compliment pareil… C’était un très grand honneur. Steven jeta un coup d’œil à sa montre et sauta soudain de sa chaise comme si elle avait pris feu.

— Oh là là, je n’avais pas vu l’heure ! Il faut absolument que j’y aille ! En tout cas, ce fut un vrai plaisir de faire ta connaissance, ma chère Anis ! J’espère te revoir bientôt à l’arène ! Quant à toi mon cher ami, reprit-il en s’adressant à Goyah, ce fut comme toujours un plaisir.

Et il s’en fut aussi vite qu’il était arrivé, tel un ouragan. Anis réalisa avec horreur qu’elle n’avait même pas eu le temps de lui dire merci pour ses conseils avisés. Le sourire aux lèvres, elle se jura de le remercier en bonne et due forme lorsqu’elle se rendrait à l’arène.

***
— Ça alors ! J’ignorais que le grand Steven Queen avait été un jour Champion d’arène de Maillard ! Quelle chance pour vous de le rencontrer ainsi ! Cette rencontre a dû vous marquer, suppose Brittany.

— Oui, ses conseils m’ont beaucoup aidée. Après mon passage dans son arène, nous avons gardé contact. Il a beaucoup contribué à éveiller l’écrivaine qui sommeillait en moi. Nous nous envoyions des lettres, et il faisait tout son possible pour se rendre disponible pour moi. C’est vraiment quelqu’un de charmant. Il m’a avoué plus tard qu’il s’était pris d’affection pour moi car je lui rappelais son fils, qui lui aussi souhaitait devenir artiste et dresseur. Son fils, qui, comme vous le savez sûrement, n’est nul autre qu’Artie, le Champion d’arène de Volucité ! Autant dire qu’il a bien accompli son objectif.

Cela lui fait du bien de raconter un souvenir heureux, pour une fois. Elle sourit en repensant à ce moment de complicité avec son idole.

— Oui, une vraie famille d’artistes ! confirme Brittany. Et donc, vous faisiez également le tour des arènes d’Unys ?

— Oui. Lorsque nous visitions une ville avec une arène, je m’y rendais toujours pour combattre le Champion. Ma victoire sur Steven m’a permis d’obtenir mon quatrième badge.

— Quatre badges ! Vous n’étiez plus une dresseuse novice alors !

— Non, mais j’avais encore un long chemin à parcourir avant d’acquérir cette force que je recherchais désespérément. Je m’en suis rendu compte peu après, lors d’une autre rencontre qui m’a beaucoup marquée également.

***
Anis tournait et retournait la Poké Ball dans sa main. Elle avait attrapé son quatrième Pokémon, une adorable Viskuse qu’elle avait rencontrée dans les eaux de Port Yoneuve. Son équipe Pokémon s’agrandissait petit à petit. Elle avait de plus en plus l’impression de devenir une dresseuse à part entière.

Devant elle, Goyah cheminait à bonne allure, l’air pressé. Anis ne l’avait jamais vu ainsi, lui qui avait toujours l’air si détendu. Elle se remémora ce qu’il lui avait dit : après plusieurs mois sur les routes, il remettait le cap sur Amaillide, sa ville natale. Apparemment, quelqu’un lui aurait donné rendez-vous là-bas. Il n’avait pas donné plus de précisions, ce qu’Anis trouvait étrange. Elle avait l’impression qu’il ne lui disait pas tout.

Mais elle n’allait de toute façon pas tarder à être découvrir la vérité, car elle voyait enfin Amaillide apparaître à l’horizon. C’était une toute petite ville, nichée au creux des arbres. De là où elle était, Anis n’apercevait guère que le toit d’ardoise violet de la tour de l’horloge, sans conteste le bâtiment le plus intéressant du petit village. Toujours sur les talons de Goyah, Anis pénétra dans Amaillide sans aucune cérémonie.

Goyah ne s’arrêta même pas pour lui présenter sa ville natale, ce qui déçut beaucoup Anis, intriguée par l’endroit où avait grandi son mentor. Elle le suivit donc en traînant des pieds jusqu’à sa demeure, non loin de l’entrée de la ville. Anis remarqua avec amusement qu’un terrain de combat trônait fièrement devant la maison, tracé sur le sol. De part et d’autre du terrain de fortune, deux bancs se faisaient face. Et quelqu’un attendait sur l’un d’eux.

La maison en elle-même était plutôt ordinaire. Toute en briques brunes, elle arborait un toit d'ardoises rouges surmonté d’un panneau en bois marqué d’une Poké Ball. Anis s’attendait à ce que Goyah se dirige vers la porte bleue de sa maison, mais il n’en fut rien. Il se dirigea à la place vers l’homme assis sur l’un des deux bancs de son terrain de combat.

Il s’agissait d’un adolescent à la peau brune. Ses proéminents sourcils blonds étaient froncés, et son visage affichait un sourire satisfait. Apparemment, son attente semblait terminée. Alors c’était lui, la personne qui avait donné rendez-vous à Goyah. Il devait beaucoup compter pour lui pour qu’il mette fin à son voyage et vienne le rencontrer. Anis sentit une pointe de jalousie poindre au fond de son cœur. C’était pourtant ridicule, et elle le savait : elle était loin d’être la seule protégée de Goyah. Mais cela ne rendait pas moins difficile le fait de regarder Goyah étreindre le jeune homme.

Anis se sentait mise à l’écart. Mais elle ne le fut pas pour longtemps. Une fois l’embrassade terminée, le jeune homme se tourna vers elle avec un air de défi. Anis se demandait bien pourquoi il la fixait comme ça. Cependant, ce fut Goyah qui parla en premier.

— Anis, je te présente mon tout premier apprenti, Kunz, annonça-t-il. Tout comme moi quand j’étais plus jeune, il est obnubilé par la force brute. Il apprécie tout particulièrement le type Combat. Kunz, voici Anis, ma dernière recrue. Je parcours Unys depuis plusieurs mois à ses côtés. Elle fait de beaux progrès. Son type à elle, c’est le type Spectre.

Anis rosit lorsque Goyah mentionna ses progrès. Kunz, lui, fronça ses épais sourcils et son sourire se fit plus grand encore :

— Alors c’est elle, hein ? Elle a l’air un peu faiblarde, commenta-t-il sans aucun tact ni politesse.

Le rose qui collait aux joues d’Anis se transforma aussitôt en rouge vif, le rouge de la honte… et de la colère. Kunz la jugeait sans même la connaître. Elle ne se laissa pas démonter.

— Moi aussi, je suis ravie de te rencontrer, répondit-elle d’un ton pince-sans-rire.

Contre toute attente, Kunz éclata de rire, ce qui déstabilisa encore plus la pauvre Anis. Goyah, lui, ne savait pas où se mettre. Cette rencontre entre ses deux disciples ne partait pas du bon pied.

— Ah, désolé, désolé… C’est juste que je suis revenu de mon voyage autour du monde dès que j’ai appris que Goyah avait une nouvelle apprentie, et j’avoue que tu ne ressembles pas à ce que j’imaginais. Mais bon, la vie, c’est aussi des surprises !

Anis se sentait de plus en plus désorientée. Ce garçon avait mis fin à son tour du monde pour la rencontrer, elle ? Cela lui semblait complètement absurde.

— Tu es revenu de ton voyage juste pour me rencontrer ? Mais pourquoi ?

Kunz secoua la tête.

— Pas juste pour te rencontrer. Pour t’affronter. Si Goyah t’a prise sous son aile, c’est que tu dois être très douée. J’aimerais bien voir ce que tu vaux en combat Pokémon.

Cette fois-ci, les joues d’Anis prirent tout bonnement feu. « Très douée »… Elle n’irait pas jusque-là. Elle se débrouillait, tout au plus. Elle avisa le jeune homme au visage si sûr de lui, dans sa tenue de combat. Il était plus âgé qu’elle. Plus expérimenté. Même sans avoir vu un seul de ses Pokémon, elle était certaine qu’il était très fort.

— Kunz, enfin, je te l’ai déjà dit, c’est ridicule, intervint Goyah. Anis a commencé son voyage il y a quelques mois seulement. Tu t’entraînes depuis des années. Tu vois bien que ce n’est pas équitable !

— Si vous l’avez choisie, Maître, c’est qu’elle a du potentiel, n’est-ce pas ? fit valoir Kunz.

Anis commençait à en avoir assez qu’on parle d’elle comme si elle n’était pas là. Même s’il était toujours flatteur d’entendre des compliments à son égard.

— Oui, mais…

— Alors, je veux voir ce qu’elle vaut, répéta Kunz. Je dois la battre. Je veux prouver que c’est moi, votre meilleur apprenti.

Goyah leva les yeux au ciel :

— Ce n’est pas une compétition, Kunz ! Arrête avec ce petit jeu stupide.

— C’est important pour moi, affirma l’adolescent d’un ton ferme.

— Tu ne demandes même pas son avis à Anis ! s’écria Goyah. Tu te rends compte à quel point…

— J’accepte.

La voix décidée d’Anis fit taire aussi bien le Maître que son disciple. Les deux écarquillèrent les yeux, stupéfaits. Alors que Goyah lâchait un soupir, Kunz sourit à pleines dents :

— Ah ça, j’aime ! Tu commences à me plaire, en fait.

Anis resta de marbre face à cette remarque. Elle se moquait bien de lui plaire ou pas. Elle n’appréciait pas beaucoup ce Kunz, et elle espérait bien lui faire ravaler ses paroles.

— Tu es sûre, Anis ? Rien ne t’oblige à accepter, tu sais, lui rappela Goyah d’un ton las.

— Oui je sais. Mais comme vous l’avez dit, j’ai bien progressé ces derniers temps. Ça me permettra de mettre à profit mon entraînement. Et puis… le type Spectre est immunisé au type Combat, n’est-ce pas ? déclara-t-elle avec un sourire.

Elle connaissait désormais par cœur sa table des types, et n’hésitait pas à le montrer.

— Bah ! Il te faudra plus que l’avantage de type pour me battre ! affirma Kunz.

— Ça, je n’en doute pas.

— Maître, vous ferez l’arbitre, n’est-ce pas ? s’enquit Kunz avec un sourire malicieux.

— Est-ce que j’ai vraiment le choix ? grommela Goyah entre ses dents.

Il n’appréciait guère la tournure des événements, et il ne s’en cachait pas. L’air grognon, il alla se placer au bord du terrain de combat, au niveau du trait central qui découpait le symbole de Poké Ball. Kunz se dirigea d’un pas assuré vers le fond du terrain. Enfin, Anis s’avança d’un pas timide sur le terrain. Ses jambes flageolaient. Elle n’était plus si sûre d’elle, tout à coup.

— Hé petite ! lui lança Kunz.

— Mon prénom, c’est Anis, rétorqua-t-elle d’un ton glacial.

— Ouais, Anis. T’as combien de Pokémon ?

— Quatre.

— Ok, alors va pour un combat à quatre Pokémon contre quatre ?

— D’accord.

Un Goyah bougon s’empressa ensuite de débiter d’un ton monocorde les formules d’usage prononcées par l’arbitre lors d’un combat Pokémon. Puis, les duellistes envoyèrent enfin leurs Pokémon sur le terrain.

— Judokrak, go ! s’écria Kunz en lançant sa Poké Ball.

Une créature humanoïde rouge vêtue d’un kimono émergea alors de la Poké Ball. Anis se mordit la lèvre. Elle n’avait jamais vu ce Pokémon de sa vie. Elle ignorait tout de ses capacités et de son talent. Elle ne savait donc pas quel Pokémon envoyer. Elle songea qu’il valait mieux préserver son meilleur Pokémon pour la fin. Elle saisit donc la capsule qui renfermait sa Tutafeh.

— Tutafeh, je te choisis !

Le petit Pokémon noir à l’œil rouge et larmoyant apparut alors sur le terrain, portant comme toujours son étrange masque, unique symbole de sa vie humaine passée. Anis ne se sentait vraiment pas en confiance. Par rapport au colosse de muscles qu’était Judokrak, sa Tutafeh paraissait si frêle et petite ! Anis réalisa que l’on pourrait dire la même chose de Kunz et d’elle. Elle chassa cette idée. Les apparences étaient souvent trompeuses, et elle allait le prouver.

Elle décida de passer immédiatement à l’attaque. Elle savait que les Pokémon qui utilisaient principalement leur force physique étaient très handicapés par une brûlure. Et, coup de chance, Tutafeh avait appris la capacité Feu Follet il y a quelques semaines de cela. Confiante, elle s’écria alors :

— Tutafeh ! Utilise Feu Follet !

Le Judokrak de Kunz ne broncha pas. Son dresseur ne réagit pas non plus. Le Feu Follet atteignit alors sa cible, brûlant une partie du crâne de Judokrak, qui encaissa bravement la blessure. Le visage de Kunz se fendit alors d’un sourire narquois :

— Tu n’aurais pas dû faire ça…

Anis ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Elle était pourtant certaine que la brûlure réduisait fortement la puissance des attaques physiques… Alors pourquoi avait-elle la désagréable sensation de s’être fait avoir ?

— Oh je sais ce que tu te dis, déclare calmement Kunz. « Mais la brûlure réduit la puissance des attaques physiques, alors pourquoi il me dit ça ? »

Piquée au vif, Anis n’attendit pas la suite de son discours et reprit l’offensive :

— Tutafeh ! Châtiment !

L’onde violette vint frapper de plein fouet le Pokémon au kimono, qui, une fois de plus, ne tenta pas de l’esquiver.

— Oh, intéressant. Tu exploites la particularité de la capacité Châtiment. Bien joué ! Ton combo d’attaques était très réussi.

Anis sentait la colère sourdre dans ses oreilles. Ce Kunz ne prenait pas du tout leur combat au sérieux. Il se permettait de commenter la moindre de ses actions comme si tout était joué d’avance.

— Mais c’est ici que s’arrêtent tes prouesses, j’en ai peur, reprit Kunz avec flegme. Judokrak, Représailles.

Le Pokémon Judo s’anima pour la première fois du combat. Il créa entre ses pattes une boule d’énergie sombre qu’il propulsa à toute vitesse vers Tutafeh, qui fut incapable de l’éviter. Tutafeh tomba alors au sol, inanimée, terrassée par la puissance de l’attaque Ténèbres super efficace.

— Tutafeh ! s’écria Anis d’un ton affolé.

Elle se précipita au chevet de son Pokémon. Pourvu qu’elle aille bien… Elle fut rassurée de constater qu’elle était simplement sonnée, rien de plus. Elle jeta un regard en coin à Kunz : avait-il fait exprès de retenir la force de son Judokrak ? Probablement. Anis se rendit alors compte du fossé qui les séparait. Kunz était infiniment meilleur qu’elle. L’affronter, ce n’était pas pareil qu’affronter les Champions d’arène. Ces derniers adaptaient leur niveau à celui de leur adversaire, en choisissant des Pokémon de niveau égal à ceux de leur challenger. Kunz, lui, se battait avec ses meilleures armes. Mais il gardait tout de même de la considération pour son adversaire.

Ces réflexions le firent remonter dans l’estime d’Anis. Elle ne cautionnait pas son manque cruel de manières et de tact, mais elle ne pouvait qu’admirer le dresseur qu’il était. Elle soupira. Comment avait-elle pu espérer le battre, ne serait-ce qu’une seconde ? Elle ne faisait pas le poids. C’était une évidence. Mais elle n’avait pas non plus envie d’abandonner. Elle voulait voir jusqu’où elle pouvait aller, avec son équipe. Alors, elle se redressa, rappela son Pokémon, et se saisit d’une autre capsule.

Malheureusement, comme elle s’en était doutée, le combat était perdu d’avance. Judokrak ne fit qu’une bouchée de Viskuse et Gringolem, tous deux mis hors-combat par une unique attaque Représailles. Anis enserra alors de sa main gauche la Poké Ball de son ultime Pokémon. Celle de sa partenaire de toujours : Funécire. « Je crois en toi. » murmura-t-elle avant de libérer la petite bougie d’une main tremblante.

La petite Funécire apparut alors sur le terrain, décidée à en découdre. Elle jeta un regard noir à l’irréductible Judokrak. Le regard d’Anis, lui, brillait de détermination. Kunz lui rendit le même regard. Commençait-il enfin à prendre leur affrontement au sérieux, maintenant qu’il ne lui restait plus qu’un Pokémon ? Peut-être. Anis comptait bien se battre jusqu’au bout.

— Funécire ! Utilise Onde Folie ! ordonna-t-elle à sa partenaire.

Les yeux jaunes de la petite bougie se mirent à luire, et soudain, le Judokrak si stoïque ne tint plus en place. Il se mit à tituber, frappé de confusion.

— Ressaisis-toi ! lui intima Kunz.

Judokrak tenta de reprendre ses esprits. Anis savait que la confusion ne ferait pas effet longtemps, et s’empressa de profiter de cette chance :

— Rebondifeu !

Funécire projeta alors une gerbe de flammes sur Judokrak. Le Pokémon, s’il avait retrouvé sa lucidité, commençait cependant à ployer sous le poids de ses blessures.

— C’est le moment ! Achève-le avec Châtiment ! hurla Anis, exaltée.

— Judokrak, Piétisol ! s’exclama Kunz en même temps.

Anis lâcha un cri, affolée. Une attaque Sol ! Si elle touchait Funécire, c’était fini.

Tout alla très vite. L’onde d’énergie violacée de l’attaque Châtiment atteignit Judokrak au moment précis où le tremblement de terre de l’attaque Piétisol vint frapper Funécire. Les deux Pokémon s’affaissèrent au sol, vaincus.

Le match était terminé. Anis venait de vivre sa plus cuisante défaite. Depuis le début, elle n’avait aucune chance de gagner. Penaude, la tête basse, elle se pencha pour prendre sa pauvre Funécire dans ses bras. Après s’être assurée qu’elle n’était pas en danger, elle la rappela dans sa Poké Ball. Elle entendit à peine la voix de Goyah, qui déclarait Kunz vainqueur.

Elle avait perdu en beauté. Et la défaite avait un goût bien plus amer que ce qu’elle aurait imaginé.

***
— Eh bien, votre rencontre avec Kunz aura été mouvementée ! s’exclame Brittany, absorbée par le récit d’Anis.

— C’est le moins que l’on puisse dire ! approuve Anis en riant. C’était une vraie tête brûlée. Il a beaucoup changé depuis. Mais, même à l’époque, je l’avais mal jugé. Après le match, il s’est excusé de son comportement, et il a abandonné son ton condescendant pour me parler d’égal à égale.

— Vraiment ? s’étonne Brittany.

— Oui. Il m’a dit avoir été impressionné par ma performance. Il ne s’attendait pas à ce qu’une dresseuse aussi inexpérimentée que moi réussisse à mettre K.O. l’un de ses Pokémon. Quand j’y repense, c’est une prouesse dont je suis plutôt fière. Mais bien sûr, il m’a aussi expliqué mes erreurs. Notamment la plus grossière, à savoir… brûler un Pokémon doté du talent Cran, avoue-t-elle d’un air gêné.

Brittany ouvre les yeux ronds :

— Aaaaah mais oui, bien sûr ! Tout s’explique ! Vous cherchiez à affaiblir Judokrak, mais en réalité…

— …Je l’ai rendu plus puissant, oui, pouffe Anis. Quoi qu’il en soit, ce match a été décisif dans ma carrière de dresseuse. Il m’a appris que, même si obtenir les badges d’arène constitue un bon entraînement, on ne peut pas s’y limiter si on veut devenir un excellent dresseur. Il faut voir plus grand. Et Kunz a vu plus grand. Il a fait le tour du monde, pour rencontrer les plus grands dresseurs et s’inspirer d’eux, pour devenir toujours plus fort. Et j’ai compris à ce moment-là que je voulais faire comme lui.

— Et donc, qu’est-ce que vous avez fait ensuite ? s’enquiert Brittany avec avidité.

Anis s’éclaircit la voix et reprend son récit, le sourire aux lèvres.

***
Alors que le crépuscule diaprait Amaillide de ses belles couleurs chaudes, Anis se perdait dans ses pensées. Elle se tenait la tête basse, l’air sombre. Elle repassait en boucle sa défaite dans sa tête. Elle revoyait toutes les erreurs qu’elle avait commises avec une assurance crasse, une arrogance qui ne lui plaisait pas. Elle avait perdu son sang-froid si rapidement… Cela lui servirait de leçon.

Elle avait beau admettre volontiers que Kunz était plus fort qu’elle, cette défaite lui restait tout de même en travers de la gorge. Elle avait déçu ses Pokémon. Elle les avait obligés à affronter un adversaire beaucoup trop puissant pour eux, et ils en avaient payé le prix. Elle espérait qu’ils ne lui en voulaient pas trop. Goyah les avait amenés au Centre Pokémon, où ils demeuraient pour la nuit, le temps de se remettre. Kunz avait beau avoir retenu ses coups, la force de son Judokrak était sans pareille.

Anis frissonna. Elle commençait à avoir froid, maintenant que la chaleur du soleil l’avait quittée. Tout comme la chaleur de ses Pokémon. Ils lui manquaient déjà. Elle n’était plus habituée à se retrouver seule. Pourtant, si elle s’était isolée sur l’un des bancs du terrain de combat, c’était justement pour être seule. Pour ne plus croiser le regard fier de Kunz, ou pire, le regard compatissant de Goyah. Elle n’y voyait que de la pitié.

Mais elle ne pouvait pas rester là toute la nuit. Alors, prenant son courage à deux mains, Anis se leva et franchit la porte de la maison de Goyah. À l’intérieur, elle y trouva Kunz et Goyah en pleine conversation autour d’une table, assis sur des poufs verts et rouges. Dès qu’elle entra dans la maison, ils interrompirent leur discussion, et un silence pesant s’installa à la table. Anis n’y prêta pas attention et prit place sur un pouf aux côtés de Goyah, le regard perdu dans le vide.

— Bon, il se fait tard, déclara finalement Kunz pour briser la glace. Je pense qu’il est temps pour moi de rentrer. J’ai été heureux de faire ta connaissance, Anis. Merci pour notre match. Et merci à vous aussi, Maître.

À ces mots, il se leva pour quitter la table.

— Non, reste.

La petite voix semblait presque suppliante. Kunz et Goyah se retournèrent comme un seul homme vers Anis, qui avait prononcé ces deux petits mots.

— Reste, s’il te plaît, répéta-t-elle.

— Pourquoi ? demanda Kunz avec un vif intérêt.

Pour une fois, c’était Anis qui le décontenançait, et non l’inverse.

— Parce que… tu es un grand dresseur. Tu sais, je n’ai jamais subi une défaite aussi cuisante, avoua-t-elle.

— Ça ne m’étonne pas, répondit-il avec un sourire orgueilleux.

Anis s’attendait à ce genre de réponse. Elle s'efforça de ravaler sa fierté et continua bravement :

— Donc… j’aimerais que tu restes t’entraîner avec nous quelques jours. Je suis sûre que j’ai des tas de choses à apprendre de toi.

Kunz sourit de plus belle, et répondit :

— Et moi de toi.

Cette réponse, à laquelle elle ne s’attendait pas, eut pour effet de faire rougir Anis. Goyah, lui, éclata de rire face à la mine gênée de sa protégée, et l’ambiance à la table s’allégea aussitôt. Ils continuèrent à discuter de combat Pokémon de longues heures durant, jusqu’à ce que Goyah décide qu’il était temps d’aller dormir. Anis était déçue de ne pas pouvoir continuer cette passionnante conversation, mais elle obtempéra. Lorsqu’elle se pencha pour se lever de son pouf, sa plume porte-bonheur, qu’elle portait autour du cou, glissa hors du col de sa robe violette.

— Tiens, j’ai déjà vu ce genre de plume, dit soudain Kunz.

Anis se figea.

— Vraiment ? Où ça ? s’enquit-elle avec empressement.

— Oulà, c’était il y a longtemps, pendant l’un de mes tous premiers voyages…

Il se tut un instant pour réfléchir. Anis attendait, pleine d’espoir.

— Ah oui c’est ça ! Sinnoh. C’est à Sinnoh que j’ai vu des plumes comme ça.

— Sinnoh… répéta Anis avec envie.

Une région qu’elle ne connaissait que grâce au monde des livres. Ses montagnes enneigées, ses mythes antiques… Et ses secrets enfouis.

C’était décidé.

Elle déclara alors avec force :

— C’est là que je veux aller.