Chapitre 1 : L'entretien
Je pose mon premier pied à Unys, plus précisément à Volucité.
Immédiatement, je tente de prendre une grande bouffée d’air frais, mais je me mets à tousser. Bien que je sois au bord de la mer, l’air est bien différent de Paldea, ma région natale. Je comprends que cela vient de la pollution dont est victime la région d’Unys.
Je fais timidement quelques pas, et me contente de quitter le port dans un premier temps. Je regarde autour de moi, un peu perdue. La population qui circule est dense, et des bâtiments immenses se dressent devant moi, tels des Pokémon Dynamax.
Je me suis bien préparée avant de venir, et j’ai imprimé un plan avec mon itinéraire pour me rendre à ma destination : La Baston SARL. En effet, la raison pour laquelle je me rends à Volucité aujourd’hui est simple : un entretien d’embauche pour un poste de secrétaire d’accueil.
Il est hors de question pour moi d’arriver en retard à mon tout premier entretien. La première impression est toujours importante. C’est ce que l’on m’a enseigné lors de ma formation. La secrétaire d’accueil est le premier rempart d’une entreprise, elle se doit toujours de faire excellente impression.
Passant devant un immeuble aux parois vitrées, je prends le temps de vérifier que ma tenue est impeccable. Une première bonne impression passe dans un premier temps par l’apparence physique.
Pas de cheveux rebelles parmi mes cheveux noirs.
Pas de pli, ni de fil qui dépasse de mon tailleur bleu marine.
Pas de trous dans mon collant.
Pas de saleté sur mes chaussures.
Mon maquillage est à la fois léger et pas trop tape à l'œil. Le crayon autour de mes yeux marron n’a aucunement coulé.
Je continue pendant un bon moment de me scruter frénétiquement dans la vitre à la recherche du moindre défaut. Tout à coup, je remarque que des passants m’observent un peu interloqués. Gênée, je décide de poursuivre mon chemin, quitte à me re-regarder plus tard dans une autre vitre.
J’observe ma carte afin de trouver mon chemin. Il est finalement très simple. Il n'y a rien de compliqué, si je le suis à la lettre.
En seulement quelques minutes, je me retrouve au pied du bâtiment, pile-poil à l’heure. La pression monte. Je respire doucement, puis m’avance vers la porte vitrée, comme pour passer au travers. Bien évidemment, ces portes sont automatiques, et s’ouvrent à mon passage.
La zone d’accueil est particulièrement grande. La couleur dominante est le blanc, contrastée d’un peu de noire. À ma droite, il y a des zones d’attente pour les visiteurs, ainsi qu’un grand écran diffusant tout un tas de publicités. À ma gauche, en face du bureau d’accueil, est entreposée une statue dont l'effigie est un Pokémon que je ne reconnais pas. En face de moi, tout au fond de la pièce, il y a un ascenseur. J’observe que le sol est impeccable. Le mobilier est à sa place et en ordre. Une douce odeur de Baie Tronçi flotte dans les airs.
Je me dirige d’un pas, qui se veut assuré, vers le bureau d’accueil.
Et à ce moment précis, je vois quelque chose qui tranche avec l’apparence si parfaite des lieux. La personne chargée de l’accueil est dans un état…catastrophique. Ses cheveux sont en bataille. De ses yeux pendent des cernes. Ses vêtements sont chiffonnés et mal boutonnés. Elle semble désorientée et épuisée. Est-ce la personne dont je vais prendre la place ? Est-elle en mauvaise santé ?
Cela m’intrigue fortement mais je ne suis pas là pour ça, après tout. Je dois rester concentrée sur mon objectif du jour.
Une minute passe.
Elle semble occupée, et je me demande même si elle a remarqué ma présence. Voyant que l’heure tourne, et ne souhaitant pas être en retard, je décide de doucement l’interpeller.
« - Excusez-moi ? »
Elle pousse un petit cri de surprise et semble effrayée.
« - Ou-oui…Qu...Quoi ? Me répond-elle. »
Sa réponse si atypique pour une secrétaire, me déstabilise un temps. Mais je me reprends, et lui demande finalement :
« - Je suis désolé de vous déranger dans votre travail, mais j’ai rendez-vous avec M. White.
- Ah euh…oui. Je …l’appelle… Balbutia-t-elle. »
Elle a l’air complètement désorienté et cherche ses mots, comme si elle avait de grandes difficultés à s’exprimer. Elle se saisit maladroitement du téléphone en évitant de croiser mon regard. J’ai l’impression qu’elle est est effrayée par moi. Pourtant, je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit dans ce sens-là. Je l’entends marmonner :
« - M. White ? Oui ? Il y a une dame qui vous demande. Hein…je ne sais pas. J’ai oublié de demander…Oui pardon, je suis vraiment désolée. Oui. »
Je me sens mal à l’aise, tandis qu’elle se confond en excuses à son interlocuteur. Elle finit par raccrocher maladroitement après je ne sais combien de tirades excuses, puis finit par m'inviter à patienter :
« - Il arrive…euh, vous pouvez attendre là-bas…je crois. Je suis désolée. »
Je ne comprends pas pourquoi elle s’excuse envers moi. Je me contente de répondre :
« - Merci beaucoup. »
Je lui adresse un grand sourire, et tente d’être aussi chaleureuse que possible pour lui faire comprendre qu’elle n’a pas à me craindre. Mais cela n’a pas l’effet escompté. Je ne crois même pas qu’elle y fasse attention. Elle s’est déjà replongée dans sa paperasse qui semble interminable, et paraît tout autant submergée.
Je décide finalement de m’asseoir à l’endroit qu’elle m’a indiqué et de ne pas m’attarder sur elle davantage. J’attends sagement ce M. White avec lequel j’ai rendez-vous. Et me remémore les réponses aux questions que j’ai préparées en vue de cet entretien.
***
À peine quelques minutes plus tard, un homme d’une cinquantaine d’années environ, sort de la cabine d’ascenseur. Il est habillé d’un costard cravate, est un peu enrobé, et a les cheveux grisonnants plaqués contre son crâne. Il s’avance en direction de l’accueil.
La secrétaire me pointe timidement du doigt. Ainsi, cette même personne que je devine être M. White, s’avance vers moi.
« - Mlle Mila Alba ? Enchantée, je suis M. Francis White. Je suis le directeur des ressources humaines. Bienvenue à la Baston SARL ! Lance-t-il d’un air avenant en me tendant la main. »
Je me lève et lui serre la main.
« - Bonjour, enchantée ! Réponds-je poliment.
- Suivez-moi, nous allons nous installer dans mon bureau pour l’entretien.
- Entendu. »
Sans plus de cérémonie, nous nous dirigeons tous deux vers l’ascenseur.
Un silence religieux demeure dans l’habitacle d’acier. Un léger malaise s’installe tandis que l’ascenseur grimpe les étages. Je sais qu’il serait préférable d’engager la conversation, pour briser la glace, ce qu’on appelle un échange informel. Mais, pour l’heure, je ne parviens pas à trouver une question adéquate. Et le silence demeure encore et toujours.
« - Vous avez un peu de retard, dis donc ! Me lance-t-il alors que l’ascenseur se stoppe et que les portes métalliques s’ouvrent.
- Et bien, en réalité...»
Je commence à me justifier, mais il ne me laisse pas le temps de terminer ma phrase. Il s’avance directement en dehors de l’ascenseur pour se précipiter à travers le couloir. Je me ravise et je le suis.
M.White ouvre la porte d’une pièce qui est sûrement son bureau, et s’y engouffre. À peine ai-je dépassé cette même porte, que je le vois déjà assis et affalé sur son siège. Je m'arrête au niveau d’une chaise à son opposé. Mais je reste debout, et attends qu’il m’intime de m’asseoir ou non.
« - Je vous prie ! Asseyez-vous ! Lance-t-il finalement. »
Aussitôt, je m'assois, sans provoquer trop de fracas, sans m’affaler.
Je le vois fouiller dans un tas de feuilles mal rangé, l’air saoulé. Je prends un léger temps pour observer l’ensemble de la pièce. Elle est plutôt en désordre, ce qui me surprend assez.
Ma vision se concentre de nouveau sur M. White, qui a fini par retrouver ce qu’il cherche. Je reconnais mon C.V. entre ses mains. Il est légèrement chiffonné. Il a l’air de le découvrir pour la première fois. Mais je dois certainement me tromper.
Après de rapides coups d’œil sur le document, il lève enfin les yeux vers moi :
« - Bon, dans un premier temps, je vais vous laisser vous présenter rapidement. »
On y est, la première étape de l’entretien : la présentation. Bon, en général, le recruteur se présente d’abord, puis présente un peu l’entreprise avant. Mais bon, ce n’est qu’un détail.
De toute façon, je n’ai pas besoin de cette présentation, car je sais déjà ce qu’est la Baston Sarl. Il s’agit d’une entreprise de gestion administrative, proposant une approche innovante. Spécialisée dans la prestation de services, elle compte une équipe de salariés passionnés qui sont également des dresseurs Pokémon. En plus d'offrir des solutions administratives efficaces, les employés de la BASTON SARL sont prêts à relever un défi amical : des duels Pokémon avec les dresseurs qui visitent leurs locaux. Dans de plus rares cas, les duels se font avec les clients eux-mêmes, permettant de réduire le coût de leur prestation.
Je connais ma présentation sur le bout des doigts. Il me suffit de la réciter, et d'être le plus naturel possible.
« - Je m’appelle Mila Alba, j’ai 21 ans et je viens d'obtenir mon diplôme de secrétariat administratif. Je suis particulièrement à l'aise avec les outils informatiques et la gestion des tâches administratives. Mes principales qualités sont l'empathie et la diplomatie. J’ai également pour centre d'intérêt, tout ce qui touche aux Pokémon. De ce fait, travailler au sein de la Baston SARL serait pour moi une opportunité d'allier mes compétences et mes centres d'intérêt. Je suis particulièrement enthousiaste à l'idée de rejoindre votre équipe et de contribuer au succès de votre structure. De plus,…»
***
Depuis vingt bonnes minutes, je réponds aux différentes questions de M.White. Ce sont des questions qui ne me surprennent pas le moins du monde.
Quel est votre plus grand défaut ?
Pourquoi devrais-je vous choisir vous plutôt qu’un autre candidat ?
Que pourriez-vous apporter à l’entreprise ?
Quelles sont vos prétentions salariales ?
Etc…
Tout se passe bien pour l’instant, et je suis confiante. Mon unique crainte, est qu’il comprenne que j’ai tout appris par cœur, et que rien n’est spontané.
« - Vous avez un Pokémon ? Me demande-t-il soudainement.
- Par.. Pardon ? »
Cette confiance que je pense avoir depuis le début de cet entretien s’effrite quelque peu.
Pourquoi me pose -t-il cette question ?
J’ai passé l’offre d’emploi au peigne fin. La possession d’un Pokémon ne fait pas partie des critères de recrutement pour ce poste.
« - Je vous demande ça car, comme vous le savez, les combats Pokémon sont une partie très importante de notre culture d’entreprise. Et je vois sur votre CV que vous avez fait une année à l’académie Orange à Paldea.
- Je pensais que ce poste ne nécessitait pas de faire des combats.
- Oui évidemment, mais… »
Il semble chercher ses mots.
« - Vous savez, dans de très rares cas, si les autres employés ne sont pas disponibles ou que leurs Pokémon sont KO, il est possible qu’on vous demande de faire quelques combats, afin d’apporter soutien envers vos futurs collaborateurs. Et… Tente mon interlocuteur.
- Je vois, et bien…Oui, je possède un Pokémon, mais….
- Et vous savez vous battre ? Me coupe-t-il.
- Oui, j’ai appris les bases à l’académie, mais…
- Quel est ce Pokémon que vous possédez ? Me coupe-t-il encore une fois. »
Je n’arrive pas à en placer une. Il m’interrompt sans cesse alors que je veux mettre au clair quelque chose de très important.
« - Il s’agit d’un Pohm. Et donc, comme je vous le disais…
- Un Pohm ? Je ne connais pas. Il doit venir de Paldea, non ? Vous l’avez avec vous ? Je peux le voir ?
- Non, je ne l’ai pas avec moi. »
Je me rends compte que j’ai répondu très sèchement. Je me tais l’espace de quelques secondes, pensant être à nouveau coupé, mais il n’en ai rien. Il me regarde et semble me jauger. En réalité, je suis en train de mentir. La Pokéball de mon Pohm est dans mon sac.
Mais, pour une raison qui m’échappe, je ne veux pas la lui montrer. Je me demande alors s’il sait que je mens. Comme il ne reprend pas la parole, je décide d'ajouter ce que je veux dire depuis un bon moment.
« - En revanche, mon Pokémon ne se bat pas. »
Il y a alors un court silence où je me demande ce qu’il peut bien penser de ma réponse.
« - Je vois…c’est dommage. Enfin, on verra bien… Avez-vous des questions ? »
Je tique sur la phrase “on verra bien”, mais je n’ose pas insister. Je réfléchis, mais je réponds par la négative. J’avais bien préparé des questions de “fin d’entretien”. Mais, j’ai un trou de mémoire.
« - Très bien. J’ai d’autres entretiens dans la semaine. Vous serez recontacté en fin de semaine pour savoir si vous avez été retenu ou non. Je vais maintenant vous raccompagner vers la sortie. »
***
Après avoir quitté l’entreprise sur cette note douce-amère, je me suis dirigé vers le Centre Pokémon le plus proche. J’avais promis à ma petite sœur de l’appeler pour tout lui raconter, et je sais très bien que si je ne le fais pas ou si j’oublie, elle me tombera dessus à mon retour.
Il y a du monde au Centre Pokémon, et il y a de la queue aux bornes téléphoniques.
Je prends mon mal en patience, et c’est finalement mon tour.
Dans l’écran, apparaît ma petite sœur, qui est quasiment ma copie conforme. Elle parait juste plus jeune, et a les cheveux plus courts que moi.
« - Ah ! Enfin ! Tu en as mis du temps !
- Je viens de sortir de l’entretien, et il y a du monde pour accéder au téléphone. Je ne pouvais pas faire mieux...
- Mouais... Répond-elle avec une moue boudeuse. »
Ma sœur est une vraie pile d’énergie, ce que je ne suis pas du tout. Et de cette énergie, découle une certaine impatience.
« - Bon… Alors, tu es prise !?! Crie-t-elle sans retenue.
- Moins fort Inès… Tout le monde t’entend.
- Je m’en fiche ! Alors ?! Crie-t-elle de plus belle.
- Sœurette, s’il te plaît… Je ne sais pas encore. Lui réponds-je finalement.
- Quoi ? Mais pourquoi ?!
- Parce que je ne suis pas la seule personne à postuler, et qu’il y a un délai de réponse.
- Pff… C’est nul… Moi, je demanderais direct s’il me prend ou non. Au moins, je serais fixée !
- Ce n’est pas aussi simple car…
- Bref, tu rentres ce soir ou pas ? Me coupe-t-elle.
- Oui, et d’ailleurs, je vais devoir raccrocher, et partir pour le port, sinon je vais louper le dernier bateau…Et…
- Ah ok ! À tout à l’heure alors ! Raccroche-t-elle brusquement. »
Et ainsi, elle coupe la communication avant même que je ne termine ce que j’avais à dire. Mais je suis habituée à son impulsivité.
Je pose le combiné, je reprends mes affaires, et file à toute vitesse en direction du port. Ou plutôt, je vais à la vitesse que me permettent mes chaussures à talons. Désormais, il ne me reste plus qu’à prendre le bateau pour rentrer chez moi.