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MonoChrome Corporation de SupraEnergy



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» Auteur : SupraEnergy - Voir le profil
» Créé le 10/07/2023 à 19:11
» Dernière mise à jour le 15/08/2023 à 23:48

» Mots-clés :   Galar   Kanto   Présence de personnages de l'animé   Science fiction   Suspense

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MonoChrome Corporation - Investigation
La lumière du soleil le tira du sommeil.

Peter dressait les yeux, l’esprit embrumé : il avait regardé par réflexe, les faisceaux traverser ce rideau de soie feutré.

Après quelques secondes, il réalisait qu’il observait la vitre de la porte en bois du cagibi.

Le Grand Dracologue s’étirait, ankylosé : sa mémoire abimée peinait à remonter jusqu’au moment où il s’était endormi sur l’établi. Il comprenait seulement que sa fatigue avait fini par avoir raison de son besoin d’isolement la nuit dernière.

Après avoir plus ou moins réveillé ses muscles, il passa une main dans ses cheveux carmin ébouriffés tout en observant le comptoir en bois devant lui : son ordinateur portable, posé sur sa droite, affichait actuellement l’écran de veille sur un fond sombre comme de l’encre, où se promenait le dessin brouillonné d’un Dracolosse voltigeant dans les airs.

Il leva ensuite la tête.

Le jeune Maitre soulignait alors sans trop savoir pourquoi, que les trois étagères de son plan de travail étaient toujours autant encombrées, malgré les incessantes promesses de nettoyage printanier qu’il se faisait entre deux combats d’arène, deux colloques interminables ou même deux séances dispensées à l’université : des sachets de graines de couleurs multiples, des flacons d’engrais divers, des brumisateurs ainsi que des pots de fleurs de tailles bien différentes, sans compter tous ces ustensiles de jardinage éparpillés dans des verres, des boites de conserves ou des paniers en osier occupaient tant et si bien les trois espaces de rangement qu’il cherchait inutilement le souvenir de la dernière fois qu’il avait véritablement rangé sa cabane dans les jardins privés du Plateau Indigo.

Peter observait ensuite sur sa gauche, le bonsaï aux feuilles couleur émeraude qu’il avait encore taillé hier soir, bien à l’abri du monde et des bourrasques de neige : ainsi glacée dans le doux nappage des rayons, ses rameaux élégants semblaient à eux seuls s’énergiser de la lumière environnante, s’élevant, inertes, en centaines de vagues vivifiées comme un gazon d’été. Le Grand Dracologue se surprenait alors à jalouser cette force paradoxale qui coulait dans son écorce fine, ses nervures délicates et sa parure feuillue aux teintes de pierre précieuse : son esprit à lui se contentait d’être aveuglé par le soleil hivernal, habillant néanmoins l’atmosphère boisée d’une discrète chaleur qui avait la décence d’adoucir ses tourments nocturnes. Et dans le silence profond qui l’emmitouflait comme une couverture, Peter percevait, frissonnant doucement, les flocons se poser sur la toiture, glissant comme des murmures le long des tuiles congelées par la nuit.
Alors, dans un instant d’égarement, il écoutait l’étrange symphonie de la neige extérieure qui se faufilait, intime, entre chaque rainure de la cabane pour venir sitôt grésiller dans le vide imbibé de clair-obscur. Et quand bien même il savait d’où venait la neige printanière batifolant au-dessus de lui, contre les vitres et contre les parois de bois, il lui semblait confondre ses danses incessantes avec un rire familier, fragile comme du verre mais scintillant comme la glace fine qui sous-couchait l’écorce des rondins donnant forme à son refuge placé en périphérie des sentiers du monde.

Et puis il retrouvait l’étroit chemin du présent.

Il venait d’attraper, le geste lourd, son téléphone posé non loin du bonsaï.

En réalité, le matin était terminé.

Mais il la revoyait, toujours endormie, au creux même des lueurs somnolentes de sa chambre lorsqu’il était entré au milieu de la nuit. Il entendait encore sa respiration s’alourdir de rêves. Il redessinait son visage paisible dans sa tête, si ignorant des horreurs que lui avaient révélé le secret de son sourire si fébrile.
Ses trois Minidracos gardiens avaient penché la tête vers lui, l’œil scintillant d’étonnement hier soir. Ils avaient doucement couiné, perplexes. Mais lui, avait refermé la porte de la chambre avec son éternelle allure assurée. Comme d’habitude. Comme si le sommeil de ce doux fantôme aux yeux de cendres n’était que le fruit quotidien de la fatigue.

Seulement, il avait compris.

Quelle existence elle était forcée de mener depuis sa naissance.

Il avait compris, que sur le perron de pierre, en riant, elle n’avait jamais fait que laisser tomber sa souffrance parmi les flocons.

Et ramenée par le vent comme une chaîne plantée dans son âme, elle riait encore, la noyant aussitôt dans le grésillement de la neige qu’elle piétinait toujours sur les dalles.

(…)

Une sonnerie retentit, longue et agaçante.

Peter tourna lentement la tête.

L’écran de veille de son ordinateur avait disparu, laissant place à l’affichage de son logiciel de communication privé. L’icône brillant d’un combiné clignotait actuellement au centre des sombres cristaux liquides.

Il soupirait, agacé.

Et pourtant, son esprit tout armé de questions venait déjà d’ordonner à sa main de répondre à l’étrange appel dont il n'avait rencontré brièvement l’auteur que depuis hier soir.






***


- J’espère que vous avez bien dormi…

Peter s’accouda à l’établi, se massant nerveusement la nuque.

- A merveille…
- Avez-vous pris le temps de réfléchir à ma proposition ?

Ce long soupir avait peut-être un peu trop froissé sa poitrine : il lui semblait avoir entendu un rire amusé s’étouffer dans les circuits de l’ordinateur.

- Ts ! Vous croyez vraiment qu’une seule nuit suffit pour prendre ce genre de décision ?
- Vous avez choisi votre camp depuis longtemps, Peter Lance. Tout ceci n’est qu’une petite action de plus dans votre croisade personnelle.

La voix sembla s’être fait matraquer par une autre interférence sonore.

Le Grand Dracologue baissa brièvement la tête pour l’enfouir entre ses bras, le temps d’un autre soupir plus creusé dans sa poitrine : et puis ses yeux revinrent sur les cristaux liquides, où la durée de la conversation se vectorisait comme un étrange compte à rebours retourné.

Son regard se perdit alors dans le vide, noyé de ses pensées.

- … Qui est le "Skyshore", très exactement ?

Son interlocuteur sembla prendre le temps de répondre entre quelques grésillements curieux.

- Il s’agirait selon nos premières investigations, d’une entité souterraine qui prendrait la forme d’un groupe d’individus agissant dans l’ombre des grands projets utopiques de notre ennemi commun… Vous le connaissez presque aussi bien que moi pour avoir laissé leurs présomptueuses machines à captation énergétique défigurer vos arènes.

Peter se redressait sur la vieille chaise de bureau en cuir rougeâtre, observant vaguement l’établi tout en plaçant ses mains derrière la nuque. Celle-ci avait légèrement grincé dans son mouvement un peu sec mais visiblement, le temps n’avait toujours pas eu raison de la solidité de ce vieux meuble, que le jeune maître avait récupéré lors de quelques réaménagements administratifs au complexe sportif kantonais : elle défiait à elle seule la force tranquille de la cabane en bois.

- … La Pokemon Champions League ne peut pas être naïve à ce point, n’est-ce pas ?
- La Pokemon Champions League présente depuis des années, de nombreuses failles de sécurité irrésolues. Ce n’est pas pour rien qu’elle a proclamé précipitamment la fusion entre la Ligue de Kanto et la Ligue Argentée après l’attaque de la Sylphe Sarl, rappelez-vous… Et son rapprochement contractuel avec les institutions de la Science Pokémon n’est pas moins anodin : j’étais aux premières loges pour assister à ce théâtre de beaux parleurs, il y a une petite décennie de ça.

Le Grand Dracologue se surprenait à se concentrer sur ce dernier point, l’esprit visité d’un élan de conscience : il se revoyait brièvement il y a deux ans, à la cérémonie d’inauguration du célèbre et impressionnant complexe de combat insulaire à Passio et sa fameuse Ligue du World Pokemon Masters, en collaboration étroite avec la Champions League elle-même. A l’époque, croiser autant de scientifiques dans la ville de Cordis qui bornait le grand dôme bleuté et stade principal de la région ne l’avait pas tant préoccupé, quand bien même il avait avoué ne pas directement apprécier les visions expérimentales et élitistes de son fondateur et jeune entrepreneur-dresseur, Lear Lyer.

- Maintenant que vous le dîtes… Je me souviens que les discours du projet de Passio évoquaient ce désir… la Champions League qui souhaitait faire étudier les liens symbiotiques entre dresseur et Pokémon à travers des festivals thématisés… Une énième tentative de redorer son blason, j’imagine.
- Admirable mais inutile. Elle est devenue le dommage collatéral de la relation entre scientifique et dresseur professionnel : aujourd’hui, ses partenariats revêtent aux attentats, des allures d’incident diplomatique au nom de grands bouleversements nécessaires, ceci pour justifier l’incompétence devenue indissociable de son propre nom.
- Vous n’avez pas votre langue dans la poche.
- C’est une de mes armes les plus aiguisées.

Peter fixait les cristaux liquides, pensif : il était probablement le moins bien placé pour parler positivement des agissements discutables de l’organisation mondiale des Ligues Pokémon. A dire vrai, le jeune maître avait suffisamment critiqué et sans retenue la tentative d’homogénéisation des structures sportives et culturelles entre Kanto et Johto pour n’avoir finalement rien empêché de l’assiègement du Lac Colère par la Team Rocket, comme des expérimentations douteuses qu’elle avait fait subir aux Pokémons environnants dont son Léviator, malgré lui devenu chromatique. Peter avait même avoué avoir intégré l’institution G-Men pour prouver indirectement à la Champions League qu’une entité au statut social moins prestigieux s’en sortait irrémédiablement mieux dans leurs propres actions qu’une organisation mondiale reconnue qui se montrait essentiellement pragmatique dans leur caractère sophiste. Et quand bien même il avait soutenu dans un premier temps, leur ambition de fonder avec Lear Lyer, un symbole d’unification entre scientifique et dresseur Pokémon en l’image même de Passio, quelques désaccords internes lui étaient venus aux oreilles lors de sa dernière visite, laissant entendre que certains dispositifs d’étude n’étaient clairement pas aux normes sans que l’organisation mondiale des ligues ne réagisse réellement pour l’une ou l’autre raison.




Peter n’était pas resté suffisamment longtemps sur l’île pour investiguer davantage les rumeurs : mais ce détail lui paraissait moins anodin maintenant.

- Je vois que les convaincre du bienfondé d’accusations reste toujours aussi aisé que de maitriser un banc de Léviators un jour de tempête…
- Vos lèvres s’avèrent aussi être couvertes de piquants. J’ai ouïe dire que vous n’étiez pas leur meilleur supporter… très critique, un brin sarcastique même. Vous n’en avez pas l’air mais vous maitrisez l’art des façades.

Il fronça les sourcils, le grommèlement un peu revêche malgré lui.

- Humpf ! Pour votre gouverne, ma relation avec la Champions League a été construite sur la confiance et l’honnêteté ! J’ai toujours été leur référent pour la cause Pokémon et ils connaissent suffisamment bien mes intentions comme mon tempérament ! C’est comme ça que ça fonctionne !
- Et c’est également pour ceci que vous êtes un élément-clef de notre opération. Vous êtes une personnalité publique respectable et respectée. La Champions League est entièrement sous l’emprise du conglomérat qui nous pose quelques petits problèmes d’ordre éthique mais force est de constater que vous faite parti de ces dresseurs professionnels dont elle boit les paroles sans aucun esprit critique. La fédération ne se méfie pas de vous.
- Elle n’a pas à le faire, concrètement !
- Vous avez donc compris la base de notre future collaboration, nous venons d’évoluer.

Il se redressa dans un élan outré, repassant une main décontenancée dans ses cheveux carmin. La chaise de bureau grinça encore quelques notes désordonnées parmi les fredonnements lointains de la neige extérieure imbibant l’atmosphère boisée. Après avoir fixé le plafond, excédé, Peter reposa ses coudes sur l’établi, son menton maintenu par ses mains : il entendit alors des grésillements très légers dans l’ordinateur, sans que ceux-ci ne puissent être identifiables néanmoins.

- … Mais ce n’est pas la seule chose que vous attendez de moi, n’est-ce pas ?

Un silence étrange alourdit l’atmosphère pendant quelques secondes.

- Elia Rivenflight me l’a clairement fait comprendre hier… Cette entité enfermée dans vos Pokémons-animatroniques… Elle sélectionne soigneusement ses interlocuteurs, on dirait.

Un soupir léger avait peut-être retenti dans le logiciel de communication.

- En dehors de ce que vous savez, vous êtes la première personne avec qui elle communique autant. En revanche, l’Hybrotronique que vous avez combattu dans les sous-sols de la faculté des sciences s’avère non seulement être une expérience bionique non déclarée à l’administration scientifique de Kanto, mais qui présentait déjà des imperfections irréductibles au niveau de ses connexions. Ceci ressemble en tout point à un dispositif qu’ils n’avaient pas prévu de mettre en place
- Vous voulez me dire que l’agressivité de ce Pokémon était courue d’avance ?
- Durant les premières expérimentations, la Troisième Conscience échouait précisément parce qu’elle ne pouvait pas appréhender concrètement son existence. Mais l’ajout d’une base de données a prédéterminé ses habitus avec lesquels il s’est forgé une perception, disons saine, de notre monde. Dans d’autres circonstances, l’Hybrotronique aurait peut-être pu se montrer coopératif mais sa nature sanguine l’aura effectivement emporté sur le reste, compte tenu du non-respect du protocole mais aussi de sa blessure.

Des interférences glissaient parfois le long de son timbre trafiqué, résonnant légèrement dans l’ordinateur. Pendant un instant, Peter envisageait que son interlocuteur se trouvait à un endroit avec pas mal d’échos.

- Et quelle relation entretient le… "Skyshore" avec cette entité ?

La voix reprit encore quelques secondes pour répondre, le ton toujours très posé.

- Contrairement à ce qu’ils font volontiers croire, ils ne détiennent pas le pouvoir sur elle. En revanche, il existe quelque chose cachée dans notre monde, une chose qui va leur permettre d’obtenir le pouvoir total s’ils avaient le malheur de la trouver. Leur incapacité à communiquer correctement avec l’entité représente néanmoins une faiblesse de taille… une faiblesse dont nous allons tirer profit en forgeant une véritable relation de confiance grâce à vous et votre don transcendantal avec les Pokémons.

Peter se massa la nuque, le soupir plus bruyant : cette fois, il se donnait à lui-même un peu de répit, les pensées en désordre.

- Quand bien même, elle semble plus bavarde avec moi pour une raison qui m’est inconnue… Je ne suis pas complètement certain que vous vous adresser à la bonne personne.
- Et qu’est-ce qui vous fait penser ceci ?

Son regard fixa alors le clair-obscur qui teintait la porte de la cabane.

- … Mon désir de ne pas mêler comme vous le dîtes, ma croisade personnelle à des grandes expéditions punitives, peut-être ? Après tout, vous sortez de nulle part pour me parler de l’existence subite d’un groupe terroriste qui agit au cœur même du conglomérat qui collabore actuellement avec la Ligue Indigo… Il manipule selon vous la confiance de la Champions League comme de la communauté scientifique entière en vue d’enjeux douteux mais vous êtes vous-mêmes un instigateur de la science Pokémon si j’ai bien saisi ?
- C’est exact.

Puis le Grand Dracologue observait du coin de l’œil, son ordinateur, accoudé à nouveau à l’établi et posant son menton sur le dos de ses mains.

- Et qui plus est, vous n’avez pas hésité à amener Leava au Plateau Indigo ce soir-là. Vous l’avez laissé gravement blessée sur ce banc et dans le blizzard… Pourtant, vous saviez que j’allais la trouver rapidement. Vous saviez même quelle décision je prendrais la concernant ! Parce que vous avez documenté notre relation de loin, scriptant le moindre de nos habitudes. Et maintenant, vous me demander de l’enfermer, de l’isoler même, comme si sa vie n’avait aucun sens ? Elle souffre d’exister de la sorte mais vous avez clairement exprimé votre antipathie vis-à-vis d’elle hier, alors qu’elle semble paradoxalement représenter une importance capitale pour vous.

L’ordinateur était étrangement silencieux.

- Avec aussi peu de transparence de votre part… j’ai peine à croire que vous puissiez simplement vouloir jouer les héros désintéressés, et que votre seul objectif soit de déjouer la moindre fraude au nom du bien-être des Pokémons.
- Vous voulez dire, comme le héros désintéressé que vous avez voulu incarner dix ans en arrière ?

Peter se figea.

En l’espace d’un instant, il sentit sa mémoire brûler, agressée vive, embrasant ses tempes comme un tas de vulgaires feuilles mortes.

- Que… comment vous… ?

Et entre les murmures froissés de la neige lointaine, la senteur boisée des rondins, le bruissement amusé du givre et l’éclat minéral des feuilles du silencieux Bonsaï, le temps se resserra subitement autour de lui.

La cabane s’effaça, le temps d’une lame plantée dans le cœur.

Et il crut revoir ces containers polluants se déverser dans ce lac.

Ses Pokémons agonisants sur les berges grises.

Ces usines crachant des tumeurs de fumée charbonneuse vers les cieux empoisonnés d’essences malades.

Ces espaces de nature entièrement colonisés par l’industrie humaine destructrice.

Il n’avait que dix ans à l’époque.

Impuissant.

Tirant ce Draco malade hors des vagues contaminées pour le sauver de justesse.

Pendant que s’élevaient les derniers souffles de tant d’autres dans les abysses narcotiques.

Il les entendait toujours résonner dans son âme.

Impuissant.

Il ressentait leurs souffrances lacérer ses entrailles.

Impuissant.

Quel enfant aurait-il été capable de sortir sain et sauf de cette désillusion ? Parce que de cette image qui avait déchiré ses rêves en morceaux il s’en était fait l’anti-héros, les yeux tirés de larmes acérées d’éclats vengeurs et une rage impétueuse au ventre, cachant parmi ses ambitions de grand protecteur de la cause Pokémon, le dessein d’un homme qui avait choisi l’obscure passerelle à côté des grands ponts lumineux de l’initiatique voyage du dresseur pour atteindre ses objectifs.

Il avait assumé son choix à l'aube de ses vingt ans. Du moins, il le croyait.

Mais dix ans après, son cœur avait finalement choisi de grandir parmi les éclats d’ombres qui soumettaient le bien et le mal que le jeune maître avait crus si longtemps opposés : parce que Peter avait commencé à comprendre, bien entouré de ces personnes et amis qu’il chérissait tant aujourd'hui, que l’apparente lumière avait aussi appris à mentir pour mieux aveugler les émotives âmes comme lui. Il en entendait encore Agatha et son timbre sardonique lui rappeler le paradoxe du clair-obscur devant une tasse de thé aux épices johtonaises qu’elle aimait toujours bien lui servir lors de leurs longues discussions : « l’obscurité n’est pas l’absence de la lumière, et la lumière n’est pas dénuée d’ombres. Chacun révèle fondamentalement l’existence de l’autre, mon garçon. Vois-tu, les êtres humains se sont entêtés à opposer l’indissociable alors que leur âme exprime elle-même ce paradoxe : certains illuminent le monde à la seule force de leurs ténèbres. Mais d’autres s’assombrissent en pensant y voir clair. Après tout, la vérité s’habille de tout tant que ça lui va bien… Garde ceci à l’esprit ».

Il avait tourné la tête, le cœur enfiévré : sa gorge était restée bloquée. Alors, un rire étouffé froissa les circuits de l’ordinateur.

- Vous avez raison sur un point, Peter Lance... Revêtir une cape ne m’intéresse pas. Mais le sentiment qui anime mon ambition, vous le connaissez très bien. Vous-même, vous avez voulu punir l’humanité… Vous vouliez lui faire payer tout le mal qu’elle faisait subir aux Pokémons, sans jamais mesurer vos actes… Mais votre don n’aura pas suffi à faire comprendre aux êtres humains, leur infâme comportement hégémonique… Aujourd’hui, l’affaire a été étouffée et les dossiers de votre condamnation sont bien compliqués à dénicher, je dois dire. Mais au-delà de votre statut de grand champion vénéré pour sa loyauté et ses valeurs, vous êtes toujours bien placé dans l’ombre du collimateur de la justice.

Peter se leva furieusement de la chaise, bousculant sèchement l’établi.

- Vous ne savez rien de ce qui s’est passé ! ABSOLUMENT RIEN, VOUS M’ENTENDEZ !?

Ses pensées continuaient de se tordre dans sa tête: il en fusillait l'ordinateur, les nerfs frictionnés.

Dans un premier temps, la voix semblait plus ou moins garder le silence. C’était avant d’étouffer un soupir amusé.

- Vraiment… ?

Elle toussota un autre rire agaçant.

- Vous avez des amis formidables, Peter Lance… Oui, formidables… Ce jeune homme avec un Typhlosion, Gold Ethan… il vous a beaucoup aidé au Lac Colère… Fidèle partenaire de combat, n’est-ce pas ? Ho, et le champion de la petite ville paisible de Jadielle… du nom de Blue, il me semble ? Il vous a beaucoup soutenu devant le tribunal, avec l’aide non négligeable de vos amis de ligue… Agatha… Marion… Clément... Koga… Et je mentionne aussi le champion de la ligue d'Hoenn, Steven Stone, qui a usé de ses privilèges de parenté avec la bien célèbre DEVON Sarl pour vous couvrir… Et je crois avoir trouvé également que la fameuse championne sinnohenne Cynthia a été une influence primordiale dans les circonstances atténuantes du poids de votre condamnation…

Peter laissa son regard se perdre dans le vide, le souffle abimé: il restait immobile, les jambes soudainement paralysées.

Il croyait revivre la froideur du tribunal de Safrania, ses grands piliers de pierre, ses couloirs infinis, ses journalistes endiablés devant les massives portes de bois massif et sculptés. Il revoyait, les yeux gonflés, Cynthia et Steven l’accueillir, le réconforter, l’aider à affronter cette épreuve dont il ne voulait plus rien savoir. Mais le passé ne s’était pas érodé. Il le savait bien. C’était affreusement solide comme du diamant, reflétant le temps dans chacun de ses prismes, images à jamais enfermés derrière ses parois de cristal.

Le Grand Dracologue n’en paraissait rien aujourd’hui. Il était un membre reconnu et primordial de l'institution G-Men. Il était le Maître du conseil 4 de la ligue Indigo, tout comme le Maître de la ligue argentée. Personne ne savait parmi les jeunes dresseurs venus se battre au Plateau Indigo, ensuite. Personne n’avait appris quoi que ce soit à Passio. Personne ne savait sur le campus de l’université de Safrania.

Oui, la vie avait continué. Et c’était très bien comme ça.

Et puis cette pensée qu’il avait tant craint arracha violemment son cœur, sous la lame du timbre détestable de la voix.

- Oui… Vous savez donner le change aux yeux d’autrui, mais le dragon blessé qui sommeille en vous n’est pas immuable…Vous ne pouvez le faire taire éternellement et vous le savez : votre croisade lancée à corps perdu en est une preuve flagrante. Et cette jeune fille dont vous vous êtes proclamé le grand protecteur… Cette relation si pure que vous chérissez… Ne me semble pas être l’amie fidèle de votre honnêteté si louangée, je me trompe ?

Il venait de contracter ses poings sur l’établi, appuyant nerveusement sur le bois poli. le dos courbé et les yeux perdus dans le néant.

- Ne lui dîtes rien… surtout pas…
- Mais tout dépendra de vous… La personnalité de cette jeune fille, vous la ressentez fortement dans vos veines. Vous avez donc compris où ses fissures se situaient. Et comment celles-ci arracheraient inéluctablement l’espoir qu’elle a placé en vous si elles venaient à s'ouvrir pour de bon sous le poids de votre petit secret.

Les faisceaux s’étaient assombris autour du Grand Dracologue, peut-être. Il faisait plus froid. Peut-être. Mais il n’entendait plus la neige fredonner le long des rainures. Il n’entendait plus le givre napper l’écorce gelée. En réalité, à travers la soie feutrée du rideau, la lumière venait de tomber malade. Et de sa toux silencieuse, il percevait l’obscurité ramper entre les branches figées du bonsaï, subtilisant leur éclat d’émeraude pour briller d’ombres dérangées.

- Il vous suffirait d’un seul écart, un seul… Pour vous retrouver à nouveau sous les mauvais projecteurs. Il serait alors vraiment bien malheureux, que votre petite protégée y découvre qui vous êtes vraiment… sans aucun ménagement, n’est-ce pas ?

Il avait fixé les feuillages plongés dans la pénombre, le cœur piégé. Alors, la voix susurra par-dessus, d’autres filets étroits.

- Bien, Peter Lance…

Il les sentit aussitôt se resserrer autour de ses battements mis à nu, ainsi trompés par la lumière.

- Je répète ma question…

Ainsi démasqués, flash obscur.

- Avez-vous pris le temps de réfléchir à ma proposition ?



***