- Leava Truegold… Numéro 151… favorite du Défi des Arènes et recommandé par le champion de la ville médiévale de Kickenham… Ai-je bien retenu ma leçon ?
Je me demandais encore pourquoi j’avais accepté de le suivre.
Mais le PDG de la Monochrome se tournait vers moi, la posture droite, les mains dans les poches et l’œil patiné d’un rouge bien collimaté sur ma personne. La nuance de blé qui teintait sa chevelure raide et parfaitement démêlée me semblait alors convoquer des efforts prodigieux pour réchauffer son expression glaciale de mannequin formaté. Et ce n’était pas la présence discrète de ce grain de beauté sous son œil droit qui compensait le dur labeur, n’adoucissant rien des traits secs de son visage. A la lueur des lustres de cristal dont les faisceaux étaient en train de se noyer dans les murs de pierre du château, je devinais aussi ces boucles en métal, sphères obséquieuses, qui habillaient le haut de ses oreilles ainsi que l’éclat de cette chaine argentée qui ressortait sur le col gris de sa chemise parfaitement bien ajustée. Enfin, assiégé de clair-obscur, son trois-pièces couleur charbon fortifiait délicatement sa fine corpulence ainsi que ses épaules taillées comme un rempart cimenté.
Il s’avançait posément vers moi : ses yeux n’avaient pas grand-chose à envier à un Regard Médusant.
- Je constate que votre manie contemplative n’a pas perdu de sa superbe depuis la cérémonie d’ouverture… Saviez-vous qu’il est malhonnête de dévisager les gens sans leur consentement ?
J’ignorais si je devais être surprise par le fait qu’il avait remarqué ma fixation imprévue de sa personne dans le hall d’entrée du stade de Motorby il y a de ça quelques semaines, ou bien simplement outrée qu’il n’était visiblement pas mieux éduqué que moi.
- Disons… que vous avez un certain magnétisme, monsieur Fervor.
Il avait peut-être souri : du moins, ce soupir me laissait la sensation qu’il n’aurait attendu aucune autre réponse de ma part.
Là-dessus, il sortit délicatement un paquet de cigarettes de sa poche, en attrapa une dans ses mains gantées puis alluma la drogue dans sa bouche et dans le cliquetis discret d’un briquet couleur acier dont la flamme avait brièvement trouvé reflet malsain dans ses iris teintées de rubis. Après quoi, il me regarda à nouveau, le visage relevé. Quant à moi, j’essayais de respirer calmement, figée sur lui comme sur une anomalie dont on ne percevait pas tant l’origine : Il semblait soudainement différent de ses apparitions publiques, et ça n’avait pas pour effet de me rassurer.
Je me tournais vers le grand couloir, un geste vaguement lancé dans le vide.
- D’ailleurs, je parie qu’elle manque à plein d’invités en ce moment ! Nous devrions revenir à la fête, vous n’entendez pas tout ce qu’on est en train de rater… ?
Mais j’avais à peine eu le temps de faire un pas : dans les cascades d’ombres plongeant entre deux colossales fleurons de lumière venait d’apparaître son Arcanin chromatique.
Je ne l’avais pas entendu nous suivre depuis la salle de bal. En réalité, je ne l’avais même pas revu depuis le discours pompeux de son top-modèle refoulé de Maître, entouré de ses groupies en guise de magistrats monochromiens. Et si pendant la cérémonie d’ouverture, le grand Pokémon canidé de feu m’avait paru un court instant plutôt sympathique pour un partenaire de président orgueilleux (et admiré comme un trophée par tous les challengeurs invités), son grand regard d’obsidienne imitait un peu trop bien le fusil d’assaut imbriqué dans les yeux rouges de Fervor, grognant un son menaçant tout en grattant ce massif tapis ancien sous ses grosses pattes.
Voltia s’était plaquée contre mes jambes, grondant de fins avertissements vers le Pokémon flammes. Je sentais la fourrure hérissée de mon Pokémon électrisé me piquer la peau, tandis qu’en baissant la tête, j’avais aperçu cette lueur combative trancher discrètement ses iris couleur sombre nuit. Cela dit, le Arcanin tout d’or touffue se contentait de bloquer le passage menant vers la grande salle. Et je me retrouvais à devoir avancer vers l’homme que j’avais le moins envie d’affronter ce soir.
Et pour ne rien arranger à mes battements agités, Fervor s’était lui aussi un peu plus rapproché de nous, fumant toujours sa cigarette avec un calme olympien et se sentant visiblement peu concerné par le fait qu’il avait littéralement disparu du Gala. J’étais assez persuadée qu’en ce moment même, la moitié de ses sous-fifres devait littéralement frôler la syncope à retourner tout le château pour retrouver le petit prince qui leur servait de PDG : du moins, j’aurais bien voulu que ce scénario se produise. Mais à mon grand désarroi, il n’y avait toujours personne qui semblait accourir, essoufflé, dans ce grand couloir congelé comme une grotte, froissé d’ombres comme une nuit de pleine lune, et habité par deux âmes dont une me semblait comparable à une vitre sans tain : je me sentais transfusée par son aura, sans même apercevoir ce qu’il m’injectait.
Fervor avait alors baissé son regard perçant sur mon Pokémon.
- Il me semble, ma chère amie, que vous et votre Voltali avez manqué la visite de nos infrastructures, cet après-midi… Votre absence n’est pas passée inaperçue aux yeux des représentants de la ligue de Galar, comme de nos collaborateurs de Monochrome Corporation.
J’avais à peine réussi à dissimuler mon froncement de sourcils : lui avouer que j’avais passé la journée plongée dans les archives royales du château dans le but de discréditer son inestimable société déifiée par toute la communauté scientifique mondiale ne me semblait pas être la meilleure manière de continuer cette conversation. Je supposais aussi que Tarak n’avait probablement pas apprécié que je me fasse à nouveau remarquer en ne me présentant pas à cette visite ridicule, et s’était certainement empressé de se confondre en excuses devant le PDG belle gueule comme si j’étais une véritable erreur de parcours dont il niait toute responsabilité au sein de sa ligue. Quant à Roy, il m’ouvrait délibérément la porte des archives privées et ne m’avait même pas parlé de cette splendide activité apparemment très obligatoire.
Je croisai alors les bras sans panache.
- Vous savez, ça fait aussi parti des privilèges d’une favorite de compétition… l’on peut se donner le droit de renoncer à nos responsabilités de temps en temps !
- Certes… et j’en déduis que votre renoncement a été bénéfique puisque l’énergie qui vous a fait défaut cet après-midi aura servi à vous arranger un peu.
Ma gorge se bloquait, recoiffant assez inutilement ma chevelure de cendres un peu trop arrangée pour moi, et résistant de justesse à l’envie de lui rétorquer toute ma sympathie pour son allure de mannequin antipathique. Ma chère guerrière électrique avait aussitôt dressé les oreilles vers Fervor, le museau retroussé et l’œil sombre aiguisé. Elle marmonnait, agitée. Et puis je me mordais la lèvre, choisissant de faire fi du ton acerbe qu’il avait employé dans son obséquieux langage, murmurant à Voltia de garder son calme. J’entreprenais ensuite quelques pas hésitants sur le côté, les bras toujours croisés et le cœur battant, condamnée à rester dans la sphère du lustre de cristal qui accueillait mon échange avec l’incarnation de la condescendance.
- Bon, qu’est-ce que vous me voulez ?
Fervor tira quelques bouffées de sa cigarette, impassible, le regard premièrement égaré dans les ombres silencieuses autour de nous. Son Arcanin doré poussa au même moment un grognement profond et je crus sentir son souffle brûlant me lécher le dos pendant plusieurs secondes. Le président monochromien se tourna ensuite vers moi : son visage, plus froid encore que de la vieille porcelaine, sembla se teinter légèrement de cette fumée âcre qui imbiba le clair-obscur.
- Mes devoirs de PDG m’ordonnent d’échanger en toute cordialité avec les personnalités stratégiques de la ligue régionale. Si je ne m’abuse, vos exploits sur le terrain de combat ont été exposés avec une vigueur surprenante au sein du Défi Des Arènes. La plèbe vous qualifie de finaliste à seulement mi-chemin des Poké Masters… Ce sont des absurdités qui ont la délicate habitude de titiller ma curiosité.
- Les gens parlent beaucoup, vous savez.
- Et beaucoup vous diront qu’il s’agit de leur plus grand défaut. Mais j’ai toujours pensé que nous avions tort d’envisager que la masse n’avait jamais rien à dire.
Je me frottais le bras, cherchant le soutien du vide autour de moi.
- … Les hommes d’affaires n’ont pas horreur des commérages, normalement ?
- Vous avez tout à fait raison : c’est tout simplement parce que bien peu parmi eux ont compris comment les écouter. Mais sachez que la foule a cette particularité méconnue de refléter étroitement les vérités, de telle sorte qu’elles apparaissent d’abord comme de mauvaises projections… Du moins, tant que nous n’avons nullement la présence d’esprit de les remettre à l’endroit.
Je n’étais pas certaine de tout saisir dans sa voix glaciale : je savais seulement qu’elle arrivait très bien à me geler le sang. Voltia n’était pas en reste non plus car je la sentais trembler vers mes jambes, le grondement atterré. Fervor semblait parfois jeter le faisceau gelé de ses yeux couleur rubis sur elle, l’iris bien haut et son éclat perçant d’un orgueil qui ne contribuait pas à apaiser ma chère guerrière électrique.
La main posée discrètement sur ma poitrine, je pris une grande aspiration.
- Et… Vous voulez me remettre à l’endroit dans un obscur couloir de château ?
Il tira délicatement sur sa drogue, le souffle un peu trop calme à mon goût.
- Nous serons bien plus à l’aise sur votre propre terrain pour cela. Je vous propose une visite privée des Supra-sondeurs en ma compagnie, ceci en guise d’alternative on ne peut plus bénéfique à cette soirée dans laquelle vous dîtes perdre votre temps si je ne m’abuse ?
Je n’avais pas pu empêcher ce gémissement, le soupir un peu vif malgré moi : j’espérais au moins qu’il n’avait pas entendu davantage de ma conversation avec Nabil devant le buffet. J’imaginais d’ailleurs assez facilement mon ami d’enfance aller se passer les nerfs avec ma rivale de l’autre côté du gala. Je le comprenais un peu, cela dit : Fervor avait atteint des sommets en matière de condescendance, le prenant pour un simple apprenti bancal de laboratoire Pokémon alors qu’il avait tout de même obtenu son diplôme officiel il y a un an. Mais je gardais ma tentative de vengeance pour une autre fois. J’avais maintenant la chance de me retrouver seul avec un gros morceau de notre enquête.
- C’est pas très commun un PDG qui se la joue guide touristique.
- Cependant, il prend part à mes nombreux moyens de renoncer à mes responsabilités le temps de quelques échappatoires politiquement corrects. Et puisque vous êtes déjà fort accoutumée à vos droits communs, vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je me mette à votre niveau en usant également de mes privilèges.
Mon ton sarcastique n’avait pas dû être assez discret : Fervor s’était approché encore un peu, arrivant juste en-dessous du lustre aveuglant et terminant sa cigarette dans une petite braise suffocante : le serpentin de fumée qui s’élevait sous la cendre mourante semblait alors marquer la trace d’un cri étouffé.
Mais je n’en voyais toujours pas la source.
***
C’était la première fois que je rentrais dans le stade de Kickenham.
Les lumières de sécurité, allumées bien en hauteur et au-dessus des gradins, façonnaient à son vaste terrain de combat, l’impression étrange d’exister hors des lois physiques : quand bien même sa taille devait être similaire à celui des autres stades que j’avais déjà arpentés, quelque chose d’autre semblait hanter son sol de pierre baigné d’ombres lumineuses, un corps spectral d’écailles duveteuses et sombres comme des brûlures qui voguait au raz des lignes verticales et horizontales aux teintes de l’arène draconienne. Je l’entendais peut-être battre des ailes épineuses ici et là, mais ses rugissements s’étouffaient au fond de sa gorge enchainée. Et soudain, dans l’obscure masse qui menaçait juste au-dessous des faisceaux sentinelles figés au sommet, j’avais croisé son regard teinte vénéfice tenter de remonter à la surface.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Mais ses yeux d’outre-monde s’étaient déjà refermés : nous avions atteint l’autre côté du stade. Alors, j’expérimentais l’insupportable poids du silence qui régnait apparemment dans un stade d’arène vide de sueurs et d’euphorie. J’observais Fervor, agitée : mais tout dans son visage laissait entendre qu’il ne s’était pas spécialement senti concerné par cette entité tapie dans la pénombre.
Et puis je levais la tête.
- Wow…
Nous étions devant les deux seuls sondeurs du stade.
Ces derniers étaient aussi entourés de puissants projecteurs sécurisés qui dessinaient parfaitement les ombres sèches de ces dents métalliques en forme de rasoir formant par dizaines de milliers de spirales, le vortex vertigineux. Au-dessus se comptaient peut-être davantage de petites loupiotes qui s’enchainaient comme des guirlandes minutieusement assemblées tout au long du gouffre taillé comme un entonnoir. Au fond, et nous ne pouvions probablement le remarquer qu’en étant très proche de ces machines, était imbriquée une très grosse ampoule arrondie dont l’impressionnant filament tordue luisait singulièrement. Des tuyaux, au nombre de sept, peut-être plus, semblaient connecter directement le vortex de métal à cette colossale électrode. Le clair-obscur, particulièrement envahissant à cet endroit, ne me permettait pas d’apercevoir l’arrière.
En revanche je remarquais au bord du vortex, la présence d’une guirlande très fine de petits cristaux taillés en pointes. Celle-ci était montée sur toute la circonférence, et comportait uniquement des pierres cristallines maculées d’un rouge ensanglanté. Je les observais, me massant malgré moi les poignets : des sensations de brûlures venaient de me prendre aux veines.
- Impressionnant, n’est-ce-pas ?

Je tournais la tête vers le PDG monochromien.
- Vous avez devant vous et à ce jour, le modèle le plus avancé de nos Supra-sondeurs : 346'000 panneaux électriques connectés entre eux et alimentés par un générateur à haute performance, qui synthétise l’énergie absorbée des attaques des Pokémons en temps réel.
Il leva brutalement la main vers la machine douteuse. Et moi, je sursautai, étouffant un cri : Des myriades de lueurs éclaboussèrent en silence dans le premier vortex, couvrant brièvement l’entièreté de son intérieur dans cette explosion étincelante.
Les guirlandes électriques s’étaient toutes allumées en chœur, avant de vibrionner d’une étrange combustion lumineuse. Je sentais alors Voltia se plaquer contre mes jambes, le gémissement vif, et son propre cœur battant à vive allure : de son pelage teinte du tonnerre s’élevaient déjà quelques brèves étincelles irritées qui me piquaient brièvement la peau, avant de s’évanouir au fur et à mesure que les loupiotes se contentaient finalement d’émettre à la chaîne, des scintillements répétés. J’avais inutilement protégé mes yeux, ceci avant d’être plus ou moins capable d’observer ce concert brûlant des leds chantonner sans bruit, excepté l’étrange ronronnement caverneux provenant de l’électrode et qui leur servait de percussion. Le Arcanin doré semblait de son côté, bien peu bousculé par les vives manifestations électriques du sondeur, regardant les lueurs avec un air aussi froidement fier que son maître. Il secouait parfois sa massive fourrure zébrée, aux tons dignes d’un soleil couchant qui embrasait les montagnes comme du vulgaire bois.
J’essayais tant bien que mal de reprendre mon souffle, des picotements remontant dans mes vertèbres : je venais seulement de constater la présence d’une petite télécommande à loupiote verdâtre dans la main gantée de Fervor.
- Vous contrôlez ces choses à distance ?
- Simple appareillage de sécurité. Le mécanisme central se situe dans les sous-sols du stade où ont été installés les super-ordinateurs reliés aux Supra-sondeurs.
Il se contentait de regarder l’infernale machine aveuglante, et sans même cligner des yeux. J’avais malgré moi fixé le sol en pierre, les jambes légèrement instables. Et puis je trouvais le courage de relever les yeux sur lui.
- Vous venez de me dire que les dresseurs se battent à côté de trucs potentiellement dangereux pour leur vie ?
- Vous êtes en présence d’une technologie fonctionnant par l’intermédiaire d’une lecture séquentielle de calculs complexes et inédits imbriqués dans des millions d’instructions programmées. Si nos infrastructures font preuve d’une autonomie hautement performante en adaptant la force d’absorption selon la synergie environnementale du Pokémon-cible, Monochrome Corporation n’a pas la prétention d’affirmer que ces calculs, appliqués au cœur de myriades d’opérations effectuées à la minute, ne peuvent nous faire faux bond de temps en temps.
Je regardais Voltia oser quelques pas prudents vers l’infernale machine, dévisageant la danse frénétique des ampoules.
- Et quand ça déraille, vous n’avez qu’une petite télécommande.
- Celle-ci ne sert qu’en tout dernier recours, lorsque tous les systèmes de réinitialisation implantés ont échoué… ce qui n’est pour l’heure pas une réalité si ceci vous inquiète.
Il s’avançait alors posément vers le sondeur géant, remettant les mains dans les poches en me décochant un regard gelé. Après quelques efforts à résister au froid, je le suivais à petits pas.
Nous n'étions plus qu’à quelques vains mètres du vortex. Et je n’avais pas pu étouffer ce gémissement, surprise par la masse bouillonnante qui en émanait déjà, visiblement crachée en quelques secondes d’activité par les myriades de leds. Une nausée me prenait alors au cœur. Je secouais légèrement la tête, la main sur la bouche : Je n’en étais pas certaine, mais une odeur de métal brûlé semblait aussi se dégager du fond du vortex.
Cela dit, je choisissais plutôt d’évoquer ce détail-ci du bout des lèvres.
- Monsieur Fervor… Ces pierres rouges, elles ont réagi les premières quand vous avez allumé le sondeur, non ?
Il se tourna calmement vers moi, ceci avant de diriger ses yeux rubis vers les bords du capteur.
- Votre œil est affûté… Ces cristaux sont les principaux absorbeurs de l’énergie dégagée par le corps des Pokémons.
- Et c’est quel genre de cristal ?
- Des minéraux hybrides confectionnés dans nos laboratoires. Ils sont le résultat d’études approfondies sur les pierres évolutives.
Il leva brièvement la main, pointant du doigt les parties distinctes du sondeur au rythme de ses explications.
- Ces roches absorbent par électromagnétisme l’énergie générée instantanément par les attaques du Pokémon dont l’indice énergétique a été codé dans nos super-ordinateurs. Elles transfèrent ensuite les masses emmagasinées dans les leds où ces dernières sont synthétisées grâce à un courant électrique chargé très précisément à 10'000 volts. La combustion électro-énergétique obtenue est ainsi transmis dans les tubes à haute pression installés sous les lamelles métalliques. A cet endroit circule une eau oxygénée spécialement traitée dans laquelle cette combustion se mélange pour donner naissance au dépôt aqueux de l’énergie… Exactement comme celui-ci.
Je l’avais vu rapidement retirer quelque chose de sa poche, le geste lent.
C’était avant de brandir délicatement devant moi, une fiole relativement petite au verre épais, et fermée par ce qui semblait être un cache sophistiqué fait d’un curieux alliage métallique. A l’intérieur luisait fortement un liquide d’un orange vif et ardent, parsemé de petites étincelles blanchâtres qui se confondaient parfois dans la nuance nucléaire que le composant m’évoquait. Ce dernier semblait d’ailleurs très fluide, mais j’étais surtout interpellée par ses mouvements vibrionnant comme de la lave en fusion.
J’avais malgré moi reculé, le cœur battant et les lèvres tordues : mes nerfs plantaient mille aiguilles à la seconde sous ma peau.
Le visage de Fervor restait neutre de son côté : ses yeux rougeoyants se suffisaient à eux-mêmes pour esquisser un singulier sourire satisfait.
- Extrait énergétique de la capacité de type normal, Ultralaser, lancée par le Pokémon serpentaire de type eau et vol, Léviator… Il a été absorbé il y a de ça quatre années, lors du lancement du projet dans la région de Kanto.
Je me frottais les poignets : aucun son ne voulait sortir de ma bouche.
- Comme vous pouvez le constater, la particularité première de ces indices énergétiques se situe dans leur longévité : ils ne perdent rien de leur teneur obtenue au moment de la transfusion via l’eau oxygénée, tant qu’ils ne sont pas libérés de quelque manière que ce soit de leur contenant, bien entendu.
Il jouait légèrement avec la fiole dans sa main gantée, laissant le liquide gorgé d’énergie féroce percuter en silence les parois massifs du contenant. La chaleur que je croyais sentir bouillir à l’intérieur me creusait dans les nerfs, l’affreuse sensation qu’elle allait à tout moment exploser sa cage en verre.
Et puis mes lèvres bougèrent à nouveau.
- C’est… surprenant.
- N’est-ce pas ? Monochrome Corporation est le premier laboratoire au monde à être capable de transmuter l’énergie des Pokémons sous forme tangible, et dont nous extrayons la puissance motrice dans l’objectif d’envisager la production de sources d’énergie et de médecines innovantes entièrement créées par l’Homme.
Je croisais les bras, toujours sans panache : je peinais à supporter ses yeux froids au cœur d’une brûlante orgueil.
- Créer… ? Enfin, ça reste l’énergie des Pokémons que vous vous appropriez.
Il étouffa un léger rire : mes nerfs piquèrent un peu plus forts.
- Votre pertinence vous fait honneur. Mais les forces de la Nature, aussi extraordinaires soient-elles, existent fondamentalement pour elles-mêmes et dans leur forme la plus primitive sans l’intervention de l’Homme. Elles se gâchent à n’être que des puissances latentes si aucune action n’est intentée afin de mettre en perspective leur véritable potentiel. Le même cas de figure existe vis-à-vis des pouvoirs des Pokémons.
- Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Ses yeux sombre rubis suivaient les vaguelettes de l’étrange liquide orangé.
- Leur énergie sous forme aqueuse crée des enjeux bien plus déterminants que la simple exploitation spectatorielle ou toutes ces superficielles collaborations quotidiennes avec l’humanité. Imaginez une seule seconde ce qu’il est possible d’accomplir avec des échantillons tangibles des capacités des Pokémons : d’une part, des attaques non-offensives comme Soin, Dévorêve, Synthèse ou Croissance pourront produire des formes inédites de traitements médicaux, jusqu’à l’éradication complète de maladies que les progrès basiques de la médecine actuelle ne permettent toujours pas de guérir. D’autre part, des attaques telles que Psyko, Puissance Cachée, Force Nature ou Aéropique pourront être utilisés à travers de vastes projets d’urbanisations majeures ou d’accroissement conséquent du confort de vie en injectant ces extraits à des intelligence artificielles qui accompliront les mêmes actions que les Pokémons mais en ajoutant à ceci, des calculs séquentiels qui quadrupleront leur efficacité.
Des frissons me broyaient les vertèbres : j’observais, paralysée, la fusion latente s’exciter dans le liquide orangé. Et puis Fervor baissait les yeux, enfouissant calmement la fiole dans la poche de sa veste.
- Cela dit… la qualité de l’essence de leurs pouvoirs est conditionnée par la qualité du combat durant lequel l’énergie est récupérée. Ainsi, plus l’affrontement est ambitieux, plus l’absorption donnera lieu à des échantillons énergétiques hautement performants qui détermineront l’efficacité de leur reconversion.
Et moi, j’arrivais à revenir sur les lueurs blanches du sondeur : elles étaient encore plus froides que ses iris rouge brûlé.
- Je vois… C’est pour ça que vous collaborez avec les Ligues.
- Les combats qui se déroulent lors de manifestations sportives de haut niveau et dans un cadre professionnel proposent une synergie environnementale autrement plus conséquente que celle de simples matchs de rue. Les dresseurs Pokémons se révèlent être des contributeurs non-négligeables pour les scientifiques que nous sommes cependant, nos deux mondes ne peuvent cohabiter que dans le pragmatisme d’enjeux destinés à faire progresser le génie humain.
Ses lèvres ne souriaient toujours pas : elles ne savaient probablement pas le faire. Ses yeux couleur sang avaient apparemment appris à esquisser ce rictus orgueilleux à leur place. Je m’étais tournée vers lui, trouvant la force inespérée d’affronter à nouveau son aura arctique. Voltia restait très proche de moi, surveillant de son côté, les moindres faits et gestes du Arcanin chromatique. Je sentais ses pulsations s’agiter, sur le qui-vive.
Je la comprenais très bien : moi aussi, je vivais un moment désagréable.
- Monsieur Fervor… Pourquoi me raconter tout ça ?
Cette fois-ci, son regard me fit l’effet d’un coup de lame glissant le long de mon dos : il étouffa un curieux soupir, recula un peu puis me tourna le dos pour avancer dans les lumières excitées du sondeur, avant de s’immobiliser.
Sa voix glaçante s’ajouta au ronronnement de la machine.
- Ma chère amie… connaissez-vous le concept du voyage initiatique ?
Malgré la force lumineuse des guirlandes électriques, sa silhouette émergeait comme une lune charbonneuse devant le soleil.
- Euh… c’est… une manière de devenir dresseur pokémon, je crois ?
Il avait peut-être penché la tête : la nitescence du vortex ne semblait même pas le faire gémir.
- Exactement… une absurdité sans nom qui consiste à s’imbriquer dans cette culture contre-productive du combat amical tout en accomplissant un certain épanouissement personnel insipide ! Cela dit…
Voltia grondait légèrement vers le PDG, grattant le sol de pierre : mais je lui murmurais seulement de ne pas me créer un esclandre. Pour le moment en tout cas. Fervor venait enfin de faire revenir son orgueilleux regard vers moi. J’admirais sa capacité à avoir regardé le cœur tumoral du sondeur comme s’il venait de dévisager l’obscurité.
- … Les dresseurs professionnels qui s’engagent à jouer les marionnettes de ce vaste théâtre médiatique se font également les prédicateurs de cette rhétorique autour des soi-disant liens tissés avec les Pokémons. Même si leurs opposants se contenteront de produire du travail fluctuant aux fabricants des badges d’arène et de justifier le salaire des champions, force est de constater que le voyage initiatique est inhérent à cette relation de confiance que les dresseurs tiennent tant à créer avec leurs partenaires de combat. Elle joue un rôle on ne peut plus crucial vis-à-vis de la qualité de nos essences énergétiques. Il est donc primordial à ce que tous les acteurs s’en tiennent à leurs discours dégoulinants de valeurs superficielles en servant idéalement par ricochet, nos perspectives scientifiques… Vous comprenez ?
- Comprendre quoi ? Que vous méprisez les rêves des gens ?
Je le dévisageais, quand bien même son regard continuait de me brûler les sens.
- … A la cérémonie d’ouverture, vous n’avez pas hésité à soutenir le discours de Tarak, et même celui de Macro-Cosmos. Les challengeurs vous regardent avec des yeux brillants d’admiration, ils vous accordent leur confiance pour votre démarche envers le bien-être des Pokémons. Mais dès qu’ils ont le dos tourné, leurs efforts… leurs ambitions… ils ne sont plus que des outils pour vous ?
Mais je résistais : mes poings étaient contractés.
- Monsieur Fervor… Quelle sorte d’hypocrite êtes-vous ?
Il semblait réajuster ses gants couleur charbon avec un sourire étrangement vaniteux fendant la moitié de ses lèvres. Mes nerfs avaient bien entendu son ricanement broyer le fond de sa gorge mais en m’approchant lentement, je percevais aussi ce durcissement qui assiégeait les traits de son visage.
- Je vous retourne la question.
Son iris rubis se jeta comme un filet sur moi.
- Votre façon de vous battre… Votre désobligeance face au Maître de Galar… Votre participation on ne peut plus confuse ou cette insolence dont vous faites preuve du bout de vos satanées lèvres… Ce championnat ne signifie absolument rien pour vous.
Mes jambes ne répondaient plus : mais j’étais trop occupée à contrôler mes pulsations devenues folles pour m’en inquiéter.
- Et qui plus est… l’on vous aperçoit à des endroits qui ne sont pas inscrits sur l’itinéraire du Défi des Arènes… Des endroits où vous vous profilez visiblement sans invitation…
Il avançait toujours : j’avais la gorge bloquée.
- J’espère, ma chère amie, que notre Gala privé à Skifford situé au premier étage du restaurant-Hôtel Le Brise-Lames, était pleinement à votre goût, l’autre soir… j’ai personnellement passé une soirée détestable au cœur de cette élucubration diplomatique… et tout particulièrement lorsque l’on m’a fait part d’un acte honteux de vandalisme qui a saccagé avec une violence singulière, cette agréable suite prêtée généreusement par l’hôtel pour nos fonctionnaires.
Je défiais le fusil qui se chargeait en silence dans ses yeux : Il était très proche.
- Tous les convives ont été interrogées… mais faute de véritable témoignage, l’affaire a été classée… néanmoins… vous avez peut-être vu quelque chose dont vous voudriez me faire part…? Après tout, force est de constater que… vous n’étiez pas loin?
Il relevait à nouveau ses iris sur moi, la bouche légèrement fendue vers le bas : je ne lâchais rien de la sèche insolence que mes yeux devaient bien lui jeter.
- Je me suis perdue… c’est tout.
Fervor garda le silence pendant quelques secondes, enveloppant la moindre parcelle de mon âme dans son aura arctique. Et soudain, je sentis sa main gantée glisser sur ma joue : je frémis malgré moi, incapable de détourner mes yeux de son visage crispé d’arrogance. Son contact me compressa les nerfs. Je plongeai, impuissante, dans la fusion latente de ses yeux érubescents et sa voix, toujours plus posée, me frigorifia à nouveau les lèvres.
- Il circule au sein de Monochrome Corporation, une vertu dont nous nous faisons l’extrême défenseur : la capacité à savoir rester là où nous sommes destinés à être, pour accomplir ce à quoi nous sommes prédisposés à servir. Afin que nos collaborations avec les ligues Pokémons fonctionnent, il faut que chaque engrenage s’imbrique parfaitement dans l’emplacement que nous lui avons indiqué. La moindre pièce qui sortirait malencontreusement de son axe dévierait cette grande machine que dresseurs et scientifiques s’engagent à faire tourner dans l’objectif d’enjeux communs.
Il continuait ses caresses étranges, légères, mais elles manquaient de me fissurer la peau, brûlantes de froideur.
- Ce petit engrenage qui s’obstinerait à ne pas tourner correctement deviendrait au fur et à mesure, un peu moins efficace… Il serait d’abord un léger dérangement… puis un inconvénient majeur, avant d’obliquer en une menace certaine pour le bon fonctionnement de tous ces mécanismes complexes où chacun de nous exerce un rôle très… très précis.
Il avait peut-être appuyé ses caresses sur mon visage.
- Alors… arriverait ce moment déplorable où nous serions obligés de sortir complètement cette petite pièce... Nous la définirions comme défectueuse et nous la jetterions, afin de la remplacer par un engrenage on ne peut plus… obéissant.
Je le sentis attraper délicatement une mèche folle de ma frange, la remettant peut-être en place : ma poitrine se rompit au même moment.
Alors, de ses mots arctiques s’élevait une dernière fois, sa très mauvaise aura. J’étais glacée de haut en bas, le cœur mis à terre. Et il le voyait très bien : le sourire acerbe de ses yeux s’en réjouissait déjà.
- Alors… Je vous souhaite d’avoir retrouvé le chemin.
Un ronronnement électronique se souleva vivement autour de lui: au même instant, j’aperçus son Motismart à la coque teintée d’un vert nocturne sortir littéralement de nulle part, se secouant autour du PDG monochromien et jetant le lustré rayonnement de ses cristaux liquides sur les traits carrés de son visage.
Fervor semblait alors se concentrer pendant quelques secondes sur ce que lui révélait son téléphone volant. J’essayais tant bien que mal d’attraper quelques informations au passage : mais le Motismart bougeait bien trop vite pour mes yeux frigorifiés.
Finalement, ce dernier revint très rapidement dans la poche de son Maître. Le PDG retira alors lentement sa main de ma joue, la caressant une dernière fois avec cette froideur qui termina de me pétrifier l’esprit.
Et puis il recula, les mains derrière le dos, me décochant une dernière fois sa menace latente bien imbriquée dans la rougeur minérale de ses yeux, avant d’être sollicité également par son Arcanin doré.
- Passez une bonne fin de soirée… Leava Truegold.

***