
- Peter ?
Elle venait de pencher la tête d’un air perplexe.
Le jeune Maître n'avait pas pu s’empêcher de sursauter, légèrement certes, avant de réaliser qu’ils venaient d'arriver en bas des larges escaliers, entrant petit à petit dans le marché de Noël encore bien fréquenté malgré l’heure tardive.
Elle esquissa très rapidement un sourire un peu plus amusé.
- Tu es complètement plongé dans tes pensées, on dirait !
Son rire finissait toujours par ébranler son esprit, même encore ensommeillé.
- Pardon Leava, je ne suis pas très drôle ce soir… Je me disais que nos discussions me manqueront maintenant que le semestre d’automne est terminé.
Il laissait son regard se perdre dans les vagues vibrionnées des lumières alentours. Néanmoins, Peter avait très vite remarqué l’expression un peu plus songeuse de la jeune fille aux cheveux cendrés.
- Tu seras très occupé au Plateau Indigo à partir de janvier, c’est ça ?
Il se tournait un peu plus vers elle, tenant fermement son café à moitié entamé. Le Grand Dracologue regrettait souvent d’avoir dû se montrer honnête envers la jeune femme.
- Maintenant que les nouvelles infrastructures de nos salles de combat sont prêtes, la saison des combats va rouvrir à Kanto. Des dresseurs tenteront le tour des arènes et nous aurons le tournoi à préparer en fin d’année. Cette édition sera particulière : la Pokemon Champions League attend beaucoup de ce renouveau.
Il n’avait pas pu empêcher cette pointe de préoccupation hanter les quelques syllabes sorties très machinalement de sa bouche. Elle ne perdait pas de temps à la remarquer apparemment.
- Tu as le même regard inquiet que la dernière fois où tu m’en as parlé...
Peter constata encore et toujours son incapacité à dissimuler correctement ses émotions. Dracolosse poussa un petit grognement en se penchant soudainement sur le jeune homme. Ce dernier se laissa légèrement bousculer par son coéquipier d’écailles et de vent en esquissant un rire : le dragon teinté de crépuscule n’avait pas toujours conscience de sa taille imposante.
- Hey ! Tu vas vraiment me faire tomber un jour, mon grand !
Le grand Pokémon se tourna alors vers Leava, dont le propre rire vint s’ajouter à l’éclat revigorant des lumières festives.
- Tu as bien raison de l’embêter, ton maître est vraiment têtu parfois !
Leur marche finit alors par s’arrêter vers des petites tables surélevées et protégées de la bise et de la neige par de grands parasols en forme de Kokiyas criblés par le givre. Des guirlandes lumineuses étaient accrochées au-dessous, pleuvant des myriades de petits faisceaux aveuglants inertes. Ils y posèrent tout deux leur café tandis que Dracolosse se plaça entre Peter et la jeune femme, observant les environs avec minutie.
Le dresseur de dragons soupira longuement, épris par une énième confidence.
- D’après mes parents, je suis né avec une pokéball dans les mains. Ma passion des Pokémons dragon puis des combats s’est manifestée très tôt et je n’ai pour ainsi dire jamais quitté le terrain, grimpant les échelons grâce à de petits concours locaux qui m’ont mené aux compétitions nationales comme dans d’autres régions ensuite. Je quittais souvent Kanto pour aller m’entrainer à l’autre bout du monde. J’avais à cœur de devenir un dracologue respectable et respecté, qui pouvait inspirer les générations futures… De fil en aiguille, cette ambition m’aura mené à la place de leader que j’occupe aujourd’hui.
Il marqua une courte pause.
- Une fois que je suis devenu Maître du conseil 4 au Plateau Indigo, j’ai tout entrepris pour réaliser mon plus grand rêve : faire de notre région, un modèle en matière de cohésion entre humains et Pokémons où les combats sont le fruit d’une collaboration authentique et harmonieuse, et pas seulement un sport de haut niveau. C’est précisément pour cette raison que j’ai intégré l’institution G-men peu de temps après.
Le regard si attentif de la jeune femme le déstabilisait légèrement. Ça ne le rendait que plus bavard paradoxalement.
- Je n’ai jamais arrêté de prendre part au développement de la culture des combats Pokémon à Kanto. Nous avons érigé une identité qui nous est propre et que nous avons sans cesse défendue, même lorsque l’organisation perfide de la Team Rocket a tenté de tout détruire au nom de leurs sombres desseins. La protection des Pokémons ainsi que la conservation de leurs divers habitats et de leur importance cruciale dans l’équilibre de la Nature et de l’univers ont été ensuite notre plus grande préoccupation au Plateau.
Son regard se perdait petit à petit dans le vague des stands luminescents.
- Puis, lorsque le dernier Maître de Kanto a décidé de renoncer à son titre il y a quelques années, le complexe a été fermé et de nouvelles règles ont été établies avec la Pokémon Champions League ainsi que l’institution G-Men. Ils veulent maintenant étudier davantage les pouvoirs des Pokémons en sollicitant l’organisation interne des ligues régionales. Il y a trois mois, ils ont accepté le mandat de ce laboratoire du nom de Monochrome Corporation afin de lancer les travaux dans nos salles de combats pour y installer tout un système de capteurs qui servirait à sonder l’énergie évoluant à même le corps des Pokémons pendant les matchs. Et ce n’est que la première étape de tous les projets de la fédération…
- Et tu penses que ce n’est pas bon pour cette harmonie ?
Elle venait d’attraper, et il ne savait pas comment, la crainte qui pesait le plus lourdement sur son esprit draconien.
- Autrefois, l’étude des Pokémons servait uniquement à rendre notre cohabitation la la moins invasive possible. Aujourd’hui, on veut en faire des objets d’étude pour développer de nouvelles exploitations énergétiques ? Ils ne sont pas de bêtes réservoirs d’énergie ! Il y a assez d’organisations malhonnêtes qui les utilisaient comme des esclaves, la Champions League s’est elle-même insurgée à l’époque. Et nous, que fait-on ? On ne vaut pas mieux que la Team Rocket à ce stade !
Il réalisait que sa voix transmettait plus de rage que de confidence. Mais Leava souriait, néanmoins d’une étrange faiblesse compatissante.
Peter finissait alors lui-même par esquisser un sourire, un peu gêné.
- Pardon… je m’emporte vite sur ce sujet.
Elle apaisait déjà son air soucieux par un rire furtif. Le jeune homme aux cheveux carmin levait alors la tête en soupirant longuement.
- Mais tes amis, ils en pensent quoi ? Demanda-t-elle subitement.
Le Grand Dracologue mit curieusement quelques secondes à saisir de qui elle parlait.
- Ho… Olga, Aldo et Agatha n’en déduisent pas grand-chose de bon, non plus. Mais tu sais, ce n’est pas simple de s’opposer à la hiérarchie de la fédération. Une fois que des décisions aussi importantes sont prises...
- Je ne comprends pas ? Si vous n’êtes pas d’accord avec ce projet, pourquoi vous acceptez de le faire ?
Il se surprit à deviner des pensées craintives froisser la claire cendre de ses iris.
- Et toi, Leava ? Tu arrives toujours à éviter de faire les choses qui ne te plaisent pas ?
Comme il s’y attendait, elle se renfrogna non sans avoir légèrement détourné les yeux. Son souffle sembla brutalement s’affaiblir.
- J’le fais tout le temps…
Il n’essayait pas forcément de la confronter. Mais c’était plus fort que lui : dans ses histoires embellissant les forces colossales de l’univers, la présence véritable de ce jeune spectre brûlé y’était si furtive que Peter craignait souvent de la voir s’éteindre un peu trop vite. Il y a quelques mois, il aurait pu simplement se contenter de ce mystère qui s’ajoutait telle une brique de verre à ce mur du silence. C’était bien le problème. Son sourire était resté fragile tout ce temps.
Comme aurait-il pu connaître les raisons autrement ? Il craignait tant qu’elle ne se confesse jamais malgré le temps qui passe. Ce perron avait écouté toutes ses histoires qui faisaient du monde, un miroir très embrumé de son esprit encore trop lointain pour le grand dresseur de dragons : elle ne parlait jamais directement d’elle-même.
Le Grand Dracologue se redressa alors lentement, ma foi interpellé silencieusement par ces mots différents de tous ceux qui habillaient la flamme mourante de son regard.
- Dis… Commença-t-elle.
Elle avait davantage laissé son visage se faire baigner des myriades de luminescences au-dessus de leur tête.
- Ce sera dans longtemps mais… Je pourrai venir voir tes combats au Plateau Indigo ? Et puis comme ça, je te dirai si les Pokémons apprécient qu’on leur sonde le corps ou pas ! Ça te rassurerait ?
Peter pencha alors la tête, les yeux légèrement écarquillés.
- Mais… je ne savais pas que tu t’intéressais aux matchs ?
Elle n’avait encore jamais évoqué cette culture, pas plus qu’elle n’évoquait les capacités des Pokémons, les infinités de types ou encore le tour des arènes de Kanto. Tout ça ne semblait pas l’atteindre.
La jeune femme aux cheveux cendrés hocha la tête en faisant scintiller une adorable curiosité dans ses iris claires.
- J'en ai beaucoup vu à la télévision ! Mais si ce n’est pas possible…
- Ha ! Je serais vraiment touché que tu… !
Ses sentiments effarouchés avaient souvent tendance à prendre le contrôle de ses lèvres. Cela dit, la responsable ne semblait pas y faire attention : elle se contentait juste de regarder le Grand Dracologue, le sourire paisible.
- Je serais vraiment très heureux que tu me vois combattre. Et puis qui sait, ça te donnera envie de devenir dresseuse ? Sans prétention, bien sûr ! Osa alors faire remarquer Peter.
Ce fut au tour de Leava de se figer.
- … Moi ?
Il s’était pourtant promis de ne pas trop en demander. Mais à vrai dire, son esprit était de plus en plus acculé par cette douleur piquante qu’il n’arrivait toujours pas à identifier dans sa poitrine. Et il était si rare de voir une expression interdite sur son visage de porcelaine que le jeune homme croyait en ressentir les effets assiéger ses battements.
Il affirma sa posture pour éviter toute perte de contenance.
- Je t’observe bien, Leava : ton contact avec les Pokémons est stupéfiant. Tu serais en parfaite symbiose avec tes partenaires de combat.
- Mais ça a l’air si différent ?
Elle sembla curieusement chercher d’autres arguments chez le Grand Dracologue.
- Je peux t’assurer que les liens que tu aimes tisser avec les Pokémons de l’université sont les mêmes que tu crées en tant que dresseur. Tu sais, les combats sont le symbole de notre cohabitation avec eux. Ça fait partie de notre Histoire comme de la leur. Il n’y a rien d’étrange à ça.
Leava s’agita un peu plus, jetant les cendres de son regard dans le vide. Cette fois-ci, elle garda le silence. Et Peter regretta brutalement sa témérité.
- Désolé, je…
- Non, ce n’est pas toi !
Elle sembla davantage trier ses mots.
- On ne m’avait encore jamais dit que je pouvais devenir dresseuse.
Peter fronça les sourcils.
- Je t’avoue que j’en suis étonné. Je serais même ravi de te montrer à quoi ça ressemble en te proposant de livrer ton premier match au Plateau Indigo… Enfin, en dehors des combats officiels !
- Quoi !? Pour de vrai ?!
Elle s’était brutalement crispée, mais le crépitement soulevé dans ses yeux trahissait nettement son enthousiasme. Pour certaines raisons, ça lui faisait plaisir.
Et puis la jeune femme détourna la tête.
- Hum… Bien sûr que non… je n’ai pas de Pokémon.
Le ton de sa voix s’était assombri : alors, cette douleur furtive se densifiait un peu dans la poitrine du jeune Maître, et toujours sans explication.
Il avait pourtant déjà compris que ce sujet était fâcheux : la veille, au moment même où elle nourrissait les Roucools autour des bâtiments de la faculté des Lettres, Peter s’était au préalable armé suffisamment pour lui poser cette question, ou du moins indirectement, en prétextant que son propre partenaire jalousait probablement les autres Pokémons dont la jeune femme prenait soin sur le campus de l’université. Elle avait alors brièvement changé d’attitude, le visage paré d’une lumière plus obscure dans la poudreuse où son sourire si fragile semblait se geler lui-même. Pour la première fois, les cendres de ses yeux refroidissaient : « pas besoin de m’inquiéter pour ça… Personne ne m’attend ».

L’intérêt soudain d’assister à des matchs Pokémon aurait pu paraître contradictoire. Pourtant, et sans même qu’il ait pu avoir besoin d’en savoir plus, Peter avait cru détecter autre chose dans la voix distante de la jeune femme. Et sans que l’espoir qui en résultait soit réellement solide, il avait cru soudainement apercevoir brièvement les désirs de ce fantôme bien moins plausible qu’il ne le laissait croire.
Mais la douleur si présente l’obligeait à y penser : Il avait expérimenté ces cisaillements dans sa poitrine au moment même où il réalisait qu’elle était parfois si éloignée dans la brume enneigée qu’il craignait constamment d’ouvrir brusquement les yeux pour réaliser à quel point les rêves pouvaient faire abominablement semblants d’être réels.
Ces douleurs avaient au moins eu le mérite de lui donner un début de réponse à leur existence soudaine.
Ça ne l’intéressait plus de connaître cette jeune femme.
Il voulait savoir qui elle était.
- Bien… Dès que tu auras trouvé ton partenaire, je t’initierai aux combats Pokémon. Mais ça m’a surpris que tu n’en possèdes pas déjà un, tu sais ?
- C'est parce que je… !
La parure de sa voix, si habituellement douce, s’était froissée d’une étrange angoisse. Mais le Grand Dracologue les entendait, ces efforts colossaux dont elle faisait preuve pour lui révéler ses pensées acculées, mot par mot. Ça le touchait autant qu’il en ressentait ces cognements plus agressifs encore, dans la poitrine.
Soudain, Dracolosse coupa court à la conversation en faisant élever un grognement excité. Il se tourna alors vers son dresseur avec grande insistance, secouant sa grande queue et faisant vibrer délicatement ses petites ailes.
Les deux jeunes adultes se tournaient alors en direction de ce que le grand Pokémon dragon semblait indiquer : un stand de friandises où chauffait une marmite de chocolat fumant dont la senteur enveloppée de sucre parvenait subitement jusqu’aux parasols en forme de Kokiyas.
- Hey ! J’aimerais bien un chocolat chaud, pas toi ? Ça nous réchauffera, et Dracolosse aussi !
Elle avait usé de cette voix affirmée qui effaçait si bien la bourrasque manquant à chaque fois d’éteindre le feu mourant dans son regard.
Elle s’en allait déjà, accompagnant les pas lourds du grand Pokémon draconien qui babillait joyeusement à ses côtés.
Mais ce qui avait probablement fait l’effet d’une brise aussitôt évanouie chez la jeune femme n’était que le début de la tempête qui s’était enfin levée dans l’esprit douloureusement aimanté du Grand Dracologue.
Il ne voulait rien s’expliquer : la réponse était encore trop claire pour être regardée en face.
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